Commission des affaires européennes

Réunion du 16 avril 2015 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • audit
  • britannique
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Dans cette communication, je voudrais dresser un rapide bilan des entretiens très riches que nous avons eus à Bruxelles lors du déplacement d'une délégation de notre commission les 23 et 24 mars derniers. Le choix de nos interlocuteurs a respecté, me semble-t-il, un bon équilibre entre les différentes institutions européennes puisque nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec :

- pour la Commission européenne : trois commissaires européens : le commissaire en charge de l'énergie, M. Maros efèoviè, le commissaire en charge de l'économie et de la société numérique, M. Günther Oettinger, et le commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, M. Pierre Moscovici ;

- pour le Parlement européen : la vice-présidente du Parlement européen, Mme Sylvie guillaume, le président de la commission Libé, M. Claude Moraes, le président de la commission des budgets, M. Jean Arthuis, le président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux, M. Alain Lamassoure, ainsi qu'une députée européenne plus particulièrement investie sur le dossier du PNR européen, Mme Sophia int'Veld ;

- pour le Conseil : le Coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove, qui a approuvé notre résolution européenne, ainsi que la directrice « Affaires intérieures » au secrétariat général du Conseil, Mme Christine Roger ;

- pour le Service européen d'action extérieure : son secrétaire général exécutif, M. Alain Le Roy ;

- pour les agences européennes : le représentant français d'Eurojust, M. Frédéric Baab.

Je n'aurai garde d'oublier, dans ce rappel liminaire, le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Pierre Sellal, qui a organisé un dîner en notre honneur.

Nous avons eu aussi des échanges très riches avec un certain nombre de fonctionnaires européens de nationalité française, qui occupent des postes de responsabilité dans les différentes institutions européennes. Ils ont été très sensibles à notre initiative. Enfin, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance des réflexions du think tank Brueghel sur l'idée d'un Eurosystème pour la politique budgétaire. Ces deux expériences sont à renouveler. C'est une bonne occasion d'échanger et de recueillir des informations.

Nous avons eu, tout d'abord, des échanges très fructueux avec M. Maros efèoviè, commissaire en charge de l'énergie.

La stratégie européenne pour l'union de l'énergie, présentée par la Commission européenne le 25 février dernier, réunit en un seul projet deux préoccupations nettement distinctes :

- empêcher d'éventuelles pressions russes liées aux livraisons de gaz avec la volonté de diversifier l'approvisionnement gazier et de revoir sa distribution ;

- contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au plan mondial avec des objectifs climatiques.

L'objectif affiché par la Commission européenne, c'est une « énergie durable, sûre et abordable pour les Européens. »

À cet effet, elle estime notamment nécessaire de diversifier les sources de l'approvisionnement gazier, en s'adressant de façon fortement accrue à trois fournisseurs stratégiques émergents : la zone Caspienne et l'Irak ; les ressources disponibles à l'est de la Méditerranée ; le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de tous les pays qui en exportent.

Autre priorité : l'intégration de l'électricité d'origine renouvelable intermittente dans le marché général de l'électricité.

Nous nous sommes demandé, pour notre part, si le défi majeur rencontré par l'industrie européenne aujourd'hui ne consistait pas dans les délocalisations énergétiques vers l'Amérique du Nord, après celles en direction de l'Asie en raison des coûts de la main-d'oeuvre. Par ailleurs, l'accent mis sur la politique climatique est un pari sur l'effet d'entraînement que l'Union européenne pourrait avoir à l'échelle mondiale. Il ne faudrait pas que le « Vieux continent » ait l'impression trompeuse de combattre le réchauffement climatique alors que les gaz à effet de serre continueraient à progresser dans l'atmosphère depuis d'autres continents.

Le long entretien que nous a accordé M. Günther Oettinger sur l'agenda numérique européen a souligné l'évolution nécessaire vers une politique volontariste et réactive à l'échelle de l'Union européenne. Le commissaire a aussi mis l'accent sur la réaffirmation de la place du droit d'auteur dans le contexte du marché numérique unique ainsi que sur l'indispensable régulation des plates-formes au coeur de la stratégie numérique.

Les grands axes des nouvelles propositions de la Commission devraient être rendus publics le 6 mai prochain.

Sur le dossier économique et financier, le commissaire Pierre Moscovici a rappelé que le président Juncker avait souhaité conférer une orientation plus politique à l'action de la Commission européenne. Cette inflexion devrait se traduire au plan économique par l'accent mis sur la relance de l'investissement et la transparence en matière fiscale. La surveillance des situations budgétaires des États membres a également été effectuée au travers de ce prisme, comme en témoigne l'examen des déficits publics belge, français et italien.

L'ambition affichée par la Commission européenne demeure de consolider la croissance, notamment par une interprétation plus flexible du Pacte de stabilité et de croissance.

S'agissant de la gouvernance financière de l'Union européenne et de celle de la zone euro, l'accent a été mis sur l'inadaptation du budget aux missions de l'Union européenne. On le sait, la diminution des ressources de l'Union ne date pas d'hier. L'approfondissement de la zone euro continue cependant à faire figure de priorité.

Pour l'institut Brueghel, il pourrait être envisagé un « fédéralisme d'exception », expression de l'ancien président de la Banque centrale européenne, Jean Claude Trichet, reprise plus récemment par Wolfgang Schauble, ministre des finances allemand. Concrètement, il s'agirait de mettre en place un « Eurosystème » de la politique budgétaire. C'est assez séduisant. Ça peut aussi susciter certaines crispations.

Jean Arthuis et Alain Lamassoure, aujourd'hui respectivement président de la commission des budgets et de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux au Parlement européen, ont confirmé les difficultés financières de l'Union depuis que sa principale ressource, les droits de douane, a fondu comme « neige au soleil » depuis la multiplication des accords de libre-échange. À hauteur de 90 %, le budget de l'Union est aujourd'hui alimenté par des contributions étatiques, chaque État membre discutant âprement sur le point de savoir s'il est bénéficiaire ou contributeur net du budget de l'Union. Nous avons auditionné hier Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. On voit bien que les décisions qui seront prises sur les droits de douane dans le cadre du traité transatlantique auront un impact sur le budget européen.

Par ailleurs, le montant cumulé des impayés s'élèverait à quelque 25 milliards d'euros !

Cette question de la crise budgétaire que connaît l'Union européenne n'est pas - reconnaissons-le - souvent publiquement abordée. Notre déplacement a été l'occasion d'une nouvelle prise de conscience à cet égard.

Nous avons aussi entendu Frédéric Baab, représentant français à Eurojust, et Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.

Du premier entretien, nous avons retenu la nécessité de renforcer la coopération entre les agences européennes Europol et Eurojust. Eurojust a encore des difficultés à avoir accès aux fichiers d'analyse criminelle d'Europol. Cette situation ne doit pas perdurer.

Le parquet européen collégial et décentralisé est désormais attendu avec impatience. Il devrait disposer de beaucoup plus de pouvoirs, dans sa sphère de compétence, que l'actuel Eurojust.

Gilles de Kerchove nous a rappelé, quant à lui, quelles étaient les priorités européennes en matière de lutte contre le terrorisme.

Les grands défis ont été identifiés : la radicalisation d'un certain nombre de jeunes via Internet ou encore dans les prisons ; le phénomène des combattants étrangers ; le développement d'une concurrence entre les groupes terroristes.

Le coordinateur a relevé que la menace terroriste avait changé de nature. Elle a longtemps été le fait de vétérans aguerris par plusieurs années de combat sur des théâtres d'opérations comme l'Afghanistan. Elle peut émaner aujourd'hui de jeunes Européens inconnus ou peu connus des services de police et capables de mener des attaques meurtrières avec une simple arme blanche.

Pour Gilles de Kerchove, les solutions résident dans une politique extérieure plus active de l'Union européenne avec les pays méditerranéens, une coopération renforcée entre Europol et Frontex avec l'amélioration du contrôle aux frontières extérieures de l'Union, la mise en place rapide d'un PNR européen, ainsi qu'une meilleure utilisation par les États et leurs services de police et de renseignement des outils de l'Union européenne.

À l'évidence, le président de la commission Libé du Parlement européen, M. Claude Moraes, et surtout Mme Sophia in't Veld, membre de cette commission, ne sont pas convaincus de l'urgence du PNR européen que les sénateurs français, à l'unanimité, appellent de leurs voeux. Nous avons eu le sentiment qu'ils allaient, en définitive, donner leur accord d'ici la fin de l'année, mais « du bout des lèvres ». Leur argumentaire est parfaitement légitime mais si nous sommes véritablement, comme le disent beaucoup, « en guerre contre le terrorisme », faut-il faire prévaloir la protection des données personnelles sur la protection des vies humaines ? C'est un dilemme que j'ai déjà évoqué mais l'entretien de la délégation avec nos collègues eurodéputés me pousse à l'énoncer à nouveau.

Notre compatriote Alain Le Roy, secrétaire général exécutif du Service européen d'action extérieure, nous a indiqué que Mme Federica Mogherini, Haute représentante, avait bien pris la mesure de ses nouvelles fonctions. Nous sommes dans une période d'intensification de l'action extérieure et de la mobilisation de l'Union européenne dans les dossiers concernant le Moyen-Orient ou l'Est de l'Europe, et notamment l'Ukraine.

J'insisterai, en conclusion, sur le grand intérêt des échanges que nous avons eus avec des Français occupant des fonctions de direction dans toutes les institutions européennes : Commission européenne, Conseil, Parlement européen.

Le thème que nous avions choisi était « la place des Français à Bruxelles ». Lors des débats il a été élargi, plus généralement, à celui de « la place de la France, aujourd'hui, dans les institutions européennes ».

J'énoncerai les principaux enseignements que nous avons tirés de ces échanges :

- la France est sans doute pénalisée, dans les institutions européennes, par une moindre culture parlementaire que celle que partagent les Allemands ou les Britanniques, plus habitués à la logique de compromis ou de coalitions ; d'autre part, il semble que les Allemands et les Britanniques cultivent davantage l'esprit d'équipe ; leur présence est organisée et entretenue de façon plus structurée que la nôtre ;

- la France souffre de l'absence d'une position forte comme, par exemple, sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire mais aussi, plus généralement, sur un véritable projet politique européen ;

- la France reste un des pays « fondateurs » de l'Union européenne. Beaucoup de pays membres se demandent toujours « ce que pense la France » sur tel ou tel dossier. La France est un pays qui conserve toujours les moyens de convaincre ;

- la France « tiendra » en Europe tant que le pays bénéficiera de la garantie implicite de l'Allemagne. Toutefois, un « agacement » réel est désormais perceptible chez ceux qui s'étonnent du traitement de faveur qui est réservé à notre pays ;

- il serait peut être utile de créer un « lieu d'échanges » pour des rencontres régulières sur des thèmes précis entre élus et fonctionnaires européens français.

Telle est la synthèse que je fais, à titre personnel, des rencontres très utiles de la délégation de la commission des affaires européennes lors de son déplacement des 23 et 24 mars derniers à Bruxelles.

J'ai un peu le sentiment que nous avons changé d'époque. Désormais, les commissaires européens, les parlementaires européens, les hauts fonctionnaires européens sont, semble-t-il, plus que par le passé, désireux de communiquer et d'exposer leur vision des choses avec les parlementaires nationaux des États membres.

Je pense que nous devons saisir cette occasion et renforcer notre rôle de relais entre les préoccupations nationales et les enjeux européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Le déplacement d'une délégation de la commission des affaires européennes à Bruxelles les 23 et 24 mars dernier a été une très bonne initiative. Je partage les conclusions du président Bizet quant au fait que les parlements nationaux sont désormais mieux pris en considération par les institutions européennes. Sans doute que le traité de Lisbonne y est pour quelque chose. Nous avons maintenant le sentiment que les parlements ont leur mot à dire avec les outils adaptés que sont les avis politiques et les résolutions européennes mais aussi et peut-être surtout les instruments nouveaux que constituent le « carton jaune » et, peut-être, demain, le « carton orange » et le « carton rouge ».

Très utile a été, en particulier, notre rencontre, à propos du PNR européen, avec le président de la commission Libé du Parlement européen, M. Claude Moraes, ainsi qu'avec la députée européenne Mme Sophia in't Veld forte de ses convictions et avec laquelle le débat a été franc.

J'ai le sentiment que le Parlement européen prend désormais en compte les pressions qui s'exercent de la part des parlements et des gouvernements des États membres récemment victimes d'actes terroristes. Le dossier du PNR européen me paraît donc aujourd'hui bien engagé.

J'ai aussi jugé très positif le déjeuner que nous avons partagé avec les fonctionnaires européens de nationalité française. Cette expérience est à renouveler. J'estime, par ailleurs, que le « format » de notre délégation était approprié à ce type de mission.

Il n'est pas toujours facile de contribuer à l'élaboration de la législation européenne au niveau des parlements nationaux. Nos collègues n'ont, hélas, pas toujours conscience du rôle que jouent à cet égard le Sénat et en particulier sa commission des affaires européennes. J'exprime, une nouvelle fois, mes inquiétudes quant au projet de réforme du règlement du Sénat s'agissant des créneaux horaires de réunion qui pourraient être imposés à cette commission.

La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sera-t-elle seule désormais à pouvoir auditionner les commissaires européens ? J'ai confiance dans les amendements qui seront apportés par M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois pour ce projet de réforme de notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les préoccupations de Simon Sutour sont les miennes. Au cours des quatre derniers mois, plusieurs commissaires européens se sont déplacés à Paris. Il faut un partage équilibré entre le Sénat et l'Assemblée nationale pour les auditions de ces commissaires européens.

Je rappelle que le projet de règlement, s'agissant de la fixation des créneaux horaires des réunions hebdomadaires de notre commission, inclut dans son énoncé l'expression « en principe ». Cela devrait permettre une certaine souplesse. J'ai déjà discuté de cette question avec le président du Sénat et je dois très prochainement m'en entretenir à nouveau avec le directeur du cabinet du président.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Je considère pour ma part que nous devons avoir un débat entre sénateurs, si « nous voulons-nous respecter nous-mêmes ». Je parlerai sans fard.

Reconnaissons, d'abord, que depuis la réforme « Seguin », nous sommes débordés de travail. Je pense, aussi, que la séparation des pouvoirs devrait être mieux respectée. Pour ma part, après trois ans d'absence, j'ai choisi de réintégrer, au Sénat, la commission des affaires européennes dont j'estime qu'elle est la plus importante des commissions de cette assemblée. Je regrette que ce point de vue ne soit pas mieux partagé notamment dans nos groupes politiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous allons nous attacher à corriger les imperfections des propositions qui nous ont été soumises.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

J'ai apprécié l'échange « transparent » qui vient d'intervenir. Dans mon groupe, aussi, sensibiliser les collègues aux enjeux européens n'est pas toujours chose aisée. Plus globalement, hélas, c'est peut-être le Parlement qui n'est pas toujours vraiment respecté.

S'agissant du déplacement de la délégation de notre commission à Bruxelles, une partie importante des entretiens a été consacrée aux aspects fiscaux de la politique de l'Union européenne. Certains des propos tenus lors de la visite et rapportés par le compte rendu écrit du déplacement m'ont interpellé. Je souhaiterais avoir quelques explications complémentaires sur les notions de transparence fiscale, de rescrits fiscaux, d'opacité voire de « perversité » de certaines pratiques fiscales, de « mesures fiscales préjudiciables » ainsi que sur le projet d'assiette commune consolidée par l'impôt sur les sociétés (ACCIS).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les questions que vous évoquez ont constitué, en effet, des points très importants de nos échanges notamment avec le commissaire Pierre Moscovici, Alain Lamassoure et Jean Arthuis. Certains de leurs aspects sont assez techniques. Je me propose de vous faire parvenir une note qui fera un point précis sur tous ces sujets.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous allons entendre maintenant une communication de notre collègue Fabienne Keller sur son rapport d'information qui porte sur les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Ce sujet présente un grand intérêt et sous-tend des enjeux importants tant pour ce pays que pour l'Union européenne. Le Royaume-Uni doit en principe organiser un référendum en 2017 sur sa participation à l'Union européenne.

C'est évidemment un enjeu majeur de la campagne électorale en vue des élections du 7 mai. Chacun a pu prendre connaissance de la position fortement exprimée par l'ancien Premier ministre Tony Blair contre un retrait du Royaume-Uni.

On avait compris que la position de David Cameron était avant tout de mettre à profit le délai d'ici à un référendum pour renégocier les conditions de la participation du Royaume-Uni. Les Britanniques ont réalisé une revue générale des compétences de l'Union qui dresse un bilan et apprécie l'opportunité de faire évoluer le cadre d'exercice de ces compétences. Dans ce contexte le rapport qui vous a été adressé revêt donc un intérêt particulier.

Je donne la parole à notre collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

La mission à Londres qui a précédé la rédaction de ce rapport m'a permis de rencontrer plusieurs personnalités importantes en charge des affaires européennes, dont M. David Lindington, ministre des affaires européennes depuis cinq ans, et plus ancien ministre des affaires européennes de l'Union, son homologue travailliste, le « shadow minister », M. Patrick Mc Fadden, mais aussi Lord Boswell et plusieurs Think Tanks et M. Augus Lapsley, désormais représentant permanent pour le Royaume-Uni auprès de l'Union européenne. Ces entretiens ont été particulièrement nourris, francs et fructueux et d'autant plus intéressants que nous entrions dans la campagne électorale pour les élections législatives du 7 mai.

Ce rapport d'information tend à présenter la position du Royaume-Uni face à l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et la manière dont le Royaume-Uni conçoit sa place au sein de l'Union européenne

De l'audit organisé à la demande du Gouvernement, se dégage l'impression d'une irréductible singularité propre à nos voisins britanniques dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas une affaire de coeur mais de tête. Pas de lyrisme, pas de romantisme, simplement du bons sens au service d'intérêts bien compris.

L'ensemble des auditions et des rencontres qui ont ponctué cette mission n'ont fait que renforcer cette impression et surtout ancrer la certitude que les Britanniques défendaient une position singulière au sein de l'Union et obéissaient majoritairement à un tropisme libéral insulaire qui est partagée par toutes les sensibilités. Cette particularité affichée sans complexe les conduit à considérer que le projet européen est un projet économique et doit le rester.

Cet audit a été lancé par le gouvernement britannique en 2012 et il s'est achevé en 2014. Il vise à évaluer la manière dont sont réparties l'ensemble des compétences d'un État moderne entre l'État britannique et l'Union européenne en fonction des traités existants et de leur pratique. Aucun autre membre de l'Union, à l'exception des Pays Bas et de la Finlande - mais d'une manière moins approfondie - ne s'est livré à cet exercice d'analyse et de transparence.

Ainsi, ce travail qualifié par tous d'objectif, et seulement de « technocratique » par ses détracteurs, a l'immense mérite, aux yeux du gouvernement actuel, de venir soutenir, preuves à l'appui, les positions britanniques traditionnelles en matière de réforme de l'Union européenne. Je n'aborderai ici que les secteurs où les Britanniques demandent une importante réforme.

Dans ce rapport, on trouve exprimées clairement les inquiétudes du Royaume-Uni quant à l'insuffisance de rigueur dans la mise en oeuvre des deux principes de subsidiarité et de proportionnalité. On sent que le Royaume-Uni déplore une pratique politique et opportuniste de la Commission, insuffisamment contrecarrée par les autres pouvoirs.

Le Royaume-Uni suggère un renforcement du rôle des parlements nationaux, proposition de réforme qui a déjà trouvé de nombreux échos chez d'autres États membres.

Enfin, toujours à propos de la législation européenne, l'audit invite à mieux et moins légiférer en commençant par veiller à mettre en oeuvre pleinement les législations existantes avant d'en introduire de nouvelles. L'audit appelle de ses voeux une amélioration des études d'impact et une association en amont des experts, des gouvernements et des parlements nationaux, et enfin une amélioration du processus de décision qui passe essentiellement par une association des parlements nationaux en amont et à toutes les étapes de la décision.

L'audit met par ailleurs en lumière une inquiétude britannique fondamentale : le fait que l'intégration toujours plus poussée de la zone euro modifie profondément la gouvernance de l'Union et son cadre d'action.

L'audit soutient l'idée qu'une réforme en profondeur de la gouvernance de la zone euro et de ses structures, via une révision des traités, de même que des réformes structurelles sont nécessaires afin d'assurer une zone euro forte et stable. Le Royaume-Uni juge qu'il doit soutenir le projet d'une plus grande intégration de la zone euro - à laquelle il ne souhaite en aucun cas appartenir - à la condition expresse que celle-ci ne porte aucunement atteinte à ses propres intérêts.

La libre circulation des personnes a fait l'objet de vifs débats entre les ministres concernés (Intérieur et Foreign Office). Ce rapport note en conclusion que la libre circulation a eu un impact largement positif pour le Royaume-Uni et ne confirme pas les allégations d'abus des prestations sociales, faute de preuves tangibles.

On doit toutefois relever la perception généralement négative qu'ont les Britanniques de la libre circulation des personnes qui reste un point de négociation avec Bruxelles aux yeux de toute la classe politique.

L'audit souligne en outre que le budget européen n'est pas approprié et que la PAC est disproportionnée et pourrait avantageusement faire l'objet d'une « renationalisation » (rapatriement de compétence). L'audit confirme l'hostilité du Royaume-Uni à la création de toute nouvelle ressource propre et réaffirme son soutien aux mécanismes de correction. Le Royaume-Uni, contributeur net, maintient sa position sur le « chèque ».

L'audit se contente de renouveler le souhait britannique de ne plus avoir à contribuer à la politique de cohésion pour les zones les plus développées de l'Union européenne sans confirmer la position habituellement plus tranchée selon laquelle seuls les nouveaux entrants devraient bénéficier de cette politique et seulement pendant une période de rattrapage limitée dans le temps.

L'audit met en lumière le fait que les objectifs de la PAC demeurent flous et que les critères d'attribution sont encore largement irrationnels et déconnectés des buts que devrait poursuivre une telle politique.

L'accès des produits agricoles britanniques au Marché unique est salué comme une conséquence très positive. Toutefois, la PAC reste une politique technocratique récusée par la majorité des acteurs britanniques qui n'hésitent pas à avancer le projet d'une « renationalisation » de la politique agricole.

Le découplage est accusé de conduire au maintien d'exploitations non rentables et de nuire aux efforts d'amélioration de la productivité.

En revanche, l'Union est saluée pour son efficacité en matière de négociations commerciales internationales et de défense des produits agricoles européens.

En matière de fiscalité, il est rappelé que l'impôt direct ne saurait être décidé que par les États membres. Il n'est possible de déroger à ce principe que si la dérogation facilite les échanges mondiaux (par exemple, les conventions fiscales sur le modèle de l'OCDE pour éviter la double taxation).

Le partage de cette compétence doit donc résulter d'un équilibre tendu entre, d'une part, la nécessité de permettre à tous de jouer à armes égales sur un marché unique et celle de réduire tous les obstacles aux échanges internationaux, et, d'autre part, la possibilité pour les États membres de réagir à leur environnement national propre en s'appuyant sur leur système fiscal propre. L'Union ne doit intervenir fiscalement que pour améliorer le marché intérieur.

L'audit réaffirme son attachement à la règle de l'unanimité et son hostilité à la coopération renforcée tendant à créer une taxe sur les transactions financières qui n'est dans l'intérêt ni du Royaume-Uni, ni de l'Union.

Le gouvernement britannique considère que cet audit permet de dégager un agenda de réforme de l'Union sur quatre points.

D'abord, le Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports. Cet approfondissement est jugé prioritaire.

Ensuite, le Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen. Il propose de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir.

En troisième lieu, le Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés.

Enfin, selon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.

La construction européenne, pour les Britanniques, est un projet économique, un marché commun, un marché intérieur, un Marché unique, bref, une idée simple. Le scepticisme naît dès qu'on en fait un projet politique romantique et millénariste.

Pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde. De là leur euroscepticisme qui se nourrit aussi de griefs à l'égard de l'Union européenne et de facteurs conjoncturels sans que ce scepticisme puisse conduire pourtant à un rejet total de l'Union européenne et à une sortie de l'Union largement fantasmée par les médias, selon nos interlocuteurs.

Comme toujours, parmi les craintes éprouvées par l'opinion et la classe politique, certaines relèvent plus de la spéculation que de la réalité. Toutefois, il convient de les prendre toutes en compte, car elles déterminent une atmosphère à un moment donné.

Il existe une peur diffuse dans l'opinion que la Grande-Bretagne devienne une petite Angleterre. Cette angoisse se rattache au déclin de l'Occident, à la percée des pays émergents et aux risques de la mondialisation. Au Royaume-Uni, cette crainte a été ravivée pendant la campagne du référendum pour l'indépendance de l'Écosse et le scénario catastrophique d'un éventuel éclatement du royaume.

Cette inquiétude, où se mêlent « déclinisme » et crise identitaire, n'est pas propre au Royaume-Uni, mais le phénomène qui est propre au Royaume-Uni, c'est qu'une partie très éclairée de l'opinion, habituée à regarder vers le grand large, est parvenue à imaginer que le pays est limité dans son essor par l'Union européenne.

Certains suggèrent qu'une fois en dehors de l'Union, le Royaume-Uni pourrait contracter des accords commerciaux plus avantageux avec le reste du monde et que si le royaume Uni a un destin européen, ce destin n'est certainement pas continental et bruxellois. C'est une sorte d'euroscepticisme élitiste où Londres joue le rôle d'une capitale mondiale et où le Royaume-Uni est présenté comme un grand Singapour.

Tous nos interlocuteurs, à des degrés divers, nous ont alertés sur leur agacement face à ce qu'ils ressentent comme un attachement quasi mystique, de la part de certains « europhiles », à l'idée d'« une union toujours plus étroite entre les peuples européens », concept réintroduit par le traité de Lisbonne.

La majorité de la classe politique britannique préfèrerait que cette référence ne figure plus dans les traités ; elle insiste sur le fait que le fédéralisme n'est plus d'actualité et s'oppose vivement à tous ceux qui continuent à évoquer la prétendue inéluctabilité d'une fédération européenne à plus ou moins longue échéance. Ils rappellent que les Danois et les Hollandais partagent ce point de vue.

Pour appuyer leur position, les Britanniques font remarquer en guise d'exemple que, grâce à l'indépendance de la Banque d'Angleterre, ils ont pu pratiquer le « quantitative easing » cinq ans avant la Banque Centrale européenne tandis que Mario Draghi continuait à négocier difficilement pour aboutir à une décision tardive dont l'efficacité risque d'être moins grande.

Je veux évoquer un autre grief majeur des Britanniques à l'égard de l'Union. Ils redoutent que la création et maintenant le sauvetage de l'euro entraînent l'Union dans une spirale de renforcement du « Hardcore Europe » où, selon eux, se trouvent les États membres considérés comme plus égaux que les autres États membres simplement parce qu'ils ont adopté la monnaie unique.

C'est pourquoi ils demandent des garanties pour tous les États membres qui n'ont pas souhaité adopter la monnaie unique afin qu'ils ne soient pas traités comme des citoyens de seconde classe.

Sur la libre circulation qui occupe le centre du débat européen à cause des conséquences de l'afflux d'immigrés, le gouvernement, quel qu'il soit après les élections du 7 mai prochain, demandera des accommodements. Aujourd'hui un consensus se dégage contre une application trop idéologique ou trop systématique du principe de la libre circulation des personnes.

Je formulerai quelques remarques en guise de conclusion.

Aujourd'hui, David Cameron maintient l'idée d'un référendum qui ferait suite à une renégociation avec Bruxelles sur les points suivants :

- renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus législatif ;

- diminution de l'activité législative et des excès bureaucratiques ;

- aménagement du principe de la libre circulation des personnes ;

- possibilité pour la police et la justice britannique de protéger les citoyens sans interférences inutiles de l'Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- création de nouveaux mécanismes pour empêcher de nouveaux phénomènes migratoires trop importants ;

- renoncement - au moins pour le Royaume-Uni - au principe d'une « union toujours plus étroite ».

L'attitude de l'actuel Premier ministre ne saurait toutefois être simplement analysée comme la conséquence d'un équilibre politique menacé par l'aile la plus eurosceptique de son parti.

En réalité, il apparaît que les demandes de David Cameron sont une position de compromis et qu'elles sont soutenues par les trois grands partis de gouvernement. Il est même asses probable que si le Labour accédait au pouvoir, il finirait par organiser, sous la pression de l'opinion, le référendum promis par David Cameron. Mais le leader travailliste soutient aujourd'hui le contraire et n'envisage pas de référendum.

À propos du référendum sur le maintien dans l'Union, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'il était désormais perçu comme une nécessité démocratique, quarante ans après le référendum de 1975.

Sans qu'il soit possible de déterminer pour l'instant l'ampleur de cette renégociation souhaitée par les Britanniques, il semble clair que du côté conservateur, on souhaite des accommodements de la part de Bruxelles afin de retirer au projet européen tout ce qui alimente la polémique contre Bruxelles.

Au motif que les sondages ont maintenant montré que l'opinion souhaite majoritairement le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne au prix de quelques concessions, le Gouvernement britannique se rassure sur l'issue de cette consultation dont beaucoup ont pensé sur le moment qu'elle n'était qu'un coup de poker. Il faut attendre les résultats du scrutin du 7 mai prochain, résultats incertains car la montée des petits partis a mis à mal le bipartisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En vous écoutant et à la lecture de votre rapport, nous sommes rassurés sur les intentions de nos amis britanniques et nous comprenons que leur intention première n'est pas de sortir de l'Union mais de négocier ce qu'il faut bien appeler la place particulière du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.

À vrai dire, nous pouvons partager une partie des demandes britanniques. Mais pour nous, l'approfondissement de l'Eurozone est inéluctable et incontournable.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Les Britanniques ne sont pas membres de la zone euro, mais ils veulent nous expliquer ce que nous devons faire dans ce domaine. Cela reste toujours un peu surprenant. Cela dit, les positions des uns et des autres évoluent sur cette question comme sur les autres : par exemple, on parle maintenant plus de rigueur que d'austérité.

Il faut attendre le résultat des élections du 7 mai et le système du scrutin uninominal à un tour - que certains voulaient introduire en France alors que ce n'est pas notre tradition - peut réserver de grandes surprises. Je me réjouis du travail accompli par notre collègue et je la remercie, car nous avons eu trop souvent tendance à balayer la position britannique d'un revers de main, alors qu'elle comporte des propositions intéressantes. Il faudra en reparler après les élections.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Nous comprenons que les Britanniques ont une position pragmatique et récusent une grande vision politique à long terme. Il faut le prendre en compte, mais on peut aussi le regretter.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Nous avons là l'illustration de duplicité de nos amis Anglais : ils s'opposent mais ils réussissent à faire nommer Jonathan Hill à Bruxelles. Nous savons tous que le pragmatisme britannique est une force qui leur permet de défendre leur principale industrie : les services financiers qui représentent 35 % de leur PIB.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

J'ai lu avec intérêt le rapport de Fabienne Keller et je félicite le rapporteur de son travail. En effet, il était temps de corriger les caricatures que l'on trouve dans la presse. Certes, les Britanniques jouent un jeu dangereux mais ils le font avec une grande habileté. Ils disent haut et fort qu'il y a trop d'Europe, mais ils veulent toujours plus de marché intérieur. Nous sommes avertis et c'est à nous de savoir négocier, car mon avis est que nous ne pouvons pas faire l'Europe sans le Royaume-Uni. Je devine donc que nous finirons par trouver une position négociée même s'il faut aller vers une Europe à deux vitesses comme l'indique M. Valéry Giscard d'Estaing, dans son dernier livre à propos des deux cercles européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

La position britannique est paradoxale effectivement à première vue. En tout cas, les Britanniques ont ce mérite que partout ils font en sorte que les choses ne se fassent pas sans eux !

Cette idée d'audit était particulièrement astucieuse parce qu'ainsi, ils posent des socles et ils valident une position consensuelle. C'est une stratégie et elle est, me semble-t-il très efficace.

Naturellement l'élection du 7 mai est très incertaine.

Les Conservateurs et les Travaillistes sont donnés au coude à coude avec plus ou moins 35 % des votes chacun, ce qui ne les met pas en position d'obtenir une majorité absolue des sièges au Parlement. Mais une fois de plus le risque et l'incertitude proviennent surtout de l'abstention qui promet d'être très élevée.

Les Libéraux Démocrates sont crédités de 8 % des voix, l'UKIP de 16 % et les Verts de 5 %. Normalement le scrutin uninominal à un tour pénalise toutes les petites formations, mais leur présence dans un très grand nombre de circonscriptions change la donne pour le bipartisme traditionnel. Enfin en Ecosse, le Parti Indépendantiste (à gauche de la gauche) s'apprête à déstabiliser les travaillistes pourtant bien implantés.

Avec 35 % des voix chacun, les deux partis principaux n'ont jamais réalisé un score combiné aussi bas si bien que ce scrutin est le plus incertain qu'ait connu le Royaume depuis un siècle. Si ces pronostics sont confirmés par les électeurs le 7 mai prochain, des alliances seront nécessaires comme ce fut le cas pour Cameron en 2010 qui s'est allié aux Libéraux Démocrates au sein d'une coalition qui s'est révélée solide contre toute attente et qui pourrait bien être renouvelée si les Libéraux Démocrates retrouvent leurs sièges, ce qui semble peu probable, car leur électorat s'est effondré.

On sait que le Parti Conservateur ne veut pas s'unir à UKIP qui de toute manière n'obtiendra que 5 sièges, s'il les obtient. Quant à l'appui des Unionistes irlandais, il ne peut être que limité à sans doute 10 sièges.

Quant aux Travaillistes, ils ont annoncé qu'ils ne feraient pas alliance avec le Parti Indépendantiste Écossais (SNP) qui est en plein essor malgré son échec cuisant au référendum de 2014 sur l'indépendance. Ils pourront sans doute se rapprocher des Lib-Dem qui sont prêts à travailler avec les Travaillistes après avoir travaillé avec les Conservateurs.

Le scenario le plus probable est celui d'une reconduction de l'actuelle coalition, ce qui entraînera à terme - en 2017, sans doute - un référendum sur le maintien de la Grande Bretagne dans l'Union après renégociation des divers points jugés sensibles par les Anglais.

Si les Travaillistes devaient l'emporter de justesse, ils seraient contraints de s'allier aux Lib-Dem et à tenir en respect le Parti Indépendantiste écossais.

Il y a peu de chance que l'UKIP fasse le plein des voix et entre triomphalement au parlement et comme il a été dit, le SNP indépendantiste écossais devrait entrer massivement au Parlement mais uniquement pour faire avancer son projet indépendantiste.

La France doit garder un lien fort avec le Royaume-Uni, ne pas avoir une vision trop tranchée de la position britannique et garder en mémoire l'efficacité de l'approche britannique qui est plus nuancée qu'il y parait.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je pense qu'il était bon de clarifier notre compréhension de l'approche britannique et ce que vous nous dites est au fond très positif pour l'Union. Nous prenons acte de la démarche pragmatique, audacieuse et bien construite du Royaume-Uni.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Il nous faut respecter la diversité au sein de l'Europe. Or, aujourd'hui ceux qui font l'Europe se connaissent de plus en plus mal et en restent aux clichés. Les Britanniques veulent continuer de profiter du grand marché et apporter leur vision. Il nous appartient d'étayer notre position comme ils étayent la leur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous vous remercions et nous attendons maintenant les élections du 7 mai.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Notre ordre du jour appelle une communication de notre collègue Eric Bocquet sur l'impact du salaire minimum en Allemagne sur le transport routier européen.

Le gouvernement allemand a précisé que le salaire minimum, qu'il a mis en place le 1er janvier dernier, s'appliquerait à tous les salariés travaillant en Allemagne, indépendamment de la localisation de leur employeur. Cette position a suscité de vives réactions dans certains États membres. Cette question a aussi trouvé un écho dans le projet de loi Macron dont le Sénat poursuit actuellement la discussion.

Il est donc important de faire un point sur ce dossier pour bien en évaluer les enjeux. Je rappelle que notre collègue a déjà réalisé un important travail sur le dumping social dans les transports européens. Sur sa proposition, nous avions adopté, en avril 2014, une proposition de résolution européenne.

Je lui donne la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

En introduisant, le 1er janvier dernier, un salaire minimum sur son territoire, le gouvernement allemand a souhaité préciser que celui-ci s'appliquait à tous les salariés travaillant en Allemagne, indépendamment de la localisation de leur employeur. Les travailleurs mobiles, au premier rang desquels les chauffeurs routiers, sont particulièrement concernés par une telle disposition. Le texte vise toutes les opérations effectuées sur le territoire allemand mais aussi le transit sur les routes allemandes. Cette question du transit n'est pas anodine en Allemagne où environ 20 % du trafic routier de marchandises relève de cette nature.

Le contrôle de la rémunération des temps de transit passés en Allemagne peut apparaître délicat. Comment imposer aux entreprises issues des pays tiers de majorer en conséquence les salaires de leurs chauffeurs ? Il y a bien une solution avec le tachygraphe intelligent. Mais il ne sera introduit qu'en 2018 et ne devrait être généralisé qu'en 2033.

Vous imaginez bien que la position allemande n'a pas suscité l'adhésion de tous les États membres. Abordons tout d'abord ces réactions.

Une délégation de 13 États membres (Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont ainsi fait part à la Commission européenne de leurs réserves sur le dispositif allemand. La Pologne a notamment émis le souhait d'une suspension de son application.

Tenant compte de ces réactions, la Commission européenne a lancé une procédure préliminaire pour vérifier la conformité de la disposition allemande au droit européen et demander à cet effet des clarifications au gouvernement allemand. Des interrogations subsistent sur la compatibilité de la majoration salariale en cas de transit, potentiellement contraire au principe de libre circulation. Face aux réactions de ses partenaires, le gouvernement allemand a annoncé le 30 janvier 2015 son intention de suspendre l'application du salaire minimum aux routiers.

Cette suspension ne concerne que le transit opéré sur son territoire. Les livraisons effectuées en Allemagne ou le cabotage doivent continuer à être indemnisées selon les règles allemandes. La décision est de surcroît temporaire, dans l'attente d'une clarification par la Commission européenne de la législation existante. Celle-ci est attendue d'ici quelques semaines.

Cette suspension partielle met en tout cas un peu plus en lumière la question du cabotage, qui demeure le coeur du problème. Un règlement de 2009 limite à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international. Une opération de cabotage est autorisée dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide. Cette opération doit être effectuée dans un délai de trois jours suivant l'entrée d'un véhicule sur le territoire dudit État et au maximum sept jours après la livraison des marchandises ayant fait l'objet du trajet aller. Rien n'interdit pour autant à un transporteur d'effectuer un transfert de marchandises entre deux États dont il n'est pas ressortissant sur le trajet du retour. Une telle opération lui permet alors de retrouver un droit complet de cabotage au sein de l'État où il décharge.

La précédente Commission européenne avait indiqué son souhait de procéder à une nouvelle libéralisation dans ce domaine, suscitant l'opposition d'un certain nombre de gouvernements, dont la France, du Parlement européen et des partenaires sociaux. Celle-ci ne fait pas partie du programme de travail pour 2015. La Commission annonce un paquet « transport routier » pour 2016. Nous verrons si cette nouvelle libéralisation en fait partie.

Les autorités allemandes s'inquiètent, aujourd'hui, de l'émergence d'un cabotage permanent ou « grand cabotage », lié au simple franchissement d'une frontière, qui ouvre mécaniquement le droit à cabotage sur le trajet du retour. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser son trajet de retour via les bourses de fret et effectuer trois opérations de cabotages en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de revenir sur ses pas, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un pays voisin.

L'Allemagne estime que ce grand cabotage est synonyme de concurrence déloyale pour les entreprises présentes sur son territoire, en soulignant les différences de salaire entre chauffeurs allemands et ceux issus d'autres États membres. Le coût au kilomètre d'un chauffeur allemand pouvait, avant même l'introduction d'un salaire minimum en Allemagne, représenter plus du double de celui d'un travailleur slovaque.

Cette situation renvoie à l'incertitude juridique entourant la rémunération des chauffeurs qui cabotent et, en particulier, à l'application de la directive « détachement » à ces salariés mobiles. La norme européenne n'est, en effet, pas claire à ce sujet.

Un considérant du règlement de 2009 indique que les dispositions de la directive de 1996 sur le détachement de travailleurs s'appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage. Cette référence n'est pas reprise dans le corps même du règlement. Rien n'y est indiqué concernant les normes sociales prévues dans le noyau dur de la directive sur le détachement et notamment la question de la rémunération. En l'absence de précision et compte tenu de l'absence de valeur normative du considérant, la rémunération applicable peut donc être celle du pays d'envoi durant toute la phase de cabotage.

Je rappelle qu'en France, un décret de 2010 relatif au cabotage dans les transports routiers et fluviaux et destiné à transposer le règlement européen de 2009 reflète cette ambiguïté. Il prévoit ainsi que les entreprises établies hors de France réalisant une opération de cabotage ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration de détachement durant les sept premiers jours de leur présence sur le territoire. Ce qui revient en pratique à ne pas appliquer le noyau dur prévu par la directive « détachement » : l'absence de déclaration préalable limite en effet clairement la possibilité de contrôle.

Le projet de loi Macron contient néanmoins une disposition qui devrait permettre de lever cette incertitude. Un amendement du Gouvernement, adopté le 14 février par l'Assemblée nationale, prévoit en effet qu'une attestation de détachement devra être fournie par les employeurs. Celle-ci devrait notamment informer les chauffeurs de leurs droits, notamment en ce qui concerne le salaire. Un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre devrait également s'appliquer. Il s'agit de l'article 96 bis. La commission spéciale n'est pas revenue sur ce point.

Je vous rappelle que, comme l'a indiqué le président, notre commission a adopté en avril 2014 une proposition de résolution européenne visant le dumping social dans les transports européens qui aborde expressément cette question. Nous y estimions que la réglementation européenne en matière de cabotage n'était pas assez précise et créait les conditions d'une concurrence déloyale, débouchant sur un cabotage permanent. Le texte insistait sur une application effective aux opérations de cabotage de la directive « détachement » sur ce texte. Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 15 mai 2014.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que saluer cette initiative de l'Allemagne. Elle s'inscrit résolument dans le cadre de la lutte contre le dumping social dans le transport routier européen, portée par le gouvernement français depuis plus d'un an.

Je relève simplement que cette volonté allemande de lutter contre la concurrence déloyale dans le transport routier n'a pas toujours été claire. En effet, avant l'entrée en vigueur du salaire minimum, l'Allemagne faisait partie des principaux pays caboteurs grâce aux chauffeurs issus des Länder d'Allemagne de l'Est, rémunérés à des conditions moindres que leurs compatriotes de l'Ouest. 10 % du cabotage européen était ainsi réalisé par des transporteurs allemands, 12 % par des néerlandais et 18 % par des polonais. La France était, de son côté, vingt fois plus cabotée qu'elle ne cabotait elle-même. À titre de comparaison, le ratio caboté/caboteur de l'Allemagne s'établit à 3,3.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je remercie Éric Bocquet de nous avoir éclairés sur cette question qui alimente l'actualité sociale. Les distorsions de concurrence constituent un vrai défi au sein de l'Union européenne, sur lequel il est nécessaire d'avancer. Je remarque que l'Allemagne n'a pas toujours été à notre diapason sur cette question, mais l'introduction du salaire minimum sur son territoire la conduit à réviser sa position, ce qui va dans le bon sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Tout cela nous renvoie à la question d'un salaire minimum européen. Est-ce réellement faisable ? Quelles en seraient les modalités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Cette question fait partie des sujets que traitent actuellement nos collègues Pascale Gruny et Patricia Schillinger dans le cadre du rapport que nous leur avons confié sur la convergence sociale. Le salaire minimum européen renvoie également à la question d'une capacité budgétaire au sein de la zone euro permettant de traiter des questions sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Je reviens un instant sur cette question des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne. Celles-ci fragilisent nos petites entreprises et certains de nos secteurs. Je relève dans le même temps que la lecture du droit de la concurrence opérée par l'Union européenne limite nos chances de voir émerger des grands champions européens. Il sera intéressant de suivre la position de la Commission européenne sur la fusion entre Alcatel-Lucent et Nokia... Je discutais récemment avec l'ancien président du Conseil italien Enrico Letta et des chefs d'entreprise de son pays : tous me disaient leur incompréhension face à cette vision de la concurrence.

La réunion est levée à 10 heures 10.