Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 avril 2015 à 8h30
Institutions européennes — Royaume-uni et union européenne : rapport d'information de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

La mission à Londres qui a précédé la rédaction de ce rapport m'a permis de rencontrer plusieurs personnalités importantes en charge des affaires européennes, dont M. David Lindington, ministre des affaires européennes depuis cinq ans, et plus ancien ministre des affaires européennes de l'Union, son homologue travailliste, le « shadow minister », M. Patrick Mc Fadden, mais aussi Lord Boswell et plusieurs Think Tanks et M. Augus Lapsley, désormais représentant permanent pour le Royaume-Uni auprès de l'Union européenne. Ces entretiens ont été particulièrement nourris, francs et fructueux et d'autant plus intéressants que nous entrions dans la campagne électorale pour les élections législatives du 7 mai.

Ce rapport d'information tend à présenter la position du Royaume-Uni face à l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et la manière dont le Royaume-Uni conçoit sa place au sein de l'Union européenne

De l'audit organisé à la demande du Gouvernement, se dégage l'impression d'une irréductible singularité propre à nos voisins britanniques dont l'adhésion à l'Union européenne n'est pas une affaire de coeur mais de tête. Pas de lyrisme, pas de romantisme, simplement du bons sens au service d'intérêts bien compris.

L'ensemble des auditions et des rencontres qui ont ponctué cette mission n'ont fait que renforcer cette impression et surtout ancrer la certitude que les Britanniques défendaient une position singulière au sein de l'Union et obéissaient majoritairement à un tropisme libéral insulaire qui est partagée par toutes les sensibilités. Cette particularité affichée sans complexe les conduit à considérer que le projet européen est un projet économique et doit le rester.

Cet audit a été lancé par le gouvernement britannique en 2012 et il s'est achevé en 2014. Il vise à évaluer la manière dont sont réparties l'ensemble des compétences d'un État moderne entre l'État britannique et l'Union européenne en fonction des traités existants et de leur pratique. Aucun autre membre de l'Union, à l'exception des Pays Bas et de la Finlande - mais d'une manière moins approfondie - ne s'est livré à cet exercice d'analyse et de transparence.

Ainsi, ce travail qualifié par tous d'objectif, et seulement de « technocratique » par ses détracteurs, a l'immense mérite, aux yeux du gouvernement actuel, de venir soutenir, preuves à l'appui, les positions britanniques traditionnelles en matière de réforme de l'Union européenne. Je n'aborderai ici que les secteurs où les Britanniques demandent une importante réforme.

Dans ce rapport, on trouve exprimées clairement les inquiétudes du Royaume-Uni quant à l'insuffisance de rigueur dans la mise en oeuvre des deux principes de subsidiarité et de proportionnalité. On sent que le Royaume-Uni déplore une pratique politique et opportuniste de la Commission, insuffisamment contrecarrée par les autres pouvoirs.

Le Royaume-Uni suggère un renforcement du rôle des parlements nationaux, proposition de réforme qui a déjà trouvé de nombreux échos chez d'autres États membres.

Enfin, toujours à propos de la législation européenne, l'audit invite à mieux et moins légiférer en commençant par veiller à mettre en oeuvre pleinement les législations existantes avant d'en introduire de nouvelles. L'audit appelle de ses voeux une amélioration des études d'impact et une association en amont des experts, des gouvernements et des parlements nationaux, et enfin une amélioration du processus de décision qui passe essentiellement par une association des parlements nationaux en amont et à toutes les étapes de la décision.

L'audit met par ailleurs en lumière une inquiétude britannique fondamentale : le fait que l'intégration toujours plus poussée de la zone euro modifie profondément la gouvernance de l'Union et son cadre d'action.

L'audit soutient l'idée qu'une réforme en profondeur de la gouvernance de la zone euro et de ses structures, via une révision des traités, de même que des réformes structurelles sont nécessaires afin d'assurer une zone euro forte et stable. Le Royaume-Uni juge qu'il doit soutenir le projet d'une plus grande intégration de la zone euro - à laquelle il ne souhaite en aucun cas appartenir - à la condition expresse que celle-ci ne porte aucunement atteinte à ses propres intérêts.

La libre circulation des personnes a fait l'objet de vifs débats entre les ministres concernés (Intérieur et Foreign Office). Ce rapport note en conclusion que la libre circulation a eu un impact largement positif pour le Royaume-Uni et ne confirme pas les allégations d'abus des prestations sociales, faute de preuves tangibles.

On doit toutefois relever la perception généralement négative qu'ont les Britanniques de la libre circulation des personnes qui reste un point de négociation avec Bruxelles aux yeux de toute la classe politique.

L'audit souligne en outre que le budget européen n'est pas approprié et que la PAC est disproportionnée et pourrait avantageusement faire l'objet d'une « renationalisation » (rapatriement de compétence). L'audit confirme l'hostilité du Royaume-Uni à la création de toute nouvelle ressource propre et réaffirme son soutien aux mécanismes de correction. Le Royaume-Uni, contributeur net, maintient sa position sur le « chèque ».

L'audit se contente de renouveler le souhait britannique de ne plus avoir à contribuer à la politique de cohésion pour les zones les plus développées de l'Union européenne sans confirmer la position habituellement plus tranchée selon laquelle seuls les nouveaux entrants devraient bénéficier de cette politique et seulement pendant une période de rattrapage limitée dans le temps.

L'audit met en lumière le fait que les objectifs de la PAC demeurent flous et que les critères d'attribution sont encore largement irrationnels et déconnectés des buts que devrait poursuivre une telle politique.

L'accès des produits agricoles britanniques au Marché unique est salué comme une conséquence très positive. Toutefois, la PAC reste une politique technocratique récusée par la majorité des acteurs britanniques qui n'hésitent pas à avancer le projet d'une « renationalisation » de la politique agricole.

Le découplage est accusé de conduire au maintien d'exploitations non rentables et de nuire aux efforts d'amélioration de la productivité.

En revanche, l'Union est saluée pour son efficacité en matière de négociations commerciales internationales et de défense des produits agricoles européens.

En matière de fiscalité, il est rappelé que l'impôt direct ne saurait être décidé que par les États membres. Il n'est possible de déroger à ce principe que si la dérogation facilite les échanges mondiaux (par exemple, les conventions fiscales sur le modèle de l'OCDE pour éviter la double taxation).

Le partage de cette compétence doit donc résulter d'un équilibre tendu entre, d'une part, la nécessité de permettre à tous de jouer à armes égales sur un marché unique et celle de réduire tous les obstacles aux échanges internationaux, et, d'autre part, la possibilité pour les États membres de réagir à leur environnement national propre en s'appuyant sur leur système fiscal propre. L'Union ne doit intervenir fiscalement que pour améliorer le marché intérieur.

L'audit réaffirme son attachement à la règle de l'unanimité et son hostilité à la coopération renforcée tendant à créer une taxe sur les transactions financières qui n'est dans l'intérêt ni du Royaume-Uni, ni de l'Union.

Le gouvernement britannique considère que cet audit permet de dégager un agenda de réforme de l'Union sur quatre points.

D'abord, le Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports. Cet approfondissement est jugé prioritaire.

Ensuite, le Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen. Il propose de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir.

En troisième lieu, le Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés.

Enfin, selon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.

La construction européenne, pour les Britanniques, est un projet économique, un marché commun, un marché intérieur, un Marché unique, bref, une idée simple. Le scepticisme naît dès qu'on en fait un projet politique romantique et millénariste.

Pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde. De là leur euroscepticisme qui se nourrit aussi de griefs à l'égard de l'Union européenne et de facteurs conjoncturels sans que ce scepticisme puisse conduire pourtant à un rejet total de l'Union européenne et à une sortie de l'Union largement fantasmée par les médias, selon nos interlocuteurs.

Comme toujours, parmi les craintes éprouvées par l'opinion et la classe politique, certaines relèvent plus de la spéculation que de la réalité. Toutefois, il convient de les prendre toutes en compte, car elles déterminent une atmosphère à un moment donné.

Il existe une peur diffuse dans l'opinion que la Grande-Bretagne devienne une petite Angleterre. Cette angoisse se rattache au déclin de l'Occident, à la percée des pays émergents et aux risques de la mondialisation. Au Royaume-Uni, cette crainte a été ravivée pendant la campagne du référendum pour l'indépendance de l'Écosse et le scénario catastrophique d'un éventuel éclatement du royaume.

Cette inquiétude, où se mêlent « déclinisme » et crise identitaire, n'est pas propre au Royaume-Uni, mais le phénomène qui est propre au Royaume-Uni, c'est qu'une partie très éclairée de l'opinion, habituée à regarder vers le grand large, est parvenue à imaginer que le pays est limité dans son essor par l'Union européenne.

Certains suggèrent qu'une fois en dehors de l'Union, le Royaume-Uni pourrait contracter des accords commerciaux plus avantageux avec le reste du monde et que si le royaume Uni a un destin européen, ce destin n'est certainement pas continental et bruxellois. C'est une sorte d'euroscepticisme élitiste où Londres joue le rôle d'une capitale mondiale et où le Royaume-Uni est présenté comme un grand Singapour.

Tous nos interlocuteurs, à des degrés divers, nous ont alertés sur leur agacement face à ce qu'ils ressentent comme un attachement quasi mystique, de la part de certains « europhiles », à l'idée d'« une union toujours plus étroite entre les peuples européens », concept réintroduit par le traité de Lisbonne.

La majorité de la classe politique britannique préfèrerait que cette référence ne figure plus dans les traités ; elle insiste sur le fait que le fédéralisme n'est plus d'actualité et s'oppose vivement à tous ceux qui continuent à évoquer la prétendue inéluctabilité d'une fédération européenne à plus ou moins longue échéance. Ils rappellent que les Danois et les Hollandais partagent ce point de vue.

Pour appuyer leur position, les Britanniques font remarquer en guise d'exemple que, grâce à l'indépendance de la Banque d'Angleterre, ils ont pu pratiquer le « quantitative easing » cinq ans avant la Banque Centrale européenne tandis que Mario Draghi continuait à négocier difficilement pour aboutir à une décision tardive dont l'efficacité risque d'être moins grande.

Je veux évoquer un autre grief majeur des Britanniques à l'égard de l'Union. Ils redoutent que la création et maintenant le sauvetage de l'euro entraînent l'Union dans une spirale de renforcement du « Hardcore Europe » où, selon eux, se trouvent les États membres considérés comme plus égaux que les autres États membres simplement parce qu'ils ont adopté la monnaie unique.

C'est pourquoi ils demandent des garanties pour tous les États membres qui n'ont pas souhaité adopter la monnaie unique afin qu'ils ne soient pas traités comme des citoyens de seconde classe.

Sur la libre circulation qui occupe le centre du débat européen à cause des conséquences de l'afflux d'immigrés, le gouvernement, quel qu'il soit après les élections du 7 mai prochain, demandera des accommodements. Aujourd'hui un consensus se dégage contre une application trop idéologique ou trop systématique du principe de la libre circulation des personnes.

Je formulerai quelques remarques en guise de conclusion.

Aujourd'hui, David Cameron maintient l'idée d'un référendum qui ferait suite à une renégociation avec Bruxelles sur les points suivants :

- renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus législatif ;

- diminution de l'activité législative et des excès bureaucratiques ;

- aménagement du principe de la libre circulation des personnes ;

- possibilité pour la police et la justice britannique de protéger les citoyens sans interférences inutiles de l'Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- création de nouveaux mécanismes pour empêcher de nouveaux phénomènes migratoires trop importants ;

- renoncement - au moins pour le Royaume-Uni - au principe d'une « union toujours plus étroite ».

L'attitude de l'actuel Premier ministre ne saurait toutefois être simplement analysée comme la conséquence d'un équilibre politique menacé par l'aile la plus eurosceptique de son parti.

En réalité, il apparaît que les demandes de David Cameron sont une position de compromis et qu'elles sont soutenues par les trois grands partis de gouvernement. Il est même asses probable que si le Labour accédait au pouvoir, il finirait par organiser, sous la pression de l'opinion, le référendum promis par David Cameron. Mais le leader travailliste soutient aujourd'hui le contraire et n'envisage pas de référendum.

À propos du référendum sur le maintien dans l'Union, nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu'il était désormais perçu comme une nécessité démocratique, quarante ans après le référendum de 1975.

Sans qu'il soit possible de déterminer pour l'instant l'ampleur de cette renégociation souhaitée par les Britanniques, il semble clair que du côté conservateur, on souhaite des accommodements de la part de Bruxelles afin de retirer au projet européen tout ce qui alimente la polémique contre Bruxelles.

Au motif que les sondages ont maintenant montré que l'opinion souhaite majoritairement le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne au prix de quelques concessions, le Gouvernement britannique se rassure sur l'issue de cette consultation dont beaucoup ont pensé sur le moment qu'elle n'était qu'un coup de poker. Il faut attendre les résultats du scrutin du 7 mai prochain, résultats incertains car la montée des petits partis a mis à mal le bipartisme.

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