Intervention de Éric Bocquet

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 avril 2015 à 8h30
Questions sociales — Transports - salaire minimum en allemagne et transport routier européen : communication de m. eric bocquet

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

En introduisant, le 1er janvier dernier, un salaire minimum sur son territoire, le gouvernement allemand a souhaité préciser que celui-ci s'appliquait à tous les salariés travaillant en Allemagne, indépendamment de la localisation de leur employeur. Les travailleurs mobiles, au premier rang desquels les chauffeurs routiers, sont particulièrement concernés par une telle disposition. Le texte vise toutes les opérations effectuées sur le territoire allemand mais aussi le transit sur les routes allemandes. Cette question du transit n'est pas anodine en Allemagne où environ 20 % du trafic routier de marchandises relève de cette nature.

Le contrôle de la rémunération des temps de transit passés en Allemagne peut apparaître délicat. Comment imposer aux entreprises issues des pays tiers de majorer en conséquence les salaires de leurs chauffeurs ? Il y a bien une solution avec le tachygraphe intelligent. Mais il ne sera introduit qu'en 2018 et ne devrait être généralisé qu'en 2033.

Vous imaginez bien que la position allemande n'a pas suscité l'adhésion de tous les États membres. Abordons tout d'abord ces réactions.

Une délégation de 13 États membres (Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont ainsi fait part à la Commission européenne de leurs réserves sur le dispositif allemand. La Pologne a notamment émis le souhait d'une suspension de son application.

Tenant compte de ces réactions, la Commission européenne a lancé une procédure préliminaire pour vérifier la conformité de la disposition allemande au droit européen et demander à cet effet des clarifications au gouvernement allemand. Des interrogations subsistent sur la compatibilité de la majoration salariale en cas de transit, potentiellement contraire au principe de libre circulation. Face aux réactions de ses partenaires, le gouvernement allemand a annoncé le 30 janvier 2015 son intention de suspendre l'application du salaire minimum aux routiers.

Cette suspension ne concerne que le transit opéré sur son territoire. Les livraisons effectuées en Allemagne ou le cabotage doivent continuer à être indemnisées selon les règles allemandes. La décision est de surcroît temporaire, dans l'attente d'une clarification par la Commission européenne de la législation existante. Celle-ci est attendue d'ici quelques semaines.

Cette suspension partielle met en tout cas un peu plus en lumière la question du cabotage, qui demeure le coeur du problème. Un règlement de 2009 limite à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international. Une opération de cabotage est autorisée dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide. Cette opération doit être effectuée dans un délai de trois jours suivant l'entrée d'un véhicule sur le territoire dudit État et au maximum sept jours après la livraison des marchandises ayant fait l'objet du trajet aller. Rien n'interdit pour autant à un transporteur d'effectuer un transfert de marchandises entre deux États dont il n'est pas ressortissant sur le trajet du retour. Une telle opération lui permet alors de retrouver un droit complet de cabotage au sein de l'État où il décharge.

La précédente Commission européenne avait indiqué son souhait de procéder à une nouvelle libéralisation dans ce domaine, suscitant l'opposition d'un certain nombre de gouvernements, dont la France, du Parlement européen et des partenaires sociaux. Celle-ci ne fait pas partie du programme de travail pour 2015. La Commission annonce un paquet « transport routier » pour 2016. Nous verrons si cette nouvelle libéralisation en fait partie.

Les autorités allemandes s'inquiètent, aujourd'hui, de l'émergence d'un cabotage permanent ou « grand cabotage », lié au simple franchissement d'une frontière, qui ouvre mécaniquement le droit à cabotage sur le trajet du retour. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser son trajet de retour via les bourses de fret et effectuer trois opérations de cabotages en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de revenir sur ses pas, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un pays voisin.

L'Allemagne estime que ce grand cabotage est synonyme de concurrence déloyale pour les entreprises présentes sur son territoire, en soulignant les différences de salaire entre chauffeurs allemands et ceux issus d'autres États membres. Le coût au kilomètre d'un chauffeur allemand pouvait, avant même l'introduction d'un salaire minimum en Allemagne, représenter plus du double de celui d'un travailleur slovaque.

Cette situation renvoie à l'incertitude juridique entourant la rémunération des chauffeurs qui cabotent et, en particulier, à l'application de la directive « détachement » à ces salariés mobiles. La norme européenne n'est, en effet, pas claire à ce sujet.

Un considérant du règlement de 2009 indique que les dispositions de la directive de 1996 sur le détachement de travailleurs s'appliquent aux sociétés de transport effectuant un transport de cabotage. Cette référence n'est pas reprise dans le corps même du règlement. Rien n'y est indiqué concernant les normes sociales prévues dans le noyau dur de la directive sur le détachement et notamment la question de la rémunération. En l'absence de précision et compte tenu de l'absence de valeur normative du considérant, la rémunération applicable peut donc être celle du pays d'envoi durant toute la phase de cabotage.

Je rappelle qu'en France, un décret de 2010 relatif au cabotage dans les transports routiers et fluviaux et destiné à transposer le règlement européen de 2009 reflète cette ambiguïté. Il prévoit ainsi que les entreprises établies hors de France réalisant une opération de cabotage ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration de détachement durant les sept premiers jours de leur présence sur le territoire. Ce qui revient en pratique à ne pas appliquer le noyau dur prévu par la directive « détachement » : l'absence de déclaration préalable limite en effet clairement la possibilité de contrôle.

Le projet de loi Macron contient néanmoins une disposition qui devrait permettre de lever cette incertitude. Un amendement du Gouvernement, adopté le 14 février par l'Assemblée nationale, prévoit en effet qu'une attestation de détachement devra être fournie par les employeurs. Celle-ci devrait notamment informer les chauffeurs de leurs droits, notamment en ce qui concerne le salaire. Un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre devrait également s'appliquer. Il s'agit de l'article 96 bis. La commission spéciale n'est pas revenue sur ce point.

Je vous rappelle que, comme l'a indiqué le président, notre commission a adopté en avril 2014 une proposition de résolution européenne visant le dumping social dans les transports européens qui aborde expressément cette question. Nous y estimions que la réglementation européenne en matière de cabotage n'était pas assez précise et créait les conditions d'une concurrence déloyale, débouchant sur un cabotage permanent. Le texte insistait sur une application effective aux opérations de cabotage de la directive « détachement » sur ce texte. Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 15 mai 2014.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que saluer cette initiative de l'Allemagne. Elle s'inscrit résolument dans le cadre de la lutte contre le dumping social dans le transport routier européen, portée par le gouvernement français depuis plus d'un an.

Je relève simplement que cette volonté allemande de lutter contre la concurrence déloyale dans le transport routier n'a pas toujours été claire. En effet, avant l'entrée en vigueur du salaire minimum, l'Allemagne faisait partie des principaux pays caboteurs grâce aux chauffeurs issus des Länder d'Allemagne de l'Est, rémunérés à des conditions moindres que leurs compatriotes de l'Ouest. 10 % du cabotage européen était ainsi réalisé par des transporteurs allemands, 12 % par des néerlandais et 18 % par des polonais. La France était, de son côté, vingt fois plus cabotée qu'elle ne cabotait elle-même. À titre de comparaison, le ratio caboté/caboteur de l'Allemagne s'établit à 3,3.

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