Intervention de Georges Patient

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 novembre 2012 : 1ère réunion
Politique régionale — L'union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises - proposition de résolution européenne de m. georges patient

Photo de Georges PatientGeorges Patient :

Le financement des RUP françaises se trouve largement tributaire des décisions qui vont être prises prochainement à Bruxelles. Deux sujets préoccupent particulièrement les RUP : l'avenir des fonds structurels européens et celui du régime de l'octroi de mer.

Concernant l'avenir des fonds structurels, il dépend du cadre financier pluriannuel dont l'Union européenne va bientôt se doter pour la période 2014-2020.

Sur la période 2007-2013, les RUP françaises sont les seules régions de la République française à être éligibles à l'objectif « convergence » et bénéficient d'une enveloppe de 3,2 milliards d'euros. Sur ces 3,2 milliards, 482 millions d'euros sont attribués au titre d'une dotation complémentaire qui est versée aux RUP, pour compenser les surcoûts liés à leurs handicaps structurels. Cette allocation additionnelle s'élève à 35 euros par habitant.

Ce soutien européen à l'investissement local est essentiel pour les RUP. Il exprime la volonté de l'UE de tirer parti des « atouts uniques qu'elles possèdent et de leur valeur ajoutée pour l'UE » : je ne fais ici que reprendre les mots de la Commission dans sa récente communication sur les RUP du 20 juin 2012. Effectivement, les RUP sont aux avant-postes de l'UE dans l'océan Atlantique, les Caraïbes, l'Amérique latine et l'océan Indien. Elles représentent plus de la moitié de la zone économique exclusive de l'UE ; elles constituent aussi une réserve potentielle de ressources marines et un laboratoire en eau profonde unique pour la recherche. Leur biodiversité exceptionnelle offre également de nombreuses opportunités. Leurs situations géographiques permettent à l'UE de développer des activités spatiales, mais aussi d'exploiter certaines sources d'énergie renouvelables (éolienne, solaire, géothermique ou photovoltaïque). Des gisements de pétrole ont même été découverts l'an dernier au large de la Guyane.

Le Sénat devrait plaider pour que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 traduise concrètement cette reconnaissance des régions ultrapériphériques (RUP) comme un atout pour toute l'Union européenne.

Car, pour l'instant, ce n'est pas le cas. La Commission européenne propose au contraire une baisse d'environ 43 % de l'allocation spécifique pour les régions ultrapériphériques (RUP), ce qui mettrait en péril la continuité des projets initiés pendant l'actuelle période de programmation. De fait, la Commission propose de ramener de 35 à 20 euros par habitant le montant de l'allocation spécifique RUP.

Par ailleurs, au-delà de la question de l'enveloppe budgétaire, il ne faut pas entraver la consommation des crédits dans les RUP et, pour cela, il faudrait adapter les règles aux situations locales, conformément à l'article 349 du TFUE. De ce point de vue, il serait utile d'aligner le taux de cofinancement pour l'allocation spécifique RUP sur celui prévu pour les fonds européens « classiques » en outre-mer, soit 85 % au lieu de 50 % aujourd'hui.

Dans le même esprit, il serait nécessaire d'adapter le « fléchage » des fonds aux réalités locales. En effet, la Commission propose que, pour les RUP, 50 % des crédits du FEDER soient consacrés à trois objectifs : la recherche et innovation, la compétitivité des PME et la promotion d'une économie à faible teneur en carbone. Les RUP doivent certes prendre ainsi leur part au succès de la stratégie Europe 2020, mais le retard que certaines RUP accusent en termes d'infrastructures justifierait plus de souplesse sur le fondement de l'article 349 du TFUE. A cet égard, le Sénat doit soutenir deux demandes : d'une part, exonérer de toute conditionnalité et de tout fléchage l'utilisation de l'allocation spécifique RUP, parce que, précisément, cette allocation est destinée à compenser les handicaps des RUP ; d'autre part, prévoir que l'affectation de la moitié des crédits du FEDER se fasse non pas sur trois mais quatre objectifs, le quatrième devant être laissé au libre choix des RUP.

En complément du FEDER et du FSE, les régions européennes peuvent mobiliser des crédits européens au titre de la coopération territoriale avec des collectivités ou États voisins.

Toutes ces possibilités pourraient être mises à profit pour favoriser l'indispensable intégration des DOM dans leur environnement géographique immédiat. Pour cela, il faut combattre l'idée que les crédits de coopération transfrontière ne devraient pas être mobilisés au-delà de 150 kilomètres des frontières de l'UE. Cette idée semble aujourd'hui abandonnée, mais nous devons en avoir confirmation.

Sur un plan plus général, il faut souligner que l'application stricte des normes européennes dans les RUP n'est pas cohérente avec la nécessité reconnue par la Commission européenne de promouvoir l'intégration des RUP dans leur environnement régional. Par exemple, les exigences phytosanitaires s'appliquant à la production du riz dans l'UE ont conduit la Guyane à délaisser cette culture, et à importer du riz des États voisins (comme le Suriname) qui ne respectent pas ces normes. Pour remédier à l'absurdité de telles situations, des adaptations des normes doivent être décidées chaque fois que nécessaire sur le fondement de l'article 349 du TFUE, pour mieux prendre en compte les réalités locales.

Le second sujet européen qui met en jeu le financement des RUP françaises est l'avenir du régime de l'octroi de mer après le 1er juillet 2014, date à laquelle expire la décision du Conseil de 2004 ayant autorisé le régime actuel.

Ce régime fiscal très ancien, puisqu'il remonte au XVIIème siècle, s'applique à la fois aux marchandises importées et aux biens fabriqués localement. Son taux de base diffère selon les régions : de 6,5 % à La Réunion à 17,5 % en Guyane. Dans chaque DOM, le Conseil régional, qui fixe les taux, peut décider d'exonérer totalement ou partiellement les biens produits sur place, ce qui crée de fait un différentiel de taxation par rapport aux produits importés. Une décision du Conseil de 2004 encadre ces différentiels de taux.

Les recettes générées par l'octroi de mer et l'octroi de mer régional représentent de 130 millions d'euros pour la Guyane à 366 millions pour La Réunion. Cela représente une part importante des recettes fiscales des collectivités, jusqu'à 90 % pour certaines communes guyanaises.

Or l'avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de liberté de circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Le régime actuel d'octroi de mer est encadré par la décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les DOM, qui a autorisé ce régime pour dix ans, jusqu'au 1er juillet 2014. Un rapport à mi-parcours était néanmoins attendu des autorités françaises afin de vérifier l'impact de ce régime.

Si la France a bien remis ce rapport en 2009, la Commission a jugé que son contenu ne permettait pas d'étayer sérieusement le bien-fondé du régime dérogatoire.

Or l'échéance du 1er juillet 2014 approche et la France n'a pas encore pris l'attache de la Commission européenne pour préparer l'avenir de ce régime fiscal. Or, les vingt mois qui nous séparent du 1er juillet 2014 ne seront pas trop longs pour mener à bien ce dossier et le Sénat doit marquer son inquiétude devant l'incertitude qui règne encore.

Plusieurs scénarios d'évolution sont envisageables, de la reconduction d'un dispositif d'octroi de mer simplifié et flexibilisé, à l'évolution vers un système de TVA régionale permettant de maintenir un effet de soutien à la production locale, en passant par un scénario hybride mêlant les deux options.

Or le ministère des outre-mer ne semble travailler que sur l'hypothèse d'une reconduction de l'octroi de mer, moyennant quelques adaptations.

Le Sénat doit faire valoir que la piste de la TVA régionale mériterait aussi d'être explorée, même si elle représenterait un changement radical. Au vu des échanges avec la Direction générale TAXUD (Fiscalité et union douanière) de la Commission européenne, il m'apparaît que la Commission européenne attend des autorités françaises la présentation de différentes options, pour dégager celle qui serait la moins discriminatoire et la plus propice au développement économique local. Le Sénat doit donc demander au Gouvernement de s'atteler sans délai à cette tâche, pour que les RUP ne vivent pas avec l'épée de Damoclès d'un refus européen de prolonger le régime de l'octroi de mer.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution européenne que je viens de vous présenter.

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