C'est ma première intervention dans cette commission et je suis heureuse qu'elle porte sur les questions agricoles. Je suis élue de l'Aisne et l'agriculture est la première économie du département. J'avais exprimé mon souhait de m'investir dans ce domaine et je remercie notre président de m'en avoir donné l'occasion à travers ce point d'actualité qui touche en effet trois sujets bien différents.
Le premier sujet est budgétaire.
Nous sommes certainement nombreux à avoir été surpris par l'annonce, en début d'année, d'une « correction financière » de plus de 1 milliard d'euros. Cette correction - le mot est à la fois juste et bien choisi - a été décidée par la Commission européenne à l'issue de l'apurement des dépenses agricoles en France, au titre de la PAC.
C'est un sujet qui fut examiné en 2007 par la commission des finances dans un rapport très documenté intitulé « La France à l'amende ». Nos collègues s'alertaient alors d'une correction record de 240 millions d'euros. Que dire du montant de cette année ? Devant l'ampleur du phénomène, j'ai donc cherché à en savoir plus afin de rendre compte à notre commission.
Quelques mots de procédure, en préambule, pour bien comprendre.
Le contrôle des dépenses agricoles est une mécanique complexe qui s'exerce à plusieurs stades et fait intervenir plusieurs acteurs, nationaux et européens. L'enjeu budgétaire est très important puisque, je le rappelle, les dépenses de la PAC en France représentent 9,5 milliards d'euros par an. Ces aides sont préfinancées par les États, puis remboursées par le budget européen. La Commission vérifie la régularité des dépenses par ce qu'on appelle l'apurement des comptes. Il y a deux opérations : l'apurement comptable qui vérifie que les comptes sont réguliers et qui a lieu en général dans l'année, et l'apurement de conformité qui consiste à vérifier que les dépenses ont été conformes à la réglementation européenne. Cette opération peut s'effectuer plusieurs années après l'engagement des crédits.
L'apurement dont il est question aujourd'hui porte sur les exercices 2008 à 2012. La correction financière sanctionne une irrégularité, souvent d'origine administrative, qu'il faut distinguer de la fraude, individuelle et intentionnelle.
Les irrégularités sont sanctionnées par des corrections calculées en proportion du montant de l'aide contrôlée. Il peut s'agir de 1 %, 2 %, 5 %, 20 % du montant total de l'aide.
Sur quoi ont porté ces contrôles ? Il y a eu deux objets principaux.
Le premier contrôle a porté sur les aides à la surface, c'est-à-dire essentiellement les aides directes découplées du premier pilier. Les contrôles sont avant tout des contrôles techniques qui mettent en relief des défaillances qui affectent la régularité des dépenses. Chaque année, les agriculteurs remplissent ce qu'on appelle un registre parcellaire qui identifie les îlots de culture, éligibles aux aides, et les surfaces qui ne sont pas admissibles, comme les chemins, les hangars. Ce travail est réalisé à partir d'orthophotos, c'est-à-dire des photos aériennes retraitées prises par les photographes de l'Institut géographique national. Les surfaces inéligibles doivent être détourées. La Commission a estimé que les détours n'étaient pas assez précis. Des enquêtes sur place ont aussi confirmé que les surfaces déclarées ne correspondaient pas toujours aux surfaces réelles.
La Commission a par ailleurs considéré que les critères définis pour le calcul de la modulation, c'est-à-dire le passage du premier au deuxième pilier, n'étaient pas assez rigoureux.
Au total, le contrôle des aides à la surface a été sanctionné à hauteur de près de 690 millions d'euros sur cinq ans - 2008-2012. Une somme, certes, très importante, qu'il faut cependant comparer au montant des aides correspondantes, soit 35 milliards d'euros sur la période.
Le deuxième poste sous contrôle concerne l'application de la conditionnalité. La conditionnalité consiste à subordonner le versement des aides directes au revenu au respect de réglementations européennes sur l'environnement, le bien-être animal, etc... Le système n'est guère apprécié des agriculteurs.
L'administration française, bien consciente de ces difficultés, avait choisi, je cite : « une approche pragmatique, pédagogique et progressive ». Cela se traduisait, en particulier, par un barème de sanctions relativement clément. La Commission a précisément considéré que le barème était « trop gentil », et par conséquent inefficace. La correction a porté sur 250 millions d'euros.
Il y a également d'autres redressements plus mineurs tels la prime aux bovins. Au total, dans une première version, la Commission avait calculé une correction de 3 milliards d'euros, fondée sur le barème que j'ai évoqué plus haut. Après négociation, la correction a été ramenée à 1,08 milliard d'euros.
Dans les années 2000, l'apurement portait en moyenne sur 100 millions d'euros. Comment expliquer ce saut à 1 milliard d'euros ? D'abord, cette somme cumule les contrôles sur cinq exercices. En rythme annuel, on n'est pas très loin de la moyenne précédente. Ensuite, un élément d'explication serait à chercher du côté de la Cour des comptes européenne qui a beaucoup durci ses propres contrôles en partant de la comparaison entre les contrôles nationaux et les contrôles européens. Par ricochet, la Commission en a fait de même.
Comment cette correction se traduit-elle ? Il n'y a pas d'effet sur les agriculteurs. La correction s'impute sur les dépenses à venir. En d'autres termes, les « retours » agricoles sont diminués d'autant, la France recevra moins que prévu du budget européen, sera moins remboursée. La différence sera comblée par le budget de l'État. C'est donc une charge additionnelle pour le budget national. Compte tenu de l'importance de la somme en jeu, cette imputation sera étalée sur trois exercices, d'environ 370 millions d'euros chaque année.
Une réduction des crédits qui n'est pas faite pour améliorer le climat du moment. Les agriculteurs voient de plus en plus la PAC comme une machine à paperasserie et à contrôles. L'argument est qu'il y a 9,5 milliards d'euros en retour et que le législateur européen en a décidé ainsi, en essayant de concilier l'intérêt des agriculteurs et les attentes de la société civile. Mais on voit bien que le malaise est profond.
Surtout quand les agriculteurs payent le prix des décisions qui leur échappent totalement. Comme c'est le cas du deuxième sujet que je vous propose.