Commission des affaires européennes

Réunion du 10 mars 2015 à 15h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • procureur
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Notre ordre du jour appelle en premier lieu une communication de nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Jacques Hyest sur le Parquet européen.

Cette communication poursuit notre série de travaux que nous avons engagés concernant la lutte contre le terrorisme. Nous entendrons demain matin deux nouvelles communications sur la coopération policière et sur la lutte contre l'apologie de la violence sur internet.

Le 18 mars, nous examinerons une proposition de résolution européenne qui regroupera l'ensemble des suggestions faites par nos rapporteurs. Une réunion commune avec la commission des lois nous permettra de finaliser cette proposition qui devrait ensuite être inscrite en séance publique le mercredi 1er avril.

Je rappelle que la création d'un Parquet européen a fait l'objet d'une proposition de règlement présentée par la Commission européenne. Avant même cette proposition, nous avions voté une résolution européenne qui demandait notamment l'extension des compétences de ce Parquet à la lutte contre la criminalité grave transfrontière.

Par la suite, nous avons adopté un avis motivé au titre de la subsidiarité. Cet avis motivé critiquait la proposition de la Commission européenne d'un Parquet très centralisé. Nous avions au contraire préconisé un Parquet collégial. Le quota de parlements nationaux ayant été atteint, la Commission européenne s'est vue infligée un « carton jaune » qui l'a obligée à réexaminer son texte. Elle a décidé de ne pas le modifier, ce qui est son droit, renvoyant d'éventuelles modifications aux négociations sur son texte.

Il est donc intéressant de faire un point sur ce dossier dans le contexte de l'urgence d'une action européenne renforcée contre le terrorisme.

Je passe la parole à nos rapporteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La notion de Parquet européen est ancienne puisqu'elle a été suggérée par le Président Valéry Giscard d'Estaing dès 1977. C'est en 2000, plus de 20 ans plus tard, lors de la dernière conférence intergouvernementale de Nice, que l'idée fut relancée de conférer la protection des intérêts financiers de la Communauté économique européenne à un procureur européen indépendant.

Entre-temps, le principe d'une coopération judiciaire dans l'Union européenne était consacré en 1992 par le traité de Maastricht en matière pénale et confirmé par le traité d'Amsterdam en 1997.

Mais la relance des années 2000 donna, tout d'abord, naissance à EUROJUST, instance de coopération judiciaire créée en 2002, puis renforcée en 2008 par une décision du Conseil sous présidence française.

C'est le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qui a introduit, dans le nouveau traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un article 86 dont les dispositions du premier alinéa énoncent : « Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un parquet européen à partir d'EUROJUST. Toutefois, le Conseil européen pourrait décider d'étendre les attributions du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. À cette fin, il devrait statuer à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission. »

Le 17 janvier 2013, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen. La structure proposée consistait en une organisation unique à deux niveaux : une unité centrale, qui serait essentiellement chargée de superviser, de coordonner et, le cas échéant, de diriger les enquêtes et les poursuites menées dans les États membres, et les procureurs européens délégués, qui mèneraient ces enquêtes et poursuites de manière autonome. Ces procureurs européens délégués feraient partie à la fois du Parquet européen et des ministères publics nationaux. Le Parquet européen pourrait s'appuyer sur les règles de procédure nationale, les juridictions nationales et les services nationaux chargés de la répression tout en poursuivant l'objectif européen commun de lutte contre la fraude au préjudice du budget de l'Union.

Les différentes chambres des parlements nationaux se sont fortement mobilisées sur l'examen de cette proposition en adoptant notamment de nombreuses résolutions.

La discussion s'est articulée initialement autour de trois débats principaux :

- un débat sur la structure du Parquet européen ;

- un débat sur l'extension de la compétence du Parquet européen ;

- un débat sur la compétence partagée du Parquet européen avec celle des autorités judiciaires des États membres.

Pour sa part, le Sénat a accueilli favorablement la démarche de la Commission dans son principe. Dans une première résolution du 15 janvier 2013, adoptée à l'initiative de notre commission, il a soutenu la création d'un Parquet européen en jugeant possible de procéder par étapes en commençant par la protection des intérêts financiers de l'Union, tout en souhaitant une extension rapide des compétences du Parquet à la criminalité grave transfrontière.

Le Sénat a, cependant, exprimé des réserves par rapport à une formule trop intégrée dont on pouvait craindre qu'elle peine à s'imposer dans la pratique face aux réticences prévisibles des États membres.

Il s'est montré plutôt favorable à un Parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre. Cette formule souple était apparue comme plus adaptée pour que le Parquet européen puisse progressivement s'ancrer dans les États membres et être accepté par les systèmes judiciaires nationaux.

Dans sa seconde résolution européenne portant avis motivé du 3 octobre 2013 le Sénat, à notre initiative, a jugé qu'en faisant un choix centralisateur et directif, la Commission européenne était allée au-delà du nécessaire pour atteindre l'objectif d'un meilleur pilotage et d'une coordination renforcée. Il a ainsi estimé que la proposition ne respectait pas en l'état le principe de subsidiarité.

On sait que conformément au protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités, les parlements nationaux disposent d'un délai de huit semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif pour estimer si celui-ci est ou non compatible avec le principe de subsidiarité.

Ce principe est consacré à l'article 5 § 2 du traité sur l'Union européenne aux termes duquel : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. »

En ce qui concerne le Parquet européen, les avis motivés émis par les parlements nationaux doivent atteindre le seuil d'un quart des voix attribuées aux parlements nationaux pour que la proposition soit réexaminée par la Commission.

Sur la base de cet examen, la Commission décide soit de maintenir la proposition, soit de la modifier, soit de la retirer, et elle doit motiver sa décision.

Quatorze chambres de parlements nationaux ont suivi la position du Sénat et ont transmis à la Commission des avis motivés. Le seuil était donc atteint pour qu'elles adressent à la Commission ce que l'on appelle un « carton jaune » au mois de décembre 2013.

La Commission européenne, comme elle en a le droit, a décidé de maintenir sa proposition. Dans un courrier qu'elle a notamment adressé au président de notre assemblée, elle a estimé que son texte « maintenait un juste équilibre entre l'objectif de protéger plus efficacement les intérêts financiers de l'Union en créant la fonction de procureur européen et l'effet potentiel de cette mesure sur les juridictions nationales ». Dès lors, a-t-elle jugé, « la proposition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs et respecte donc le principe de proportionnalité. »

Il ne paraît pas inutile de rappeler quelques-uns des principaux arguments qui ont été développés au Parlement européen ainsi que dans les parlements nationaux sur le projet de Parquet européen. Au cours d'une réunion interparlementaire, qui s'est tenue à la mi-septembre 2014 à Paris, des représentants de 16 parlements nationaux de l'Union ainsi que du Parlement européen ont engagé un débat informel.

L'actuel président de la commission « LIBE » du Parlement européen a considéré que le « carton jaune » avait activé la concertation avec les parlements nationaux et dégagé un consensus sur l'idée qu'un représentant de chaque État membre sera présent dans la structure du Parquet européen. Il a souligné que le débat devait désormais se concentrer sur :

- la compatibilité des règles relatives au fonctionnement du Parquet européen avec les droits internes des États membres ;

- la question de la recevabilité et de l'évaluation des preuves afin de garantir les droits de la défense ;

- la mise en place d'un recours judiciaire effectif.

Un membre de la commission des lois de la Seconde chambre des Pays-Bas s'est déclaré partisan d'une meilleure proportionnalité entre les compétences du Parquet européen et celle des autorités judiciaires nationales. Les enquêtes, selon lui, doivent continuer à relever de ces dernières.

Le président de la commission des affaires européennes du Bundestag a jugé indispensable d'harmoniser les droits des prévenus au niveau européen s'agissant notamment de l'accès aux données les concernant.

Le rapporteur du Bundestag a estimé, quant à lui, que le président du Parquet européen devait être désigné par le Parlement européen et qu'il fallait assurer le contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen par les tribunaux nationaux.

Le président de la commission des lois du Parlement de Croatie a jugé que la désignation des membres du Parquet européen devait obéir aux mêmes règles que l'élection des juges de la Cour de justice de l'Union européenne afin de s'assurer de leur qualité professionnelle et de leur intégrité.

Une représentante de la commission des affaires européennes du parlement de la Lituanie a jugé utile de clarifier la répartition des compétences entre le Parquet européen, les ministères publics des États membres, EUROPOL et EUROJUST. Il convient, selon elle, de ne pas encombrer le Parquet européen par des affaires mineures qui doivent continuer à relever des autorités nationales.

Le président de la commission des affaires européennes du Sénat italien a souligné la nécessité de garantir le principe du contradictoire dans la production des preuves et le respect des principes du procès équitable. S'agissant de la structure du Parquet européen, il a appelé de ses voeux un juste équilibre entre des éléments de centralité visant à assurer une vision unitaire et globale des enquêtes et des éléments de décentralisation par le biais des procureurs nationaux, dans le respect des caractéristiques spécifiques des législations nationales.

Confirmant la position britannique, le président de la commission des lois de la Chambre des Communes a fait, quant à lui, la déclaration suivante : « Nous partons du constat que les systèmes et pratiques judiciaires diffèrent profondément d'un pays à l'autre de l'Union. En conséquence, en l'état actuel des choses, nous considérons qu'EUROJUST et l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) suffisent largement à la tâche. »

En conclusion de cette réunion informelle, une déclaration commune des représentants des 16 parlements nationaux à l'exception des représentants de la Seconde chambre des Pays-Bas, de la Chambre des Communes du Royaume-Uni et du Parlement suédois, a été adoptée. Elle était articulée autour de trois points de consensus :

- la structure collégiale du Parquet européen composé de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs ;

- la compétence partagée entre le Parquet européen et les autorités nationales avec un droit général d'évocation ;

- la nécessité de garantir l'indépendance, l'efficacité et la valeur ajoutée du Parquet européen.

Où en est actuellement le débat européen ?

Rappelons que lors des Conseils JAI des mois de mars et juin 2014, le principe de l'organisation collégiale du Parquet européen, sur la base d'un collège de procureurs originaires des États membres, les autorités nationales conservant toutefois en principe une compétence concurrente, a été retenu avec l'espoir que cette évolution contribuerait au consensus d'un plus grand nombre d'États sur le principe du Parquet européen.

Lors du Conseil JAI des 9 et 10 octobre 2014, sous présidence italienne, un nouveau débat d'orientation est intervenu. Il était axé autour de la question de savoir si le Parquet européen sera en mesure de fonctionner comme une instance unique par-delà les frontières des États membres participants, ou s'il sera nécessaire d'avoir recours aux instruments traditionnels d'entraide judiciaire et de reconnaissance mutuelle lorsque, par exemple, deux procureurs européens délégués issus de deux États membres différents s'occuperont du même litige transfrontière.

À l'issue du débat d'orientation, le Conseil de l'Union européenne a conclu :

- que, dans leur majorité, les délégations se sont déclarées favorables au principe selon lequel le Parquet européen devra fonctionner comme une instance unique ;

- qu'il conviendra d'élaborer un nouveau modèle de coopération transfrontière au sein du Parquet européen, afin de garantir que le Parquet apporte une véritable valeur ajoutée, et qu'il sera nécessaire de poursuivre les travaux pour mettre au point les détails de ce nouveau modèle.

Nous en sommes là aujourd'hui.

Le débat n'est pas achevé. S'agissant de la structure de l'institution, une majorité d'États s'est accordée, semble-t-il, sur l'idée du collège. Mais restent en discussion les conditions de l'intervention d'un Parquet européen, doté d'un statut spécifique, dans vingt-huit systèmes judiciaires dans lesquels les définitions d'infractions, les règles procédurales, les garanties des droits de la défense et les recours sont loin d'être homogènes.

On rappellera que certains États membres tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark ou la Suède continuent de manifester une opposition résolue au principe même du Parquet européen.

Comme on l'a dit, la base juridique et les règles régissant la création du Parquet européen sont énoncées à l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le règlement proposé doit être adopté conformément à une procédure législative spéciale : le Conseil statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen.

En l'absence d'unanimité, les traités prévoient qu'un groupe composé d'au moins neuf États membres pourra établir une coopération renforcée.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je souhaiterais, enfin, formuler un certain nombre de réflexions à titre de conclusion sur le dossier du Parquet européen.

Rappelons, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 86, paragraphe premier, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne le Parquet européen doit être créé à partir d'EUROJUST. Cela pose une première question : les « fonds baptismaux » du Parquet européen sont-ils bien solides ? Une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat s'est rendue à La Haye au mois de février 2014 pour visiter et évaluer EUROJUST. Il lui a été notamment expliqué que l'agence européenne ne pouvait travailler convenablement que dès lors qu'elle était alimentée en informations à caractère pénal ou judiciaire par les parquets et les juridictions des États membres. Comme pourront vous le confirmer ceux de nos collègues qui ont participé à ce déplacement, il a été en particulier souligné que sur l'année 2013 une seule cour d'appel en France sur 36 s'était acquittée de son obligation de transmission de données. Et pourtant la France, s'agissant par exemple de l'activité d'EUROPOL, est généralement considérée comme un des grand pays contributeurs d'informations au titre de la coopération policière ou judiciaire.

Cette première réflexion ne nous paraît pas inutile.

Seconde réflexion : selon les propres termes de l'article 86, paragraphe premier, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le futur Parquet européen est destiné à « combattre les infractions portantes atteintes aux intérêts financiers de l'Union ». À cet égard, le principe même du Parquet européen ne nous semble pas pouvoir être mis en doute. Il existe un budget « fédéral », il y a donc nécessité de mettre en place un contrôle « fédéral » de ce budget.

Troisième réflexion : nous savons que le Parquet européen a, jusqu'à présent, suscité trois grand débats : un débat sur la structure du nouvel organe ; un débat sur la compétence partagée du Parquet européen avec les compétences des autorités judiciaires des États membres ; un débat sur l'extension de la compétence du Parquet européen à la grande criminalité transfrontière.

Tous ces débats sont parfaitement utiles et légitimes.

Il semble toutefois que le débat principal doit porter sur la structure du Parquet européen dans la mesure où cette question influe directement sur la souveraineté des États membres et de leurs pouvoirs régaliens.

La proposition initiale de la Commission européenne avait, en la matière, sa logique : le Parquet européen devait être une structure composée d'un procureur européen et de procureurs européens délégués des États membres. Afin de garantir l'efficacité de son action, le procureur européen fournirait des instructions aux procureurs européens délégués, dont il coordonnerait les activités et qui travailleraient directement pour lui sur les infractions relevant de la compétence du Parquet européen tout en continuant à faire partie du système judiciaire de leur État membre.

Le Parquet européen devait fonctionner de manière décentralisée c'est-à-dire que les affaires seraient traitées au niveau le plus approprié, dans la plupart des cas, au niveau des États membres, c'est-à-dire celui du procureur européen délégué. Structure indépendante et responsable, le Parquet européen s'appuierait sur un petit corpus de règles applicables dans toute l'Union européenne dans le champ des infractions relevant de sa compétence et répondrait de ses actes devant les institutions de l'Union.

On sait qu'un « carton jaune », au titre de la subsidiarité, a été adressé par 14 Chambres des parlements nationaux, à la Commission européenne. Selon nous, la lettre adressée, par la Commission européenne au président du Sénat, le 13 mars 2014, indiquant que ladite Commission maintenait sa proposition initiale pour le Parquet européen, a plutôt traduit un « aveu de faiblesse » de la part d'une institution en fin de mandat.

On s'oriente, aujourd'hui, vers un Parquet européen institué sous forme collégiale, composé de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs. Le Parquet européen devrait disposer, non pas d'une compétence exclusive, mais d'une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d'un droit général d'évocation. Restent en débat des questions importantes telles que le contrôle juridictionnel des actes d'enquête et de poursuites du Parquet européen, l'admissibilité des preuves et les règles de prescription.

Quatrième réflexion : il y a lieu aujourd'hui d'aller « au-delà » du « carton jaune ». Depuis le « carton jaune », qui a permis à notre commission, en quelque sorte, de « montrer ses petits muscles », d'autres priorités sont apparues telles que la nécessité de mieux maîtriser les finances européennes ou l'irruption du terrorisme. Ce qui importe donc aujourd'hui, c'est la politique qui sera menée par la nouvelle Commission plus volontariste de M. Jean-Claude Juncker.

Et de ce point de vue, on constate que non seulement la nouvelle Commission n'a pas renoncé au Parquet européen, mais dans la « Lettre de mission » qu'il a adressée à Mme Vera Jourova, nouvelle Commissaire à la justice, aux consommateurs et à l'égalité des genres, le 10 septembre 2014, le président Jean-Claude Juncker a souligné que : « la mise en place d'un parquet européen indépendant en 2016 constituera un pas en avant significatif pour protéger le budget de l'Union européenne des fraudes. » Michel Barnier, de son côté, a tenu des propos allant dans le même sens. Il y a donc un agenda et une « année-butoir », l'année 2016, pour la mise en place de ce Parquet européen. La régulation financière européenne est incontournable.

Certains rappellent certes qu'un certain nombre de pays tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède manifestent de fortes réticences et que la solution la plus probable réside dans la coopération renforcée d'au moins neuf États membres, prévue par les traités, et déjà mise en oeuvre pour le divorce transfrontière, le brevet de l'Union européenne ou sur le point de l'être en ce qui concerne la taxe sur les transactions financières. À cela, on peut, peut-être, répondre que les pays réticents ne sont pas tous vraiment concernés par le sujet. Le Royaume-Uni, par exemple, aurait certainement exclu de son « Opt in » le Parquet européen, si un texte législatif avait existé sur le sujet, de la liste des instruments de l'« Espace de liberté, de sécurité et de justice » dont elle entendait bénéficier. Le Danemark est dans une situation analogue. En tout état de cause, les États sont à la manoeuvre. Ce sont eux qui fixeront les règles du jeu.

Nous avons indiqué tout à l'heure que le débat sur la structure du Parquet européen nous apparaissait fondamental car mettant directement en cause la question de la souveraineté des États membres. Mais l'urgence de la menace terroriste nous interpelle tous désormais. Il y aura donc urgence à mettre en place dans les délais les plus rapides, en application de l'article 86 paragraphe 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'extension des compétences du Parquet européen à toutes les formes de terrorisme transfrontière qui peuvent être, bien évidemment, assimilées à la criminalité grave transfrontière visée par le texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je voudrais féliciter nos deux intervenants. Il convient en effet de souhaiter que la nouvelle Commission européenne, plus politique que la précédente, puisse apporter des solutions « volontaristes » sur le dossier du Parquet européen. Nous sommes aussi confrontés à la menace terroriste, ce qui donne une nouvelle dimension au débat. Je rappelle qu'il vous sera proposé d'examiner, le 18 mars prochain, une résolution européenne sur le terrorisme. Le débat en séance interviendra le 1er avril. Comme l'a souligné notre collègue Philippe Bonnecarrère, la décision finale, s'agissant du Parquet européen, est entre les mains des États membres. En cas d'absence d'unanimité, une solution possible est effectivement l'instauration d'une coopération renforcée, prévue par les traités, et qui est déjà mise en oeuvre en ce qui concerne le divorce transfrontière, le brevet européen ou encore la taxe sur les transactions financières.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je voudrais aussi remercier les orateurs : Jean-Jacques Hyest qui est allé au-delà d'un simple état des lieux avec l'énoncé de perspectives d'avenir pour le Parquet européen, Philippe Bonnecarrère qui nous a livré, en conclusion, un certain nombre de réflexions plus personnelles. Sur le fait que le « carton jaune » nous a donné l'occasion de montrer « nos petits muscles », je dois marquer mon désaccord. Je voudrais rappeler qu'avec Sophie Joissains, qui fut notre rapporteure sur ce dossier, ainsi que Pierre Fauchon et beaucoup d'autres, nous avons été les premiers à appeler de nos voeux un « parquet collégial ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je retire, bien volontiers, cette « expression » de mon intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

La procédure du « carton jaune » n'a pas été une démarche facile. Nous avons, à l'époque, fait l'objet de nombreuses pressions pour nous dissuader d'entamer le processus. Pourtant, nous souhaitions simplement utiliser un instrument que les traités mettaient à notre disposition. 14 chambres des parlements nationaux se sont jointes à cette initiative. Je pense donc que nous pouvons être fiers de cette intervention qui a certainement contribué à renforcer les parlements nationaux face à la Commission européenne, conformément aux orientations du traité de Lisbonne.

Je rappellerai que le premier « carton jaune » adressé à la Commission européenne, sur un projet qui concernait les travailleurs détachés, a entraîné le retrait du texte.

Je pense que l'on avance, malgré tout, sur le dossier du Parquet européen même si la procédure est lente. La question du terrorisme a rendu le débat encore plus urgent. Pour ma part, je suis tout à fait favorable à une résolution européenne sur le terrorisme.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

En tant qu'européen de conviction, je me suis personnellement opposé au « carton jaune » sur le Parquet européen. J'estime que le déficit de coopération entre les États membres sur les affaires de justice - l'exemple d'EUROJUST peut susciter des inquiétudes à cet égard - nécessite la mise en place d'un procureur européen indépendant par rapport aux États membres. Est-il souhaitable que les affaires de fraude au budget de l'Union dans un État membre soient poursuivies par un procureur délégué dudit État membre ? Est-on vraiment assuré que la justice est partout totalement impartiale ?

La situation n'est pas la même en matière de police. Le domaine est, là, régalien et la coopération entre les services de police semble fonctionner de façon plutôt satisfaisante.

Je suis partisan d'un procureur européen, impartial et disposant d'une forte autorité. À ce niveau il faut, à mon avis, un « organe fédéral fort ». Il faut souhaiter que la collégialité ne « désarme » pas le Parquet européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Il serait intéressant de récapituler toutes les propositions qui, au fil des années, ont été formulées en matière d'Europe de la défense. Je pense, pour ma part, que dans la lutte contre le terrorisme, la mise en place d'une véritable défense européenne serait bien utile.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Notre ordre du jour appelle maintenant un point d'actualité sur les questions agricoles, à travers une communication de notre collègue Pascale Gruny.

C'est une formule qui a été initiée par Simon Sutour et dont j'avais profité en son temps.

Elle permet d'éclairer notre commission sur des sujets qui ont été évoqués dans la presse, ou sur lesquels nous sommes alertés. C'est ainsi dans le cas présent avec ces trois sujets :

- l'apurement des dépenses agricoles ; il y a eu des articles de presse à ce sujet ;

- l'embargo russe sur le porc ; j'ai moi-même communiqué sur ce point lorsque l'on pensait que la situation allait s'améliorer, ce qui ne semble plus être le cas, comme on va le voir ;

- et la situation de la filière cidricole ; j'ai été interpellé sur ce sujet comme plusieurs autres collègues, notamment de Normandie.

Je donne la parole à notre collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

C'est ma première intervention dans cette commission et je suis heureuse qu'elle porte sur les questions agricoles. Je suis élue de l'Aisne et l'agriculture est la première économie du département. J'avais exprimé mon souhait de m'investir dans ce domaine et je remercie notre président de m'en avoir donné l'occasion à travers ce point d'actualité qui touche en effet trois sujets bien différents.

Le premier sujet est budgétaire.

Nous sommes certainement nombreux à avoir été surpris par l'annonce, en début d'année, d'une « correction financière » de plus de 1 milliard d'euros. Cette correction - le mot est à la fois juste et bien choisi - a été décidée par la Commission européenne à l'issue de l'apurement des dépenses agricoles en France, au titre de la PAC.

C'est un sujet qui fut examiné en 2007 par la commission des finances dans un rapport très documenté intitulé « La France à l'amende ». Nos collègues s'alertaient alors d'une correction record de 240 millions d'euros. Que dire du montant de cette année ? Devant l'ampleur du phénomène, j'ai donc cherché à en savoir plus afin de rendre compte à notre commission.

Quelques mots de procédure, en préambule, pour bien comprendre.

Le contrôle des dépenses agricoles est une mécanique complexe qui s'exerce à plusieurs stades et fait intervenir plusieurs acteurs, nationaux et européens. L'enjeu budgétaire est très important puisque, je le rappelle, les dépenses de la PAC en France représentent 9,5 milliards d'euros par an. Ces aides sont préfinancées par les États, puis remboursées par le budget européen. La Commission vérifie la régularité des dépenses par ce qu'on appelle l'apurement des comptes. Il y a deux opérations : l'apurement comptable qui vérifie que les comptes sont réguliers et qui a lieu en général dans l'année, et l'apurement de conformité qui consiste à vérifier que les dépenses ont été conformes à la réglementation européenne. Cette opération peut s'effectuer plusieurs années après l'engagement des crédits.

L'apurement dont il est question aujourd'hui porte sur les exercices 2008 à 2012. La correction financière sanctionne une irrégularité, souvent d'origine administrative, qu'il faut distinguer de la fraude, individuelle et intentionnelle.

Les irrégularités sont sanctionnées par des corrections calculées en proportion du montant de l'aide contrôlée. Il peut s'agir de 1 %, 2 %, 5 %, 20 % du montant total de l'aide.

Sur quoi ont porté ces contrôles ? Il y a eu deux objets principaux.

Le premier contrôle a porté sur les aides à la surface, c'est-à-dire essentiellement les aides directes découplées du premier pilier. Les contrôles sont avant tout des contrôles techniques qui mettent en relief des défaillances qui affectent la régularité des dépenses. Chaque année, les agriculteurs remplissent ce qu'on appelle un registre parcellaire qui identifie les îlots de culture, éligibles aux aides, et les surfaces qui ne sont pas admissibles, comme les chemins, les hangars. Ce travail est réalisé à partir d'orthophotos, c'est-à-dire des photos aériennes retraitées prises par les photographes de l'Institut géographique national. Les surfaces inéligibles doivent être détourées. La Commission a estimé que les détours n'étaient pas assez précis. Des enquêtes sur place ont aussi confirmé que les surfaces déclarées ne correspondaient pas toujours aux surfaces réelles.

La Commission a par ailleurs considéré que les critères définis pour le calcul de la modulation, c'est-à-dire le passage du premier au deuxième pilier, n'étaient pas assez rigoureux.

Au total, le contrôle des aides à la surface a été sanctionné à hauteur de près de 690 millions d'euros sur cinq ans - 2008-2012. Une somme, certes, très importante, qu'il faut cependant comparer au montant des aides correspondantes, soit 35 milliards d'euros sur la période.

Le deuxième poste sous contrôle concerne l'application de la conditionnalité. La conditionnalité consiste à subordonner le versement des aides directes au revenu au respect de réglementations européennes sur l'environnement, le bien-être animal, etc... Le système n'est guère apprécié des agriculteurs.

L'administration française, bien consciente de ces difficultés, avait choisi, je cite : « une approche pragmatique, pédagogique et progressive ». Cela se traduisait, en particulier, par un barème de sanctions relativement clément. La Commission a précisément considéré que le barème était « trop gentil », et par conséquent inefficace. La correction a porté sur 250 millions d'euros.

Il y a également d'autres redressements plus mineurs tels la prime aux bovins. Au total, dans une première version, la Commission avait calculé une correction de 3 milliards d'euros, fondée sur le barème que j'ai évoqué plus haut. Après négociation, la correction a été ramenée à 1,08 milliard d'euros.

Dans les années 2000, l'apurement portait en moyenne sur 100 millions d'euros. Comment expliquer ce saut à 1 milliard d'euros ? D'abord, cette somme cumule les contrôles sur cinq exercices. En rythme annuel, on n'est pas très loin de la moyenne précédente. Ensuite, un élément d'explication serait à chercher du côté de la Cour des comptes européenne qui a beaucoup durci ses propres contrôles en partant de la comparaison entre les contrôles nationaux et les contrôles européens. Par ricochet, la Commission en a fait de même.

Comment cette correction se traduit-elle ? Il n'y a pas d'effet sur les agriculteurs. La correction s'impute sur les dépenses à venir. En d'autres termes, les « retours » agricoles sont diminués d'autant, la France recevra moins que prévu du budget européen, sera moins remboursée. La différence sera comblée par le budget de l'État. C'est donc une charge additionnelle pour le budget national. Compte tenu de l'importance de la somme en jeu, cette imputation sera étalée sur trois exercices, d'environ 370 millions d'euros chaque année.

Une réduction des crédits qui n'est pas faite pour améliorer le climat du moment. Les agriculteurs voient de plus en plus la PAC comme une machine à paperasserie et à contrôles. L'argument est qu'il y a 9,5 milliards d'euros en retour et que le législateur européen en a décidé ainsi, en essayant de concilier l'intérêt des agriculteurs et les attentes de la société civile. Mais on voit bien que le malaise est profond.

Surtout quand les agriculteurs payent le prix des décisions qui leur échappent totalement. Comme c'est le cas du deuxième sujet que je vous propose.

Le deuxième sujet de ce point d'actualité concerne l'embargo russe sur le porc.

Il y a quelques semaines, la presse a annoncé la possibilité d'une levée partielle de l'embargo. Ce fut alors évidemment un soulagement pour la filière porcine. J'ai voulu m'informer pour vous rendre compte. Mais ce que j'ai appris est loin de me rassurer, tant le sujet mêle questions sanitaires et questions politiques.

Tout d'abord, un rappel du panorama général.

Le porc est la première production et consommation animale en Europe. La France représente 10 % du marché européen. C'est une production très ouverte sur l'extérieur. Il y a énormément d'échanges, car les consommateurs ne consomment pas les mêmes produits. La Russie représente pour l'Europe et la France un très gros marché pour les exportations d'abats et de graisses. En temps ordinaires, 700 000 tonnes sont exportées vers la Russie, dont 10 % par la France.

C'est donc un marché stratégique, mais fragile, comme toutes les productions animales, sujettes aux maladies. En 2006, un cas de peste porcine, dite africaine, est apparu sur un sanglier, en Russie, et l'Europe a alors décidé de suspendre les importations de porcs russes, car c'est une maladie très contagieuse. En janvier 2013, deux autres cas ont été signalés, toujours sur des sangliers, en Lituanie et en Pologne, et la Russie a « rendu la monnaie », si je peux dire, en décrétant, à son tour, un embargo sur les abats et les graisses de porc européen.

Nous sommes en janvier 2013, et il s'agit alors d'un embargo sanitaire. En janvier 2014, l'embargo se généralise à la plupart des importations alimentaires, et au porc en particulier. Il s'agit cette fois d'un embargo politique sur les animaux, même si les abats et graisses relèvent du premier embargo. L'impact est immédiat avec une baisse de 15 % du prix du porc depuis un an.

L'affaire est embarrassante et beaucoup de pays producteurs, dont la France, considèrent que la mesure est trop générale : ce n'est pas parce qu'il y a un sanglier malade en Lituanie, que les porcs bretons, à 2 000 km, doivent être sanctionnés.

C'est une idée de bon sens qui se heurte toutefois à une question de principe puisque, depuis 2008, la Commission européenne est parvenue à imposer une négociation collective des exportations animales, un certificat sanitaire valable pour l'ensemble de l'Union.

Face à cette situation, les pays producteurs adoptent plusieurs stratégies. Certains recherchent des marchés de substitution (Chine, Amérique latine), d'autres visent des marchés de contournement, en exportant en Russie, via la Biélorussie, la Serbie ou le Kazakhstan, et d'autres, enfin, cherchent à assouplir les contraintes.

C'est le choix français et de quelques autres pays. Le chef des services vétérinaires, grâce à ses bons contacts personnels avec son homologue russe, négocie une régionalisation des importations, un additif au certificat européen, qui permettrait de reprendre les exportations des graisses et abats, non visés par l'embargo politique sur les animaux.

La Commission européenne, d'abord très réticente sur ces négociations, adopte une position pragmatique. Un pré-accord technique est signé fin janvier, à l'occasion de la semaine verte en Allemagne. L'accord concerne la France, les Pays-Bas, le Danemark, l'Italie et la Belgique, mais ni l'Allemagne, ni l'Espagne, ni la Pologne.

C'est une très grande satisfaction pour la filière, comme je l'ai rappelé au début.

Ce n'était, hélas, que le premier chapitre de l'histoire, car l'affaire prend une autre tournure lorsqu'elle est examinée par le Conseil agricole, fin janvier. Le ministre polonais évoque alors cette négociation. Le communiqué de presse, très neutre, représente mal le climat du Conseil. Je cite : « La délégation polonaise rappelle l'importance de l'esprit européen et la solidarité entre les États membres, en particulier lorsqu'il s'agit de débattre de la reprise des exportations avec les autorités russes ». En réalité, le ministre polonais est furieux et juge cet accord intolérable. Le commissaire européen évoque de simples négociations techniques et les ministres des États concernés sont eux aussi très embarrassés.

Il n'est plus question d'un accord segmenté. C'est donc un retour à la case départ avec maintien de l'embargo sur les abats et les graisses de porc.

Petite lueur d'espoir : le commissaire à l'agriculture a annoncé une aide au stockage privé pour permettre de retirer du marché une partie de la production dans l'espoir de faire remonter les prix, et qui bénéficiera, cette fois, à tous les producteurs, y compris la Pologne, bien entendu.

Troisième sujet : on sort du porc, mais on reste dans l'ouest pour aborder une difficulté de la filière cidricole.

Le sujet est, cette fois, uniquement juridique et lié à la rédaction d'un règlement de la Commission européenne. J'ai néanmoins choisi de l'évoquer en commission car les sénateurs des départements à pommes à cidre ont été alertés. Certains ont même traduit cette alerte en question écrite au ministre de l'agriculture, ce qui pourrait justifier la proposition que je vais formuler en conclusion.

Le cidre était la première boisson des Français jusqu'à la guerre de 1914, période où elle a été remplacée par le vin. Il reste néanmoins deux principales régions cidricoles : la Bretagne et la Normandie. La consommation a diminué régulièrement, même si on note une reprise depuis deux ans, grâce aux innovations - cidre rose, cidre blanc... Deux groupes représentent 90 % du marché. Agrial, en leader, et Val de Rance et une myriade de petits producteurs.

La réglementation européenne permet aux organisations de producteurs d'engager des programmes opérationnels, cofinancés par l'Union européenne, qu'il s'agisse d'aides au financement de matériels, de promotion, etc. Ces « PO » comme on les appelle, représentent pour la France environ 3 millions d'euros, cofinancés à 50 % par l'Union européenne.

Ce soutien est prévu par la réglementation mère, le règlement dit « OCM unique », que les familiers de la PAC connaissent bien. Le détail relève de règlements dérivés de la Commission. Ces règlements définissent précisément le champ d'application et fixent les bases de calcul de l'aide, notamment la valeur de la production commercialisée.

J'en arrive au problème, car jusqu'en 2011, il n'y avait pas de différence entre l'aide à la filière jus de pomme et la filière jus de pomme fermenté, autrement dit le cidre.

Sans que l'on sache si c'est volontaire ou involontaire, le règlement d'exécution de la Commission en 2011, qui précise le règlement OCM unique de 2007, fait une différence entre les deux. Ainsi, la filière jus de pomme serait aidée (2 millions d'euros), mais la filière cidre ne le serait plus, ce qui représente une perte de 1 million d'euros.

C'est l'objet des inquiétudes de la filière.

Je passe volontiers sur les détails, sur l'articulation entre les articles et les annexes, mais l'essentiel est là. Avant 2011, tous les produits transformés étaient éligibles à l'aide européenne. Depuis 2011, il y a une différence entre les produits transformés à base de fruits, parmi lesquels le jus de pommes, et les autres produits, non éligibles.

Le règlement délégué de 2014, qui précise le nouveau règlement OCM unique de 2013, reprend la distinction. On notera, au passage, le glissement d'un règlement d'exécution de l'OCM de 2007, au règlement délégué de l'OCM de 2013. Un glissement qui n'est pas neutre, et qui illustre une préoccupation de notre collègue, le président Simon Sutour, qui avait soulevé ce problème en 2014. En effet, la place et le contrôle des États membres sont beaucoup moins précis dans le cas du règlement délégué. Dans le cas du règlement d'exécution, la Commission est sous le contrôle d'un comité composé de représentants des États membres qui vote la proposition de la Commission, tandis que dans le cas du règlement délégué, la Commission est seulement entourée d'un comité d'experts qu'elle choisit librement et dont elle n'est pas tenue de suivre l'avis. Le Conseil, in fine, peut seulement rejeter la proposition, sans vraiment la discuter.

Autant dire que ces détails avaient échappé, sur le moment, aux équipes nationales. C'est cette omission que la filière voudrait corriger.

Comme je l'ai indiqué, certains sénateurs ont saisi le ministère de l'agriculture par une question écrite. Je suggère que notre président suive une démarche identique auprès du commissaire européen compétent. Il me semble que l'affaire, très juridique, ne vaut pas une proposition de résolution, mais un courrier argumenté serait bienvenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je voudrais rappeler que, à l'initiative de nos deux collègues Gérard César et Simon Sutour, au moment de l'affaire du vin rosé, comme cela fut le cas lors de l'examen des profils nutritionnels, chaque fois que nous pouvons être réactifs, alertés par les entreprises, nous sommes dans notre rôle.

Vous avez cité la société Agrial. Avez-vous des informations sur le contentieux qui s'était ouvert avec l'Autorité de la concurrence il y a quelques années ? L'autorité avait considéré que le rachat d'une société cidricole par Agrial renforçait sa position dominante et était susceptible de restreindre la concurrence. Elle avait obligé Agrial à céder la société cidricole. Où en est-on aujourd'hui ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Agrial est le leader du secteur, avec 70 % de parts de marché. En 2009, la coopérative a mené une opération de fusion-acquisition avec la coopérative Elle et Vire, et s'est retrouvée, dans le même temps, propriétaire de deux petites cidreries qui appartenaient à Elle et Vire : l'une à Condé-sur-Vire, en Mayenne, l'autre à Cahagnes, dans le Calvados.

Agrial a soumis son projet à l'examen de l'Autorité de la concurrence. Il ne s'agit pas d'un contentieux proprement dit, mais du déroulement normal de la procédure avant concentration. Cela s'est traduit par une décision de l'Autorité de la concurrence en octobre 2011.

Il y avait deux points. Le débat principal portait sur les contrats d'approvisionnement imposés par la coopérative à ses adhérents. L'Autorité de la concurrence considérait qu'Agrial les mettait en situation de dépendance. Cela a été réglé par un assouplissement des relations contractuelles. Les fournitures via Agrial passeront de 80 % à 50 %.

Le deuxième point portait, en effet, sur l'activité cidricole. L'Autorité de la concurrence a simplement obligé Agrial à céder ses deux cidreries, qui ont donc été rachetées par son concurrent direct, Val de Rance. La cidrerie de Mayenne est encore en fonction, la cidrerie du Calvados a été fermée.

Si l'on en croit les représentants d'Agrial, le concurrent aurait fait une très bonne opération :

- il aurait acquis la société à un très bon prix - Agrial étant obligé de vendre et Val de Rance étant le seul acheteur potentiel ;

- il aurait augmenté ses parts de marché de 5 à 10 % ;

- Enfin, l'Autorité de la concurrence a obligé Agrial à garantir un minimum d'activité à la cidrerie. En d'autres termes, Agrial fournirait des pommes pour faire tourner une usine de son concurrent, usine qu'elle a été obligée de lui vendre...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Curieuse décision, et surtout, curieux effet de l'Autorité de la concurrence. Dans son appréciation sur la concurrence, l'autorité se fondait sur la notion de marché pertinent. Les effets des concentrations sont analysés en fonction du marché qui n'est évidemment pas le même selon que l'on vend des avions ou du jus de pomme !

La règle est européenne ; son application est nationale et européenne selon les seuils ; et son interprétation relève de l'Autorité de la concurrence. C'est cette marge d'interprétation qui est en débat.

Dans certains pays, la question ne se pose même pas. Aux Pays-Bas, par exemple, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. Il n'y a pas de marché national. En France, c'est différent, et l'analyse se fait au cas par cas. Avec le risque qui est évoqué, puisque Agrial a été obligée de céder ses cidreries dont personne ne voulait à son concurrent direct, et pour finir, l'une des deux cidreries a fermé.

Si l'Autorité de la concurrence s'était mise dans une perspective européenne, cela ne serait peut-être pas arrivé.

Il me semble que dans le droit de la concurrence, l'analyse du marché pertinent doit privilégier l'approche européenne et ne garder une vision nationale que dans des cas exceptionnels. Cela éviterait ces errements qui sont, de surcroît, un handicap pour la constitution de grands groupes de taille européenne.

Pour la Commission, les décisions nationales sont du ressort des autorités nationales de la concurrence. Mais ces dernières se retranchent derrière les règles du droit de la concurrence, qui sont une compétence exclusive de l'Union. Ces règles sont détaillées par la Commission dans ses « guidelines », ses lignes directrices et ses communications qui donnent des repères aux autorités nationales. Ainsi, l'Autorité de la concurrence ne pourra évoluer que si la Commission fait évoluer son droit dérivé. Au vu des contacts que j'ai eus, cela ne semble une priorité ni pour l'une ni pour l'autre.

Cette affaire du cidre, qui est classée depuis longtemps, n'est pas une bonne occasion de présenter une résolution sur le droit de la concurrence - qui est le symbole et le socle intouchable de la construction européenne -, mais l'occasion se reproduira à un autre moment et il faudra alors le faire.

À partir de l'analyse d'une affaire locale sur un secteur mineur, on peut poser ainsi une question de fond. J'avais déjà étudié cette question l'année dernière, à l'occasion d'un rapport sur les relations entre PAC et le droit de la concurrence. L'indépendance de l'Autorité de la concurrence ne peut justifier que l'on perde la possibilité de créer des champions nationaux dont nous avons besoin dans le contexte de concurrence actuel. M. Lasserre en fait beaucoup. Lors de mon récent voyage à Bruxelles avec le président du Sénat, j'ai parlé de ce sujet au président Juncker. La notion de marché pertinent qui avait sa signification est de moins en moins pertinente justement. Il a convenu qu'il faut maintenant mettre tous les moyens pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Cette observation illustre l'inquiétude des politiques à l'égard des autorités indépendantes. Cela fait dix ans que la multiplication des autorités indépendantes nous étonne, et parfois, nous inquiète. La multiplication de ces autorités nationales n'a plus de sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Pouvez-vous me préciser le remboursement des aides ? Je voudrais être sûr d'avoir bien compris. Vous avez annoncé que les agriculteurs ne rembourseraient pas parce qu'on était dans une situation d'irrégularité administrative et non pas de fraude. Mais je me souviens qu'il y a quelques années, les organisations de producteurs de la filière des fruits et légumes avaient été sanctionnées et ont dû rembourser alors qu'il n'y avait pas eu de fraude non plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Cette question est évidemment centrale et a été creusée. Je vous confirme que les agriculteurs ne seront pas pénalisés et que la correction de 1 milliard sera prise en charge par le budget de l'État sur trois exercices différents. Le cas que vous évoquez était différent. Il s'agissait alors d'un contrôle de subventions nationales aux organisations de producteurs de la filière des fruits et légumes entre 1992 et 2002. Ces aides ont été considérées par la Commission comme étant des aides publiques illicites. C'est pourquoi elle a demandé le remboursement.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

J'ai été aussi intéressé par les effets de l'embargo russe. Je travaille sur ce sujet avec notre collègue Yves Pozzo di Borgo. Il ne faut pas s'étonner que quand on sanctionne, on ait le retour de bâton. Il faut bien peser ce que sont ces sanctions, ce qu'elles apportent, mais aussi ce qu'elles enlèvent. Sans anticiper sur la communication que nous allons faire avec mon collègue, j'estime qu'il faudrait que l'Union européenne soit plus indépendante des États-Unis. Les États-Unis nous entraînent, nous incitent, mais ne souffrent pas. Ce sont les entreprises européennes qui sont pénalisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En effet, les conséquences des mesures de rétorsion sont différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

J'ai bien compris qu'il n'y aura pas de remboursement des aides par les agriculteurs. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'impact car les surfaces vont être recalculées pour les nouvelles aides. L'analyse détaillée des surfaces est devenue très importante avec le verdissement. Les nouveaux calculs les affectent directement. Que ce soit pour les céréaliers ou les entreprises maraîchères. Il y a beaucoup d'incompréhension car parfois, les photos n'ont rien à voir avec le cadastre.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Concernant les photos, je peux préciser les modifications intervenues. Ces orthophotos, comme on les appelle, sont prises par les avions de l'IGN. Ils ont été justement conçues pour s'extraire du cadastre qui est un document administratif qui vieillit très vite. Mais la résolution des anciennes photos était de 1 mètre, ce qui était insuffisant. De plus, les agriculteurs pouvaient prendre parfois quelques libertés en rognant d'un côté du champ pour éviter d'être corrigés, justement, et en rattrapant de l'autre. Même si la surface était identique, la géographie ne l'était pas. C'est ce genre de pratiques qui a été sanctionné par la Commission. La nouvelle gamme de photos est de 50 cm. De plus, les photos sont en couleur, ce qui permet d'identifier plus facilement les parcelles et de faire le partage entre les surfaces éligibles et celles qui ne le sont pas. Les agriculteurs sont d'autant plus incités à être précis que les haies sont maintenant éligibles au titre des « paiements verts », c'est-à-dire les 30 % des aides directes au revenu.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

J'ai été sensible à votre évocation de la première guerre mondiale, qui a en effet été un tournant dans l'alimentation des Français. C'est le moment où le vin rouge a remplacé le cidre car on considérait qu'il avait des vertus spécifiques.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Concernant la situation de la filière porcine, la baisse du prix du porc est très importante. L'embargo russe a joué un rôle. Dans la détermination des surfaces, les pays de bocage sont pénalisés par rapport aux zones de grandes cultures parce que le découpage est évidemment plus compliqué. L'analyse en détail est très exigeante, même par les photos aériennes. Il y a un débat qui est mal vécu sur le terrain. A l'occasion du verdissement, il faudrait réfléchir à une proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Le verdissement est l'exemple typique d'une action positive dont les effets sont mal ressentis en raison des « pinaillages » sur le terrain. Comment délimiter un gros rocher en milieu de terrain ? L'agriculteur doit l'enlever de ses surfaces éligibles. L'effet psychologique est désastreux, surtout pour les petites agricultures de montagne. Il y a des régions où on devrait payer les gens pour rester car, quand ils ne sont pas là, les risques d'incendie sont multipliés, les sangliers reviennent, la forêt reprend le terrain, et au lieu de cela, on ne cesse d'ennuyer les petits agriculteurs. Notre commission doit étudier une proposition de résolution sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Ces haies sont des foyers de biodiversité et sont à ce titre sanctuarisées. En Normandie, nous avons 60 000 km de haies. Le problème est que la situation est figée. On ne peut plus toucher aux haies, par exemple, pour faire passer un tracteur. L'idée de bon sens aurait été de respecter une surface ou un linéaire, en enlevant une haie ici et en en replantant une ailleurs. C'est une solution de bon sens, mais la réglementation européenne en a décidé autrement. Ce sera une mission du groupe de travail PAC qui fera certainement des propositions dans le sens que vous évoquez.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Autrefois, le contrôle des surfaces se référait au cadastre. Pour calculer les surfaces éligibles en 1992, les contrôleurs refaisaient la mesure et enlevaient seulement les bandes de roulement pour les machines agricoles. Aujourd'hui, c'est plus compliqué, c'est trop compliqué.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Nous avons tous des anecdotes sur la complexité de ces contrôles. L'agriculteur, en toute bonne foi, partait de sa surface cadastrale mais en faisant cela, il est pénalisé. Concernant le cidre, il me semble que les agriculteurs commencent à replanter. C'est un effet indirect de la baisse des aides directes.

Concernant l'Autorité de la concurrence, il faut se positionner sur ce sujet à l'occasion de l'examen de la loi Macron. Le président Bruno Lasserre n'a qu'une idée, c'est renforcer l'Autorité de la concurrence. On se demande même parfois si ce n'est pas lui qui a écrit le projet de loi. « On a fait ci, on a fait ça », dit-il. C'est hallucinant. Je note au passage que si l'on suit ses propositions, il faudra 40 fonctionnaires de plus. Il faut réfléchir sur le fonctionnement de notre pays. On nous fait légiférer sur des micro-détails, alors que les questions de principe nous échappent. En outre, sur le terrain, décrets et arrêtés peuvent pratiquement annuler ce qu'une loi avait prévu. Je n'en veux pas à la Haute administration, mais plutôt à la faiblesse du politique qui laisse faire. Même si je suis minoritaire sur ce sujet, je crois que le cumul des mandats a participé à cet abandon car quand on cumule, on fait trop de choses et on ne suit pas assez les applications concrètes.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

J'étais rapporteur du projet de loi sur le cumul des mandats et je peux vous dire que ce n'était pas facile.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Cela vaut pour les élus comme pour les ministres qui rentrent aussi chez eux le jeudi soir, pour faire campagne. Je déborde un peu de la réunion d'aujourd'hui, mais ce sont des questions de fond.

Concernant le porc, le secteur souffre beaucoup. Il y a souvent eu des fluctuations mais maintenant, c'est plat et c'est catastrophique. Mêmes les entreprises bien gérées ne peuvent pas s'en sortir.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Concernant le cidre, je fais partie de ces élus qui ont été sollicités et qui ont écrit au ministre. Il m'a répondu qu'il étudiait la question. On commence aussi à entendre parler de la baisse du prix des pommes. Est-ce un effet des réorientations de marché liées à l'embargo russe ? J'ajoute au passage que l'on commence à faire du vin et du très bon vin, dans le Calvados !

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

J'ai mentionné les lettres de plusieurs de nos collègues au ministre de l'agriculture. Mais les États n'ont pas la main sur ce sujet. Je rappelle que la Commission a le monopole de l'initiative et, qu'en l'espèce, il s'agit d'un règlement de la Commission. C'est donc plutôt au niveau européen qu'il faut agir et je pense que la lettre de notre président sera plus adaptée. L'embargo russe a en effet des effets indirects sur beaucoup de produits agricoles, surtout ceux issus de Pologne et des Pays baltes, les plus touchés par l'embargo.

Concernant la baisse du prix du porc, la diminution de 15 % se calcule par rapport au prix haut de 2014. La filière porcine est très fragile et la plupart des projets industriels sont arrêtés, qu'il s'agisse d'élevages de porcs ou de volailles, ou d'élevages laitiers, comme on l'a vu récemment avec M. Raison. Des messages de l'opinion sur Internet sont parfois extrêmement agressifs. Plus personne n'ose rien proposer alors que l'on fait rentrer des produits animaux issus d'élevages qui sont loin d'avoir nos exigences environnementales européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Concernant le porc, la Manche est en train de perdre l'abattoir du département. Le poids des environnementalistes est considérable. Tous les projets sont bloqués. Si l'on ajoute les dérives allemandes liées aux sous-traitances et aux détachements des travailleurs, nos entreprises sont étouffées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Il y a eu des excès, et maintenant, il y a des excès dans l'autre sens. L'opinion mais aussi les élus sont plus sensibles aux slogans de peur qu'aux études. Comme le disait Claude Allègre lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, quand un pays n'écoute plus ses scientifiques, un pays régresse. C'est à nous de lutter contre cela.

La réunion est levée à 17 heures.