Curieuse décision, et surtout, curieux effet de l'Autorité de la concurrence. Dans son appréciation sur la concurrence, l'autorité se fondait sur la notion de marché pertinent. Les effets des concentrations sont analysés en fonction du marché qui n'est évidemment pas le même selon que l'on vend des avions ou du jus de pomme !
La règle est européenne ; son application est nationale et européenne selon les seuils ; et son interprétation relève de l'Autorité de la concurrence. C'est cette marge d'interprétation qui est en débat.
Dans certains pays, la question ne se pose même pas. Aux Pays-Bas, par exemple, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. Il n'y a pas de marché national. En France, c'est différent, et l'analyse se fait au cas par cas. Avec le risque qui est évoqué, puisque Agrial a été obligée de céder ses cidreries dont personne ne voulait à son concurrent direct, et pour finir, l'une des deux cidreries a fermé.
Si l'Autorité de la concurrence s'était mise dans une perspective européenne, cela ne serait peut-être pas arrivé.
Il me semble que dans le droit de la concurrence, l'analyse du marché pertinent doit privilégier l'approche européenne et ne garder une vision nationale que dans des cas exceptionnels. Cela éviterait ces errements qui sont, de surcroît, un handicap pour la constitution de grands groupes de taille européenne.
Pour la Commission, les décisions nationales sont du ressort des autorités nationales de la concurrence. Mais ces dernières se retranchent derrière les règles du droit de la concurrence, qui sont une compétence exclusive de l'Union. Ces règles sont détaillées par la Commission dans ses « guidelines », ses lignes directrices et ses communications qui donnent des repères aux autorités nationales. Ainsi, l'Autorité de la concurrence ne pourra évoluer que si la Commission fait évoluer son droit dérivé. Au vu des contacts que j'ai eus, cela ne semble une priorité ni pour l'une ni pour l'autre.
Cette affaire du cidre, qui est classée depuis longtemps, n'est pas une bonne occasion de présenter une résolution sur le droit de la concurrence - qui est le symbole et le socle intouchable de la construction européenne -, mais l'occasion se reproduira à un autre moment et il faudra alors le faire.
À partir de l'analyse d'une affaire locale sur un secteur mineur, on peut poser ainsi une question de fond. J'avais déjà étudié cette question l'année dernière, à l'occasion d'un rapport sur les relations entre PAC et le droit de la concurrence. L'indépendance de l'Autorité de la concurrence ne peut justifier que l'on perde la possibilité de créer des champions nationaux dont nous avons besoin dans le contexte de concurrence actuel. M. Lasserre en fait beaucoup. Lors de mon récent voyage à Bruxelles avec le président du Sénat, j'ai parlé de ce sujet au président Juncker. La notion de marché pertinent qui avait sa signification est de moins en moins pertinente justement. Il a convenu qu'il faut maintenant mettre tous les moyens pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.