Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 mars 2015 à 10h05
Énergie — Environnement - suivi des résolutions européennes du sénat - biocarburants : communication de m. jean-yves leconte

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Il me paraît utile de rappeler tout d'abord le sens précis des concepts.

Le terme « biocarburant » désigne tout carburant obtenu à partir de la biomasse, par opposition aux produits d'origine pétrolière. Seuls sont concernés aujourd'hui les biocarburants utilisés dans les transports.

Ceux de première génération sont obtenus à partir de produits qui pourraient servir à l'alimentation humaine mais utilisés pour fabriquer du bioéthanol ou du biodiesel. Obsolète aujourd'hui, le vieux terme « agrocarburant » désigne exclusivement cette première génération de biocarburants.

Les biocarburants de deuxième génération sont obtenus par transformation de produits dénués d'usage alimentaire. La principale filière transforme la cellulose, une substance qui représente à elle seule plus de la moitié de toute la biomasse disponible sur terre. Les déchets organiques gras (provenant par exemple d'usines transformant du poisson) permettent d'obtenir du biodiesel ou du biokérosène. Les conditions techniques de la deuxième génération permettent tout juste actuellement d'aboutir en laboratoire à des prix de revient comparables à ceux de la filière pétrolière. L'outil industriel n'est donc pas encore disponible, mais pourrait être créé au cours des années à venir.

Enfin, les biocarburants de troisième génération sont synthétisés par des micro-algues. Ce processus devrait aboutir pendant encore très longtemps à des prix de revient prohibitifs excluant l'usage de tels biocarburants dans les transports.

Les cultures destinées aux biocarburants de première génération sont importantes pour certaines exploitations agricoles. La plus grande entreprise de transformation appartient au président de la FNSEA. Le sujet est donc d'importance pour les pouvoirs publics.

Au plan mondial, seul 1 % de la surface agricole utile sert à cultiver des matières premières utilisées pour obtenir des biocarburants de première génération. J'ajoute que le processus industriel aboutit à un sous-produit destiné à l'alimentation animale, si bien que l'Union européenne s'est approchée aujourd'hui de l'autosuffisance pour l'alimentation du bétail, précisément grâce aux biocarburants de première génération. Il reste qu'au changement d'affectation des sols agricoles directement induit par le remplacement de cultures destinées à l'alimentation par une production à usage de biocarburants, peut venir s'ajouter ailleurs une déforestation permettant de fabriquer des ressources alimentaires qui cessent d'être obtenues sur le terrain ayant subi un changement direct d'affectation des sols. D'où un bilan carbone moins satisfaisant qu'il n'y paraît de prime abord. J'ajoute que les moteurs ne peuvent pas toujours accepter n'importe quel taux d'incorporation de biocarburants. Cela complique l'activité mondiale de l'industrie automobile : la situation est très différente en Chine, en Europe et au Brésil par exemple.

À propos des biocarburants les plus évolués, je souhaite simplement évoquer le risque de voir certains brevets achetés par des pétroliers, afin de neutraliser toute innovation en ce domaine.

Avant d'aborder les principaux points du débat, j'observe enfin que toutes les générations de biocarburants requièrent une certaine surface de sols. L'installation de panneaux solaires offre systématiquement un meilleur bilan carbone.

J'en viens au sort actuellement fait aux trois aspects de la résolution adoptée : le plafond d'intégration des biocarburants de première génération ; la prise en compte du changement d'affectation des sols indirect ; la place faite aux biocarburants de deuxième génération.

Afin d'inciter à la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, la directive du 23 avril 2009 fixe à 10 % la part que les énergies renouvelables devront prendre dans la totalité des sources d'énergies utilisées pour les transports au sein de l'Union européenne. Les biocarburants font partie des énergies renouvelables, ce qui justifie leur prise en compte pour apprécier la satisfaction ou non de l'objectif global que je viens de rappeler. Toutefois, le conflit entre alimenter les moteurs et les estomacs incite à ne pas miser exclusivement sur les biocarburants pour que les véhicules dotés de moteurs thermiques satisfassent à l'objectif d'énergies renouvelables.

Le texte initial de la Commission européenne tendait à ramener à 5 % le plafond de prise en compte des biocarburants de première génération incorporés dans les produits distribués à la pompe. En première lecture, le Parlement européen avait remonté cette limite à 6 %. La résolution européenne avait opté pour 7 %, un niveau confirmé par le Conseil.

Mais la nouvelle commission ENVI vient d'adopter un amendement tendant à ramener ce plafond à 6 %. Surtout, sa rédaction reprend une disposition déjà votée en première lecture, tendant à subordonner la prise en compte des biocarburants conventionnels au respect du plafond d'intégration. Cette condition mérite que l'on s'y attarde un peu. Dans la rédaction de la Commission européenne, ainsi que dans celle du Conseil, la prise en compte des biocarburants est limitée au plafond inscrit dans le projet de directive, soit 5 % dans le texte initial et 7 % dans la rédaction du Conseil. Tout État membre était libre d'incorporer plus de biocarburants conventionnels, mais leur prise en compte serait limitée au plafond, soit 7 % selon le Conseil. Or, d'après la version reprise par la commission ENVI, l'éventuel dépassement du plafond supprimerait toute prise en compte des biocarburants conventionnels dans la contribution à l'objectif de 10 % d'énergie renouvelable dans les transports.

J'en viens au changement d'affectation des sols indirect (CASI). Ce phénomène mérite d'être pris en compte, mais le quantifier reste un exercice impossible. Notre assemblée avait donc approuvé la proposition formulée par la Commission européenne tendant à conduire des études complémentaires susceptibles de permettre sa prise en compte ultérieure. En revanche, la nouvelle commission ENVI a réagi de façon particulièrement virulente, bien qu'elle ne possède évidemment pas la maîtrise technique du sujet.

J'aborde ainsi le dernier point traité par la résolution européenne : la place à réserver aux biocarburants de deuxième génération, dont la montée en puissance est souhaitable mais contrariée jusqu'à présent par l'absence d'outil industriel.

Le Parlement européen a introduit un seuil de 2,5 % à l'horizon 2020 lorsqu'il s'est prononcé le 11 septembre 2013 en première lecture. Favorable à l'essor de cette source renouvelable d'énergie, mais réaliste quant aux possibilités à moyen terme, notre commission avait exprimé sa sympathie pour l'objectif de 2,5 % à l'horizon 2020. Le Conseil s'est prononcé en faveur d'un objectif purement indicatif, limité à 0,5 %, assorti d'un coefficient multiplicateur destiné à encourager le décollage de la filière industrielle.

La teneur en biocarburants avancés est le seul thème où la commission ENVI recommande un compromis avec le Conseil, ce qui préfigure vraisemblablement la rédaction définitive de la nouvelle directive.

En conclusion, nous en sommes presque revenus à la fin de la première lecture devant le Parlement européen, où la nouvelle commission ENVI a repris une position identique à celle d'il y a un an et demi malgré le renouvellement du Parlement européen et le changement de rapporteur, M. Torvalds ayant remplacé Mme Lepage.

En définitive, la seule position stable est celle du Conseil, qui n'a guère de raison de se déjuger après avoir très largement revu la mouture issue du Parlement Européen et acceptée par la Commission européenne d'alors.

Il parait donc vraisemblable que l'esprit de la résolution du Sénat soit largement satisfait dans le texte définitif, comme à la fin de la première lecture.

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