Intervention de Jean Leonetti

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 décembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean Leonetti ministre chargé des affaires européennes

Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes :

J'ai plaisir à vous retrouver pour débattre avec vous de ce nouvel accord, d'abord négocié à dix-sept, puis à « dix-sept plus » et finalement conclu à « vingt-sept moins un », ce qui témoigne déjà du succès de l'initiative franco-allemande. Cela nous amène à réfléchir à de nouvelles étapes.

« L'Europe se fera dans la crise et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », disait déjà Jean Monnet. En ce sens, 2011 aura été une année féconde pour le projet européen. Les mesures déjà prises avaient leurs forces et leurs faiblesses. Le sommet du 9 décembre a introduit la voie nouvelle du traité. Pourquoi ? S'il devait n'être qu'une seule raison, c'est que le MES, qui se substituera à terme au FESF, qui n'a ni les mêmes compétences ni la même pérennité, demande une modification des traités.

Une polémique - qui n'est pas le fait de la Haute Assemblée - a été soulevée sur le rôle du couple franco-allemand, affublé du sobriquet de « Merkozy ». Mais si vingt-six États ont adopté la proposition de la lettre franco-allemande, c'est bien qu'elle allait dans le sens de l'intérêt général ! Le couple franco-allemand a toujours joué un rôle moteur, et beaucoup y adhèrent.

L'attitude de la Grande-Bretagne a suscité une autre polémique, provoquant jubilation chez les uns, consternation chez les autres. Mais c'est sa décision ! Elle a l'avantage d'entraîner une clarification. Car il y a deux visions de l'Europe. D'un côté, celle d'une Europe peu intégrée, relayée par M. Cameron, qui déclarait récemment dans le Times qu'il voulait « moins d'Europe », pas plus qu'il ne veut de taxe sur les transactions financières, dont l'idée a fait son chemin, ni de régulation qui s'appliquerait à la City ; de l'autre, la vision que défend, avec bien d'autres, la France, qui tend vers une Europe plus intégrée. C'est cette dernière qui a prévalu et c'est tant mieux. Cela ne signifie pas que la Grande-Bretagne quitte l'Union. Nous n'y avons, au reste, nul intérêt : elle est un partenaire majeur dans bien des domaines, parmi lesquels la défense.

L'accord du 9 décembre fixe quatre lignes de force. Une gouvernance économique renforcée, tout d'abord. Certains regrettent que l'intergouvernemental, renforcé par la fréquence des réunions, ait pris le pas sur la Commission européenne. J'objecte que cela répond à une logique de l'urgence, mais aussi à une exigence démocratique. Qu'un président élu au suffrage universel s'engage au nom de la France a plus de poids qu'une simple décision de la Commission européenne. Il faut, face à cette crise, de la réactivité, du sang-froid face aux attaques spéculatives - sans perdre de vue le sillon à creuser.

Deuxième ligne de force : aller vers plus de convergence. A mon homologue irlandaise, je disais hier que l'initiative franco-allemande n'altère en rien la souveraineté des États. La convergence est acceptation d'une règle commune, pas une perte de liberté ni de souveraineté. Le pacte pour l'euro plus signifie une gouvernance économique, des rencontres plus fréquentes et une convergence économique et financière, en particulier entre la France et l'Allemagne.

La question de la discipline, troisième axe de l'accord, fait débat. Pourquoi, arguent certains, une règle d'or européenne alors que certains pays en sont déjà dotés et qu'existe le « six pack » ? Mais la règle de discipline budgétaire qu'introduira le traité obligera tous les pays à une transposition nationale. Etant bien entendu que la Cour de justice de l'Union européenne n'aura faculté de s'exprimer que sur ce point, et ne pourra en aucun cas entreprendre de vérifier les budgets nationaux. Les dispositifs antérieurs, sous quelque forme qu'ils aient été adoptés, ont tous été violés. Le traité assure l'inviolabilité. Les règles de discipline seront soumises à sanctions, dont l'automaticité sera cependant atténuée par la majorité qualifiée inversée. Qu'il soit bien clair, enfin, que la règle porte sur les déficits structurels et eux seuls. On n'ira pas sanctionner la Finlande pour le déficit conjoncturel qui pourrait survenir si se détérioraient un jour ses relations avec la Russie en matière d'énergie.

Outre que le mécanisme européen de stabilité sera effectif dès juillet 2012, au lieu de 2013, son fonctionnement est assoupli : il portera plus vite ses fruits. Le FMI se verra attribuer 200 milliards supplémentaires pour faire face à la crise : il s'agit, en passant par lui, d'éviter des procédures plus complexes...

Pourquoi le FESF perdure-t-il ? Parce que cet organisme, hors traité, et qui fonctionne selon un système de garanties, a des engagements. Le MES, qui devra être prévu dans le traité, ne fonctionnera pas par garanties, mais sera doté de 80 milliards et pourra lever des fonds supplémentaires, au bénéfice d'un mécanisme de solidarité, dont la BCE sera, non pas le pivot comme je l'ai entendu dire, mais l'agent d'intervention.

La solidarité, enfin, ligne de force. La France et l'Allemagne ont exprimé des points de vue différents sur le rôle de la BCE. Reste que la BCE, aux termes du Traité, est indépendante : il n'est pas plus légitime de la rappeler à l'orthodoxie que de l'inviter à élargir son rôle. Tenons-nous en aux traités. Ce que l'on constate, c'est que la BCE agit, en coordination avec les banques mondiales, en baissant son taux directeur, en achetant sur le marché secondaire, directement ou indirectement, de la dette souveraine des États en difficulté.

Avec 500 milliards auxquels s'ajoutent les 200 milliards du FMI et l'effet de levier du MES, associés à une stabilité budgétaire contrôlée par les juridictions nationales, nous avons là un mécanisme sûr ; et les difficultés iront décroissant en raison de la nouvelle discipline budgétaire.

Le Conseil a abordé la question de l'approfondissement du marché unique, élément majeur de la croissance ; l'emploi est également inscrit dans l'agenda, avec priorité aux mesures ciblées, vers les jeunes et les plus fragiles, notamment. Tout cela en faveur d'une politique industrielle et commerciale ambitieuse.

L'échec de Durban aura du moins eu une vertu, celle de montrer que les pays européens sont responsables de 11 à 12 % seulement des émissions de gaz à effet de serre ; et si l'on y ajoute ceux qui sont prêts à les rejoindre dans leur volonté de contrôle des émissions, on ne dépasse pas les 16 %. Autrement dit, si l'on n'accroche pas les grands pays émergents, dont la Chine ainsi que les États-Unis, on ne contrôlera pas grand-chose. Mais Durban nous évite de tomber, avec la fin de Kyoto, dans un vide juridique. Nous entrons, à compter du 1er janvier 2013, dans une période intermédiaire : le processus est lancé pour rechercher un accord juridique plus contraignant à l'horizon 2015.

Un mot sur l'élargissement, enfin. Si le calendrier pour la Serbie et le Monténégro a été légèrement décalé, la France a maintenu sa position constante : les Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l'Union.

L'accord du 9 décembre est un bon accord. Lui opposer qu'un traité à vingt-six ne saurait engager les institutions des Vingt-sept ne tient pas. Il existe des précédents. Et dans la stricte orthodoxie de Lisbonne, les États qui le souhaitent ont le droit d'aller plus loin, dans le respect du traité fondamental à Vingt-sept. C'est ce que l'on fait, ici, pour la discipline budgétaire et les mécanismes de solidarité.

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