Commission des affaires européennes

Réunion du 14 décembre 2011 : 1ère réunion

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La réunion

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Les commissions de l'économie et des affaires européennes procèdent à l'audition conjointe de M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen du 9 décembre 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Cette audition prend un caractère inhabituel, car le résultat du dernier Conseil européen est bien difficile à interpréter, en particulier pour ce qui concerne la zone euro. Il ne s'agit pas seulement ici de confronter nos positions, mais aussi d'obtenir des éclaircissements. Un accord à vingt-six serait intervenu pour une surveillance budgétaire renforcée, mais qui engage les institutions des Vingt-sept : comment résoudre cette quadrature ? En matière de surveillance budgétaire, on a le sentiment que les mesures s'additionnent à rythme accéléré. Après le « six pack » d'octobre, puis la proposition de la Commission de novembre, voici aujourd'hui, le traité à vingt-six. Si, comme on l'entend souvent répéter, les marchés financiers ont besoin de messages clairs, je ne suis pas sûr que cet empilement soit de nature à les apaiser.

L'assainissement de nos finances publiques demandera du temps. On comprend que dans l'intervalle, nous ayons besoin d'un « pare-feu » pour faire face aux difficultés de certains États membres. Mais pourquoi le Conseil a-t-il finalement décidé que le Fonds européen de stabilité financière, le FESF et le mécanisme européen de stabilité, le MES, qui devaient se succéder, coexisteront ? A quoi s'ajoute encore l'intervention du FMI via des prêts européens. Comment ces mécanismes s'ajusteront-ils ensemble ? Et pourquoi exclure désormais la participation du secteur privé qui avait été retenue pour le sauvetage de la Grèce ?

Autant de points sur lesquels nous avons grand besoin de vos lumières.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Lors de notre précédente rencontre, je vous avais interrogé sur les politiques énergétique et industrielle européennes. J'ai bien conscience que le problème financier occupe aujourd'hui tout l'espace, mais n'oublions pas que l'esprit européen est né avec la CECA, la communauté européenne du charbon et de l'acier. Que n'a-t-on poursuivi dans cette voie ! Nous aurions gagné plus de coordination. Aujourd'hui, on attend toujours la convergence des politiques énergétiques - y compris allemande... - alors que l'échec de Durban nous conduit tout droit vers un Copenhague bis. Une simple coordination européenne serait déjà un progrès. Or, nous n'avons guère avancé, sur cette question aussi importante pour la survie de la planète que celle de l'alimentaire.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes

J'ai plaisir à vous retrouver pour débattre avec vous de ce nouvel accord, d'abord négocié à dix-sept, puis à « dix-sept plus » et finalement conclu à « vingt-sept moins un », ce qui témoigne déjà du succès de l'initiative franco-allemande. Cela nous amène à réfléchir à de nouvelles étapes.

« L'Europe se fera dans la crise et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », disait déjà Jean Monnet. En ce sens, 2011 aura été une année féconde pour le projet européen. Les mesures déjà prises avaient leurs forces et leurs faiblesses. Le sommet du 9 décembre a introduit la voie nouvelle du traité. Pourquoi ? S'il devait n'être qu'une seule raison, c'est que le MES, qui se substituera à terme au FESF, qui n'a ni les mêmes compétences ni la même pérennité, demande une modification des traités.

Une polémique - qui n'est pas le fait de la Haute Assemblée - a été soulevée sur le rôle du couple franco-allemand, affublé du sobriquet de « Merkozy ». Mais si vingt-six États ont adopté la proposition de la lettre franco-allemande, c'est bien qu'elle allait dans le sens de l'intérêt général ! Le couple franco-allemand a toujours joué un rôle moteur, et beaucoup y adhèrent.

L'attitude de la Grande-Bretagne a suscité une autre polémique, provoquant jubilation chez les uns, consternation chez les autres. Mais c'est sa décision ! Elle a l'avantage d'entraîner une clarification. Car il y a deux visions de l'Europe. D'un côté, celle d'une Europe peu intégrée, relayée par M. Cameron, qui déclarait récemment dans le Times qu'il voulait « moins d'Europe », pas plus qu'il ne veut de taxe sur les transactions financières, dont l'idée a fait son chemin, ni de régulation qui s'appliquerait à la City ; de l'autre, la vision que défend, avec bien d'autres, la France, qui tend vers une Europe plus intégrée. C'est cette dernière qui a prévalu et c'est tant mieux. Cela ne signifie pas que la Grande-Bretagne quitte l'Union. Nous n'y avons, au reste, nul intérêt : elle est un partenaire majeur dans bien des domaines, parmi lesquels la défense.

L'accord du 9 décembre fixe quatre lignes de force. Une gouvernance économique renforcée, tout d'abord. Certains regrettent que l'intergouvernemental, renforcé par la fréquence des réunions, ait pris le pas sur la Commission européenne. J'objecte que cela répond à une logique de l'urgence, mais aussi à une exigence démocratique. Qu'un président élu au suffrage universel s'engage au nom de la France a plus de poids qu'une simple décision de la Commission européenne. Il faut, face à cette crise, de la réactivité, du sang-froid face aux attaques spéculatives - sans perdre de vue le sillon à creuser.

Deuxième ligne de force : aller vers plus de convergence. A mon homologue irlandaise, je disais hier que l'initiative franco-allemande n'altère en rien la souveraineté des États. La convergence est acceptation d'une règle commune, pas une perte de liberté ni de souveraineté. Le pacte pour l'euro plus signifie une gouvernance économique, des rencontres plus fréquentes et une convergence économique et financière, en particulier entre la France et l'Allemagne.

La question de la discipline, troisième axe de l'accord, fait débat. Pourquoi, arguent certains, une règle d'or européenne alors que certains pays en sont déjà dotés et qu'existe le « six pack » ? Mais la règle de discipline budgétaire qu'introduira le traité obligera tous les pays à une transposition nationale. Etant bien entendu que la Cour de justice de l'Union européenne n'aura faculté de s'exprimer que sur ce point, et ne pourra en aucun cas entreprendre de vérifier les budgets nationaux. Les dispositifs antérieurs, sous quelque forme qu'ils aient été adoptés, ont tous été violés. Le traité assure l'inviolabilité. Les règles de discipline seront soumises à sanctions, dont l'automaticité sera cependant atténuée par la majorité qualifiée inversée. Qu'il soit bien clair, enfin, que la règle porte sur les déficits structurels et eux seuls. On n'ira pas sanctionner la Finlande pour le déficit conjoncturel qui pourrait survenir si se détérioraient un jour ses relations avec la Russie en matière d'énergie.

Outre que le mécanisme européen de stabilité sera effectif dès juillet 2012, au lieu de 2013, son fonctionnement est assoupli : il portera plus vite ses fruits. Le FMI se verra attribuer 200 milliards supplémentaires pour faire face à la crise : il s'agit, en passant par lui, d'éviter des procédures plus complexes...

Pourquoi le FESF perdure-t-il ? Parce que cet organisme, hors traité, et qui fonctionne selon un système de garanties, a des engagements. Le MES, qui devra être prévu dans le traité, ne fonctionnera pas par garanties, mais sera doté de 80 milliards et pourra lever des fonds supplémentaires, au bénéfice d'un mécanisme de solidarité, dont la BCE sera, non pas le pivot comme je l'ai entendu dire, mais l'agent d'intervention.

La solidarité, enfin, ligne de force. La France et l'Allemagne ont exprimé des points de vue différents sur le rôle de la BCE. Reste que la BCE, aux termes du Traité, est indépendante : il n'est pas plus légitime de la rappeler à l'orthodoxie que de l'inviter à élargir son rôle. Tenons-nous en aux traités. Ce que l'on constate, c'est que la BCE agit, en coordination avec les banques mondiales, en baissant son taux directeur, en achetant sur le marché secondaire, directement ou indirectement, de la dette souveraine des États en difficulté.

Avec 500 milliards auxquels s'ajoutent les 200 milliards du FMI et l'effet de levier du MES, associés à une stabilité budgétaire contrôlée par les juridictions nationales, nous avons là un mécanisme sûr ; et les difficultés iront décroissant en raison de la nouvelle discipline budgétaire.

Le Conseil a abordé la question de l'approfondissement du marché unique, élément majeur de la croissance ; l'emploi est également inscrit dans l'agenda, avec priorité aux mesures ciblées, vers les jeunes et les plus fragiles, notamment. Tout cela en faveur d'une politique industrielle et commerciale ambitieuse.

L'échec de Durban aura du moins eu une vertu, celle de montrer que les pays européens sont responsables de 11 à 12 % seulement des émissions de gaz à effet de serre ; et si l'on y ajoute ceux qui sont prêts à les rejoindre dans leur volonté de contrôle des émissions, on ne dépasse pas les 16 %. Autrement dit, si l'on n'accroche pas les grands pays émergents, dont la Chine ainsi que les États-Unis, on ne contrôlera pas grand-chose. Mais Durban nous évite de tomber, avec la fin de Kyoto, dans un vide juridique. Nous entrons, à compter du 1er janvier 2013, dans une période intermédiaire : le processus est lancé pour rechercher un accord juridique plus contraignant à l'horizon 2015.

Un mot sur l'élargissement, enfin. Si le calendrier pour la Serbie et le Monténégro a été légèrement décalé, la France a maintenu sa position constante : les Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l'Union.

L'accord du 9 décembre est un bon accord. Lui opposer qu'un traité à vingt-six ne saurait engager les institutions des Vingt-sept ne tient pas. Il existe des précédents. Et dans la stricte orthodoxie de Lisbonne, les États qui le souhaitent ont le droit d'aller plus loin, dans le respect du traité fondamental à Vingt-sept. C'est ce que l'on fait, ici, pour la discipline budgétaire et les mécanismes de solidarité.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

En marge du Conseil a été signé le traité d'adhésion de la Croatie. Cela vaut de le signaler. Je rappelle que notre assemblée avait voté à l'unanimité une proposition de résolution en faveur de cette adhésion. Il serait souhaitable que le gouvernement dépose sans délai, dès après le référendum croate, un projet de loi de ratification : vous savez combien notre calendrier est cette année serré.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Le sommet de Durban aura été doublement négatif : il a échoué, et le prochain sommet se tiendra au Qatar...

La question se pose de la perte de notre triple A. Comment envisagez-vous les lendemains ?

De sommet en sommet, on s'emploie à apaiser les inquiétudes des marchés, sans apporter de réponses de fond. Il faudra bien à un moment poser les valises, et réactiver cette Europe que vous évoquiez, celle qui se construit dans les crises. Vous citiez Jean Monnet, je citerai Edgar Morin : « à force d'oublier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ». Or l'essentiel est bien dans la question des peuples. Que fait-on pour ceux qui souffrent de la crise ? Les dirigeants ne s'adressent qu'aux marchés, mais pas aux États, ni aux Européens. On a oublié l'Europe des peuples et des citoyens. A l'oublier toujours, on court le risque d'une crise majeure de la démocratie européenne, qui sera plus difficile à résoudre que la crise financière...

Nous avons l'impérieuse nécessité de soutenir la croissance européenne. Car comment rembourser sans croissance une dette qui ne cesse, pour certains, et peut-être bientôt pour tous, de s'enfler de l'augmentation des taux exigés du marché ? Le prochain sommet abordera-t-il enfin cette question, qui est celle de la solidarité entre les États et, au sein des États, entre les peuples ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Il est vrai que l'attitude de la Grande Bretagne qui, depuis toujours, joue de l'ambiguïté et de l'incohérence, clarifie les choses. Y aura-t-il, cependant, des conséquences sur les négociations du cadre budgétaire 2014-2020 et sur la PAC ?

Pour la BCE, il faut à mon sens envisager dorénavant son architecture et son fonctionnement au travers du traité de Lisbonne plutôt que de Maastricht. C'est une institution qui doit faire preuve d'une « coopération loyale » avec les autres institutions. Oui, la BCE achète de la dette souveraine, M. Christian Noyer l'a reconnu, mais n'est-il pas temps de dire clairement ce qu'elle est ? Elle est indépendante, ce qui ne lui interdit rien, comme vous l'avez rappelé, et elle doit coopérer avec les autres institutions, en tout cas ne pas entrer en contradiction avec elles. Voilà qui n'est pas si différent, ainsi exprimé, du rôle que jouent en pratique la Fed ou la Banque d'Angleterre : j'observe que les États-Unis, malgré leur dette considérable, ne sont pas attaqués, comme l'Union européenne, par les marchés. Ne serait-il pas bon de communiquer sur l'action de la BCE pour calmer les marchés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Un rapport de notre commission de l'économie témoigne des inquiétudes que suscite le « paquet Almunia », relatif aux services d'intérêt économique général (SIEG), qui étend les pouvoirs de la Commission européenne sur les États membres. Une directive-cadre serait préférable. Quelle est la position du gouvernement ?

Quels effets auront sur les collectivités territoriales les discussions européennes sur la mise en oeuvre de Bâle III ? Je pense, en particulier, à la question des prêts de long terme...

Vous n'avez rien dit du Parlement européen. Le traité de Lisbonne autorise les coopérations renforcées, sous réserve qu'elles restent adossées aux structures communautaires. On ne saurait contourner le Parlement européen par un traité intergouvernemental. Comment sera-t-il consulté ? Quelles sont, pour la France, les intentions du Gouvernement sur la consultation du Parlement, ou du peuple ?

La relance de la croissance ? Mais rien, dans cet accord, ne la favorise, c'est même l'inverse. Le Gouvernement entend-il peser sur l'Allemagne, pour que cet axe soit mis au coeur de la volonté politique européenne ? Se pose alors la question de la taxe sur les mouvements de capitaux, celle, aussi, des politiques industrielles, moins consensuelle. Or, la seule chose sur laquelle vous semblez compter pour relancer la croissance, c'est le marché unique. Et cela ne date pas d'hier, mais de 1992, avec l'Acte unique, depuis quoi les pays de l'Union connaissent les taux de progression du PIB les plus bas de leur histoire.

L'évolution du statut et de l'action de la BCE ? On n'évitera pas, vu l'endettement, que la BCE rachète la dette et la monétarise. On n'a pas vu d'autre solution dans l'Histoire, sauf la guerre... L'indépendance ? Le chancelier Kohl, au temps de la réunification, n'a-t-il pas imposé à la Bundesbank fort réticente, la parité de l'ostmark et du mark? N'est-ce pas là un argument que l'Allemagne peut entendre ?... Et puis, la France souffre d'une dissymétrie dans le rapport de force. En Allemagne, quand le gouvernement est embarrassé par les exigences de ses partenaires, il se réfère à l'arrêt de la Cour de Karlsruhe qui lui interdit de s'engager sans l'accord du Bundestag. Ce n'est pas le cas en France. Il ne serait pas mal avisé de demander à l'Allemagne de supprimer cette disposition de sa loi fondamentale, ou d'en intégrer une semblable dans notre Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

A Durban, l'Europe a tout de même repris le leadership qu'elle avait perdu à Copenhague. Elle a su, en dépit de sa fragilité actuelle, faire éclater le « G77 » qui menait la danse. L'heure n'est pas à se demander si le verre est à moitié vide ou à moitié plein, mais à trouver le moyen de mettre en marche au plus vite un accord contraignant. La France s'engagera-t-elle, avec la présidence danoise, dans une dynamique européenne post Durban ? Car le scénario business as usual nous amène à une situation où la tonne de CO2 ne vaut plus rien. Il faut en relever le prix. Si les Canadiens se sont retirés du marché carbone, nous avons réussi à le sauver au moins pour l'Europe : la France viendra-t-elle en soutien des positions danoises, pour relever les objectifs de l'Union européenne ? Ne doit-on pas à nouveau alimenter le fonds vert par le marché des droits à polluer ? La taxe sur les transactions financières est plus que jamais d'actualité. Ne serait-ce pas aussi une recette qui pourrait alimenter la dynamique climat ? Ce serait l'occasion pour la France de racheter ses ambiguïtés du passé, quand certains plaidaient pour un taux de 30 au lieu de 20...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

J'aimerais vous entendre éclairer, monsieur le ministre, la cinquième disposition de l'accord du 9 décembre, sur l'application des règles relatives aux déficits excessifs. Vous avez parlé d'un traité « intergouvernemental ». De quoi s'agit-il, en droit ? Où voyez-vous que le traité de l'Union européenne prévoie une telle chose ? Il précise bien quelles décisions sont du domaine du Conseil, comment peut être modifié le traité, mais il ne dit rien de cette nouvelle catégorie de traité... De même notre droit interne ne connaît que des traités, donnant lieu à ratification, et des accords administratifs.

Se pose, du même coup, la question de la sanction. Quelle base légale pour l'imposer aux États en défaut ? Cela n'est donc pas possible sans modification du « vrai » traité. Nous sommes là dans un entre-deux dont je vois mal qu'il devienne aisément effectif.

Un mot sur le point 6 de cet accord, enfin, qui évoque un « accueil favorable » à la coordination des politiques fiscales. Le Gouvernement entend-il poursuivre jusqu'à conclusion d'un engagement collectif d'une partie des États de l'Union, par exemple dans une coopération renforcée, pour une coordination effective des politiques fiscales ? Ce qui suppose la mise au point de normes conjointes sur l'assiette des impôts et un accord sur des fourchettes de taux, sinon, que signifierait le terme de coordination des politiques fiscales ?

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Je vous remercie de la pertinence de vos questions. La phrase d'Edgar Morin que vous avez citée, monsieur Vaugrenard, figure en bonne place au mur de mon bureau : je ne saurais l'oublier, pas plus que l'essentiel ne doit faire oublier l'urgence.

Notre triple A peut perdurer. Au reste, la menace qui pèse sur la France s'est élargie à l'ensemble de la zone euro. Ce n'est pas une consolation, mais une injonction à travailler ensemble. Personne ne peut s'en sortir seul. Je n'ai de cesse de contester l'objectivité et la transparence des agences de notation, mais ce sera du moins leur seul mérite que d'avoir mis cette évidence en lumière. Si, maintenant, son triple A est entamé, la France n'en fera pas un deuil prolongé, d'autant que l'altération serait globale et que des mécanismes de discipline et de solidarité propres à soutenir la croissance, l'emploi et la compétitivité ont été trouvés.

L'Europe des peuples, dites-vous ? Mais quand la maison brûle, il faut commencer par actionner la pompe à incendie, avant de songer à réaménager l'intérieur. Oui, l'Europe se construit dans les crises, et celles-ci lui donnent la force de projeter une nouvelle Union européenne dans un nouveau monde. Est-il normal que le budget européen soit fait d'une contribution des États qui en attendent, de ce fait, un retour ? Pour une Europe plus vigoureuse et plus démocratique, il faut des ressources propres à son budget, taxe sur les transactions financières ou taxe carbone. Il est frustrant pour les parlements nationaux d'être condamnés à voter un prélèvement sans en connaître l'affectation, et pour le Parlement européen de discuter du contenu du budget européen, mais non des recettes.

La question des ressources propres pose, indirectement, celle de la réciprocité. L'Europe s'impose des normes sociales et environnementales : elle est en droit d'exiger que les produits qui passent ses frontières y répondent. Comment sont-ils fabriqués, par des êtres de quel âge, quelle est leur toxicité, leur durabilité ? Voilà une frontière qui n'est pas un mur pour se protéger, mais un appel à la concurrence loyale, et un message de réciprocité : nous croyons à la valeur des normes que nous nous imposons à nous-mêmes.

Oui, la croissance est l'objectif premier. Mais les États n'ont plus comme en 2008 les moyens d'une politique de relance. Alors qu'ils doivent s'imposer la discipline, c'est au budget européen de prendre le relais, pour libérer l'innovation, pousser le brevet européen, qui doit donner à l'Europe les moyens de la compétitivité. Une politique industrielle forte doit être développée, autour de l'énergie verte, du numérique, pour offrir à l'Europe en ces domaines une place de leader dans la compétition mondiale. Les projets comme ITER, voté par le Parlement européen à une large majorité, GEMS - qui inclut Galileo - doivent être accélérés, via une réorientation du budget européen, au service d'une seule obsession : la croissance européenne, qui doit venir à l'appui des politiques budgétaires nationales, pour faire de notre continent une zone de développement équilibré et d'innovation.

Le retrait de la Grande-Bretagne, monsieur Bizet, aura-t-il des effets sur la PAC, dont on sait que les Britanniques ne sont pas les plus ardents défenseurs ? Non, car les Perspectives financières 2014-2020 demeurent, qui intègrent une stabilisation de la PAC.

La BCE n'est pas comparable à la Fed, même s'il est vrai que le traité de l'Union européenne prévoit sa « coopération loyale ». Je ne suis pas sûr que déclarer ce qu'elle est en pratique, dans une logique nominaliste, changerait la donne. Reste que l'on n'a pas trouvé la BCE en défaut. Si elle devenait prêteur de dernier recours, je ne suis pas sûr que cela calmerait les marchés : les disparités économiques ont plus de poids que l'action de la BCE. L'accord du 9 décembre, cependant, délivre un message positif.

J'ai dit à M. Almunia, madame Lienemann, nos inquiétudes au sujet des services économiques d'intérêt général et la question a été évoquée au Conseil Compétitivité, sur demande de la France et de cinq autres États membres. Notre objectif est, sans entraver la compétitivité en Europe, de ne pas entamer le service public à la française. Le critère des 10 000 habitants doit être supprimé. J'ai demandé pourquoi le montant de 30 millions d'euros passait brusquement à 15, sans argument. J'ai relayé les inquiétudes de l'AMF. Le commissaire m'a répondu qu'il essaierait de répondre, notamment sur les effets de seuil. Oui, l'interprétation de la subsidiarité est abusive et le flou demeure sur la question de l'« efficience » des services publics. M. Juppé a adressé une note pour appuyer, à haut niveau, les demandes de la France. Hélas, il s'agit d'une décision de la Commission seule... Comme quoi l'intergouvernemental n'a pas que du mauvais : il s'appuie sur une légitimité populaire, et la recherche du consensus prévaut...

Bâle III ne doit pas altérer les liquidités des collectivités territoriales, qui ont du mal à s'alimenter. C'est pourquoi le ratio ne sera pas contraignant dans un premier temps. Nous travaillons à d'autres assouplissements. Et je rappelle que le Gouvernement a débloqué une enveloppe de 5 milliards pour les besoins immédiats des collectivités.

Si je n'ai pas évoqué le Parlement européen, c'est que je rendais compte d'un sommet, qui n'est pas dans le domaine parlementaire. Cependant, pour moi, il faut réfléchir au rôle, non seulement du Parlement européen, mais des parlements nationaux, qui doivent être mieux associés.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

J'ai interrogé le président du Sénat, qui m'a indiqué qu'il saisirait en ce sens le Premier ministre : on ne peut avancer sur la question de la zone euro sans associer les parlements nationaux.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Les parlements nationaux sont étroitement associés aux traités, puisqu'ils les votent.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Au-delà des traités, il existe de nombreuses décisions auxquelles les parlements doivent être mieux associés.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Monsieur Dantec, dès que le nouveau gouvernement a été constitué au Danemark, je me suis rendu sur place pour savoir quelles seraient les orientations de la prochaine présidence de l'Union. Outre la préparation des Perspectives 2014-2020, il y a la protection de l'environnement et la France soutiendra le Danemark dans cette entreprise. Montrons que l'Union européenne est à la pointe du développement durable. A terme, des mesures contraignantes à nos frontières seraient bienvenues pour persuader les États tiers de la nécessité d'un développement économique harmonieux. La taxe sur les transactions financières a déjà été affectée à la mise en oeuvre des directives climat, au développement, au fonctionnement de l'Union européenne et à plusieurs autres objets. Le président de la République l'a dit, cette taxe est une obligation politique, morale et économique. Mais n'entrons pas dans ce travers bien français : nous ne pourrons la consacrer... à tout !

M. Alain Richard a soulevé les problèmes les plus complexes : la règle sur les déficits excessifs est devenue obligatoire ; mais souplesse nouvelle, la sanction est prononcée à la majorité qualifiée renversée. Quelle forme prendra-t-elle, retour financier, suspension des financements, et quelles modalités, procédure directe ou alerte préalable ? Nos services y travaillent.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Mais où est l'obligation ? Cet accord n'est pas un traité !

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Ce sera un traité, notamment pour cette raison. Il peut être signé à moins de vingt-sept États, dés lors qu'il n'altère pas les compétences exercées à vingt-sept qui figurent dans le traité de Lisbonne.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

C'est plutôt une interprétation.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

C'est la seule bonne réponse si l'on veut que la mesure s'applique.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

C'est l'éventualité la plus probable parce que la plus sûre juridiquement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Et pour cause, puisqu'aucune autre ne pourrait fonctionner.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Le système Schengen, avant d'être communautarisé, était un traité international.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Pourquoi n'avoir pas choisi la coopération renforcée ?

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

La coopération renforcée a l'avantage d'exister et de ne pas exiger de traité. Mais elle n'a pas la même force contraignante qu'un traité. Et puis le MES, de toute façon, nous impose un traité... Restera un problème : comment fonctionner à vingt-quatre ou vingt-six dans le cadre d'institutions à vingt-sept ? Les juristes y réfléchissent.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Toutes les politiques fiscales doivent-elles être impérativement coordonnées ? Je ne le crois pas, mais l'harmonisation de l'assiette et de la fourchette des taux est souhaitable. Concernant l'impôt sur les sociétés, la France et l'Allemagne travaillent sur ces deux aspects.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Les Anglais rejettent les mesures préparées par le commissaire européen Michel Barnier, qui portaient sur les fonds propres, la transparence, la supervision ou les ventes à découvert. Quelle efficacité auront ces nouvelles règles si Londres ne les applique pas ?

La confédération européenne des syndicats, qui réunit toutes les grandes centrales, a protesté cette semaine contre des politiques élaborées sans les salariés - mais qui ne peuvent réussir sans eux. On parle beaucoup aux agences de notation, bien peu aux syndicats. Quand cela changera-t-il ?

Le nouvel accord ne me paraît pas être un véritable traité, mais un traité sui generis, qui utiliserait les institutions de l'Union européenne en contournant l'opposition de la Grande-Bretagne : sur Schengen, notre partenaire avait observé une neutralité bienveillante, mais ici ce n'est pas le cas ! Les juristes du Conseil européen, de la Commission européenne s'arrachent les cheveux et en perdent leur latin. D'autant que la ratification n'est pas assurée partout.

Enfin, pourquoi passer par les « gnomes de Washington », le FMI au lieu d'utiliser les 200 milliards d'euros dans le cadre du FESF ou du MES ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Quels obstacles techniques, juridiques et politiques s'opposent à l'élaboration d'une règle d'or à l'échelle européenne ?

Les États membres sont très endettés, l'Union européenne ne l'est pas du tout. C'est donc à ce niveau qu'une relance est possible. Pourquoi ne pas remonter les dépenses correspondantes à l'échelon européen, afin de restaurer la croissance et donner à chaque État une marge pour réduire son endettement ?

Un budget européen alimenté par 1 % du RNB de chaque État membre, ce n'est plus crédible. Il faut le porter au-dessus de 1 % et accroître la part des ressources propres, aujourd'hui bien insuffisantes - 14 % du total - pour que l'on puisse parler d'intégration européenne.

Deux conceptions de l'Europe opposent le Royaume-Uni et les autres Etats membres, mais parmi ces derniers, il y a les tenants d'une construction intergouvernementale et ceux qui estiment que le mode fédéral apportera plus de sécurité et une construction plus solide. L'accord qui vient d'être signé doit encore recueillir la ratification de 40 assemblées parlementaires : l'accord du 21 juillet 2011, quand il a achevé ce parcours, était déjà obsolète, il a été remplacé par l'accord du 26 octobre... A plus long terme, nous devrons bien faire ce saut fédéral que certains condamnent trop définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Yann Gaillard

Je me rendrai sans doute en Serbie et au Monténégro avec la commission des affaires européennes. Que pouvons-nous leur dire : le gouvernement français voit-il avec bienveillance ou méfiance les possibles élargissements ? Question sentimentale, mais qui me tient à coeur.

Debut de section - Permalien
Jean Leonetti, ministre

Je me suis rendu en Serbie. La France appuie cette candidature. En face de l'ambassade de France à Belgrade, dans un jardin public, un monument commémoratif de la guerre de 1914-1918 porte cette inscription, en serbe et en français : « souviens-toi de l'amitié de la France et aime la France comme elle t'a aimé ». L'attache entre nos peuples, vous avez raison de le souligner, est sentimentale. Aidons ce pays francophile ! Et stabilisons la situation dans les Balkans occidentaux, apportons-leur la paix. Car il ne faut pas oublier le conflit qui persiste au Nord-Kosovo. Et si le gouvernement serbe actuel est pro-européen, l'opposition est nationaliste. Des signaux positifs nous ont été adressés : coopération totale avec le tribunal pénal international, levée des barricades au Nord-Kosovo, reprise du dialogue avec Pristina... Le Conseil européen a reporté de trois mois son avis sur la candidature serbe, après les incidents aux frontières entre les Serbes et les troupes allemandes et autrichiennes de la KFOR. Mais la France continue de soutenir la candidature et d'accompagner les efforts de dialogue avec le Kosovo. C'est justice pour ce grand pays, qui abrite un grand peuple. La guerre n'est plus possible dans les Balkans, parce qu'ils sont dans l'Europe, voilà ce que nous leur disons en acceptant leurs candidatures.

La Croatie entre dans l'Union européenne après un long parcours - sept ans pour obtenir la candidature, sept autres pour l'adhésion. Les Balkans occidentaux dans leur ensemble ont vocation à entrer dans l'Union européenne, à la différence des pays du Partenariat oriental. S'agissant du Monténégro, je dirai que des lois importantes ont été votées, mais qu'il reste à faire respecter l'Etat de droit et à lutter contre la corruption. Le pays a déjà le statut de candidat, mais les négociations d'adhésion ont été reportées.

Vukovar, à la limite entre la Croatie et la Serbie, fut pilonné par les forces serbes, qui vidèrent l'hôpital, massacrèrent tous les hommes, les malades, les femmes enceintes, pour accomplir l'épuration ethnique. Le pays a subi vingt ans de répressions inimaginables. Aujourd'hui, nous devons aider les ennemis d'hier à fraterniser à nouveau : tâche d'autant plus lourde que les voisins qui s'entretuaient avaient cohabité paisiblement durant des années. A présent, nous leur apportons des perspectives européennes stables, des perspectives de paix. Et un message : plus de guerre possible avec l'entrée dans l'Europe.

Quand franchit-on, monsieur Bernard-Reymond, le pas fédéral, quand est-on encore sous un autre régime ? En adoptant la gouvernance économique proposée par la France, les États membres ont-ils perdu leur souveraineté ? Ils ont mis en commun solidarité et discipline, souveraineté également, mais c'est une façon de renforcer la liberté et de se rendre plus forts pour affronter la crise.

Si l'Union européenne n'est pas endettée, c'est qu'elle n'a pas le droit de l'être, n'y voyons ni vertu ni victoire. En revanche, si les ressources propres s'accroissaient, les budgets nationaux seraient moins sollicités.

Londres, monsieur Yung, demandait une dérogation aux nouvelles règles. Il était bien sûr inacceptable de réguler partout sauf à la City. Le retrait anglais ne nous empêchera pas de mettre en place la taxe sur les transactions financières. Les propositions Barnier sur le marché intérieur, la régulation financière et les agences de notation, pour être adoptées, doivent recueillir une majorité qualifiée ; les Britanniques ne disposent donc pas d'un droit de veto.

Des difficultés de ratification du futur traité, certainement ! A la fin, nous ne serons peut-être plus vingt-six. Ce ne sera pas un drame. Mieux vaudrait certes que les dix-sept de la zone euro ratifient : je crois que ce sera le cas.

Ce ne sont pas les États membres directement, mais les banques centrales nationales, qui alimenteront le FMI. Le mécanisme n'a rien à voir avec le MES ni le FESF.

Dans les Perspectives financières 2014-2020 ne figureraient pas les grands projets européens GMES et ITER, fleurons les plus brillants de la compétitivité européenne. Ils seraient placés en dehors. La France n'est pas d'accord. La sincérité du budget européen en serait affectée.

On a peu souligné, dans les divers commentaires de l'accord intervenu, la suppression du « private sector involvement » ou PSI qui avait été utilisé pour la Grèce. Les fonds privés avaient alors été requis en raison de l'urgence et de la catastrophe. Or la restructuration de la dette grecque, tout en diminuant la dette des banques, a altéré la confiance des marchés financiers à l'égard de ce type de procédures. Nous n'aurions pu y recourir à nouveau...

Voilà les réflexions et réponses que je voulais vous faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Nous vous remercions pour les nombreuses précisions que vous nous avez apportées.