Intervention de Yannick Botrel

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Économie finances et fiscalité -déclaration normalisée de la tva : proposition de résolution portant avis motivé de m. yannick botrel

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Mes chers collègues, vous avez bien voulu me charger de vérifier si la proposition de directive créant une déclaration de TVA normalisée pouvait contrevenir au principe de subsidiarité.

La TVA, impôt de conception française - dû à l'imagination d'un haut fonctionnaire de la DGI - institué en 1954 puis importé sans droit ni taxe un peu partout dans le monde, fait partie aujourd'hui de l'acquis communautaire. Chacun sait que c'est une taxe perçue sur le prix de vente des biens et des services qui est payée par le consommateur final puisque le principe de la TVA veut que les entreprises collectent la TVA lorsqu'elles vendent des produits et des services et qu'elles déduisent ensuite la TVA qu'elles ont elles-mêmes payée lorsqu'elles ont acheté des biens et des services à d'autres entreprises et enfin reversent le solde à l'État. Ce principe simple devient complexe dès que les échanges se multiplient entre entreprises de pays différents.

En matière de fiscalité au sein de l'Union européenne, deux principes antithétiques s'affrontent. En vue d'assurer l'établissement d'un marché intérieur unique au sein de l'Union européenne, les États membres s'efforcent, sans hâte, depuis des années, d'harmoniser leurs législations fiscales. Mais la fiscalité reste un symbole de souveraineté qui relève essentiellement de la compétence des États membres et l'unanimité est la règle, chaque État disposant donc d'un droit de veto.

Pour la TVA, une assiette commune a été trouvée, mais les taux ne sont pas harmonisés mais seulement encadrés, pas plus que les formalités pratiques pour la perception de la TVA.

C'est pourquoi, la Commission européenne a proposé le 23 octobre 2013 l'introduction d'une déclaration de TVA normalisée qui permettrait de diminuer les coûts pour les entreprises de l'UE d'un montant pouvant aller, selon elle, jusqu'à 15 milliards d'euros par an.

Toujours selon la Commission, l'objectif est de réduire les formalités administratives à accomplir par les entreprises, de faciliter le respect des obligations fiscales et de rendre plus efficace le travail des administrations fiscales dans l'UE. La déclaration de TVA normalisée se propose de remplacer les déclarations nationales et de garantir que toutes les entreprises de l'UE fournissent les mêmes informations de base dans les mêmes délais.

En effet, le principe même de la TVA exige des entreprises qu'elles remplissent des déclarations de TVA périodiques contenant les informations nécessaires pour le paiement et le contrôle de la TVA, ce qui peut se révéler particulièrement complexe quand ces déclarations sont déposées dans plusieurs États membres. Cette complexité provient du niveau d'exigence de chaque administration fiscale nationale, des différentes informations à fournir, de la non harmonisation des définitions, du manque d'orientations communes appropriées et des divergences des règles et procédures de dépôt. Tous ces facteurs entraînent une augmentation de la charge du travail administratif et non productif pesant sur les entreprises ; ils nuisent à la précision des déclarations de TVA, au respect des délais et ils finissent par entraver les échanges transfrontaliers.

Partant de ces constatations, la Commission veut imposer une déclaration de TVA normalisée. Cette déclaration normalisée qui serait obligatoire pour tous les États membres et pour toutes les entreprises prévoit une liste d'informations avec un nombre restreint d'éléments. La Commission fonde sa proposition sur l'article 113 du TFUE dans la mesure où une harmonisation est nécessaire pour assurer le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence.

La proposition de directive se fixe plusieurs objectifs dont voici les cinq principaux :

1) permettre à toutes les entreprises de fournir des informations normalisées à chaque État dans un format commun afin que les données de la déclaration de TVA soient identiques pour l'ensemble des États membres, soit 26 champs d'informations dont seuls 5 seraient obligatoires, les États membres pouvant dispenser leurs entreprises des 21 autres ; dans certains cas particuliers très précis, les États membres pourront exiger des informations allant au-delà de ces 26 champs d'informations normalisées.

2) la périodicité des déclarations sera uniformisée et le paiement de la TVA interviendra à l'échéance de dépôt de la déclaration de TVA, ce qui signifie que le paiement par acompte serait supprimé ;

3) les délais de dépôt seront harmonisés : la date limite de dépôt ne pourra pas excéder deux mois à compter de la fin de chaque période imposable ;

4) les procédures de correction des déclarations de TVA seront identiques ;

5) une norme commune de transmission électronique des déclarations de TVA sera mise en oeuvre au niveau communautaire.

Il est permis d'avoir des doutes sur la pertinence de la proposition de la Commission.

En effet, il convient de remarquer qu'en ce qui concerne la France, la déclaration de TVA telle qu'elle existe aujourd'hui contient plus de 26 champs à renseigner et que leur définition est souvent plus précise que celle retenue par la Commission. La normalisation proposée risque d'entraver l'efficacité de la lutte contre la fraude à la TVA, car les services fiscaux disposeront de moins d'informations.

Certes, aux termes de la proposition de directive, les États membres pourront exiger des informations complémentaires mais seulement sur certains territoires et pour certains régimes particuliers. La liste de ces informations complémentaires serait fixée par la procédure de comitologie, donc contrôlée par la Commission elle-même.

En outre, cette proposition supprime la possibilité laissée aux États de choisir une autre date de paiement que celle établie par la règle générale selon laquelle le paiement de la TVA intervient au moment du dépôt de la déclaration de TVA.

On peut regretter aussi que le paiement par acompte soit supprimé et que la déclaration doive être déposée au plus tard à la fin du mois suivant la période imposable. En France, les délais de dépôt sont plus longs et peuvent atteindre cinq mois.

Au total, le texte proposé par la Commission entraînera un recul des possibilités de contrôle pour les États membres et la suppression de certaines souplesses pour les entreprises.

La Commission européenne avait dans un premier temps envisagé de ne pas soumettre ce texte au contrôle de subsidiarité en avançant qu'elle possédait une compétence exclusive en matière de TVA. En effet, le principe de subsidiarité ne s'applique pas dans le cas d'une compétence exclusive de l'Union. Mais il faut reconnaître que la TVA est en fait une compétence partagée avec les États membres. L'Allemagne s'en étant émue, la Commission européenne a finalement transmis ce texte le 7 novembre dernier aux fins de contrôle de subsidiarité.

On doit par ailleurs remarquer que l'article 113 du TFUE ne donne de compétence à l'Union que pour les règles de fond de la TVA et non pour les procédures d'encaissement de cet impôt.

Le progrès dans l'harmonisation proposé par la Commission européenne resterait de toute manière incomplet puisque seuls 5 champs d'information seraient obligatoires et 21 seraient optionnels.

La déclaration normalisée paraît la plus mal adaptée à la situation des petites entreprises soumises à un régime simplifié d'imposition et qui peuvent déposer une déclaration annuelle de TVA sur laquelle s'imputent les acomptes versés au cours de la période d'imposition ; la directive risquerait de se traduire par un alourdissement de leurs charges administratives.

La réduction de quatre à deux mois du délai maximal de dépôt de la déclaration de TVA pénaliserait également les petites entreprises.

L'article 5 du traité sur l'Union européenne dispose que, en vertu du principe de subsidiarité, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée peuvent être mieux atteints par une action de l'Union. Autrement dit, l'intervention de l'Union doit apporter une plus-value indiscutable.

En l'occurrence, la plus-value apportée par l'intervention de l'Union paraît incertaine :

- l'harmonisation reste limitée,

- la capacité d'adaptation aux situations nationales se trouve réduite,

- le contrôle risque d'être rendu plus difficile dans un domaine où la fraude est importante,

- la situation spécifique des petites entreprises n'est pas suffisamment prise en compte.

C'est le sens du projet d'avis motivé que je vous soumets, dont l'inspiration est d'ailleurs proche du texte adopté par nos collègues du Bundesrat allemand.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion