Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 février 2015 à 15h35
Justice et affaires intérieures — Espace schengen - communication de m. andré reichardt

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Dans cette première communication que je vais vous livrer après avoir été chargé par notre commission de travailler sur l'espace Schengen, je m'en tiendrai à un état des lieux et à quelques recommandations de principe. Après avoir procédé à un rappel sur les textes fondateurs, puis vous avoir livré la teneur du sixième rapport semestriel sur le fonctionnement de l'espace Schengen, couvrant la période du 1er mai au 31 octobre 2014, je centrerai mon propos sur deux éléments essentiels des discussions récentes, soit l'opportunité d'une révision du code Frontières Schengen et le système d'information Schengen II.

L'accord de Schengen du 14 juin 1985 conclu entre la France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg a engagé une démarche de suppression progressive des contrôles aux frontières intérieures pour permettre la libre circulation des personnes, quelle que soit leur nationalité, et a parallèlement renforcé les contrôles aux frontières extérieures pour maintenir la sécurité dans l'espace Schengen.

La Convention d'application de l'accord de Schengen a été signée le 19 juin 1990 et est entrée en vigueur le 26 mars 1995.

Le règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établit un Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit Code Frontières Schengen, qui a codifié, en grande partie, ces dispositions. Ce code prévoit notamment l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes ou aéroportuaires entre les États membres de l'espace Schengen ; les règles relatives au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l'espace Schengen ; les règles applicables au rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Ce dispositif, on le verra, a été complété par le règlement du 22 octobre 2013 permettant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union dans des circonstances exceptionnelles.

Notons encore qu'en application du traité d'Amsterdam, en 1997, le dispositif Schengen initié hors du cadre communautaire par le biais d'un accord de type intergouvernemental, a été intégré au sein du cadre juridique de l'Union européenne à compter du 1er mai 1999.

La France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ont été les premiers signataires des accords en 1985. Les pays de l'Union européenne ont ensuite suivi, à différentes dates, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande, qui participent néanmoins à certains instruments comme le SIS ou la coopération judiciaire et pénale. Ne sont pas non plus dans Schengen la Croatie, entrée dans l'Union européenne au 1er juillet 2013, ainsi que Chypre, la Bulgarie, la Roumanie. Inversement, l'Islande et la Norvège, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, sont néanmoins partie à la convention en raison d'accords de libre circulation qui les lient aux autres pays nordiques, de même que la Suisse et le Liechtenstein.

J'en viens au sixième rapport semestriel de la Commission européenne sur le fonctionnement de l'espace Schengen, qui couvre la période du 1er mai au 31 octobre 2014.

La Commission a, d'abord, évoqué la situation aux frontières extérieures de l'espace Schengen en mettant l'accent sur l'intensification de la pression migratoire.

Les détections de franchissements irréguliers des frontières par l'Italie - notamment dans le cadre de son opération maritime Mare Nostrum entre octobre 2013 et décembre 2014 - ont été six fois plus nombreuses que l'année dernière sur la même période. Sur les seuls mois de mai, juin et juillet 2014, les franchissements irréguliers détectés étaient au nombre de plus de 81 000 soient plus de deux fois et demi le chiffre de 31 401 constaté sur la même période en 2013, lequel était déjà très en hausse par rapport à 2012.

La principale route migratoire a été la Méditerranée centrale : 48 000 détections de franchissements irréguliers sur la période mai - juillet 2014, soit un nombre cinq fois supérieur à ce qu'il était en 2013 sur la même période.

Deuxième route migratoire, celle de la Méditerranée orientale où le nombre de détections a doublé par rapport à la même période en 2013 avec en particulier une augmentation des détections sur les frontières grecques.

En troisième position vient la route des Pouilles et de la Calabre, avec un nombre de détections quasiment multiplié par neuf pour dépasser 13 000 ! De plus en plus d'embarcations arrivent, de fait, par le sud de l'Italie.

La Commission fait observer que depuis le début de la crise en Ukraine, le nombre de franchissements clandestins détectés sur cette frontière terrestre extérieure est resté faible, même si le nombre des demandes d'asile émanant de ressortissants ukrainiens - 2 500 - a été multiplié par douze par rapport à la même période de 2013. La poussée à laquelle on s'attendait n'a donc pas lieu.

S'agissant de la question du retour dans l'Union européenne de combattants en provenance de Syrie, la communication de l'Union européenne, rédigée au mois de novembre 2014, estimait que ce phénomène constituait « un défi pour les États membres, notamment pour ce qui est de leur détection aux frontières extérieures ». Mais elle était convaincue que le cadre juridique existant permettait « de répondre efficacement à cette menace, tant en ce qui concerne le contrôle des personnes que celui des documents de voyage, et qu'il devait être pleinement exploité ». Propos qui nous interpellent alors que les réfugiés syriens arrivent en masse.

En ce qui concerne les séjours illégaux détectés à l'intérieur de l'espace Schengen, la Commission a estimé que leur nombre avait augmenté, sur la période allant de mai à juillet 2014, de 35 % par rapport à la période correspondante de 2013, soit environ 108 700. Les principaux pays concernés étaient la Suède suivie de l'Allemagne, de la France et de l'Espagne. Elle fait observer que de nombreux pays ne transmettent pas toujours les statistiques relatives aux déplacements des illégaux à l'intérieur de l'espace Schengen. L'opération Mos Maiorum, opération la plus récente de collecte d'information sur les flux migratoires dans l'espace Schengen, s'est déroulée sous la présidence italienne du 13 au 26 octobre 2014. Elle a permis de réunir des informations importantes sur les principaux itinéraires des migrants clandestins et sur les modes opératoires des réseaux criminels qui les font entrer dans l'Union européenne. Hors cela, on n'a pas le sentiment que les pays de l'Union européenne mènent les travaux propres à connaître et maîtriser ces flux.

À la suite des attentats meurtriers du mois de janvier en France, la question de l'opportunité d'une révision du code Schengen s'est réintroduite en force dans le débat public. La question d'une réintroduction des contrôles aux frontières intérieures des États membres de l'espace Schengen est posée.

Quel est l'état du droit ? le Code Frontières Schengen, dans sa version de 2006, prévoit, dans son article 23, paragraphe 1, qu'« en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, un État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures durant une période limitée d'une durée maximale de 30 jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à 30 jours » étant entendu que « l'étendue et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave ».

La nouvelle rédaction du Code Frontières 2013 a confirmé ces dispositions en précisant en outre que le rétablissement exceptionnel du contrôle peut ne concerner que certains tronçons spécifiques des frontières intérieures de l'État intéressé.

Le Code Frontières de 2006 prévoyait une procédure dans les cas nécessitant une action urgente. Le nouvel article 25 issu du règlement de 2013 crée une procédure spécifique dans les cas requérant une action immédiate. Quant au nouvel article 26, il institue une procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures.

Je n'entrerai pas dans le détail des dispositions qui, dans les différents cas que je viens d'évoquer, prévoient les durées autorisées des contrôles, les notifications et communications d'information aux autres États membres ainsi qu'à la Commission européenne, à quoi s'ajoutent les recommandations éventuelles du Conseil sur proposition de la Commission.

Dans sa communication semestrielle, la Commission européenne a indiqué que sur la période allant de mai 2013 à octobre 2014, trois États membres seulement ont rétabli temporairement les contrôles à leurs frontières intérieures : la Belgique du 1er au 6 juin en raison du sommet du G7, la Norvège, du 24 au 31 juillet, en raison d'une menace terroriste et l'Estonie, du 31 août au 3 septembre, à l'occasion de la visite du président américain.

Un point, à présent, sur le système d'information Schengen de deuxième génération, dit SIS II. Le système d'information Schengen est un fichier informatisé utilisé par les États membres de l'Union européenne dans le cadre de la Convention de Schengen et de la coopération policière européenne. Développé dans les années 90, ce dispositif concernait à l'origine les personnes sous mandat d'arrêt ou les véhicules dont on avait perdu la trace. Il est alimenté par les informations fournies par les États - le fichier des personnes recherchées (FPR) dans le cas de la France.

Un règlement européen du mois de décembre 2006 a créé un système d'information Schengen de deuxième génération qui a notamment permis d'inclure dans le fichier informatisé des données biométriques ainsi que des données relatives à la non admission sur le territoire de l'Union ou aux interdictions de séjour. Le système d'information Schengen de deuxième génération est désormais connecté à Eurodac et au système d'information des visas dit VIS qui détiennent respectivement les empreintes digitales des demandeurs d'asile et des demandeurs de visa. La mise en place de SIS II a été plus coûteuse et plus longue que prévu puisque la mise en service ne date que du 9 avril 2013.

Le SIS II joue un rôle important dans la détection des itinéraires empruntés par les terroristes et les groupes criminels mobiles, grâce à un mécanisme spécifique qui permet de contrôler discrètement les personnes et certains types d'objets, notamment en cas de menaces liées à des combattants étrangers.

Certains considèrent que le dispositif, qui n'est peut-être pas suffisamment utilisé par tous les États membres, pourrait être renforcé afin de mieux contrôler les entrées et les sorties de l'espace Schengen notamment à travers le projet de Smart frontiers, que M. Delebarre préfèrera sans nul doute me voir nommer Frontières intelligentes.

En ce qui concerne le système d'information sur les visas (VIS), la Commission rappelle qu'il a, d'ores et déjà, permis la délivrance de 7,5 millions de visas. Elle estime, cependant, que les États membres doivent redoubler d'efforts pour améliorer la qualité des données tant biométriques qu'alphanumériques que leurs autorités consulaires introduisent dans le fichier. Notons que le recours aux empreintes digitales pour vérifier l'identité des titulaires de visas aux points de passage frontalier de l'espace Schengen est devenu obligatoire le 11 octobre 2014 pour les titulaires de visas. Il est encore trop tôt, néanmoins, pour tirer des enseignements sur la mise en oeuvre de cette nouvelle mesure, même si l'expérience montre, côté italien, notamment, que ce dispositif ne suffit pas, tant sont nombreux les navires qui arrivent sur la côte adriatique.

Je voudrais, enfin, évoquer quelques pistes de propositions sur certains des points qui viennent d'être abordés.

En ce qui concerne la possibilité pour les États membres de rétablir temporairement un contrôle à leurs frontières intérieures, j'ai le sentiment que la réforme opérée en 2013 du Code Frontières Schengen a mis en place une véritable usine à gaz. En voulant prévoir tous les cas de figure et en énonçant dans tous ces cas des dispositions spécifiques concernant en particulier la limitation de la durée de ces contrôles, sous la surveillance du Conseil et de la Commission, la nouvelle version du code Frontières Schengen apparaît complexe, bureaucratique voire illisible. On est quand même, ici, dans le domaine régalien. Les États sont les mieux placés pour évaluer la menace sur leur sécurité intérieure ou l'ordre public. Il serait préférable de revenir à un texte plus simple, plus souple et plus pragmatique.

Dans le contexte lourd de menaces avec lequel nous allons devoir compter dans les prochaines années, des mesures devraient, selon moi, être envisagées. L'identification des personnes suspectées de terrorisme et la détection de leurs déplacements est devenue un impératif majeur. Il nous faut donc nous orienter vers une révision ciblée du Code frontières Schengen.

Je pense d'abord à un contrôle renforcé aux frontières extérieures de l'espace Schengen. Il faut faire en sorte que tous ceux qui rentrent dans cet espace soient systématiquement et obligatoirement contrôlés. Tel est l'objectif. Mais ce contrôle renforcé pourrait être ciblé. Il est évident que certaines frontières extérieures sont plus sensibles que d'autres. Ce contrôle renforcé pourrait aussi concerner toutes les personnes jouissant de la liberté de circulation dans l'espace Schengen c'est-à-dire les détenteurs d'un passeport européen. L'heure est venue d'être plus attentif à leur égard. On se souvient, par ailleurs, qu'il y a plusieurs années notre commission des affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens. Cette proposition est toujours sur la table mais n'a pas eu encore d'effets concrets. Il serait bon de progresser, car ces gardes-frontières pourraient participer au contrôle des personnes.

S'agissant du contrôle des frontières intérieures des États membres, pourquoi ne pas autoriser les États à effectuer des contrôles ponctuels en cas de menace pour l'ordre public ? Cette proposition est d'ores et déjà avancée par l'Espagne.

Quant au fichier informatisé Schengen de deuxième génération, s'il inclut, d'ores et déjà les données biométriques, il ne prend pas en compte les relevés ADN. Il serait intéressant d'en connaître les raisons techniques. Ne conviendrait-il pas de tout mettre en oeuvre pour disposer, à l'échelon européen, du système d'information le plus fiable possible ?

Telles sont les premières observations que je voulais vous livrer. J'entends poursuivre mes travaux dans un esprit très pragmatique, pour rechercher les moyens de renforcer les contrôles tant aux frontières extérieures qu'à l'intérieur de l'espace Schengen. Il me semble, en particulier, que l'on pourrait gagner en lisibilité sur les dérogations.

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