Le moment est particulièrement bien choisi pour évoquer avec vous les relations franco-allemandes puisque ces derniers temps, elles ont fait l'objet d'un débat nourri ; je sais que ces relations sont perçues depuis toujours par les Français comme une succession de hauts et de bas et qu'elles évoluent au rythme d'une alternance de reproches et de compliments. Il y a peu, on reprochait à l'Allemagne de redresser son économie aux dépens de ses voisins en exportant massivement, en consommant peu et en pratiquant le dumping salarial, mais, depuis un récent retournement, il est de nouveau question des bienfaits du modèle allemand. En avril dernier, on entendait dire que le manque de consensus entre Allemands et Français menaçait la stabilité de l'euro et, depuis Deauville, on prétend que l'Allemagne et la France se concertent trop étroitement dans le but d'imposer leurs vues au reste de l'Europe.
Rappelons-nous d'abord que les relations franco-allemandes ont un cadre : le 12ème conseil des ministres franco-allemand a émis un signal clair en faveur de la poursuite et l'intensification de la coopération et il a adopté l'agenda franco-allemand 2020 qui comprend 80 initiatives. Je signale d'ailleurs que cet agenda met également en avant l'importance de la coopération parlementaire entre nos deux pays dans le contrôle de la subsidiarité.
Je tiens à réaffirmer ici que notre cadre de référence absolu est d'abord notre appartenance à l'Union européenne : nous essuyons depuis quelque temps le reproche infondé d'une tiédeur à l'égard de l'Union et d'un manque de solidarité européenne sous l'effet de la crise économique doublée de celle de l'euro. Or, deux termes caractérisent la politique européenne de l'Allemagne aujourd'hui : la continuité et l'adaptation aux réalités nouvelles. Faut-il rappeler encore que depuis la réunification, l'Allemagne s'est engagée en faveur de l'intégration européenne avec autant de détermination qu'auparavant ? Qu'elle a accepté d'abandonner le mark pour l'euro malgré l'opposition de son opinion publique ? Qu'elle a soutenu les élargissements successifs de l'Union malgré toutes les conséquences financières qui en découlaient pour elle ? Qu'elle a porté le projet de Constitution européenne, puis le Traité de Lisbonne ? Que la Cour de Karlsruhe, soupçonnée à tort d'être eurosceptique, n'a laissé subsister aucun doute sur la compatibilité du Traité de Lisbonne avec notre Loi fondamentale ? Que la Cour de Karlsruhe a précisé qu'elle n'exercerait son contrôle que dans le cas où Bruxelles agirait d'une manière visiblement contraire à la répartition des compétences ?
Si j'en viens maintenant aux réalités nouvelles, il faut souligner que l'Allemagne s'est agrandie, qu'elle a vu son poids démographique augmenter et que, en conséquence, elle s'est appauvrie relativement. D'énormes investissements ont été réalisés pour hisser le niveau des nouveaux Länder à hauteur de celui des anciens. Il était normal que cette situation ait des conséquences sur notre politique européenne. Les citoyens allemands qui ont consenti de grands sacrifices exigent naturellement de savoir si leurs impôts sont bien utilisés, en particulier à Bruxelles. Cela explique que le soutien à la Grèce ait été conditionné, que des leçons soient tirées de cette grave crise et que tout soit fait pour que l'euro reste une monnaie stable.
Alors peut-être pouvons-nous dire que l'Allemagne est devenue un peu plus française, puisqu'elle garde davantage à l'esprit ses propres intérêts, et que, de son côté, la France est devenue un peu plus allemande, puisqu'elle entend désormais réformer son système de retraites, assainir ses finances publiques et rapprocher son système fiscal du système allemand.
Je ne crois pas pourtant que les reproches faits à l'Allemagne puissent disparaître rapidement dans la mesure où nous allons nous jeter dans la bataille des perspectives financières, celle de la réforme de la PAC et celle de la gouvernance économique et que chacun défendra âprement ses intérêts, mais je crois que chacun saura garder son sang froid et que nous aboutirons à des compromis.
La critique de la faiblesse de la consommation intérieure allemande s'estompera puisque l'évolution de la consommation est très encourageante en Allemagne et que notre croissance promet d'être de 3,5 % en 2010, croissance qui cette année n'est pas tirée que par les exportations. Quant à nos exportations justement, elles se portent très bien, mais pourquoi oublier de dire que nos importations se portent très bien aussi (36 % du PIB contre seulement 24 % du PIB en France) ?
Pour nous, la question essentielle n'est pas de savoir si l'Allemagne devrait devenir moins compétitive afin d'exporter moins et de consommer plus mais plutôt : « l'Union européenne deviendra-t-elle suffisamment compétitive pour s'imposer sur le marché mondial ? », car la Chine n'attendra pas l'Europe et tout recul de la compétitivité allemande se soldera par un recul de l'Europe.
Par ailleurs, nous avons vu avec la crise les dangers du manque de régulation et nous nous réjouissons de travailler avec la France sur cette question au sein de l'Union, mais aussi dans le cadre du G20 et celui du G8, l'Allemagne ayant été très sensible à l'offre du Président Sarkozy d'être étroitement associée à sa présidence du G20.
Les deux dernières décennies ont prouvé l'erreur de ceux qui prétendaient que la réunification de l'Allemagne mettrait un terme au tandem franco-allemand : on voit aujourd'hui qu'il n'a rien perdu au contraire de sa solidité et que, comme toujours, la France et l'Allemagne sont ensemble pour faire avancer l'Europe, mais ayons la modestie de reconnaître qu'une bonne entente franco-allemande est une condition nécessaire mais non pas suffisante pour la progression de l'Europe ; il nous faut accepter de convaincre nos partenaires de nous suivre sur le chemin que nous traçons. Notre idée est que les propositions franco-allemandes doivent servir de base de discussion. Conservons la conscience de l'incontournable nécessité de nous concerter étroitement sur tous les thèmes de notre agenda bilatéral, comme sur ceux de l'agenda européen et mondial, pour ensuite imposer ensemble nos intérêts bien compris. C'est un processus parfois difficile, mais il est de notre intérêt commun, comme de celui de nos partenaires européens, que nos deux pays avancent toujours ensemble.