Intervention de Alain Richard

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 novembre 2016 à 8h30
Élargissement — Communication de m. alain richard sur la situation des balkans

Photo de Alain RichardAlain Richard :

La mission qui m'a été confiée est une mission de représentation spéciale sur la diplomatie économique. La diplomatie économique sert de prétexte pour assurer une relation politique suivie avec les Balkans. Il faut dire que, du fait de leur taille et de leur faible attrait, ces pays ne suscitent pas beaucoup de visites ministérielles.

Six pays constituent les Balkans occidentaux, en sus de la Croatie et de la Slovénie, qui sont d'ores et déjà membres de l'Union européenne. Cinq de ces États sont issus de l'ancienne Yougoslavie : la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine et le Monténégro. L'Albanie a un parcours historique propre. Tous ont signé l'accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union européenne, première étape avant la candidature puis l'adhésion. Les deux derniers ASA ont été signés avec des pays présentant des difficultés particulières : la Bosnie-Herzégovine, du fait de ses profondes divisions intérieures, et le Kosovo, dont le statut d'État est encore discuté.

La question kosovare est particulière, puisque cette ancienne province serbe n'est toujours pas officiellement reconnue par cinq États membres de l'Union européenne : Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie.

La Bosnie-Herzégovine peine quant à elle à s'affirmer comme un État viable et reste affaiblie par sa structure institutionnelle, qui ne respecte pas la Convention européenne des droits de l'Homme.

Si l'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Monténégro et la Serbie ont le statut de candidat, seuls ces deux derniers pays ont effectivement ouvert des négociations d'adhésion, respectivement depuis 2012 et 2015.

L'ouverture des négociations avec la Macédoine, qui suppose une décision unanime du Conseil européen, est bloquée par la Grèce. Le gouvernement grec considère en effet la Macédoine comme une province grecque et refuse de lui reconnaître le statut d'État.

Le Monténégro est un petit État de 600 000 habitants qui a acquis son indépendance sans conflit par séparation de la Serbie. Il était considéré comme l'un des États les plus éloignés des principes européens du fait de sa démocratie balbutiante et des collusions entre ses dirigeants et la criminalité organisée, mais il a su « habiller » le fonctionnement de ses institutions de telle manière qu'il est considéré aujourd'hui comme un bon candidat. La moitié des chapitres de négociation ont été ouverts. Ils ne seront refermés que lorsque l'acquis en matière de justice et de droits fondamentaux sera respecté par le Monténégro.

Les négociations ouvertes avec la Serbie sont aujourd'hui limitées à quatre chapitres, dont les 23 et 24, visant la justice et les droits fondamentaux, et le 35, dédié à la normalisation des relations avec le Kosovo. Les progrès sont lents mais indéniables.

Lorsque le conflit s'est engagé, l'objectif de la diplomatie européenne et occidentale était l'autonomie substantielle du Kosovo dans la fédération yougoslave. Du fait de la séparation radicale des communautés entraînée par le conflit, l'indépendance du Kosovo est devenue inévitable. Celle-ci a été acceptée par l'ONU mais refusée par une minorité de poids comptant notamment la Russie.

La Serbie diminuée et le Kosovo ont commencé à cohabiter. Les Serbes considèrent que le Kosovo continue de faire partie de leur territoire national. Il constitue un des lieux de mémoire de la Serbie, au même titre que l'ancienne région Champagne-Ardenne pour la France.

Alors Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne, Mme Catherine Ashton avait néanmoins enjoint la Serbie d'organiser des relations bilatérales avec le Kosovo, afin de ne pas importer une nouvelle crise de voisinage comme celle qui existe à Chypre lors de son entrée éventuelle dans l'Union européenne. Si le Conseil est très vigilant concernant le respect des engagements pris par la Serbie, il l'est beaucoup moins vis-à-vis de ceux du Kosovo, dont la construction étatique n'est pas terminée et la candidature moins sérieuse. Le gouvernement serbe, qui s'appuie sur une majorité solide et jouit du soutien de la société civile, est vraiment résolu à aller au bout de la démarche d'adhésion.

Ces négociations s'inscrivent dans un contexte marqué par la grande prudence de l'Union européenne à l'égard de tout nouvel élargissement. L'engagement pris par Jean-Claude Juncker de ne pas élargir l'Union pendant son mandat n'est du reste ni vexatoire ni hostile, car même si le Monténégro et la Serbie continuaient à faire des progrès, cela nous mènerait au moins en 2019, c'est-à-dire à la fin dudit mandat.

L'Albanie et le Monténégro sont entrés dans l'OTAN. Pour des raisons historiques, les autres pays de la zone ne l'ont pas souhaité, mais ils font partie du Partenariat pour la paix, qui permet le dialogue politique et le rapprochement des capacités militaires. La capacité de coopération concrète de la Serbie avec l'OTAN est tout à fait satisfaisante.

Dix-sept ans après la fin du conflit au Kosovo et quinze ans après la signature des accords d'Ohrid censés rétablir la paix civile en Macédoine, la zone est stabilisée extérieurement, mais toujours traversée par un certain nombre de tensions. Pour dire que la situation a changé, il faut observer le recul des thématiques nationalistes et des conflits sur la mémoire yougoslave. Les ambassadeurs nous disent que l'emprise de ces thèmes est plus faible.

Les difficultés économiques de ces pays, notamment le chômage et l'émigration importants, les ont conduits à se recentrer sur la nécessité d'une réorganisation économique et le retour de la croissance afin de pouvoir rejoindre l'Europe.

La perspective européenne a permis une pacification des relations entre ces États, mais ce sont surtout les habitudes de coopération régionale qui expliquent le comportement responsable et collectif de leurs dirigeants pendant la crise des migrants.

La Serbie s'est impliquée dans le processus de normalisation de ses relations vis-à-vis du Kosovo. Ce dernier prévoyait la nouvelle immatriculation des véhicules du Kosovo, l'adoption d'un indicatif téléphonique pour le Kosovo... et, surtout, la création d'une intercommunalité serbe afin d'améliorer les droits de la minorité serbe du Kosovo. L'ensemble des fonctionnaires serbes exerçant dans les régions kosovares ont intégré le service public kosovar. Une grande partie du travail a été fait, mais une conflictualité latente demeure.

L'autre facteur d'instabilité dans la région est la situation interne de la Bosnie-Herzégovine : depuis les accords de Dayton de 1995, elle est divisée en deux structures qui sont pratiquement des États indépendants, la Republika Srpska et la Fédération bosno-croate. La Republika Srpska est dirigée par une formation nationaliste démocratiquement élue qui veut le rattachement à la Serbie sans pour autant bénéficier du soutien de Belgrade. La Croatie est, de son côté, vigilante concernant la situation de la communauté croate au sein de la Fédération. Si la zone demeure instable, il n'y a plus de risque de voir cette instabilité virer au conflit armé.

La Macédoine est également fragilisée. L'acquisition des codes d'une véritable démocratie pluraliste par les héritiers d'un pouvoir autoritaire se fait lentement. Le parti au pouvoir est accusé d'avoir placé l'opposition sur écoutes téléphoniques. Le commissaire européen à l'élargissement s'est engagé pour essayer de rétablir une relation interne normale entre les partenaires politiques. La population de Macédoine étant pour un tiers albanaise, le premier parti macédonien gouverne avec le premier parti albanais, ce qui ne participe pas à la cohésion des gouvernements.

Nous nous intéressons à cette région, c'est du moins mon interprétation, car notre diplomatie a fait le bilan de ce qui avait été notre accompagnement des pays d'Europe orientale dans leur entrée dans l'Union. De façon préventive, il vaut mieux être en relation positive avec ces pays qui de toute façon y entreront.

La situation économique de ces pays a été longtemps dégradée par des réformes laborieuses. La majorité des salariés étaient fonctionnaires, ce qui a entraîné des retards et des périodes de faible croissance, de montée du chômage et d'émigration substantielle. Imitant leurs voisins entrés dans l'Union européenne, ces pays ont tous signé des conventions avec le FMI pour régulariser leur situation financière et pour engager des réformes structurelles.

Les Balkans occidentaux sont revenus à la croissance et leur niveau de déficit public ayant baissé, ils peuvent de nouveau emprunter. La zone connaît une croissance qui pourrait entraîner une stabilisation, et peut-être l'inversion du flux migratoire. Dans ces pays, chaque recensement est un problème politique, tant il montre d'évolution des communautés les unes par rapport aux autres et le vieillissement de la population. Ces pays se situent aujourd'hui entre 40 et 50 % du niveau de vie de l'Union européenne en parité de pouvoir d'achat, mais ils vivent encore avec des déficits extérieurs très substantiels qui sont comblés par les retours des expatriés qui, dans certains pays, représentent 10 % du PIB.

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