Merci de votre invitation, c'est un réel plaisir de vous présenter nos derniers travaux. Le dialogue avec la représentation nationale me tient particulièrement à coeur ; c'est une partie intégrante de ma fonction de commissaire européen, notamment dans le cadre du semestre européen. Opposer l'Europe à la France n'a aucun sens : l'Union européenne a besoin de la France et la France a besoin de l'Union. Le rôle des parlements nationaux est décisif. J'ai à la fois le plaisir et l'obligation de rencontrer régulièrement vos commissions et celles de l'Assemblée nationale. Nous nous reverrons probablement après l'échéance du référendum britannique du 23 juin...
J'évoquerai les deux grands axes de mon portefeuille : la politique économique et financière, puis la fiscalité et l'union douanière.
Au printemps 2016, la reprise économique en Europe se poursuit - j'éviterai d'utiliser certaines formules comme « cela va bien » ou « cela va mieux » -, dans un contexte mondial moins favorable. On assiste à une lente substitution des moteurs exogènes de la croissance, qui ralentissent, par des moteurs plus endogènes - consolidation budgétaire, réformes structurelles... D'après nos prévisions de printemps, la croissance de la zone euro atteindra 1,6 % du PIB en 2016 et 1,8 % en 2017 et sera très légèrement expansionniste. La réduction des déficits se poursuit et la moyenne des déficits budgétaires dans la zone euro devrait s'élever à 2 %. Le chômage se résorbe lentement.
Cette amélioration des finances publiques, la reprise de la croissance, l'amélioration lente de l'emploi sont valables en Europe mais aussi en France ; nous ne pouvons que nous en réjouir. J'ai présenté les recommandations de la Commission pour les douze à dix-huit prochains mois le 18 mai dernier. Elles s'inscrivent dans un nouveau contexte ; le temps des déficits publics à 6 %, comme en 2010, est révolu. Le déficit public s'élèvera à 2 % cette année, et 1,6 % en 2017. La reprise est là, il faut l'accompagner.
Cette reprise trouve son origine dans nos décisions. Nous avons essayé d'utiliser le pacte de stabilité et de croissance avec intelligence pour le faire respecter sans casser la croissance ni ignorer des efforts importants de certains pays. Ces décisions ont été très discutées. L'Italie s'est engagée à tenir sa trajectoire budgétaire, nous le vérifierons à l'automne 2017. Nous avons préféré donner un an de délai à l'Espagne et au Portugal et une guidance budgétaire précise plutôt que de les sanctionner d'emblée, d'autant plus dans le contexte électoral espagnol.
Nous avons émis cinq recommandations à la France, contre six l'an dernier. Le déficit français doit impérativement passer sous la barre des 3 % en 2017. Selon nos prévisions, la France est dans le rythme prévu : son déficit atteindrait 3,5 % du PIB en 2015 ; 3,2 % en 2016 (3,3 % selon le programme de stabilité français) et 2,8 % en 2017 (3,2 % selon la France). L'objectif est donc atteignable si le budget 2017 est sérieux et équilibré. La Commission, vigilante, exercera toutes ses prérogatives si besoin pour faire respecter les procédures. À l'automne, un avant-projet de budget sera soumis à la Commission. Il n'y aura pas de nouveau délai : il faut moins de 3 % de déficit en 2017. La France n'est pas sur une pente ardue, malgré de nouvelles dépenses.
Contrairement à ce qu'affirment certains partis politiques, ce n'est pas Bruxelles qui dicte à la France sa politique budgétaire. Les choix budgétaires sont souverains ; seul l'équilibre nous importe. Si de nouvelles dépenses sont décidées après un débat public, il faudra des économies et des recettes correspondantes. Des engagements ont été pris par le Président de la République et par le ministre des finances. Les actes doivent suivre.
La lutte contre le chômage est prioritaire. Depuis plusieurs années, la Commission européenne souhaite une réforme du marché du travail français pour créer de la croissance. Ce n'est pas l'Europe qui dicte la réforme. C'est au Gouvernement de la proposer au Parlement. Nous insistons sur le lien entre le marché du travail et l'éducation, afin d'instaurer une flexisécurité, pour entrer et sortir plus facilement de l'emploi, grâce à une formation tout au long de la vie.
La compétitivité doit être améliorée, par l'élimination des obstacles dans le secteur des services et par des programmes de simplification, non seulement administrative mais aussi fiscale. La France, sur la bonne voie, ne doit pas relâcher ses efforts. Les engagements devront être tenus. La Commission européenne exercera son rôle avec impartialité et intelligence.
L'Union économique et monétaire ne peut être parachevée sans un contrôle parlementaire accru, qui passe par un renforcement de l'appropriation nationale du semestre européen. Personnellement, je suis favorable à l'instauration d'un ministre des finances de la zone euro, responsable devant le Parlement européen ou une chambre dédiée, à un budget de la zone euro dédié à l'assurance chômage et à l'investissement, à un Trésor de la zone euro pour une meilleure légitimité démocratique. La zone euro a une politique monétaire très bien conduite par Mario Draghi mais pas de politique économique.
L'investissement reste un pilier majeur de la croissance. Le plan Juncker de 315 milliards d'euros fonctionne. Au 1er juin, la Commission européenne avait mobilisé 100 milliards d'euros dans l'Union. La France en est la championne avec 14 milliards d'euros obtenus pour 16 projets - sur 64 au total - par de grandes entreprises mais aussi des PME sur les priorités du numérique, de l'efficacité énergétique, des transports et des nouvelles mobilités, et grâce à la mobilisation des collectivités territoriales et à un secteur bancaire privé et parapublic efficaces. Selon nos évaluations, 32 000 emplois pourraient être créés, et ce n'est pas de la propagande. Il y a quelques jours, j'ai visité à Nancy une PME d'ingénierie acoustique de 70 personnes, qui bénéficie d'un prêt de 600 000 euros du fonds d'investissement européen pour financer une innovation qu'elle n'aurait pu réaliser sinon.
Il reste à mobiliser davantage sur une logique de projets et à mieux communiquer, notamment dans nos régions. Nous avons des opportunités fantastiques, saisissons-les !
La situation grecque trouvera bientôt une issue positive. Le 24 mai, l'Eurogroupe a conclu un accord global sur la première revue du programme, qui devrait déboucher la semaine prochaine sur un déboursement de 10,3 milliards d'euros dont 7,5 milliards d'euros finançables immédiatement. Reste à négocier avec les Grecs sur leur programme de réforme ambitieux, difficile et courageux - réformes des retraites, de l'impôt sur le revenu, création d'une agence indépendante des revenus, d'un fonds de privatisation et d'investissement, indépendance de la nomination de certains fonctionnaires, gestion des crédits non performants. Ce n'est pas facile, d'autant que cela ne correspond pas aux promesses de campagne d'Alexis Tsipras... La Grèce est au rendez-vous des réformes, l'Europe doit être au rendez-vous. Nous avons commencé à évoquer l'allègement futur de la dette grecque, même si les décisions ultimes seront prises d'ici la fin de l'année. Nous souhaitons que le FMI reste un partenaire de ce programme. Je suis assez fier du chemin parcouru. Il y a un an, traînait une atmosphère de pré-Grexit, auquel j'ai toujours été opposé : l'unité de la zone euro est en jeu. Nous avons obtenu un retour de la croissance selon nos prévisions pour le deuxième semestre, qui atteindra l'année prochaine 2,7 %.
La politique fiscale est devenue une priorité absolue de mon mandat au fil des mois et une forte attente de l'opinion publique. Elle suit deux axes complémentaires : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, l'harmonisation fiscale. Contre la fraude et l'évasion fiscale, des réalisations concrètes ont été obtenues, avec des accords d'échange automatique de données sur les comptes financiers personnels avec la Suisse, le Lichtenstein, Andorre, San Marin, et bientôt Monaco. Le secret bancaire, c'est terminé ! Nous avons également signé des directives pour l'échange d'informations fiscales et sur les rescrits fiscaux, pour éviter un nouveau LuxLeaks. Une proposition de directive anti-évasion fiscale doit être approuvée le 17 juin sous présidence néerlandaise, pour la taxation effective. Ce n'est pas une taxation minimale ni la remise en cause de la souveraineté fiscale des États, mais les firmes multinationales doivent payer leurs impôts là où elles créent leurs profits. Nous irons plus loin sur la propriété effective, pour avoir davantage d'informations sur les bénéficiaires effectifs dans nos registres et développer l'échange transfrontalier. Les cinq grands pays de l'Union ont adopté un projet pilote. Nous souhaitons aussi plus de transparence sur les activités des conseillers fiscaux - même si tous ne cherchent pas à frauder ! Nous souhaitons créer une liste noire paneuropéenne des paradis fiscaux, à horizon 2017, avec des critères, des méthodes et des sanctions communs. La liste portugaise comprend 85 pays, l'Allemagne zéro. Neuf pays ont inscrit le Panama comme un paradis fiscal. Cette hétérogénéité est une mauvaise chose.
La Commission devrait établir un reporting, pays par pays, et publier les données comptables et fiscales des activités des multinationales au sein de l'Union et dans les paradis fiscaux. Cela fait débat dans la presse et au sein du patronat. Cette proposition a fait l'unanimité au sein de la Commission, y compris de mon collègue Jonathan Hill, pourtant de sensibilité politique différente que la mienne, après une consultation publique et une étude d'impact. Compétitivité et transparence ne s'opposent pas ; ce reporting existe déjà dans les grandes banques françaises, et il n'a pas tué le secteur. N'ayez pas peur de la transparence ! Si ce n'est pas fait directement, ce sera fait ex-post. Lorsque la transparence n'est pas volontaire, elle est subie. Dans un cas, c'est un acte citoyen ; dans l'autre, c'est une matière à scandale. Je reviendrai devant vous lors des débats sur la loi Sapin 2.
Nous avons pris des décisions sur l'harmonisation fiscale. En avril, j'ai présenté un plan sur la TVA, avec un volet important de lutte contre la fraude. Sur 168 milliards d'euros non collectés, 50 milliards sont dus à la fraude « carrousel ». La Commission examine très attentivement la plainte contre l'Allemagne. La Commission examine si le régime forfaitaire des agriculteurs prévu par la directive de 2006 relative au système commun de TVA est équitablement appliqué.