Commission des affaires européennes

Réunion du 8 juin 2016 à 15h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 15 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Nous sommes très heureux d'échanger aujourd'hui avec M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, car nous avons besoin d'informations complémentaires sur de nombreux sujets. En cette fin de semestre européen, la Commission européenne a examiné le programme de stabilité de la France, et a transmis au Conseil une recommandation de recommandation.

Que pense la Commission européenne de la politique de finances publiques de la France, de la gouvernance de la zone euro, du fonctionnement du pacte de stabilité et de croissance - notamment en Italie et en Espagne ? Quelles sont vos initiatives fiscales ? La Commission ne s'était pas penchée depuis longtemps sur autant de fronts en même temps. Vous avez présenté des mesures sur la TVA, l'impôt sur les sociétés, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Comment vos travaux se coordonnent-ils avec ceux de l'OCDE et avec la politique européenne de la concurrence - non soumise à la règle de l'unanimité - important vecteur de la lutte contre les pratiques fiscales abusives ? En effet, la politique de la concurrence, contrairement à la politique fiscale, n'est pas soumise à la règle de l'unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je me réjouis de la collaboration entre nos deux commissions. La situation est préoccupante, avec des déficits espagnols et portugais importants, et une forte dette de la Belgique, de la Finlande et de l'Italie, pour lesquels un traitement particulier est prévu. Notre collègue Simon Sutour est très attentif à l'évolution de la situation grecque.

La recommandation française s'inscrit dans la lignée de celle de l'an passé. Cinq objectifs sont mis en avant. Je relève celui d'une correction durable du déficit excessif en 2017, celui de pérenniser les mesures de réduction du coût du travail, ou encore de réduire les impôts sur la production et le taux nominal de l'impôt sur les sociétés. La Commission veut promouvoir les accords d'entreprise en concertation avec les partenaires sociaux. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

La zone euro peut-elle constituer le cadre adapté pour un approfondissement ? De trop grandes divergences entre nos économies posent des difficultés : c'est vrai pour leurs performances en termes de compétitivité ; n'est-ce pas aussi un manque d'harmonisation fiscale et sociale ? J'ajoute que nous sommes très inquiets pour la filière porcine française et notamment bretonne, en raison des distorsions de concurrence sur la TVA dans la filière.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

Merci de votre invitation, c'est un réel plaisir de vous présenter nos derniers travaux. Le dialogue avec la représentation nationale me tient particulièrement à coeur ; c'est une partie intégrante de ma fonction de commissaire européen, notamment dans le cadre du semestre européen. Opposer l'Europe à la France n'a aucun sens : l'Union européenne a besoin de la France et la France a besoin de l'Union. Le rôle des parlements nationaux est décisif. J'ai à la fois le plaisir et l'obligation de rencontrer régulièrement vos commissions et celles de l'Assemblée nationale. Nous nous reverrons probablement après l'échéance du référendum britannique du 23 juin...

J'évoquerai les deux grands axes de mon portefeuille : la politique économique et financière, puis la fiscalité et l'union douanière.

Au printemps 2016, la reprise économique en Europe se poursuit - j'éviterai d'utiliser certaines formules comme « cela va bien » ou « cela va mieux » -, dans un contexte mondial moins favorable. On assiste à une lente substitution des moteurs exogènes de la croissance, qui ralentissent, par des moteurs plus endogènes - consolidation budgétaire, réformes structurelles... D'après nos prévisions de printemps, la croissance de la zone euro atteindra 1,6 % du PIB en 2016 et 1,8 % en 2017 et sera très légèrement expansionniste. La réduction des déficits se poursuit et la moyenne des déficits budgétaires dans la zone euro devrait s'élever à 2 %. Le chômage se résorbe lentement.

Cette amélioration des finances publiques, la reprise de la croissance, l'amélioration lente de l'emploi sont valables en Europe mais aussi en France ; nous ne pouvons que nous en réjouir. J'ai présenté les recommandations de la Commission pour les douze à dix-huit prochains mois le 18 mai dernier. Elles s'inscrivent dans un nouveau contexte ; le temps des déficits publics à 6 %, comme en 2010, est révolu. Le déficit public s'élèvera à 2 % cette année, et 1,6 % en 2017. La reprise est là, il faut l'accompagner.

Cette reprise trouve son origine dans nos décisions. Nous avons essayé d'utiliser le pacte de stabilité et de croissance avec intelligence pour le faire respecter sans casser la croissance ni ignorer des efforts importants de certains pays. Ces décisions ont été très discutées. L'Italie s'est engagée à tenir sa trajectoire budgétaire, nous le vérifierons à l'automne 2017. Nous avons préféré donner un an de délai à l'Espagne et au Portugal et une guidance budgétaire précise plutôt que de les sanctionner d'emblée, d'autant plus dans le contexte électoral espagnol.

Nous avons émis cinq recommandations à la France, contre six l'an dernier. Le déficit français doit impérativement passer sous la barre des 3 % en 2017. Selon nos prévisions, la France est dans le rythme prévu : son déficit atteindrait 3,5 % du PIB en 2015 ; 3,2 % en 2016 (3,3 % selon le programme de stabilité français) et 2,8 % en 2017 (3,2 % selon la France). L'objectif est donc atteignable si le budget 2017 est sérieux et équilibré. La Commission, vigilante, exercera toutes ses prérogatives si besoin pour faire respecter les procédures. À l'automne, un avant-projet de budget sera soumis à la Commission. Il n'y aura pas de nouveau délai : il faut moins de 3 % de déficit en 2017. La France n'est pas sur une pente ardue, malgré de nouvelles dépenses.

Contrairement à ce qu'affirment certains partis politiques, ce n'est pas Bruxelles qui dicte à la France sa politique budgétaire. Les choix budgétaires sont souverains ; seul l'équilibre nous importe. Si de nouvelles dépenses sont décidées après un débat public, il faudra des économies et des recettes correspondantes. Des engagements ont été pris par le Président de la République et par le ministre des finances. Les actes doivent suivre.

La lutte contre le chômage est prioritaire. Depuis plusieurs années, la Commission européenne souhaite une réforme du marché du travail français pour créer de la croissance. Ce n'est pas l'Europe qui dicte la réforme. C'est au Gouvernement de la proposer au Parlement. Nous insistons sur le lien entre le marché du travail et l'éducation, afin d'instaurer une flexisécurité, pour entrer et sortir plus facilement de l'emploi, grâce à une formation tout au long de la vie.

La compétitivité doit être améliorée, par l'élimination des obstacles dans le secteur des services et par des programmes de simplification, non seulement administrative mais aussi fiscale. La France, sur la bonne voie, ne doit pas relâcher ses efforts. Les engagements devront être tenus. La Commission européenne exercera son rôle avec impartialité et intelligence.

L'Union économique et monétaire ne peut être parachevée sans un contrôle parlementaire accru, qui passe par un renforcement de l'appropriation nationale du semestre européen. Personnellement, je suis favorable à l'instauration d'un ministre des finances de la zone euro, responsable devant le Parlement européen ou une chambre dédiée, à un budget de la zone euro dédié à l'assurance chômage et à l'investissement, à un Trésor de la zone euro pour une meilleure légitimité démocratique. La zone euro a une politique monétaire très bien conduite par Mario Draghi mais pas de politique économique.

L'investissement reste un pilier majeur de la croissance. Le plan Juncker de 315 milliards d'euros fonctionne. Au 1er juin, la Commission européenne avait mobilisé 100 milliards d'euros dans l'Union. La France en est la championne avec 14 milliards d'euros obtenus pour 16 projets - sur 64 au total - par de grandes entreprises mais aussi des PME sur les priorités du numérique, de l'efficacité énergétique, des transports et des nouvelles mobilités, et grâce à la mobilisation des collectivités territoriales et à un secteur bancaire privé et parapublic efficaces. Selon nos évaluations, 32 000 emplois pourraient être créés, et ce n'est pas de la propagande. Il y a quelques jours, j'ai visité à Nancy une PME d'ingénierie acoustique de 70 personnes, qui bénéficie d'un prêt de 600 000 euros du fonds d'investissement européen pour financer une innovation qu'elle n'aurait pu réaliser sinon.

Il reste à mobiliser davantage sur une logique de projets et à mieux communiquer, notamment dans nos régions. Nous avons des opportunités fantastiques, saisissons-les !

La situation grecque trouvera bientôt une issue positive. Le 24 mai, l'Eurogroupe a conclu un accord global sur la première revue du programme, qui devrait déboucher la semaine prochaine sur un déboursement de 10,3 milliards d'euros dont 7,5 milliards d'euros finançables immédiatement. Reste à négocier avec les Grecs sur leur programme de réforme ambitieux, difficile et courageux - réformes des retraites, de l'impôt sur le revenu, création d'une agence indépendante des revenus, d'un fonds de privatisation et d'investissement, indépendance de la nomination de certains fonctionnaires, gestion des crédits non performants. Ce n'est pas facile, d'autant que cela ne correspond pas aux promesses de campagne d'Alexis Tsipras... La Grèce est au rendez-vous des réformes, l'Europe doit être au rendez-vous. Nous avons commencé à évoquer l'allègement futur de la dette grecque, même si les décisions ultimes seront prises d'ici la fin de l'année. Nous souhaitons que le FMI reste un partenaire de ce programme. Je suis assez fier du chemin parcouru. Il y a un an, traînait une atmosphère de pré-Grexit, auquel j'ai toujours été opposé : l'unité de la zone euro est en jeu. Nous avons obtenu un retour de la croissance selon nos prévisions pour le deuxième semestre, qui atteindra l'année prochaine 2,7 %.

La politique fiscale est devenue une priorité absolue de mon mandat au fil des mois et une forte attente de l'opinion publique. Elle suit deux axes complémentaires : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, l'harmonisation fiscale. Contre la fraude et l'évasion fiscale, des réalisations concrètes ont été obtenues, avec des accords d'échange automatique de données sur les comptes financiers personnels avec la Suisse, le Lichtenstein, Andorre, San Marin, et bientôt Monaco. Le secret bancaire, c'est terminé ! Nous avons également signé des directives pour l'échange d'informations fiscales et sur les rescrits fiscaux, pour éviter un nouveau LuxLeaks. Une proposition de directive anti-évasion fiscale doit être approuvée le 17 juin sous présidence néerlandaise, pour la taxation effective. Ce n'est pas une taxation minimale ni la remise en cause de la souveraineté fiscale des États, mais les firmes multinationales doivent payer leurs impôts là où elles créent leurs profits. Nous irons plus loin sur la propriété effective, pour avoir davantage d'informations sur les bénéficiaires effectifs dans nos registres et développer l'échange transfrontalier. Les cinq grands pays de l'Union ont adopté un projet pilote. Nous souhaitons aussi plus de transparence sur les activités des conseillers fiscaux - même si tous ne cherchent pas à frauder ! Nous souhaitons créer une liste noire paneuropéenne des paradis fiscaux, à horizon 2017, avec des critères, des méthodes et des sanctions communs. La liste portugaise comprend 85 pays, l'Allemagne zéro. Neuf pays ont inscrit le Panama comme un paradis fiscal. Cette hétérogénéité est une mauvaise chose.

La Commission devrait établir un reporting, pays par pays, et publier les données comptables et fiscales des activités des multinationales au sein de l'Union et dans les paradis fiscaux. Cela fait débat dans la presse et au sein du patronat. Cette proposition a fait l'unanimité au sein de la Commission, y compris de mon collègue Jonathan Hill, pourtant de sensibilité politique différente que la mienne, après une consultation publique et une étude d'impact. Compétitivité et transparence ne s'opposent pas ; ce reporting existe déjà dans les grandes banques françaises, et il n'a pas tué le secteur. N'ayez pas peur de la transparence ! Si ce n'est pas fait directement, ce sera fait ex-post. Lorsque la transparence n'est pas volontaire, elle est subie. Dans un cas, c'est un acte citoyen ; dans l'autre, c'est une matière à scandale. Je reviendrai devant vous lors des débats sur la loi Sapin 2.

Nous avons pris des décisions sur l'harmonisation fiscale. En avril, j'ai présenté un plan sur la TVA, avec un volet important de lutte contre la fraude. Sur 168 milliards d'euros non collectés, 50 milliards sont dus à la fraude « carrousel ». La Commission examine très attentivement la plainte contre l'Allemagne. La Commission examine si le régime forfaitaire des agriculteurs prévu par la directive de 2006 relative au système commun de TVA est équitablement appliqué.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Je ne ferai pas de commentaire. J'ai répondu par courrier sur la situation actuelle. Nous avons fait des propositions sur le taux réduit de TVA, afin qu'il s'applique aux e-books et à la presse en ligne. Pour moi, un livre en ligne est un livre, de même qu'un journal en ligne est un journal. Si l'on veut conserver une presse papier, il faut qu'elle puisse offrir des services en ligne. Nous proposerons un taux réduit de TVA sur les serviettes hygiéniques et les tampons - une tampon tax. Nous souhaitons avoir des listes actualisées.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Je connais bien la situation des centres équestres en France, mais ce n'est pas au commissaire européen de choisir.

Nous continuerons à débattre de la taxe sur les transactions financières. Au second semestre, je ferai des propositions ambitieuses pour une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés. Une première tentative avait échoué. Nous élaborerons d'abord une assiette commune, puis nous la consoliderons.

Je salue la communication du 30 mars dernier du rapporteur général, Albéric de Montgolfier sur l'actualité européenne dans le domaine des services financiers, des banques et de la fiscalité. Je retiens vos commentaires positifs sur nos propositions fiscales. Nous avons l'opportunité de faire de l'Union un leader mondial de la lutte pour la transparence fiscale, comme le G20 et l'OCDE. Par-delà mes engagements, je suis un Européen convaincu qui souffre de voir des anti-Européens confisquer le débat. J'ai été interpellé par un député européen du Front national sur l'évasion fiscale ; mais voilà un sujet où l'Union européenne est utile ! Aucun État membre ne peut lutter tout seul. L'échelle minimale est européenne. Nous devons jouer ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La Commission européenne estime que « la stratégie budgétaire de la France repose principalement sur l'amélioration de la conjoncture et la persistance de taux bas », ce qui confirme notre analyse quand nous parlons d'économies de constatation - les taux d'intérêt - et d'économies sur court terme. D'après Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, le déficit a été réduit de 300 millions d'euros. La France a-t-elle engagé des réformes de structure ? Les annonces de plusieurs milliards d'euros de dépenses nouvelles pour les enseignants, les cheminots, les intermittents et les collectivités territoriales ne changent-elles pas les données ? La commission envisage-t-elle de prendre une nouvelle recommandation qui en tienne compte ?

Je suis surpris par la recommandation de la Commission sur le prélèvement à la source. Pour certaines entreprises que nous avons auditionnées, cette mesure aurait un coût supplémentaire. Or la Direction générale des finances publiques assure que cette mesure ne suscitera aucune réduction de postes, selon M. Bruno Parent. En quoi alors cette mesure serait-elle efficace ?

L'Italie a expérimenté le speed paiement de la TVA. Le prélèvement à la source reste-t-il possible pour le commerce électronique ou avez-vous d'autres solutions ?

La Commission européenne s'apprête-t-elle à ouvrir vraiment un taux réduit aux différents États ? Si l'on en juge par le temps qu'il nous a fallu pour changer ce taux sur tel ou tel produit ou service, le débat de la loi de finances deviendrait sans fin si nous pouvions le faire pour tout... La possibilité de déroger ira-t-elle dans le sens d'une harmonisation européenne ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Nous avons des règles budgétaires communes, mais les États membres gardent une certaine liberté de moyens pour leur stratégie budgétaire. La réduction du déficit français est d'abord due à un effort structurel, et aujourd'hui à une amélioration des taux d'intérêt, au retour de la croissance et des recettes fiscales. Il n'y aura pas de nouvelle recommandation de la Commission.

La Commission a donné, à deux reprises, deux ans de délais supplémentaires à la France, justifiés par les règles européennes : la première fois, lorsque j'étais ministre des finances, la croissance française était trop faible pour réduire le déficit. La seconde fois - j'étais à la Commission - cela a été justifié par la réduction du déficit nominal. Le prochain rendez-vous est en 2017. La France est sur la bonne voie, avec 3,5 % de déficit prévu en 2015 et 3,2 % en 2016. De nouvelles recommandations signifieraient que la France n'a pas tenu ses engagements. Le ministre des finances a assuré le contraire récemment, et sa parole engage le pays.

Je n'ai pas d'information particulière, ni suffisante, sur l'imposition à la source.

Plusieurs options sont ouvertes sur la TVA sur le commerce en ligne. La liste des taux réduits en Europe est obsolète. Soit nous changeons nous-mêmes la liste - avec les e-books, la presse en ligne, les tampons et serviettes hygiéniques - soit nous décentralisons le choix du taux réduit, selon le principe de subsidiarité : j'y suis favorable, la Commission m'a suivi, mais ce n'est pas le cas de tous les États membres. Les différents gouvernements devraient également arbitrer. Où vont les différents groupes d'intérêts - vers Bruxelles ou vers les États membres ? C'est aux gouvernements et aux parlements nationaux de régler cela. Bien sûr, il faut réformer la base taxable. Je suis partisan d'une liberté encadrée. Pour ne pas créer un désordre extrême, il faut établir des critères en fonction desquels tel ou tel État membre pourra choisir son taux réduit. C'est la position de la Commission européenne et la mienne. La Commission propose, les États membres disposent.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Je vous félicite, monsieur le Commissaire, d'avoir mis en avant ce qui progresse au sein de l'Union européenne : la réglementation, la fiscalité, la lutte contre la fraude fiscale, le plan Juncker, alors que notre action commune est remise en cause.

Quelle est la capacité budgétaire de la zone euro ? Vous voulez mieux associer les parlements nationaux et faire du semestre européen un élément essentiel de votre politique. La création d'une capacité budgétaire de la zone euro, déjà incluse dans les propositions législatives du Parlement européen, sera-t-elle soutenue par les différences instances européennes ? Comment la Commission poussera-t-elle ce projet, signal fort de l'intégration européenne ?

Vous avez souligné la réussite du plan Juncker pour les PME. En un an, 150 000 PME ont bénéficié des nouveaux dispositifs d'aide à l'investissement. Mais quelle sera la capacité à faire face aux demandes dans les prochains mois ? Le dispositif sera-t-il reconduit au-delà de 2018, avec une plus grande prise en compte des PME ? D'ici fin 2016, le volet PME aura consommé 70 % des crédits. Une révision du cadre financier pluriannuel satisferait davantage de demandes, soutiendrait la croissance et créerait plus d'emplois en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Les recommandations forment quasiment un réquisitoire contre ce qui se passe en France sur le respect du Pacte de stabilité, l'emploi, la TVA ou le chômage des jeunes. Nous partageons ces différentes préoccupations. J'ai remarqué vos interrogations sur la réponse française.

L'emploi est au coeur des préoccupations du Sénat. Que proposez-vous pour une Europe sociale plus forte ? Je suis aussi un Européen convaincu. Il faut adapter le code du travail français à certaines règles établies à l'échelle européenne au lieu d'établir un carcan pour les entreprises françaises. Je plaide pour une TVA sociale qui réduira les charges sociales, non pas ciblée sur les bas salaires mais généralisée et compensée par une hausse de la TVA. Ce sujet doit être réexaminé. Il permettrait de financer l'action publique. L'Union européenne peut-elle accentuer son action pour réduire le chômage des jeunes ? Il faut accompagner davantage la mobilité des jeunes pour mieux les armer.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Monsieur le Commissaire, vous êtes un peu optimiste ; croyez-vous réellement à un déficit français de 3,2 % alors que le Gouvernement distribue à tour de bras de l'argent à des fins électorales, sans faire d'économies ? Il faut réduire le déficit budgétaire. Où sont les 50 milliards d'euros d'économie annoncés à renfort de publicité il y a trois ans, hormis les 11 milliards d'euros supprimés aux collectivités locales ? Je ne crois pas du tout aux orientations budgétaires du Gouvernement.

Si l'on veut augmenter l'emploi, gardons une certaine flexibilité du travail. La loi El Khomri initiale n'était pas mauvaise pour favoriser les embauches. En raison des manifestations, le Gouvernement a changé de nombreux points. Il ne reste qu'un seul point, celui concernant la CGT qui ne veut pas perdre ses prérogatives. Ils sont en train de ruiner le pays !

Il faudrait supprimer les 35 heures, comme le proposent certains candidats, et réduire les charges sociales. Je ne crois pas du tout à la TVA sociale : elle ne réussira qu'à faire payer les dépenses de l'État par des hausses d'impôts.

Les collectivités territoriales, obligées de réduire leurs budgets, ont d'importantes difficultés. Oui, la fiscalité est la priorité absolue. Malheureusement, elle est plutôt en hausse en France. Que pensez-vous des niches fiscales ? Plus de 150 niches coûtent 80 milliards d'euros à l'État. En l'absence de niches fiscales, le Gouvernement aurait les moyens fiscaux et financiers pour commencer à réduire les déficits budgétaires en 2016 et en 2017.

Quelles sont les conséquences d'une hausse des taux d'intérêt ? Une augmentation d'un point provoquerait 2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires la première année, 13 milliards d'euros en 2022. Une augmentation de deux points doublerait l'effet. La France serait en cessation de paiement. C'est grave, mais personne ne s'en occupe ! Depuis 40 ans, les gouvernements gouvernent par l'emprunt. On a 2 100 milliards d'euros de dette. Réduisons les impôts en évitant d'augmenter la dette de l'État !

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Monsieur Marc, je suis depuis longtemps un défenseur d'une capacité budgétaire de la zone euro, le Parlement européen s'est saisi de la question. Cette proposition se trouve en filigrane dans le rapport des cinq présidents sur l'Union économique et monétaire. Le Conseil y reviendra après les élections françaises et allemandes de 2017. Toutes les contributions au débat sont les bienvenues. Une politique économique de la zone euro est nécessaire, ainsi qu'un ministre des finances de la zone euro, également membre de la Commission européenne, responsable devant le Parlement européen, président de l'Eurogroupe, avec une capacité de proposition contrôlée. Les parlements nationaux doivent se saisir de la question.

Le plan Juncker, ce sont 14,7 milliards d'euros depuis un an en France, 16 projets, 32 000 emplois, 20 accords de financement pour les PME représentant 518 millions d'euros, devant générer des investissements de 6,3 milliards d'euros bénéficiant à 38 000 PME françaises. Je me suis rendu dans les PME, j'ai vu comment cela fonctionne. Allons plus loin dans le temps et l'espace. Lorsque j'étais parlementaire en mission, j'avais rédigé un rapport sur l'investissement pour le Premier ministre. Nous avions un déficit d'investissement de 100 milliards d'euros sur 10 ans. Je me félicite de l'annonce de la prolongation du plan Juncker. Les PME sont des fers de lance économiques, elles ont la capacité d'innover. Faisons valoir une logique de projets. Je me déplace dans les régions françaises à la rencontre des acteurs économiques. Les entreprises font beaucoup de choses, mais souvent, elles ne sont pas assez informées des actions de la Commission européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Effectivement, le Sénat a quelque peu bousculé le commissaire à l'agriculture et au développement rural, Phil Hogan, et nous avons obtenu que le plan Juncker puisse être mobilisé dans la filière agroalimentaire : nous inaugurons un équipement important dans le Cotentin, qui représente quelque 56 millions d'euros d'investissement.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Je viendrai à cette inauguration.

En tant que commissaire européen, cependant, je ne peux guère participer au débat politique qui est le vôtre et dans lequel j'ai pris ma part dans mes fonctions antérieures. La Commission n'a pas voulu faire un plaidoyer dans un sens ou dans l'autre, elle a présenté une analyse d'ensemble et des recommandations fondées sur des constats.

Sur l'Europe sociale, Marianne Thyssen, commissaire à l'emploi et aux affaires sociales, travaille à rapprocher les droits sociaux, sur la base d'un socle commun des droits sociaux fondamentaux, une directive sur les travailleurs détachés est en préparation.

Sur la TVA sociale, je n'ai guère de lumière particulière.

L'objectif du déficit à 3,2 % pour 2016 est tout à fait tenable, monsieur Dassault, à condition que certaines mesures soient prises, le Gouvernement français s'y est engagé et la Commission n'a guère de raison d'en douter, nous serons très vigilants. Sur les niches fiscales, je n'ai pas d'analyse en particulier à vous présenter - en vous rappelant qu'étant ministre, j'avais parlé du « ras-le-bol fiscal » de nos compatriotes, une expression qui ne m'avait pas valu que des amis... La fiscalité doit être compréhensible pour être acceptée. Dans mon propre travail j'en fais un critère : si je ne comprends pas ce que m'exposent les techniciens, je refuse d'emblée leur proposition ; le rôle des politiques, c'est parfois de brider l'imagination sans limite des fonctionnaires fiscalistes car en matière d'impôt, ce qu'on ne comprend pas, on ne l'accepte pas.

Sur les taux d'intérêt, je ne prends guère de risque en prédisant qu'ils remonteront un jour, mais ce n'est pas pour tout de suite : la Banque centrale européenne a pris des engagements forts contre ce risque et la France n'est pas la plus mal placée, de par la taille de son économie et l'importance de son épargne intérieure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Pierre Vogel

Le plan d'action sur la TVA, que vous avez présenté le 7 avril dernier, propose que les États puissent réviser ou bien supprimer la liste des produits et services à taux réduits. Je m'inquiète pour l'équitation et le monde de la course, où la TVA est passée de 5,5 à 20 %, pénalisant un secteur constitué principalement de petits propriétaires privés et qui, troisième fédération olympique de notre pays avec quelque 700 000 licenciés, représente des dizaines de milliers d'emplois en France : pensez-vous que la liste puisse être supprimée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Quel que soit le gouvernement, la tâche est immense, et complexe ; il faut réduire la dépense publique, la dette, simplifier encore. Au-delà de vos recommandations, quelles mesures concrètes préconisez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Sur quels critères la liste noire des pays non-coopératifs sera-t-elle établie ? L'impôt sur les sociétés sera-t-il seul visé, ou bien d'autres secteurs de la fiscalité seront-ils pris en compte, y compris pour les particuliers ? La liste européenne a-t-elle vocation à remplacer les listes nationales ? Est-il envisageable qu'y figurent des pays associés à l'Union européenne comme la Suisse, Monaco, le Lichtenstein, voire des États membres qui figurent sur la liste rouge de l'OCDE, comme Chypre ou le Luxembourg ? Dans le cas contraire, ne court-on pas le risque d'un instrument « faible » ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Vous présentez les points positifs du plan Juncker, mais avec 100 milliards d'euros engagés, on reste dans les proportions du plan de relance de 2012, loin des ambitions affichées par le président de la Commission. La programmation budgétaire de l'Union pose problème : sept ans, c'est trop long, une telle programmation oblige à des exercices de fongibilité et joue contre les politiques structurelles ; n'êtes-vous pas gêné d'hériter ainsi d'une programmation que vous n'avez pas adoptée, et de ne pas même définir la suivante ? Si une gouvernance de la zone euro devait voir le jour, j'espère qu'elle n'adopterait pas une perspective aussi longue...

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

La Commission a relancé le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), mais en procédant en deux temps, en reportant la consolidation : des États membres s'y opposent-ils encore, dans ces conditions ?

En matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, la Commission a proposé le 12 avril une autre directive prévoyant la publicité des déclarations pays par pays, amis avec des informations moins détaillées : pourquoi ces différences ?

Sur la directive « anti-évitement fiscal », l'ECOFIN du 25 mai a échoué à trouver un accord entre les États membres. Plusieurs pays, notamment l'Irlande, la Belgique, Malte ou encore le Royaume-Uni estiment que le texte va trop loin. Quels sont les principaux points de désaccord ?

Enfin, en matière de lutte contre l'évasion fiscale des particuliers, l'échange automatique d'informations envisagé repose sur la seule bonne volonté des États participants : peut-on envisager d'instaurer des sanctions ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

La Commission m'a suivi pour prôner une décentralisation de la liste des taux réduits de TVA, avec un encadrement par des critères - ce sera au Conseil européen d'en décider.

Sur la simplification, je suis tout à fait favorable à un pas supplémentaire ; il faut développer et approfondir les programmes dans ce sens.

Nous travaillons d'ores et déjà à des critères pour établir une liste noire européenne, j'espère que nous parviendrons à une première liste d'ici cet été, avec l'objectif d'un accord début 2017 ; elle comprendra la fiscalité des particuliers, aura vocation à remplacer les listes nationales et l'idée, c'est bien de converger avec les critères de l'OCDE - je signale que le Lichtenstein a été retiré de la liste dès lors qu'il a accepté l'échange automatique d'informations.

La pluriannualité a des aspects frustrants, mais aussi sécurisants, nous travaillons avec des plafonds globaux et je compte bien participer à la prochaine programmation puisque mon mandat court jusqu'en 2019. La révision à mi-parcours crée une forte attente, en particulier dans la lutte contre le terrorisme et face à la crise migratoire.

Un précédent projet d'assiette consolidée d'impôt sur les sociétés ayant été repoussé en Conseil européen, par des pays hôtes de sièges de multinationales, nous avons décidé, pour ACCIS, d'avancer en deux étapes : d'abord la mise en commun, ensuite la consolidation, je crois que c'est comme ça que nous avancerons.

La loi Sapin 2, d'après ce que j'en sais, concorde avec la directive européenne, qui prévoit la communication de l'ensemble des données comptables et fiscales des entreprises dépassant 750 millions de chiffre d'affaires, ce qui couvre 90 % des revenus générés sur le territoire de l'Union européenne par des entreprises extra-européennes. Sur le fond de ce projet de loi, je crois que nous sommes parfaitement en phase, la compétitivité et la transparence ne s'opposent pas, vous en débattrez.

L'ECOFIN se réunit de nouveau le 17 juin, nous travaillons à rapprocher les positions sur la directive « anti-évitement fiscal », nous sommes à un momentum, comme on dit dans le langage de la diplomatie, où il est possible d'agir, après les révélations des Panama Papers, la présidence néerlandaise est volontaire, je crois que nous pouvons parvenir à un accord.

Enfin, en matière de lutte contre l'évasion fiscale des particuliers, je crois que l'Europe peut devenir un standard, au-delà de la loi FATCA américaine. Il n'y a pas, pour autant, de projet d'assortir de sanctions les règles nouvelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Merci, nous sommes très attachés au débat permanent avec la Commission. Nous avons à coeur de comprendre les mécanismes européens et d'inscrire notre action dans cet ensemble - car nous comptons bien des Européens fervents dans notre Haute Assemblée.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Vous pouvez compter sur moi, il me paraît bien naturel de rendre compte de mon action au début comme à l'issue du semestre européen.

La réunion est levée à 16 h 30.