Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 mai 2011 : 1ère réunion
Sûreté nucléaire rapport d'information de mm. jean bizet et simon sutour présentation du rapport

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Ce rapport sur les aspects européens de la sûreté nucléaire a été imaginé avant la catastrophe de Fukushima. Plusieurs raisons nous y poussaient. Depuis l'adoption de la directive du 25 juin 2009 dite « sûreté nucléaire », l'Europe de la sûreté nucléaire connaît un élan inédit après des décennies d'inertie.

Ce rebond législatif coïncide avec une intensification de la coopération entre les autorités nationales chargées de la sûreté nucléaire et un renouveau de l'industrie nucléaire. Plusieurs dizaines de pays dans le monde ont marqué leur intérêt.

L'accident de Fukushima, qui n'est toujours pas circonscrit, ne fait que renforcer l'actualité de ce sujet en plaçant la question de la sûreté au coeur du débat sur l'avenir du nucléaire. Plus encore que la catastrophe de Tchernobyl en 1986.

Que l'on soit pour ou contre l'énergie nucléaire, la sûreté doit figurer au premier rang des priorités européennes. Car même les pays qui souhaiteraient sortir du nucléaire ne pourraient le faire du jour au lendemain. Surtout, il n'est plus possible d'imaginer un nucléaire à deux vitesses ou « low cost ».

Inquiète, l'opinion publique attend des réponses crédibles. Aborder la sûreté nucléaire dans un cadre exclusivement national ne sera pas suffisant. Une vision strictement nationale apparaît d'autant plus dépassée que les précédents de Tchernobyl et de Fukushima ont montré qu'un accident nucléaire avait un retentissement sur l'ensemble de la filière dans le monde.

Tout l'enjeu d'une approche européenne est donc de parvenir à tirer vers le haut le niveau de sûreté dans chaque État membre. Pour réussir, plusieurs écueils sont à éviter : braquer des États qui demeurent libres de déterminer la composition de leur bouquet énergétique, politiser un dossier avant tout technique, déresponsabiliser des acteurs nationaux et locaux qui sont et doivent rester en première ligne.

Le rapport trace quelques perspectives pour une évolution du cadre général de la législation européenne en matière de sûreté.

En revanche, ce rapport n'a pas pour ambition de dresser un état des lieux de la filière nucléaire, d'évaluer le niveau de sûreté des centrales françaises et européennes ou encore moins de définir des normes de sûreté. D'autres travaux parlementaires, notamment dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sont en cours.

Pour donner une plus grande portée à ces propositions, nous vous proposerons de conclure au dépôt d'une proposition de résolution européenne.

Nos auditions nous ont conduits au constat que la politique européenne de sûreté nucléaire avait du mal à s'affirmer.

Les apparences pourraient laisser croire que la sûreté nucléaire est soumise à un ensemble de règles internationales. Dès les années 50, la création de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et la signature du traité Euratom ont placé le nucléaire civil sous des auspices multilatéraux. En réalité, les possibilités ouvertes par ce cadre n'ont été exploitées que très partiellement et tardivement.

M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire française, a ainsi souligné combien les politiques nucléaires civils à travers le monde avaient été bâties sur une base essentiellement nationale.

Il a fallu attendre la catastrophe de Tchernobyl en 1986 pour qu'une première inflexion s'amorce.

L'AIEA est le cadre international principal en matière de sûreté nucléaire. Alors que sa création remonte à 1957, ce n'est qu'en 1986 que les premières conventions intéressant la sûreté nucléaire civile ont été adoptées par la conférence générale de l'AIEA.

Elles sont au nombre de quatre, la principale étant la Convention sur la sûreté nucléaire. Adoptée le 17 juin 1994, 72 États y sont partie contractante, ainsi que la Communauté européenne de l'énergie atomique.

Ces conventions n'ont pas de force contraignante et reposent sur l'engagement des États à les respecter. Les seuls mécanismes un peu contraignants consistent en une obligation de rapport de chaque État partie devant les autres membres de l'AIEA.

L'AIEA a aussi mis en place divers mécanismes d'évaluation des politiques de sûreté par les pairs. Toutefois, ces « peer reviews » ne sont déclenchées qu'à la demande de chaque État partie.

Les grands principes de la convention laissent aux États membres et aux opérateurs la responsabilité première des installations. Ce principe est fondamental puisqu'il constitue la première garantie que les responsables de terrain mettent en oeuvre tout ce qui est possible pour assurer le plus haut niveau de sûreté. Il est à la source d'une culture de la sûreté diffusée à tous les échelons.

L'état d'esprit des États peut se résumer ainsi : oui à des objectifs de sûreté ou des lignes directrices, oui à plus de coopération et d'échanges, non à des normes contraignantes ou à des contrôles extérieurs imposés. Les États-Unis ont d'ailleurs déclaré récemment qu'ils s'opposeraient à des normes contraignantes.

A côté de l'AIEA, on qualifiera le cadre juridique européen de léger, alors même qu'un chapitre entier du traité Euratom est consacré à la protection sanitaire des populations.

Aucun encadrement communautaire de la sûreté nucléaire ou de la gestion des déchets et du combustible usé ne verra le jour avant l'adoption de la directive « sûreté » du 25 juin 2009.

Certes, il serait inexact d'affirmer que la sûreté fut totalement ignorée pendant plus de cinquante ans.

La communauté Euratom s'est ainsi dotée d'un cadre robuste en matière de radioprotection.

En outre, à la suite de l'accident de Tchernobyl et dans la perspective de l'adhésion à l'Union des pays d'Europe centrale et orientale, l'Union a déployé une politique ferme de modernisation ou de fermeture des centrales de ces pays, la sûreté nucléaire devenant un critère d'adhésion.

Pour autant, la sûreté des installations nucléaires n'a jamais fait l'objet, jusqu'en 2009, d'une initiative législative de la Commission. En effet, les États membres considéraient que la sûreté ne relevait pas du champ du traité, seule la protection sanitaire, et donc la radioprotection, étant mentionnée.

Ce verrou a néanmoins sauté à la suite d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 10 décembre 2002. La Cour y considère qu'« il ne convient pas d'opérer, pour délimiter les compétences de la Communauté, une distinction artificielle entre la protection sanitaire de la population et la sûreté des sources de radiations ionisantes ».

Immédiatement, la Commission européenne s'engouffra dans cette brèche pour proposer un « paquet nucléaire ». Trop ambitieux, il heurta des États qui avaient jusque-là bloqué toutes les initiatives analogues. Ce fut un échec. Le paquet fut retiré en 2004.

Il ne faut pas déduire de ce tableau que la sûreté nucléaire fonctionne en vase clos au sein de chaque État. L'Europe de la sûreté nucléaire existe. Elle ne s'est pas construite par le haut, pour les raisons que je viens d'évoquer, mais par le bas, entre pairs.

Les opérateurs ont ouvert le chemin. Dès 1989, les exploitants d'installations nucléaires à travers le monde se sont réunis au sein de la « World Association of Nuclear Operators » (WANO). WANO est particulièrement active, puisque des revues par les pairs sur site sont organisées régulièrement dans ce cadre.

À mesure que des autorités de sûreté nucléaire ont été créées dans certains États, celles-ci ont créé des enceintes informelles d'échanges.

En 1999, les autorités de sûreté d'Europe de l'ouest ont créé l'association « Western european nuclear regulators » (WENRA).

Ses premiers travaux ont porté sur l'évaluation de la sûreté des réacteurs et l'organisation du contrôle de la sûreté dans les pays candidats à l'Union européenne.

Le second grand chantier de WENRA a été d'élaborer en commun des niveaux de référence sur la sûreté nucléaire. Un peu plus de 300 niveaux de référence ou « Safety Reference levels » ont été adoptés en 2007. Toutes les autorités de sûreté se sont engagées à les transposer avant fin 2010. Le bilan est globalement très positif.

WENRA qui comportait dix membres à l'origine, dont la Suisse, s'est ensuite élargie aux autorités de sûreté des nouveaux États membres. Elle compte aujourd'hui 17 membres et 8 observateurs, parmi lesquels les autorités de sûreté autrichienne, russe et ukrainienne.

Ce succès entre acteurs de terrain a créé les conditions du retour des États membres de l'Union européenne autour de la table de négociation après l'échec du paquet nucléaire en 2004. A la suite des conclusions du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, le Conseil a créé le « Groupement européen des autorités nationales de sûreté nucléaire » ou ENSREG. Cette enceinte a élaboré la directive « sûreté » ainsi que la proposition de directive « déchets » qui est en cours de négociation.

Pour résumer, la répartition des rôles est la suivante : WENRA a la charge du travail technique ; l'ENSREG joue un rôle politique de conseiller de la Commission européenne sur les questions de sûreté nucléaire. C'est sur cette dynamique qu'il faut s'appuyer pour faire progresser l'Europe de la sûreté nucléaire.

Plusieurs raisons nous invitent à l'optimisme.

Tout d'abord, on observe des progrès très sensibles depuis deux ans.

L'adoption de la directive « sûreté » en 2009 est une étape fondatrice. Ce texte fait de l'Union européenne le premier grand acteur régional à donner force juridique contraignante aux principales normes internationales de sûreté nucléaire. La Cour de justice de l'Union est la garante de son respect.

Fortement inspirée par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (loi dite TSN), elle impose aux États membres de se doter d'un cadre national législatif, réglementaire et organisationnel pour la sûreté nucléaire. Surtout, elle affirme le principe d'amélioration continue de la sûreté.

De nombreux observateurs ont qualifié cette directive de texte a minima. Certes, elle se limite pour l'essentiel à reprendre des principes de la Convention sur la sûreté nucléaire de l'AIEA. Mais deux différences importantes doivent être soulignées. D'une part, elle a force contraignante comme cela a été dit précédemment. D'autre part, elle dispose que les États membres doivent soumettre leur cadre national et leur autorités de sûreté tous les dix ans au moins à un examen international par les pairs. Cette obligation, qui peut paraître mineure à première vue, est inédite. Les revues par les pairs organisées par l'AIEA ne sont déclenchées qu'à la demande des États concernés.

Une seconde avancée est l'examen en cours de la proposition de directive sur les déchets. Elle complète la directive « sûreté ».

L'association WENRA a également poursuivi ses travaux. Elle a adopté en novembre 2010 des objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs. Ceux-ci devront obligatoirement être de troisième génération, en raison du saut qualitatif de cette technologie.

Ce choix structurant démarque très clairement le continent européen du reste du monde. Il est d'autant plus audacieux qu'il a été fait avant l'accident de Fukushima.

Toutes ces avancées agrégées autorisent à parler désormais d'un pôle européen de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Je passe à présent la parole à mon collègue.

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