Ce rapport sur les aspects européens de la sûreté nucléaire a été imaginé avant la catastrophe de Fukushima. Plusieurs raisons nous y poussaient. Depuis l'adoption de la directive du 25 juin 2009 dite « sûreté nucléaire », l'Europe de la sûreté nucléaire connaît un élan inédit après des décennies d'inertie.
Ce rebond législatif coïncide avec une intensification de la coopération entre les autorités nationales chargées de la sûreté nucléaire et un renouveau de l'industrie nucléaire. Plusieurs dizaines de pays dans le monde ont marqué leur intérêt.
L'accident de Fukushima, qui n'est toujours pas circonscrit, ne fait que renforcer l'actualité de ce sujet en plaçant la question de la sûreté au coeur du débat sur l'avenir du nucléaire. Plus encore que la catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Que l'on soit pour ou contre l'énergie nucléaire, la sûreté doit figurer au premier rang des priorités européennes. Car même les pays qui souhaiteraient sortir du nucléaire ne pourraient le faire du jour au lendemain. Surtout, il n'est plus possible d'imaginer un nucléaire à deux vitesses ou « low cost ».
Inquiète, l'opinion publique attend des réponses crédibles. Aborder la sûreté nucléaire dans un cadre exclusivement national ne sera pas suffisant. Une vision strictement nationale apparaît d'autant plus dépassée que les précédents de Tchernobyl et de Fukushima ont montré qu'un accident nucléaire avait un retentissement sur l'ensemble de la filière dans le monde.
Tout l'enjeu d'une approche européenne est donc de parvenir à tirer vers le haut le niveau de sûreté dans chaque État membre. Pour réussir, plusieurs écueils sont à éviter : braquer des États qui demeurent libres de déterminer la composition de leur bouquet énergétique, politiser un dossier avant tout technique, déresponsabiliser des acteurs nationaux et locaux qui sont et doivent rester en première ligne.
Le rapport trace quelques perspectives pour une évolution du cadre général de la législation européenne en matière de sûreté.
En revanche, ce rapport n'a pas pour ambition de dresser un état des lieux de la filière nucléaire, d'évaluer le niveau de sûreté des centrales françaises et européennes ou encore moins de définir des normes de sûreté. D'autres travaux parlementaires, notamment dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sont en cours.
Pour donner une plus grande portée à ces propositions, nous vous proposerons de conclure au dépôt d'une proposition de résolution européenne.
Nos auditions nous ont conduits au constat que la politique européenne de sûreté nucléaire avait du mal à s'affirmer.
Les apparences pourraient laisser croire que la sûreté nucléaire est soumise à un ensemble de règles internationales. Dès les années 50, la création de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et la signature du traité Euratom ont placé le nucléaire civil sous des auspices multilatéraux. En réalité, les possibilités ouvertes par ce cadre n'ont été exploitées que très partiellement et tardivement.
M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire française, a ainsi souligné combien les politiques nucléaires civils à travers le monde avaient été bâties sur une base essentiellement nationale.
Il a fallu attendre la catastrophe de Tchernobyl en 1986 pour qu'une première inflexion s'amorce.
L'AIEA est le cadre international principal en matière de sûreté nucléaire. Alors que sa création remonte à 1957, ce n'est qu'en 1986 que les premières conventions intéressant la sûreté nucléaire civile ont été adoptées par la conférence générale de l'AIEA.
Elles sont au nombre de quatre, la principale étant la Convention sur la sûreté nucléaire. Adoptée le 17 juin 1994, 72 États y sont partie contractante, ainsi que la Communauté européenne de l'énergie atomique.
Ces conventions n'ont pas de force contraignante et reposent sur l'engagement des États à les respecter. Les seuls mécanismes un peu contraignants consistent en une obligation de rapport de chaque État partie devant les autres membres de l'AIEA.
L'AIEA a aussi mis en place divers mécanismes d'évaluation des politiques de sûreté par les pairs. Toutefois, ces « peer reviews » ne sont déclenchées qu'à la demande de chaque État partie.
Les grands principes de la convention laissent aux États membres et aux opérateurs la responsabilité première des installations. Ce principe est fondamental puisqu'il constitue la première garantie que les responsables de terrain mettent en oeuvre tout ce qui est possible pour assurer le plus haut niveau de sûreté. Il est à la source d'une culture de la sûreté diffusée à tous les échelons.
L'état d'esprit des États peut se résumer ainsi : oui à des objectifs de sûreté ou des lignes directrices, oui à plus de coopération et d'échanges, non à des normes contraignantes ou à des contrôles extérieurs imposés. Les États-Unis ont d'ailleurs déclaré récemment qu'ils s'opposeraient à des normes contraignantes.
A côté de l'AIEA, on qualifiera le cadre juridique européen de léger, alors même qu'un chapitre entier du traité Euratom est consacré à la protection sanitaire des populations.
Aucun encadrement communautaire de la sûreté nucléaire ou de la gestion des déchets et du combustible usé ne verra le jour avant l'adoption de la directive « sûreté » du 25 juin 2009.
Certes, il serait inexact d'affirmer que la sûreté fut totalement ignorée pendant plus de cinquante ans.
La communauté Euratom s'est ainsi dotée d'un cadre robuste en matière de radioprotection.
En outre, à la suite de l'accident de Tchernobyl et dans la perspective de l'adhésion à l'Union des pays d'Europe centrale et orientale, l'Union a déployé une politique ferme de modernisation ou de fermeture des centrales de ces pays, la sûreté nucléaire devenant un critère d'adhésion.
Pour autant, la sûreté des installations nucléaires n'a jamais fait l'objet, jusqu'en 2009, d'une initiative législative de la Commission. En effet, les États membres considéraient que la sûreté ne relevait pas du champ du traité, seule la protection sanitaire, et donc la radioprotection, étant mentionnée.
Ce verrou a néanmoins sauté à la suite d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 10 décembre 2002. La Cour y considère qu'« il ne convient pas d'opérer, pour délimiter les compétences de la Communauté, une distinction artificielle entre la protection sanitaire de la population et la sûreté des sources de radiations ionisantes ».
Immédiatement, la Commission européenne s'engouffra dans cette brèche pour proposer un « paquet nucléaire ». Trop ambitieux, il heurta des États qui avaient jusque-là bloqué toutes les initiatives analogues. Ce fut un échec. Le paquet fut retiré en 2004.
Il ne faut pas déduire de ce tableau que la sûreté nucléaire fonctionne en vase clos au sein de chaque État. L'Europe de la sûreté nucléaire existe. Elle ne s'est pas construite par le haut, pour les raisons que je viens d'évoquer, mais par le bas, entre pairs.
Les opérateurs ont ouvert le chemin. Dès 1989, les exploitants d'installations nucléaires à travers le monde se sont réunis au sein de la « World Association of Nuclear Operators » (WANO). WANO est particulièrement active, puisque des revues par les pairs sur site sont organisées régulièrement dans ce cadre.
À mesure que des autorités de sûreté nucléaire ont été créées dans certains États, celles-ci ont créé des enceintes informelles d'échanges.
En 1999, les autorités de sûreté d'Europe de l'ouest ont créé l'association « Western european nuclear regulators » (WENRA).
Ses premiers travaux ont porté sur l'évaluation de la sûreté des réacteurs et l'organisation du contrôle de la sûreté dans les pays candidats à l'Union européenne.
Le second grand chantier de WENRA a été d'élaborer en commun des niveaux de référence sur la sûreté nucléaire. Un peu plus de 300 niveaux de référence ou « Safety Reference levels » ont été adoptés en 2007. Toutes les autorités de sûreté se sont engagées à les transposer avant fin 2010. Le bilan est globalement très positif.
WENRA qui comportait dix membres à l'origine, dont la Suisse, s'est ensuite élargie aux autorités de sûreté des nouveaux États membres. Elle compte aujourd'hui 17 membres et 8 observateurs, parmi lesquels les autorités de sûreté autrichienne, russe et ukrainienne.
Ce succès entre acteurs de terrain a créé les conditions du retour des États membres de l'Union européenne autour de la table de négociation après l'échec du paquet nucléaire en 2004. A la suite des conclusions du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, le Conseil a créé le « Groupement européen des autorités nationales de sûreté nucléaire » ou ENSREG. Cette enceinte a élaboré la directive « sûreté » ainsi que la proposition de directive « déchets » qui est en cours de négociation.
Pour résumer, la répartition des rôles est la suivante : WENRA a la charge du travail technique ; l'ENSREG joue un rôle politique de conseiller de la Commission européenne sur les questions de sûreté nucléaire. C'est sur cette dynamique qu'il faut s'appuyer pour faire progresser l'Europe de la sûreté nucléaire.
Plusieurs raisons nous invitent à l'optimisme.
Tout d'abord, on observe des progrès très sensibles depuis deux ans.
L'adoption de la directive « sûreté » en 2009 est une étape fondatrice. Ce texte fait de l'Union européenne le premier grand acteur régional à donner force juridique contraignante aux principales normes internationales de sûreté nucléaire. La Cour de justice de l'Union est la garante de son respect.
Fortement inspirée par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (loi dite TSN), elle impose aux États membres de se doter d'un cadre national législatif, réglementaire et organisationnel pour la sûreté nucléaire. Surtout, elle affirme le principe d'amélioration continue de la sûreté.
De nombreux observateurs ont qualifié cette directive de texte a minima. Certes, elle se limite pour l'essentiel à reprendre des principes de la Convention sur la sûreté nucléaire de l'AIEA. Mais deux différences importantes doivent être soulignées. D'une part, elle a force contraignante comme cela a été dit précédemment. D'autre part, elle dispose que les États membres doivent soumettre leur cadre national et leur autorités de sûreté tous les dix ans au moins à un examen international par les pairs. Cette obligation, qui peut paraître mineure à première vue, est inédite. Les revues par les pairs organisées par l'AIEA ne sont déclenchées qu'à la demande des États concernés.
Une seconde avancée est l'examen en cours de la proposition de directive sur les déchets. Elle complète la directive « sûreté ».
L'association WENRA a également poursuivi ses travaux. Elle a adopté en novembre 2010 des objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs. Ceux-ci devront obligatoirement être de troisième génération, en raison du saut qualitatif de cette technologie.
Ce choix structurant démarque très clairement le continent européen du reste du monde. Il est d'autant plus audacieux qu'il a été fait avant l'accident de Fukushima.
Toutes ces avancées agrégées autorisent à parler désormais d'un pôle européen de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Je passe à présent la parole à mon collègue.
Je commencerai par les conséquences de l'accident de Fukushima.
Il est encore trop tôt pour tirer des leçons définitives de cette catastrophe. Il faudra certainement plusieurs années avant que toutes les données soient rassemblées. Cela ne signifie pas qu'il faille attendre aussi longtemps pour prendre des mesures. Les tests de résistance sont la réponse européenne la plus immédiate.
A plus long terme, il est aussi délicat d'évaluer les effets sur la filière nucléaire. Cet aspect n'est pas l'objet du présent rapport. Mais on peut penser sans trop se tromper que, du point de vue de la sûreté, il sera très difficile pour un État de se doter de nouveaux réacteurs nucléaires qui ne seraient pas de la troisième génération. L'Afrique du Sud qui hésitait encore sur la génération à adopter a tranché il y a quelques semaines en faveur de la troisième génération.
Ce qui est certain c'est que le Conseil européen s'est saisi directement de cette question, alors qu'en février encore, il citait péniblement le mot « nucléaire ».
Les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 reconnaissent le travail et le rôle de WENRA et de l'ENSREG. Elles invitent la Commission européenne à examiner le cadre législatif en vigueur, y compris la directive « sûreté » de 2009 dont la date limite de transposition (le 22 juillet 2011) n'a pas encore expiré.
Surtout, elles décident de la réalisation de tests de résistance. Le Conseil confie à l'ENSREG, en coopération avec WENRA, la responsabilité de définir rapidement l'étendue et les modalités de ces tests dans un cadre coordonné. Le principe est retenu que ces tests, une fois définis, seront menés par les autorités nationales de sûreté, puis soumis à une évaluation par les pairs.
Ces tests reposent sur un simple engagement politique des États membres. Ils ne s'appuient sur aucun cadre législatif existant.
Le calendrier imposé est serré. Le 21 avril dernier, WENRA a adopté ses propositions pour les tests de résistance. Ces derniers devraient évaluer la robustesse des centrales devant trois aléas : l'agression par des phénomènes naturels (tempêtes, séismes, inondations), la perte de systèmes de sûreté (refroidissement ou alimentation électrique) et l'accident grave (endommagement du combustible dans le réacteur, refroidissement difficile des piscines d'entreposage du combustible usé).
L'ENSREG qui devait arrêter le 12 mai dernier les modalités et le champ de ces tests n'y est pas encore parvenu en raison d'un blocage avec la Commission européenne. Cette dernière souhaiterait inclure tous les risques possibles, en particulier les attaques terroristes, les attaques informatiques et les crashs d'avion.
Les premiers tests devraient démarrer le 1er juin.
Une fois dressé ce panorama en demi-teinte, se pose la question des améliorations possibles. Faut-il aller plus loin ? Oui, mais pas nécessairement en créant une agence européenne supplémentaire, même si nos auditions nous ont donné l'impression que ce monde restait très fermé. Les résistances sont très fortes, alors même que l'onde de choc de Fukushima aurait pu balayer les schémas actuels.
A côté de ces réticences traditionnelles, il faut s'interroger sur la plus-value réelle d'une intégration plus poussée.
Claude Birraux, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, s'est exprimé très clairement contre la centralisation du contrôle de sûreté au niveau d'une agence communautaire, en dépossédant les autorités nationales de leur responsabilité. Une telle évolution aurait l'inconvénient d'affaiblir le contrôle de sûreté de deux manières. Tout d'abord, en éloignant géographiquement le contrôleur du contrôlé. Ensuite, en dotant le contrôleur d'un arsenal juridique probablement moins puissant que celui aujourd'hui en vigueur dans les pays les plus exigeants, puisque cet arsenal centralisé résulterait nécessairement d'un compromis européen. Ces critiques rejoignent d'ailleurs en partie les critiques du Sénat sur « l'agenciarisation » de l'Union.
Cette analyse a été partagée par les différentes personnes auditionnées. En outre, en brusquant les acteurs du secteur, il existe un risque de casser la dynamique actuelle.
Ces réserves ne signifient aucunement qu'il ne faut rien faire de plus. Nos propositions s'appuient d'abord sur ce qui marche, c'est-à-dire WENRA et l'ENSREG.
Nous avons situé nos propositions dans le cadre du traité Euratom, même s'il est difficile d'en discerner exactement les limites, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice. De manière très grossière, on peut raisonnablement estimer que le traité permet d'adopter des normes de sûreté harmonisées et de développer les contrôles. En revanche, il limite certainement les possibilités de confier à une autorité européenne le pouvoir de mettre en oeuvre et de faire respecter les normes édictées.
LES PROPOSITIONS DE VOS RAPPORTEURS
Nos propositions sont formalisées dans une proposition de résolution qui vous a été transmise hier matin.
Le premier point vise à soutenir la proposition de directive « déchets ». Pas de remarques particulières, le texte étant très proche de la législation française.
Le deuxième point important tend à pérenniser les tests de résistance. Comme nous l'avons dit, ces tests n'ont pas de base juridique. Ils reposent sur un engagement politique.
Par ailleurs, la proposition de résolution attire l'attention sur les tests dont les résultats devraient être connus avant la fin de l'année. Si les conclusions sont qu'aucun réacteur de l'Union ne pose de difficultés, l'opinion ne comprendra pas et l'effet sera contreproductif. Mais cet écueil ne doit pas aboutir au biais opposé qui consisterait à saupoudrer les critiques sur tous les pays, de manière à ce qu'aucun État membre ne se sente plus visé qu'un autre. Le Conseil européen de décembre sera une véritable épreuve de vérité et de courage.
Le troisième demande la révision de la directive « sûreté ». Parmi les pistes, nous évoquons l'affirmation plus forte de l'indépendance des autorités nationales de sûreté et l'adoption d'un chapitre important sur la transparence et l'information du public. La directive est laconique aujourd'hui. La loi du 13 juin 2006 pourrait servir de modèle. Elle reconnaît un droit à l'information du public et rend aussi obligatoire la création des commissions locales d'information auprès de tout site comprenant une ou plusieurs installations nucléaires.
Enfin, la directive devrait franchir un cap en posant le principe d'une évaluation par les pairs des installations nucléaires tous les dix ans. L'ENSREG pourrait être chargé d'organiser et de coordonner ces inspections croisées.
Le quatrième point vise à prendre en compte la dimension « sécurité »
La sécurité nucléaire est une notion distincte de la sûreté nucléaire. L'article 1er de la loi du 13 juin 2006 dispose ainsi que « la sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d'accident ».
Or, le traité Euratom n'attribue pas de compétences à la Communauté pour réglementer la sécurité des installations nucléaires. Ces questions relèvent de la souveraineté des États membres.
Pourtant, il est difficile pour l'opinion publique de comprendre cette distinction entre sûreté et sécurité. Dans les deux cas, il s'agit d'éviter que les travailleurs ou la population soient affectées par une contamination radioactive.
C'est d'ailleurs tout l'enjeu du bras de fer en cours entre la Commission européenne et l'ENSREG à propos des modalités des tests de résistance. La Commission européenne, emmenée par son commissaire à l'énergie M. Günter Oettinger, demande que la robustesse des centrales soit testée face à tous les aléas possibles, y compris le risque terroriste et les attaques informatiques. L'ENSREG s'y oppose en invoquant l'absence de base juridique dans le traité Euratom en matière de sécurité.
Le compromis esquissé consisterait à créer un groupe ad hoc d'experts des États membres chargé d'évaluer la résistance des centrales à des actes de malveillance. Les autorités de sûreté et l'ENSREG ne s'occuperaient que de la sûreté proprement dite.
Nous considérons que ce débat doit trouver un prolongement législatif. Certes, le traité Euratom ne le permet sans doute pas. Mais il ne l'interdit pas non plus. Un cadre juridique adapté doit être trouvé pour inscrire la sécurité nucléaire parmi les objectifs liant les États membres. Je ne vous cache pas que cette proposition pose des difficultés au Gouvernement.
Enfin, le dernier axe de nos propositions tend à faire de l'ENSREG le pivot de l'Europe de la sûreté nucléaire
L'idée d'une agence européenne de la sûreté nucléaire a été écartée pour les raisons déjà évoquées.
Pourtant, sans contester le principe de la responsabilité première des États et des opérateurs en matière de sûreté, un regard extérieur paraît nécessaire.
Constitué de fait des chefs des autorités nationales de sûreté des 27 États membres et de la Commission européenne, l'ENSREG a trois atouts : la légitimité, la proximité et la technicité. Il ne devrait pas se transformer en une administration, mais jouer un rôle de coordonnateur et de moteur en s'appuyant sur les compétences des autorités nationales de sûreté.
Plusieurs compétences pourraient lui être confiées sur mandat de la Commission européenne.
La première serait d'émettre des avis sur la réglementation et l'organisation de la sûreté dans chaque État membre. L'ENSREG serait mieux placé que la Commission, seule pour le faire.
La deuxième serait de poursuivre le travail accompli à l'occasion de la directive « sûreté » et de la proposition de directive « déchets ». WENRA et l'ENSREG ont élaboré ces textes avant que la Commission européenne ne les porte politiquement. Ce processus ne doit pas s'interrompre. L'ENSREG pourrait s'atteler à traduire dans la réglementation européenne les niveaux de référence de sûreté établis par WENRA (les « Safety reference levels »). De la même manière, les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs, arrêtés par WENRA en novembre 2010, mériteraient d'être promus au plan communautaire.
La troisième ferait de l'ENSREG un lieu de concertation, afin d'aboutir, dans le respect des compétences des États membres, à des certifications identiques des composants des centrales, voire du design des réacteurs.
Cette suggestion est une réponse à une demande des industriels, notamment Areva, qui se plaignent des surcoûts résultant de l'obligation d'obtenir la certification de leurs réacteurs dans chaque État membre, alors même que la technologie est la même.
Les avantages d'une certification commune seraient multiples. Pour l'industriel, des coûts moindres, un gain de temps et un meilleur retour d'expérience. Pour la population, la garantie d'un niveau de sûreté équivalent dans tous les pays. Pour les opérateurs, un partage d'expérience plus aisé. Pour les autorités de sûreté, une mise en commun des connaissances et de l'expertise. Toutes les autorités de sûreté n'ont pas forcément les moyens de l'ASN française.
Nous avons entendu les remarques soulignant que chaque installation est différente, par exemple pour prendre en compte les spécificités du site. Les autorisations de construction d'une centrale ne sont pas reproductibles. Pour autant, l'essentiel des caractéristiques d'un réacteur EPR, pour prendre cet exemple, sont identiques, quel que soit le pays de l'Union dans lequel il est construit. Une sorte de première certification de base serait alors concevable. L'autorisation finale s'attacherait seulement à adapter le modèle de base aux particularités du site.
Une solution consisterait à élever au niveau de l'ENSREG un groupe de travail chargé d'élaborer une position commune sur les composants soumis à certification. Ces travaux n'auraient pas force contraignante, les États membres demeurant seuls responsables pour autoriser ou non un type de centrale sur leur territoire. Mais cette expertise commune permettrait d'aboutir, de fait, à des certifications identiques dans les pays de l'Union.
La quatrième, déjà évoquée, concerne l'organisation d'examen par les pairs. L'ENSREG pourrait coordonner la réalisation des inspections croisées.
Enfin, la dernière serait relative à la gestion de crise. L'échelon européen, légitime dans ce type de situation, souffre d'une importante carence. Une harmonisation des mesures en situation d'urgence serait envisageable. L'ENSREG pourrait avoir un rôle de coordination des moyens et de l'expertise, afin de ne pas laisser un opérateur ou un État seul face à l'accident.
L'accident de Fukushima a surpris tout le monde, car si l'on imaginait un accident consécutif à un séisme, l'hypothèse d'une submersion n'était pas dans les têtes. Cela montre que la sûreté doit garantir en toutes circonstances le refroidissement des combustibles et le confinement. Je ne suis pas sûr que nos centrales soient armées convenablement.
Ma deuxième observation est que le nucléaire ne connaît pas de frontières. Un nuage radioactif ne s'arrête pas aux portes de l'Europe. L'échelon le plus pertinent est l'échelon mondial. Malheureusement, un cadre international véritablement contraignant semble hors de portée. Une action européenne est un premier pas nécessaire, mais pas suffisant.
Malgré ces réserves, j'approuve entièrement la proposition de résolution européenne de nos rapporteurs. Elle va dans le bon sens. Elle pourrait même aller plus loin. Le passage suggérant de confier plus de responsabilités à l'ENSREG devrait être plus percutant. La rédaction pourrait être la suivante : « Il conviendrait dans un premier temps de renforcer substantiellement le rôle de l'ENSREG ».
Dans le même esprit, il serait préférable d'écrire que la création d'une agence européenne n'est pas « envisageable » dans l'immédiat, plutôt que d'écrire qu'elle n'est pas « souhaitable ».
Tout à fait d'accord. Nous retenons vos deux suggestions. La proposition de résolution est ainsi modifiée.
Je soutiens globalement la proposition de résolution européenne. Elle est nécessaire. Elle pourrait être améliorée sur quelques aspects. L'examen par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire permettra d'en débattre.
Il y a quelques années la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver avait abouti à des conclusions quasi-consensuelles. L'une d'entre elles était que les États devaient garder la maîtrise de l'outil nucléaire. Je crois que l'un des enseignements du drame japonais sera qu'une centrale nucléaire ne peut pas être totalement abandonnée à une gestion privée. La proposition de résolution européenne pourrait en faire mention.
Cette mission commune d'information avait aussi mis en évidence la tentation chez plusieurs États membres de faire de la France le poumon électrique de l'Europe, l'énergie nucléaire y étant mieux acceptée qu'ailleurs.
Enfin, il était apparu qu'une politique énergétique intégrée était hors d'atteinte et qu'il valait mieux renforcer la coopération entre les acteurs étatiques et économiques du secteur. Je vois qu'il en va de même en matière de sûreté nucléaire.
Je terminerai en rappelant que la principale cause d'incident dans les centrales françaises est le facteur humain. Cela pose le problème du recours massif à la sous-traitance et de l'impossibilité de s'assurer de la compétence de tous les personnels intervenant dans les centrales. La proposition de résolution demande l'inscription d'une obligation de formation renforcée des agents. Il faut aller encore plus loin.
J'espère que cette proposition de résolution prospérera et que d'autres résolutions suivront sur ce thème majeur. Ne pourrait-on pas prévoir la création d'une force européenne de sécurité civile dédiée aux accidents radiologiques ?
Je partage la remarque de Michel Billout. Au Japon, la privatisation a été trop loin. La France doit prendre garde à ne pas suivre ce chemin. Nous avons un magnifique outil. Il ne faut pas en perdre la maîtrise.
Je note l'idée d'une force européenne de sécurité civile. Cela fait partie des points que nous devons continuer à creuser.
A l'issue du débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport, paru sous le numéro 561. Elle a ensuite conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne suivante :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le traité Euratom,
Vu la proposition de directive du Conseil relative à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs (E 5794) présentée le 3 novembre 2010, dénommée ci-après proposition de directive « déchets »,
Vu la directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires, dénommée ci-après directive « sûreté »,
Vu les conclusions du Conseil « énergie » du 21 mars 2011 et du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011,
approuve globalement la proposition de directive « déchets » ;
demande que la possibilité de stocker des déchets dans un autre État soit réservée à des situations très limitées ;
soutient la démarche des tests de résistance et souhaite que le principe de tests périodiques, actualisés et soumis à l'examen des pairs figure à l'avenir dans la réglementation européenne ;
attire l'attention sur le fait que les résultats des tests et les conséquences qui en seront tirées devront impérativement être crédibles, clairs et transparents aux yeux de l'opinion publique, au risque sinon que cette démarche soit contreproductive ;
juge nécessaire une révision de la directive « sûreté » dans le sens :
1) d'une affirmation plus forte et précise de l'indépendance des autorités nationales chargées de la sûreté nucléaire ;
2) d'un développement des obligations des États membres et des opérateurs en matière de transparence et d'information du public, sur le modèle de la loi n°2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire qui prévoit notamment la création des commissions locales d'information ;
3) de l'inscription d'une obligation de formation renforcée des agents intervenant dans des installations nucléaires ;
4) d'une extension des évaluations par les pairs aux contrôles des installations nucléaires proprement dites et d'une obligation pour les États membres et les opérateurs de répondre aux conclusions de ces évaluations ;
demande que, sur une base juridique adaptée, la sécurité des installations nucléaires, concept qui figure dans la législation française et qui inclut la lutte contre les actes de malveillance, devienne un objectif pour les États membres de l'Union au même titre que la sûreté nucléaire ;
propose que soient intégrés dans la législation communautaire les niveaux de référence ou standards de sûreté établis par l'Association des responsables des autorités de sûreté nucléaire des pays de l'Europe de l'ouest (WENRA) depuis 2007 ainsi que les objectifs de sûreté des nouveaux réacteurs définies par elle en novembre 2010 ;
estime que s'il n'est pas envisageable dans l'immédiat de créer une agence européenne de la sûreté nucléaire chargée du contrôle des installations et de l'application des règles européennes, car les engagements internationaux attribuent aux États la responsabilité principale de la sûreté, il conviendrait dans un premier temps de renforcer substantiellement le rôle du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de la sûreté nucléaire (l'ENSREG) ;
suggère à cet effet que l'ENSREG se voie confier un droit de regard sur les futurs programmes nationaux de gestion du combustible usé et des déchets radioactifs prévus par la proposition de directive « déchets » ainsi que sur les cadres nationaux pour la sûreté nucléaire prévus par la directive « sûreté » ; il pourrait aussi fournir le cadre pour l'élaboration de normes de sûreté harmonisées et pour une démarche de certification concertée de composants, voire de réacteurs ;
propose enfin la définition d'un cadre communautaire de gestion de crise en cas d'accident important dans lequel l'ENSREG se verrait reconnaître un rôle de coordination ;
Je dois vous demander encore un instant d'attention car nous sommes saisis en urgence de deux textes pour lesquels le Gouvernement souhaite être libéré de la réserve d'examen parlementaire.
Ce sont deux textes de faible importance, pour lesquels il serait effectivement incompréhensible que la France demande un report du vote au Conseil.
Le premier, le texte E 6231, vise à approuver la création de deux comités consultatifs dans le cadre de l'accord de stabilisation et d'association avec le Monténégro, qui est entré en vigueur le 1er mai 2010.
Le premier comité représentera les partenaires sociaux et d'autres organisations de la société civile ; le Comité économique et social européen y sera partie prenante. Le second comité regroupera les représentants des autorités locales et régionales des deux parties ; le Comité des régions y participera au nom de l'Union européenne.
Le second est le texte E 6252, qui a pour objectif de prolonger pour une période de 12 mois les mesures conservatoires adoptées en juin 2010 à l'encontre de Madagascar, dans le cadre de la politique d'aide au développement. La situation politique locale ne permet pas en effet d'envisager un retour à l'ordre constitutionnel normal après la prise de pouvoir par la force de l'ancien maire d'Antananarivo : les forces politiques en présence ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un accord de transition qui permettrait notamment la tenue d'élections libres. Dans ces conditions, l'Union, conformément aux dispositions de l'accord de Cotonou, souhaite proroger la suspension des crédits dont Madagascar bénéficiait dans le cadre du Fonds européen de développement. Ces mesures n'affectent ni les contributions humanitaires, ni les projets visant directement la population.
Je crois que nous pouvons lever la réserve sur ces deux textes qui relèvent des affaires courantes.
Il en est ainsi décidé.