Intervention de Alain Vasselle

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 janvier 2017 à 9h05
Questions sociales et santé — Perturbateurs endocriniens : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mme patricia schillinger et m. alain vasselle

Photo de Alain VasselleAlain Vasselle :

Ce qui a guidé notre réflexion, ce sont les enjeux de santé publique. La France n'en fait pas assez en matière de prévention, alors que cela pourrait générer des économies substantielles pour l'Assurance maladie.

La Commission européenne a présenté ses deux projets d'acte le 15 juin 2016 et les a modifiés à trois reprises par la suite. Nous n'avons disposé que de versions anglaises... S'appuyant sur la définition proposée par l'OMS, la Commission estime qu'une substance sera reconnue comme perturbateur endocrinien si elle montre des effets indésirables sur un organisme sain ou sa progéniture, si elle altère le fonctionnement du système endocrinien et si ses effets indésirables sont une conséquence du mode d'action endocrinien. Or ces critères ne semblent satisfaire aucune des parties en présence.

Pour les associations de défense de la santé et de l'environnement, le niveau de preuve demandé est trop élevé et les études scientifiques standardisées ne permettront d'identifier qu'un nombre très limité de perturbateurs endocriniens. Pour remédier à cela, les critères d'identification des perturbateurs endocriniens doivent pouvoir être mis en évidence sur la base de protocoles approuvés par la communauté scientifique mais qui ne sont pas encore reconnus par l'OCDE.

Ces associations préconisent donc de définir plusieurs catégories en fonction du niveau de preuve dont on dispose pour identifier la substance comme perturbateur endocrinien. L'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) suggère trois catégories : perturbateurs endocriniens avérés, présumés et suspectés. Les deux premières catégories seraient interdites ; pour la troisième, des restrictions seraient mises en oeuvre.

En revanche, pour les industriels et les agriculteurs, les perturbateurs endocriniens doivent être évalués comme n'importe quelle substance toxique. Ils préconisent une évaluation fondée sur le risque prenant en compte la puissance de la substance et l'exposition à celle-ci.

Face aux enjeux sanitaires et économiques, il nous apparaîtrait judicieux d'appliquer le principe de précaution. Celui-ci prévoit que l'absence de certitudes scientifiques ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives, mais aussi proportionnées, visant à prévenir un risque pour la santé.

Pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) que nous avons auditionné, les critères présentés par la Commission sont trop restrictifs et exigent un niveau de preuve difficile à atteindre compte tenu des connaissances scientifiques actuelles. Rappelons que les perturbateurs endocriniens sont un concept récent formulé en 1991 seulement. Nous proposons donc que les trois critères à prendre en compte pour identifier une substance comme perturbateur endocrinien soient les suivants : elle est connue ou présumée pour ses effets indésirables sur un organisme sain ou sa progéniture ; elle présente un mode d'action endocrinien et altère donc les fonctions du système endocrinien ; il est biologiquement plausible que ses effets indésirables soient une conséquence du mode d'action endocrinien.

Ces critères sont ceux défendus par le gouvernement français. En considérant que ces effets doivent être connus ou présumés et en établissant que le lien entre la perturbation et l'effet néfaste sur la santé est biologiquement plausible, on prend en compte les caractéristiques particulières du système endocrinien, notamment le temps de latence entre la perturbation endocrinienne et l'effet néfaste.

En revanche, une application proportionnée du principe de précaution ne conduit pas à définir une catégorie de perturbateurs endocriniens potentiels. Les agriculteurs comme les industriels s'inquiètent de voir apparaître une liste noire de substances considérées comme étant potentiellement des perturbateurs endocriniens, qui, même si elles ne sont pas formellement interdites, seront rejetées par les distributeurs et les consommateurs. Une étude menée par le cabinet Redqueen indique que 60 substances seraient concernées. Cela aurait pour conséquence de remettre en cause la viabilité des exploitations dont la rentabilité baisserait de 40 % en moyenne.

Par ailleurs, la Commission a proposé de modifier le cadre réglementaire relatif à l'usage de ces substances dans le cadre des produits phytopharmaceutiques en s'appuyant sur l'article 78 du règlement relatif à ces produits. Celui-ci prévoit que la Commission peut en modifier les annexes pour prendre en compte les évolutions des connaissances scientifiques et techniques. Alors qu'aujourd'hui une dérogation à l'interdiction des perturbateurs endocriniens est possible en cas « d'exposition négligeable », elle propose de l'autoriser « en cas de risque négligeable lié à l'exposition dans les conditions réalistes les plus défavorables ».

La Commission va au-delà de son mandat en remettant en cause des dispositions essentielles du règlement relatif aux produits phytopharmaceutiques. Face aux objections nombreuses des États membres, elle a décidé le 21 décembre 2016 de proposer cette modification dans un acte d'exécution distinct de celui présentant les critères d'identification des perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques.

Enfin, les critères proposés par la Commission pour identifier un perturbateur endocrinien distinguent l'être humain des autres organismes vivants, organismes non ciblés. Dans sa version du 8 décembre 2016, elle a ajouté un paragraphe aux deux projets d'acte afin de ne pas interdire les substances dont le mode d'action réside précisément dans la perturbation du système endocrinien des organismes nuisibles, si l'effet néfaste de cette substance n'est pas avéré sur les êtres humains.

Nous nous opposons à ce type de mesures dont on ne peut évaluer les conséquences sur la santé et l'environnement, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles et de la difficulté de démontrer avec certitude l'absence d'effet néfaste sur la santé. Nous présentons donc une proposition de résolution européenne exprimant nos objections.

De nouvelles études viennent tous les jours modifier la connaissance que nous avons de ces questions, et les scientifiques eux-mêmes ne sont pas unanimes. J'ai souvent critiqué le principe de précaution ; mais, en matière de santé publique, il est justifié, car ces produits n'agissent pas de la même façon que les produits toxiques.

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