Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 janvier 2011 : 1ère réunion
L'élargissement de l'union européenne et la politique de voisinage Audition de M. Jean-Michel Casa directeur de l'union européenne au ministère des affaires étrangères et européennes en commun avec la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Je me souviens avoir appris, il y a bien longtemps, une loi de la dialectique, énoncée par Engels, selon laquelle l'accumulation de la quantité provoque, à un moment donné, une modification de la qualité. Nous en sommes là ! A 27, l'Europe ressemble déjà à une usine à gaz. Si on ajoute les 11 candidats, on arrive à 38 et je ne parle pas des 16 « pays du voisinage » grâce auxquels nous passerions à 54 !

L'idée yougoslave du regroupement des nationalités était quand même une très bonne idée. Ne devrions-nous pas exiger des pays des Balkans une forme de coopération régionale en préalable à toute avancée vers l'acceptation de leurs candidatures ? Cette entité ne s'appellerait pas la Yougoslavie, bien sûr, mais peut-être les « Balkans de l'Ouest ». Il est évident que ces pays ont beaucoup de choses en commun et sont faits pour vivre ensemble. Et plutôt que de raisonner en termes technocratiques, en « chapitres » et en « critères », ne devrait-on pas avoir une vision plus politique du problème ?

Il est évident qu'accepter la Croatie, c'est forcément s'engager à accepter un jour la Serbie, le plus grand pays des Balkans occidentaux, un pays qui a eu des torts, mais qui n'a pas eu tous les torts. Il ne saurait y avoir de politique sérieuse dans les Balkans occidentaux, qui ne prenne en considération la Serbie. Je sais bien que se pose la question des deux fugitifs, et que l'économie n'est pas encore en mesure d'adhérer, mais la Commission est-elle bien fondée à réclamer la privatisation de certains secteurs ? Là encore nos critères sont à revoir.

Pristina a fait des efforts, dites-vous, et est prête au dialogue, mais le Kosovo n'est pas une réussite. C'est un État qui n'est pas viable, et le rapport Marty du Conseil de l'Europe a révélé que le Premier ministre lui-même pouvait être impliqué dans un trafic d'organes sur des prisonniers serbes. Nous avons vraiment besoin d'une réflexion politique, notamment sur les Balkans occidentaux pour exiger d'eux une forme de regroupement régional.

L'Europe ne peut plus fonctionner. Déjà il est insensé que chaque pays ait un Commissaire, que Chypre et Malte en aient un au même titre que la France ou l'Allemagne ! C'est déraisonnable. Et même si le vote au Conseil est pondéré par la démographie, il y faut aussi le pourcentage de 55 % des États ! On multiplie les micro-États, qui ne sont pas des États, mais plutôt des entités régionales. Il faut y mettre le holà ! Les mânes de Jean Monnet doivent en frémir. Cette approche est beaucoup trop technocratique. Où est l'Europe voulue par le général de Gaulle ? Une initiative politique s'impose.

Le traité de Lisbonne a raté son objectif. Le problème est celui de la zone euro. Lisbonne prévoyait des règles qui ne peuvent pas s'appliquer. Et qu'on viole, d'ailleurs. Et heureusement qu'on les viole, heureusement que la Banque centrale européenne rachète les dettes d'États menacés par la spéculation. Heureusement qu'on viole la clause du no bail out et qu'on met sur pied des mécanismes de solidarité.

Le Conseil européen est le lieu où doivent se prendre les décisions, car c'est là que se trouve la légitimité politique, celle des chefs d'État et de gouvernement. La Commission, elle, n'a plus aucune légitimité démocratique. Organisons-là donc comme une haute administration, certes dotée d'immenses compétences, mais placée sous l'autorité du Conseil européen.

Nous en sommes arrivés à un moment où cette usine à gaz, qu'on continue à sans cesse compliquer, a déjà entraîné une crise profonde. Chacun en est conscient, quelles que soient ses options passées. On ne peut plus continuer ainsi. Nous avons atteint le point limite fixé par Engels où la qualité même se transforme.

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