Intervention de Robert Badinter

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 janvier 2011 : 1ère réunion
L'élargissement de l'union européenne et la politique de voisinage Audition de M. Jean-Michel Casa directeur de l'union européenne au ministère des affaires étrangères et européennes en commun avec la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Pour continuer dans le florilège de citations allemandes ouvert par notre ami Chevènement, je rappellerai le propos de Bismarck à la Conférence de 1878 sur les Balkans : « Le problème avec les Balkans, c'est qu'ils produisent plus d'Histoire qu'ils n'en peuvent consommer ». Un siècle après, on ne saurait mieux dire.

L'Histoire retiendra contre nous la folle course à l'élargissement, à marche forcée, qui a marqué une décennie de l'Union européenne. Et la France en est parmi les principaux responsables. Quiconque connaissait cette région savait que l'idée de faire adhérer la Bulgarie et la Roumanie avant qu'elles aient complètement régénéré leurs systèmes judiciaires et policiers, était une absurdité.

C'est pourtant ce que nous avons fait. Je rappelle avec quelle extrême précipitation nous avons été, au Sénat, convoqués, quand on s'est aperçu qu'il fallait consulter les parlements avant l'ultime ratification. Cela nous a valu une mémorable séance de la délégation aux affaires européennes, la veille de Pâques ; nous avons estimé que nous ne pouvions pas raisonnablement formuler quelque avis que ce soit.

Le résultat est là. Je suis retourné, encore récemment, en Roumanie et en Bulgarie. Vous n'imaginez pas l'état de leurs justices ! C'est donc une absolue nécessité de leur fermer Schengen et d'exiger de ces pays des transformations structurelles. L'état de leurs appareils judiciaires est encore loin de répondre aux standards européens. Je l'ai dit à Mme Reding. Elle m'a répondu qu'il n'y avait pas d'argent. En même temps, on apprend que ces pays ne consomment pas leurs fonds structurels... Le développement de l'Europe judiciaire est entravé par cette situation dans les Balkans.

La Croatie ne soulèvera pas de difficultés -à condition que nous restions vigilants. Au-delà, la Serbie a une évidente vocation à entrer dans l'Union ; ce serait un facteur de paix pour l'avenir. Il faut qu'elle adhère et que nous contrôlions son évolution.

Mais les autres États ! Nous aurions au Conseil de l'Union ou à la Commission un représentant du Monténégro ! Et la Bosnie-Herzégovine ! Voilà un bon sujet d'épreuve constitutionnelle à l'agrégation de droit public : « Imaginez la meilleure Constitution possible pour la Bosnie-Herzégovine, à partir des accords de Dayton » ! Comment les Nations unies ont-elles pu faire un État de trois morceaux juxtaposés qui se haïssent ?

Poser certaines questions n'est pas les résoudre, mais poursuivre l'élargissement serait de l'aveuglement ! Par absence de lucidité, mais aussi par manque de courage politique, nous avons été incapables de nous opposer aux missionnaires de l'élargissement, car nous voulions être aimés - une des pires faiblesses pour des politiques. Résultat : la situation est sans issue. Voilà où nous en sommes !

La seule recommandation à faire est d'utiliser l'espérance d'entrer dans l'Union européenne pour transformer les pays candidats. Nous avons été aveugles, au lieu de regarder en face la situation dans les Balkans.

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