Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 novembre 2016 à 8h30
Politique commerciale — Rapport de mme gisèle jourda sur la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda :

Nos agricultures d'outre-mer sont pour ainsi dire prises en étau, entre d'un côté l'ouverture croissante des marchés européens aux productions des pays tiers, et de l'autre l'inadaptation du cadre réglementaire sanitaire et phytosanitaire aux besoins des producteurs locaux. Ce qui est en jeu, c'est la stratégie de développement vertueuse, suivie dans les départements d'outre-mer (DOM) au cours des dernières années, tant en matière de respect de l'environnement que de recherche de la qualité. Notre proposition de résolution identifie des pistes que doivent suivre tant la Commission européenne que nos autorités nationales

Pourquoi l'agriculture des RUP est-elle pénalisée dans son recours aux produits phytosanitaires par rapport à la concurrence des pays tiers ? Le cadre réglementaire est rigide et inadapté : les normes nationales et européennes, très imbriquées, sont conçues pour une application uniforme et sur la base des seuls besoins d'un climat tempéré. Les entreprises agrochimiques sont peu incitées à développer une offre spécifique de produits phytosanitaires pour ces marchés de faible taille. Ainsi, seulement 29 % des besoins phytosanitaires sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole. Les agriculteurs des RUP sont souvent démunis face aux ravageurs et aux dévastateurs tropicaux.

À ceci s'ajoutent les effets d'une compétition déloyale avec les pays tiers. Les filières agricoles ultramarines ont accepté la logique vertueuse du mieux-disant environnemental et s'y sont adaptées, ce qui a occasionné une hausse du prix de vente de 15 % à 20 %. A contrario, leurs concurrents des pays tiers peuvent avoir recours à une palette de produits beaucoup plus large, dès lors qu'ils respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides.

La proposition de résolution formule un ensemble très complet de recommandations en matière phytosanitaire. Deux d'entre elles présentent une importance particulière. D'abord, dans la refonte du Règlement du 28 juin 2007 relatif à la production biologique, la proposition de résolution appelle à « prévoir un volet spécifique en milieu tropical, afin d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies et de permettre le traitement par des produits d'origine naturelle ». En second lieu, à l'occasion de la prochaine révision du Règlement du 21 octobre 2009 concernant les produits phytopharmaceutiques, la proposition de résolution demande une « dispense d'homologation pour tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche (...), afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs ». Plusieurs autres recommandations visent à sensibiliser les institutions européennes aux spécificités et aux besoins des agricultures ultramarines.

La concurrence qualitative se double d'une concurrence quantitative, occasionnée par l'ouverture du marché européen à certains produits de pays tiers. Sur ce point, je tire la sonnette d'alarme. La proposition de résolution aborde la question de l'ouverture commerciale et de la concurrence qui en résulte, qui met tout particulièrement à mal la filière de la banane communautaire.

Après les accords de libre-échange conclus en 2012 avec l'Amérique centrale et les pays andins, les droits de douane sur la banane, à l'importation dans l'Union européenne, seront passés de 176 euros par tonne en 2009 à 75 euros par tonne en 2020. Depuis la mise en oeuvre des accords avec ces pays, leurs exportations de bananes vers l'Europe ont fortement augmenté. La perte de parts de marché qui en résulte pour nos producteurs concernés met en péril l'avenir de la filière.

Des mécanismes de protection sont prévus : une clause de sauvegarde bilatérale et un mécanisme de stabilisation. La clause de sauvegarde spécifique prévoit que l'Union peut suspendre le droit de douane préférentiel si les importations de bananes depuis les pays partenaires se font « dans des quantités tellement accrues (...) et à des conditions telles qu'elles causent (ou menacent de causer) un préjudice grave à l'industrie de l'Union ». Le mécanisme de stabilisation, lui, permet à l'Union de suspendre temporairement - pas plus de trois mois et pas au-delà de la fin de l'année civile -, le droit de douane préférentiel, si les importations de bananes dépassent les seuils d'importation prévus dans les accords.

Mais la Commission européenne n'a jamais estimé utile ou opportun d'y recourir. Depuis 2013, aucun des deux dispositifs n'a été activé, alors même que l'évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier. D'où ma question posée en séance publique au ministre Harlem Désir lors du dernier débat préalable au Conseil européen. Mon rapport écrit présente des tableaux décrivant les dépassements répétés des seuils d'importation autorisés.

La proposition de résolution suggère quatre principales pistes d'action. D'abord, l'activation sans délai par la Commission des mécanismes de stabilisation et donc la suspension des droits préférentiels dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints ; ensuite, la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019 - alors qu' il est prévu de les supprimer à cette date ; la création d'observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP que sont la banane et la canne pour disposer de mesures fiables, publiques et transparentes ; enfin, la réalisation systématique, par la Commission européenne, d'études d'impact préalables sur les RUP des accords commerciaux passés par l'Union européenne.

La proposition de résolution souligne que « les contradictions de la politique européenne se révèlent particulièrement préjudiciables aux RUP qu'elles enferment dans une logique fataliste de compensation financière, de dépendance et de dépérissement, qui ne conduira en aucun cas au développement économique et social de territoires frappés par le fléau du chômage ». Ce système est absurde, quand on sait combien l'Union européenne a investi en faveur de l'agriculture dans nos DOM. Quel intérêt si nous ne pouvons plus écouler leur production ?

Quant à la logique des accords de libre-échange, négociés par la commission sur mandat du Conseil et ratifiés par les États-membres, elle n'est pas sans mérite. Mais elle ne doit pas mésestimer leur impact négatif sur des productions agricoles sensibles, qui sont par ailleurs les seules ressources des populations de ces territoires ultramarins.

La proposition de résolution préconise des solutions de nature à rétablir un juste équilibre entre producteurs concurrents et une protection justifiée pour nos producteurs ultramarins. Je vous propose de l'adopter sans modification.

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