Intervention de Sophie Joissains

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 mai 2014 à 15h00
Justice et affaires intérieures — Avenir des politiques européennes en matière de liberté de sécurité et de justice : rapport d'information de mme sophie joissains

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Ma communication sur les perspectives de l'après Stockholm dans le domaine des affaires intérieures et de la justice, s'inscrit dans un contexte particulier.

En effet, jamais le terme « perspectives », avec ce qu'il comporte d'aléatoire, n'a été aussi approprié. Car les éléments d'information que je vais vous communiquer, relatifs au bilan des cinq dernières années, aux priorités ainsi qu'aux ambitions exprimées pour les cinq années qui viennent, ont été recueillis auprès d'institutions européennes qui se trouvent en fin de mandat.

Le « Programme de Stockholm » adopté par le Conseil européen pour la période 2010-2014, était ambitieux. Ses grandes priorités se sont articulées autour de l'objectif « mettre le citoyen au coeur de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ».

C'est ce programme de Stockholm dont nous devons aujourd'hui, en 2014, dresser le bilan et envisager l'« après ».

J'évoquerai d'abord le volet affaires intérieures puis le volet justice.

S'agissant de la politique européenne de l'immigration, le bilan reste maigre.

La réunion conjointe Parlement européen - parlements nationaux, organisée à Bruxelles, le 19 mars dernier, à l'initiative de la commission Libé, a bien fait apparaître que la politique européenne en la matière se réduisait, en dépit de grandes déclarations de principe sur la nécessité d'une approche globale, à une tentative de rapprochement des règles en matière de droit d'asile ou de visas et à une contribution de l'agence européenne FRONTEX à la surveillance des frontières extérieures de l'Union.

À la Commission européenne, on estime, au demeurant, que les États membres sont, à titre principal, responsables du contrôle de leurs frontières extérieures.

Pourtant, il y a, aujourd'hui, « péril en la demeure européenne ».

Le dernier rapport trimestriel de l'agence FRONTEX est édifiant à cet égard.

En 2013, on a enregistré plus de 107 000 entrées illégales dans l'Union soit une hausse de 48 % par rapport à 2012. Le 3e trimestre 2013 a battu tous les records s'agissant des entrées illicites aux frontières extérieures de l'Union avec 47 400 passages illégaux (20 000 en 2012). Le 4e trimestre de cette année a été caractérisé par le plus grand nombre d'illégaux détectés aux frontières pour une période équivalente depuis 2009.

Sur les 4 premiers mois de l'année 2014, le nombre de traversées recensées entre l'Afrique du nord et l'Italie aurait presque décuplé par rapport aux 4 premiers mois de l'année 2013.

Dans ces conditions, on comprend que les autorités italiennes s'avouent complètement débordées par le phénomène.

Il semble qu'on ait dépassé le stade où certains États membres, confrontés à de ponctuelles « poussées migratoires », avaient simplement besoin d'être « épaulés » par l'agence européenne FRONTEX qui ne dispose, au demeurant, que de 300 agents avec un budget en baisse en 2014 (89 millions d'euros) soit environ 0,4 % du budget de 24 milliards de dollars que les États-Unis consacrent à leurs douaniers (63 000 agents) et à leurs garde-côtes (50 000 agents) !

Un projet de règlement sur la surveillance des frontières extérieures de l'Union est en cours de discussion. Mais il faut maintenant aller plus loin. Chaque État membre de l'Union doit comprendre qu'il est directement concerné par les pressions migratoires qui s'exercent sur les pays de la périphérie.

Le principe de libre-circulation à l'intérieur du territoire de l'Union ne peut plus être remis en cause. En conséquence, tous les États membres ont la responsabilité de la surveillance des frontières extérieures.

Cette responsabilité est la contrepartie de la création de l'espace Schengen. On ne devrait même plus parler de solidarité entre États membres mais de responsabilité commune.

Il y a plusieurs années, la Délégation du Sénat aux affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens. Cette proposition est toujours sur la table. Il s'agirait maintenant de l'activer. Contrairement à ce que certains prétendent, c'est impérativement de plus d'Europe dont nous avons besoin sur ce dossier. Le repli sur soi serait parfaitement illusoire. Les défis à relever en la matière appellent des réponses que chaque État membre seul est bien incapable d'apporter parce qu'elles requièrent l'échelle de toute l'Europe !

Le règlement de la situation d'urgence que je viens de décrire n'est nullement contradictoire avec la mise en place d'une véritable gestion raisonnée et prospective des flux migratoires, à l'échelle européenne.

Les principes qui doivent gouverner cette politique ont été définis depuis longtemps. Mais chacun voit que si l'actuelle crise migratoire ne trouve pas rapidement de solutions, toute politique globale d'accueil et d'intégration est vaine.

J'évoquerai maintenant un dossier voisin du précédent, celui de l'asile.

Un chiffre tout d'abord : d'après EUROSTAT, les demandes d'asile dans l'Union européenne auraient atteint 435 000 en 2013 soit une hausse de 36 % par rapport à 2012.

En la matière, il existe au sein de l'Union de grandes disparités : disparité relative au nombre des États membres qui accordent le droit d'asile : en fait, 5 à 6 États (Allemagne, France, Suède, Pays-Bas notamment) prennent en charge 80 à 90 % des demandeurs d'asile.

La seconde disparité concerne les taux d'acceptation. Certains États, par exemple, accordent le statut de réfugié à 80 % des Irakiens qui en font la demande, d'autres ne le délivrent qu'à 3 % des demandeurs de cette origine nationale !

Certains États ont une culture et une expérience de l'asile, comme par exemple la France ou l'Allemagne. D'autres en sont totalement dépourvus, comme les États nouvellement entrés dans l'Union européenne.

Les procédures et les pratiques diffèrent d'un pays européen à l'autre. Le statut de réfugié et les aides qui l'accompagnent sont aussi très différents d'un État membre à l'autre.

Un paquet législatif comportant trois directives - la directive « qualification », la directive « procédure » et la procédure « accueil » - a été adopté par le Parlement européen au mois de juin 2013. L'adoption de ces textes et leur transposition devraient permettre un certain nombre d'harmonisations.

L'actuelle explosion de la pression migratoire sur certains de ces pays pourra peut-être relancer le débat !

Mais ce qu'il importe avant tout pour l'Europe, c'est de mieux s'investir dans les régions du monde dont les demandeurs d'asile sont originaires. Les États européens devraient, par exemple, s'engager davantage avec des aides financières, mais aussi des programmes d'aide opérationnelle et technique, en faveur de l'Afrique et notamment en direction des pays africains qui accueillent parfois des millions de réfugiés. La Commission européenne appelle de ses voeux des programmes de ce type qui pourraient être mis en oeuvre par les États membres de concert avec l'Union européenne pour aider les régions du monde les plus concernées ; certains États européens, en fonction du contexte historique, pourraient d'ailleurs être mieux placés que d'autres pour piloter ce type d'opérations.

Dans le domaine de la sécurité intérieure, les progrès sont lents mais incontestables notamment dans le domaine de la coopération policière.

Europol, qu'une délégation de notre Commission des affaires européennes a récemment visité, apparaît à cet égard comme une vraie réussite. Il se qualifie lui-même comme un « méga-moteur de recherche » et permet, à l'évidence, une meilleure transmission des informations entre États membres.

Il reste que de l'aveu même de la Commission, la sécurité intérieure relève prioritairement, comme son nom l'indique, des affaires intérieures des États membres et donc des politiques régaliennes.

Elle ne s'en félicite pas moins de l'amélioration constante de la collaboration entre les différentes organisations policières. Cette coopération, au demeurant, a vocation à se renforcer à l'heure où la cybercriminalité ainsi que les différentes formes de grande criminalité organisée se moquent allègrement des frontières.

J'en viens aux perspectives de l'après Stockholm dans le domaine de la justice.

La Commission entend, à l'horizon 2020, renforcer l'État de droit.

À cet égard, elle a publié, au mois de mars dernier, une communication intitulée « Un nouveau cadre de l'Union européenne pour renforcer l'État de droit ».

L'objectif est de combattre les violations du droit de l'Union lorsqu'il existe, mais aussi la mise en cause des valeurs européennes dans tel ou tel État membre.

Lorsqu'un État membre de l'Union décide de se mettre en dehors de la loi, la Commission propose d'enclencher un mécanisme spécifique qui comprendrait deux étapes :

- un processus d'établissement des faits ;

- un processus de dialogue avec l'État membre afin qu'il finisse par respecter les règles et les valeurs de l'Union.

Ce processus déboucherait sur une recommandation, au cas où l'État concerné ne donnerait pas suite aux observations qui lui sont faites.

En fin de processus, si l'État concerné refuse de donner suite à la recommandation européenne, il sera toujours possible d'appliquer l'article 7 du traité - ce que la Commission appelle, elle-même, son « arme atomique » - qui prévoit la suspension du droit de vote au Conseil de l'État récalcitrant.

Des pays comme la Hongrie ou la Roumanie sont, en particulier, dans le « viseur » de la Commission.

Rappelons par exemple que la Hongrie s'est « débarrassée » de 600 juges tout simplement en abaissant l'âge de la retraite des magistrats.

Sur le dossier du parquet européen, qui fut quand même un des grands « chevaux de bataille » de notre commission des affaires européennes, on note que le ton, à la Commission, est désormais mesuré et positif. La plupart des acteurs du dossier sont même étonnés que les discussions sur une avancée aussi importante pour l'Union européenne soient plus faciles que prévu.

Pour commencer, la Commission n'est plus hostile à l'idée de collégialité. Elle s'attache, en revanche, à faire prévaloir deux aspects qui lui paraissent essentiels : l'efficacité et l'indépendance du parquet européen.

Le schéma qui semble rallier aujourd'hui tous les suffrages à l'exception du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni, pour la structure du parquet européen, serait le suivant :

- un procureur en chef avec cinq adjoints ;

- une formation collégiale de 20 à 25 membres (un par État).

La formation collégiale, qui pourrait être divisée en chambres permanentes ou ad hoc pour traiter les dossiers, serait bien le lieu du pouvoir stratégique pour toutes les décisions importantes notamment celles d'engager des poursuites ou de classer sans suite une affaire. Le procureur européen serait lui chargé de faire tourner la structure est d'assurer le suivi des dossiers traités ;

- des procureurs délégués dans les États membres.

La Commission restera ferme sur ce qu'elle considère comme l'indépendance du parquet européen par rapport aux États membres. Si une affaire concerne un État membre, par exemple, elle refuse que le procureur de cet État membre faisant partie de la structure collégiale du parquet européen soit en charge seul du dossier. Elle accepte toutefois que ce procureur puisse siéger dans la chambre qui prendra la décision.

En tout cas, tous mes interlocuteurs ont insisté sur le fait que le carton jaune des parlements nationaux a eu un impact psychologique déterminant.

En ce qui concerne le dossier sur la protection des données personnelles, il convient d'être prudent sur l'état d'avancement du dossier.

La Commission recherche manifestement un hypothétique équilibre entre la protection des données et le développement des entreprises européennes dans le domaine du numérique.

Les plus optimistes relèvent que la situation évolue lentement et que le Parlement européen a, pour sa part, bien avancé sur le sujet. Les pessimistes constateront qu'il sera sans doute difficile de trouver une solution avant la fin de l'année 2015, les blocages restant forts sur un certain nombre de points.

Les données personnelles constituent, comme le pétrole, une matière première d'une valeur considérable : le marché mondial des données représente sans doute des trillards d'euros !

L'Europe, estime la Commission, a un puissant intérêt à voir se développer sur son sol des « Google européens ».

Mais, d'un autre côté, il ne faut pas oublier les enjeux liés aux droits des personnes : droit d'accès (« qui » détient « quoi » sur tel ou tel citoyen), droit au consentement, droit à l'oubli, droit au refus de voir traiter et exploiter des données personnelles, interprétation uniforme des droits des citoyens au niveau européen.

Le projet de règlement sur la protection des données personnelles civiles et commerciales, de même que le projet de directive sur les données pénales et judiciaires s'efforcent de répondre à ces enjeux.

À la suite de l'affaire « Snowden », la Commission a remis 13 revendications au Gouvernement américain pour « assainir » les relations entre l'Europe et les États-Unis en matière d'échange de données et rétablir la confiance.

Sur ces 13 recommandations, 12 ont un caractère technique ; une seule pose vraiment problème : il s'agit de la question capitale de savoir ce qu'il advient des données européennes transférées aux États-Unis. La discussion n'est pas facile mais les lignes semblent bouger. On se dirige, semble-t-il, vers une restriction d'accès à ces données pour les agences de sécurité de type NSA.

Un accord pourrait donc être trouvé sur un principe de limitation d'accès et sur l'idée que certaines données pourraient faire l'objet d'un traitement spécifique.

Mais si un accord s'avérait impossible sur la 13e recommandation, on serait, juge la Commission, face à un très gros problème politique. N'oublions pas que le gouvernement américain n'est pas la seule partie prenante en la matière. Le Congrès américain semble en effet plutôt hostile à la position européenne.

La Commission invite les parlementaires des États membres à entrer en contact avec leurs collègues américains pour en discuter.

J'en viens à la formation des juges en Europe.

C'est un aspect très important du programme de travail que la Commission européenne souhaiterait mettre en oeuvre pour les cinq prochaines années.

La formation des magistrats tient une place importante dans le programme justice de 2014-2020. La moitié des crédits de la Commission dédiés à la Justice y sera consacrée. Toutefois, rien de très concret ne m'a été présenté.

Permettez-moi de tirer deux conclusions :

Je rappelle tout d'abord que les éléments d'information qui m'ont été fournis et qui constituent la matière première de cette communication, m'ont été fournis par des représentants d'institutions européennes en fin de mandat. J'ai donc été souvent destinataire de réflexions pouvant s'apparenter à un « testament politique ».

Ma première conclusion, c'est que je trouve parfaitement fondé le souhait exprimé par la Commission de consacrer le mandat à venir à la simplification, à la consolidation et à la mise en oeuvre des textes législatifs existants au plan européen.

Mes interlocuteurs ont souvent été modestes en développant l'idée que les institutions européennes existaient pour apporter une valeur ajoutée aux politiques conduites par les États membres dans le secteur, et s'efforçaient de mettre en place un socle minimal et acceptable par tous, de règles et de procédures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, de l'asile, de l'immigration, des visas, etc.

Ma seconde conclusion sera peut-être plus sévère. Dans le secteur JAI, l'Union européenne dispose de moyens très maigres voire dérisoires même si certains investissements ont été conséquents en particulier pour Europol.

Je vous ai indiqué tout à l'heure que le budget consacré par l'Union à la surveillance de ses frontières extérieures représentait environ 0,4 % du budget que les États-Unis dédient à cette fin. En adhérant à l'Union européenne, beaucoup d'États n'ont pas compris que l'entrée dans l'espace Schengen - la Bulgarie et la Roumanie n'y sont pas encore mais pourraient en être membres à part entière dans l'avenir - impliquait le contrôle de leur portion de frontières extérieures pour le compte de tous les autres États membres.

Cette contrainte est d'autant plus forte que les accords de Dublin les obligent à traiter les demandes et à héberger, en cas d'acceptation, les réfugiés qui ont présenté leur requête sur leur territoire. Et pourtant, ces États sont souvent dans l'incapacité d'assurer un contrôle efficace de leurs frontières.

Désormais, il faut tirer les conséquences de cette situation. Le repli sur soi n'étant pas une solution, ce sont au contraire les moyens mutualisés de l'Europe toute entière qui doivent être renforcés et mis au service des politiques d'immigration, d'asile et d'intégration, pour le plus grand profit de tous les États membres de l'Union européenne.

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