Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juin 2015 à 8h34
Institutions européennes — Déplacement à strasbourg des 18 et 19 mai 2015 : rapport d'information de mm. jean bizet michel billout mme fabienne keller mm. claude kern yves pozzo di borgo michel raison et andré reichardt

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Une délégation de notre commission s'est rendue à Strasbourg les 18 et 19 mai 2015. Ce déplacement a fait suite à celui que la commission avait effectué à Bruxelles les 23 et 24 mars. Il s'est inscrit dans le cadre des rencontres avec les institutions européennes que nous avons souhaité développer.

Je veux remercier, en notre nom à tous, nos collègues André Reichardt, Fabienne Keller et Claude Kern, membres de notre commission, ainsi que Jacques Bigot et Guy-Dominique Kennel, qui ont oeuvré pour le bon déroulement de ce déplacement.

Je veux aussi remercier nos anciens collègues Roland Ries, maire de Strasbourg, et Philippe Richert, président du Conseil régional pour leur accueil et pour les échanges très intéressants que nous avons eus avec eux.

Quels sont les enseignements que nous pouvons dégager ? Vous en trouverez une analyse détaillée dans le rapport qui vous a été adressé. Je me bornerai à en faire une présentation générale pour introduire notre débat.

D'abord et en premier lieu, nous avons pu ressentir concrètement la place de l'Alsace comme carrefour de l'Europe et mesurer qu'à Strasbourg, c'est l'Europe au quotidien qui se vit.

Le siège du Parlement européen est à Strasbourg. C'est à Strasbourg qu'une semaine par mois, le Parlement européen ainsi que les commissaires se réunissent. Il est d'ailleurs plus facile de les rencontrer à Strasbourg qu'à Bruxelles. Au-delà c'est une région qui dialogue et échange avec nos voisins européens.

La délégation a rencontré plusieurs organismes chargés d'accompagner au quotidien et de faciliter les activités transfrontalières. La coopération est dense. Mais nous avons été frappés par les difficultés rencontrées du fait des règles édictées par les administrations publiques. C'est, par exemple, le véritable casse-tête que constitue encore l'organisation de visites d'écoliers dans un établissement situé à quelques centaines de mètres, de l'autre côté de la frontière. C'est aussi le vide juridique dans lequel ont été placés les revendeurs de voitures du fait de la mise en place des nouvelles plaques minéralogiques françaises s'accompagnant de la disparition des immatriculations provisoires. Nous avons pu aussi mesurer concrètement le coût de l'absence de continuité au sein de l'espace européen dans le domaine essentiel de l'emploi.

Nous avons donc conclu à l'intérêt qu'il y aurait, en s'appuyant sur l'exemple de l'Alsace et sur l'expertise des acteurs locaux, à procéder au recensement de ces situations de manière à remédier aux difficultés rencontrées.

L'Alsace est aussi une région en pointe dans la gestion des fonds structurels européens. Vous lirez dans le rapport la présentation de l'expérience alsacienne, de ses succès incontestables et des difficultés concrètes qu'elle a pu rencontrer notamment dans les relations avec les services de l'État.

La campagne de contestation du siège du Parlement à Strasbourg se poursuit. Le risque est peut-être moins l'hypothèse d'une modification des traités que, pour reprendre l'expression de Roland Ries, celui d'un « glissement progressif du déplaisir » occasionné par des déménagements entre les différents lieux de travail du Parlement.

Un certain consensus semble se faire jour sur la nécessité de reprendre l'initiative au-delà d'une simple posture défensive reposant sur des arguments juridiques, la réduction du temps de transport entre Bruxelles et Strasbourg et le nécessaire soutien financier de l'État réalisé notamment au travers de contrats triennaux « Strasbourg, capitale européenne », le dernier en date ayant été signé le 26 avril dernier.

Il faut mettre en avant les atouts de Strasbourg par rapport à Bruxelles tels que l'opportunité qu'ils représentent pour une meilleure identification du Parlement au sein des institutions, l'existence d'une société civile locale très favorable et traditionnellement très mobilisée en faveur de la construction européenne ainsi que la proximité du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'Homme. Cet avantage peut être précieux dans la perspective d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention. Cette mobilisation est en particulier le fait de la Task force conduite par Catherine Trautmann.

Il s'agit d'autre part d'être en mesure de formuler des propositions sur l'organisation des institutions. La délégation a été très intéressée par la proposition de Philippe Richert visant à faire aussi de Strasbourg la capitale de la zone euro et par celle de Roland Ries consistant à établir (au moins partiellement) le siège du Secrétariat d'État aux affaires européennes à Strasbourg. Redisons-le clairement : Il s'agit moins de défendre un héritage du passé que de préserver l'équilibre de l'organisation institutionnelle de l'Europe à venir et le rôle de la France dans celle-ci.

Nos différents entretiens nous ont par ailleurs permis de mieux évaluer l'état de plusieurs politiques européennes qui sont à la croisée des chemins. Mme Margrethe Vestager, commissaire européen à la concurrence, nous a clairement confirmé la nouvelle approche de la Commission européenne pour une politique de la concurrence devant jouer un rôle central dans la stratégie en faveur de la croissance et la création d'emplois. Sur la notion de marché pertinent, elle a reconnu que pour nombre de secteurs d'activité, la dimension géographique pertinente s'avère souvent mondiale. Il n'y a toutefois, selon elle, pas un seul marché pertinent mais au contraire une multitude de marchés.

Mme Violeta Bulc, commissaire chargée des transports, a mis en avant trois grandes priorités que la nouvelle Commission, présidée par Jean-Claude Juncker, souhaite approfondir : la numérisation, la « décarbonisation » et l'internationalisation des positions européennes dans le domaine des transports. Elle nous a indiqué qu'il n'y avait pas encore d'accord politique pour une approche globale sur le « paquet ferroviaire ». Les compromis ont été trouvés pour le volet technique mais des difficultés sont encore à régler pour le volet politique. La Commission a accepté des compromis notamment sur les structures de holding. Mais elle restera vigilante sur l'organisation des structures. La commissaire a souhaité que le paquet global puisse être inscrit à l'ordre du jour du Conseil en octobre. Le mécanisme d'interconnexion pour l'Europe (MIE) fait l'objet d'une évaluation qui sera disponible mi-juillet. 11,9 milliards d'euros ont été distribués dans le cadre d'un premier appel à projets qui a concerné 700 projets. Ce programme doit permettre de promouvoir un meilleur équilibre entre les régions, notamment au profit de celles qui ne sont pas encore connectées aux réseaux européens. Deux nouveaux appels à projets seront lancés fin 2015 - début 2016.

La Commission place la stratégie numérique au coeur de la politique de croissance de l'Union. Il s'agit, selon le vice-président Andrus Ansip, que nous avons rencontré, de permettre à l'Europe d'être non seulement consommatrice mais aussi productrice de contenus numériques et de mettre en place une véritable gouvernance européenne du numérique. C'est le fil directeur des conclusions de la mission commune d'information du Sénat. Au-delà des aspects liés au respect des conditions d'une concurrence équitable, la stratégie pour un marché unique du numérique se fonde sur deux axes principaux à savoir l'accès aux biens et services numériques et le développement des infrastructures.

Nous avons discuté du plan d'investissement pour l'Europe avec le rapporteur du Parlement européen, José-Manuel Fernandes. Je retiens en particulier qu'il n'est pas prévu que le Conseil de direction du FEIS détermine de pré-allocation ni géographique ni thématique. Le rapporteur nous a indiqué que le Conseil était réticent à l'utilisation des marges disponibles du budget européen pour financer le plan, contrairement au souhait du Parlement qui veut préserver les crédits d'Horizon 2020 et du Mécanisme d'interconnexion pour l'Europe.

Nous avons eu un entretien très riche avec Elmar Brok, président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen. Sur la situation en Méditerranée, il a estimé qu'une meilleure répartition des migrants entre les États membres permettrait une plus grande acceptation du phénomène migratoire. Mais il faut d'abord s'attaquer aux racines du problème dans les pays d'émigration et de transit.

Cet enjeu migratoire est majeur pour l'Union européenne alors que la montée de forces populistes est observée dans les États membres. Elle doit y répondre en actionnant les différents instruments dont elle dispose, en apportant sa contribution pour relever le défi de la stabilisation et du développement de l'Afrique et en établissant un cadre pour la migration légale.

Sur l'Ukraine, il a fait valoir que ce pays devait entreprendre des réformes considérables qui concernent le système de l'État de droit et de l'économie de marché mais aussi le système social. L'application des accords de Minsk doit être la priorité. À défaut de leur respect, les sanctions européennes doivent être mises en oeuvre. Un message clair doit être adressé à la Russie sur les conséquences économiques qu'elle devrait subir en cas de poursuite de son entreprise de déstabilisation de l'Ukraine. Dans le même temps, l'Union européenne doit lui proposer d'établir les bases de bonnes relations économiques et politiques, qui seront bénéfiques pour les deux parties.

Nous avons également pu réserver le double enjeu de l'évaluation et de la simplification des politiques européennes. Ce fut en particulier l'objet de notre entretien avec Mme Lamarque, membre française de la Cour des comptes européenne. Vous en trouverez les enseignements dans le rapport. Le contrôle de la performance prend une place croissante dans les activités de la Cour.

Le groupe de suivi que nous avons constitué avec la commission des affaires économiques apportera sa contribution sur la simplification de la PAC. Comme l'ont fait valoir les députés européens Michel Dantin et Jean-Paul Denanot, le développement des actes délégués et d'exécution, qui fixent les modalités détaillées de mise en oeuvre de la PAC réformée, a contribué à la complexité. Doit aussi être prise en compte la propension des administrations nationales, en particulier en France, à en rajouter dans la complexité des procédures. Donner plus de liberté d'adaptation aux réalités locales serait donc une voie salutaire pour rendre la PAC à la fois plus efficace et mieux comprise par ses principaux destinataires.

L'entretien avec M. Alain Cadec, président de la commission des pêches du Parlement européen, nous a permis de faire un point sur l'application de la réforme de la politique européenne de la pêche. Nous déplorons le retard de la France dans la mise en oeuvre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Aucun crédit n'a à ce jour été débloqué. Le Gouvernement doit prendre la mesure de cette situation et prendre les décisions nécessaires pour que ce fonds européen bénéficie pleinement à notre pays.

Par ailleurs, nous avons pris connaissance des projets de la Commission européenne concernant la gestion du bar. L'enjeu pour notre pays est important, sachant que 4/5è des bars pêchés dans l'Union européenne le sont en France. La Commission européenne envisagerait d'augmenter la taille minimale de 36 cm à 42 cm. Si l'on peut souscrire à l'objectif de préservation de l'espèce, un compromis réaliste doit toutefois être recherché.

Au cours d'une rencontre avec Mme Iskra Mihaylova, présidente de la commission de la politique régionale du Parlement européen, nous avons partagé des interrogations communes sur la capacité des administrations à gérer les fonds dans le nouveau cadre qui a été fixé. Nos interlocuteurs ont souligné tout l'intérêt que les services de la Commission auraient à éditer des guides de bonnes pratiques pour les gestionnaires locaux. Cet entretien a aussi confirmé que la programmation des fonds européens ne devrait pas être modifiée pour tenir compte de la nouvelle carte des régions françaises alors que la classification de celle-ci en application du critère de PIB a pu changer.

Enfin, la délégation s'est vue confirmer que les dysfonctionnements dans la mise en oeuvre des politiques structurelles européennes sur le terrain pouvaient aussi avoir son origine dans notre pays. Il est nécessaire d'expertiser ces dysfonctionnements et d'examiner quelles mesures pourraient être prises pour y remédier.

Voilà les éléments d'appréciation que je voulais porter à votre connaissance en complément du rapport qui vous a été adressé. Le débat est maintenant ouvert.

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