Indépendant depuis 2006, le Monténégro s'est vu reconnaître le statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne en décembre 2010. Les négociations se sont ouvertes un an et demi plus tard et mettent en avant conformément à la nouvelle approche promue par l'Union européenne les questions relatives à l'État de droit et au fonctionnement de la justice. Si le Monténégro a été relativement épargné par les guerres de sécession qui ont déchiré l'ancienne Yougoslavie au cours des années quatre-vingt-dix, il reste aux plans juridique et économique un pays en transition vers les standards européens. S'il donne l'image d'un pays résolument tourné vers un avenir euro-atlantique, celui-ci suscite encore des réserves au sein de l'opinion publique qui semble crispée sur la question de son identité, huit ans après la séparation d'avec la Serbie.
La question de l'adhésion à l'Union européenne mais aussi à l'OTAN n'est par ailleurs pas anodine au sein d'un pays dont le premier partenaire économique reste la Russie. La crise ukrainienne a de surcroît des conséquences directes sur la scène politique monténégrine alors que le gouvernement a opté pour un discours de fermeté à l'égard de Moscou.
C'est à l'aune de ces événements, que je me suis rendu au Monténégro du 27 au 30 mai dernier, à l'invitation de mon homologue du Parlement monténégrin. La présidence de la commission de l'intégration européenne a été attribuée à un parlementaire issu de l'opposition, afin de souligner combien la perspective de l'adhésion était soutenue par toutes les formations politiques du pays. L'opposition est par ailleurs en large partie pro-serbe.
Les autorités monténégrines ont fait de l'adhésion à l'OTAN la priorité de leur politique étrangère, considérant cette intégration comme la première étape en vue de rejoindre l'Union européenne. Elle est, selon elles, avant tout censée permettre de stabiliser la région. Le gouvernement monténégrin met régulièrement en avant le rôle de facilitateur que joue le pays dans un environnement régional complexe mais au sein duquel il n'a aucun contentieux avec ses voisins. L'intégration au sein des structures atlantiques doit dans ces conditions conforter cette position. La volonté d'adhérer à l'OTAN n'est pas non plus dénuée d'objectifs économiques. Ses promoteurs estiment que l'intégration renforcerait la crédibilité du pays et attirerait ainsi de nouveaux investisseurs.
L'engagement militaire du Monténégro est par ailleurs indéniable tant au titre des opérations menées par l'OTAN que celles supportées par l'Union européenne. Le parlement monténégrin a ainsi voté un texte autorisant l'envoi de soldats au Mali et en République centrafricaine. Le Président du Sénat a reçu le 24 juin son homologue du Parlement monténégrin, M. Krivokapic, en visite en France et dans d'autres pays pour défendre cette candidature.
La démarche atlantique reçoit un accueil mitigé auprès de la population. Ainsi, une enquête d'opinion réalisée en mars 2014 soulignait que 46 % de la population était favorable à une intégration au sein des structures atlantiques, contre 31 % un an plus tôt. 30 % de la population affiche dans cette même enquête une opposition irréductible. Ce qui reflète à peu près le clivage politique au sein du pays. La question de l'adhésion a d'ailleurs été l'un des thèmes de campagne du scrutin municipal du 25 mai 2014. Certains partis pro-serbes, des associations issues de la société civile, l'église orthodoxe serbe et quelques médias affichent ouvertement leur hostilité à cette intégration. Le souvenir du bombardement meurtrier des Alliés au nord du pays lors des opérations au Kosovo en 1999 est régulièrement avancé, le risque de tensions avec la Russie également. Une adhésion à l'OTAN pourrait être considérée comme une nouvelle provocation par Moscou. Cette perspective pourrait inciter les Alliés à reporter cette intégration tant que la crise russo-ukrainienne n'est pas réglée, au risque de décrédibiliser les autorités monténégrines sur la scène intérieure. Les États membres attendent par ailleurs des progrès tangibles dans quatre domaines : services de renseignements, État de droit, réforme de la justice et réforme de la défense. Le gouvernement monténégrin espère néanmoins qu'une invitation à adhérer à l'OTAN pourra lui être adressée à l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique organisé à Cardiff les 4 et 5 septembre prochains.
Venons-en maintenant à la deuxième étape du projet euro-atlantique du Monténégro, l'adhésion à l'Union européenne.
Le Monténégro a signé un accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union européenne dès le 15 octobre 2007, soit à peine plus d'un an après son accession à l'indépendance. Cette signature rapide n'est pas étonnante compte tenu du fait qu'alors qu'il était uni avec la Serbie, le Monténégro s'inscrivait dans la dynamique lancée par l'Union à destination de la région suite au Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000. Les pays des Balkans occidentaux y ont notamment obtenu le statut officieux de « candidats potentiels ».
Après l'entrée en vigueur de l'ASA le 1er mai 2010, le Monténégro s'est vu reconnaître le statut de candidat le 17 décembre 2010. L'ouverture des négociations d'adhésion a été autorisée par le Conseil le 26 juin 2012, six mois après un rapport positif de la Commission.
Les négociations portent pour l'heure principalement sur les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (Justice et droits fondamentaux), ouverts le 18 décembre 2013. La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit est conforme à la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil.
Le rapport de progrès 2013 présenté par la Commission en octobre dernier insiste sur la réforme de l'administration afin de pouvoir mettre en oeuvre les chapitres 23 et 24. Celle-ci doit déboucher sur une dépolitisation effective et une professionnalisation de la fonction publique. La Commission juge ainsi préoccupante l'existence de lettres de démission non datées. Plus largement, le Monténégro est fragilisé par la faiblesse de ses capacités administratives. La fonction publique d'État comprend dans un pays composé de 620 000 habitants, 10 000 agents dont 5 000 sont employés dans la police et dans l'armée. Ce chiffre reste trop faible au regard de l'ampleur du chantier de l'adaptation de la législation monténégrine à l'acquis communautaire. Le gouvernement a ainsi mis en place une stratégie d'adaptation de la législation à l'acquis communautaire prévue pour la période 2014-2019. Le programme d'accession envisage sur cette période l'adoption de 228 lois et de 845 décrets.
Le vote par le Parlement monténégrin des amendements constitutionnels sur l'indépendance de la justice, le 31 juillet 2013, constitue néanmoins un gage de bonne volonté. Une telle révision était bloquée depuis deux ans en raison de l'opposition des formations pro-serbes. Ces textes répondent aux observations en la matière de la commission pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite commission de Venise.
Il s'agit désormais d'appliquer concrètement les orientations des plans d'action, ce qui peut apparaître pour l'instant délicat faute de ressources administratives adéquates ou d'accord politique. La réforme judiciaire n'est ainsi pas encore totalement mise en oeuvre en l'absence de vote au parlement sur la nomination du procureur général d'État. Une majorité qualifiée est nécessaire pour sa désignation (deux tiers aux deux premiers tours puis trois cinquièmes au troisième tour). Si l'essentiel du cadre législatif semble adapté aux exigences européennes, l'absence de résultat concret tend à inquiéter, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée et la corruption de haut niveau. L'annulation d'un jugement concernant une affaire immobilière impliquant la mairie de Budva et le demi-frère du vice-président du premier parti du Monténégro, le DPS, et d'un autre arrêt visant une affaire de blanchiment d'argent lié à un trafic de drogue ont pu apparaître comme de mauvais signaux. Deux angles permettent d'appréhender de telles décisions. Le premier tient à la corruption possible d'une partie de l'appareil judiciaire. Le deuxième est structurel et tient à la qualité de la formation des juges. La mise en place récente d'une académie ne règle pas, en effet, tous les problèmes.
La clôture des chapitres 23 et 24 est soumise à la validation de 83 critères intermédiaires, soit autant que ceux auxquels a dû satisfaire la Croatie pour l'ensemble des chapitres des négociations. Ce souci du détail ne constitue pas un traitement particulier destiné au seul Monténégro. Les négociations qui viennent de s'ouvrir avec la Serbie répondent aux mêmes exigences. Il s'agit surtout pour l'Union européenne, instruit des cas bulgare et roumain, d'éviter l'adhésion d'un État encore en décalage avec les pratiques de ses partenaires et la mise en place ensuite d'un mécanisme de coopération et de vérification, d'autant plus vexant pour le nouvel adhérent et in fine moins efficace.
Au-delà de la question judiciaire, la Commission s'interroge sur la situation macro-économique à court terme, qu'il s'agisse du déficit public, des aides publiques, des créances douteuses ou de la situation de la principale usine du pays, KAP, qui produit de l'aluminium. Le rapport de progrès insiste sur la nécessité pour le pays de ne pas uniquement s'appuyer sur le tourisme et l'immobilier, qui ont tiré la croissance en 2013, pour alimenter son développement. La reprise de l'acquis communautaire dans le domaine économique demeure, par ailleurs, assez lente.
Plus largement, il est possible de s'interroger sur les liens économiques entre l'Union européenne et le Monténégro. La relance des investissements dans le pays est en effet le fruit d'un rapprochement avec une entreprise chinoise en ce qui concerne le projet d'autoroute ou avec des sociétés égyptienne, azérie ou canadienne en matière de tourisme. Comme je vous l'ai indiqué, la Russie constitue par ailleurs le principal partenaire commercial du pays. En dépit de l'ouverture des négociations, la tendance ne semble pas favorable : les échanges commerciaux avec l'Union européenne ne représentaient que 36,8 % en 2012 contre 41,3 % en 2011 et se concentrent sur la Grèce, la Hongrie et l'Italie.
L'adhésion rencontre cependant un large consensus au sein de la population monténégrine selon les enquêtes d'opinion. Reste que compte tenu des conséquences de la crise économique, les Monténégrins attendent des résultats à court terme, ce qui peut paraître en décalage avec la longueur attendue des négociations d'adhésion. L'ambition affichée par les autorités monténégrines consiste en une adhésion dès 2020, ce qui supposerait une fin des négociations courant 2018. Le Monténégro souhaite pouvoir bénéficier dès 2021 du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Au regard des réformes à mener et des défis auxquels est confronté le Monténégro, ce souhait peut apparaître un peu présomptueux.
Aux faiblesses structurelles que je viens de décrire s'ajoute également le poids de l'histoire. Le pays semble toujours en transition, ayant subi deux dissolutions en 16 ans, celle de la Yougoslavie puis celle de l'Union de Serbie et Monténégro. Cet état de fait contraste avec un discours résolument ambitieux et optimiste au terme duquel le Monténégro serait en avance sur la plupart des pays candidats des Balkans occidentaux. Cet avantage est indéniable en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. Il l'est beaucoup moins à l'égard de la Serbie, pour lequel les négociations viennent à peine de s'ouvrir mais qui semble progresser rapidement.
Nous avons toujours au sein de notre commission effectué un suivi attentif à l'égard des pays issus de l'ex-Yougoslavie. Ce fut le cas en son temps avec la Slovénie et la Croatie et plus récemment avec la Serbie où une délégation s'est rendue en novembre 2013. Il s'agit là d'anticiper une probable adhésion en nouant des relations avec ceux avec qui nous allons être appelés à travailler dans les prochaines années et les aider à s'adapter aux exigences européennes. Pour le Monténégro, il s'agit d'un défi de taille, compte tenu de la taille du pays. Le Président Krivokapic rappelait la semaine dernière qu'il existait bien une tradition étatique au Monténégro, liée à son passé d'État indépendant résistant à l'Empire Ottoman au dix-neuvième siècle, mais pas de véritable tradition démocratique. C'est sur cette voie-là qu'il convient notamment de les aider.