Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er juillet 2014 à 15h00
Politique de coopération — Union pour la méditerranée : communication de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Je vous ai présenté l'an dernier le fonctionnement et les activités de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée au sein de laquelle je représente le Sénat depuis bientôt trois ans. La France dispose de trois sièges au sein de cette Assemblée, dont deux sont occupés par des députés. A l'occasion de la présentation de mon rapport sur la Jordanie, je vous avais fait état des travaux de la commission environnement dont je suis membre et qui accompagne les projets de canal Mer rouge - Mer morte et Desertec. La réunion à Barcelone de cette commission les 12 et 13 juin derniers a été l'occasion de m'entretenir avec M. Fathallah Sijilmassi, le secrétaire général de l'UpM, dont les locaux sont situés dans la capitale catalane.

Il s'agissait, notamment, de lui présenter les travaux de notre commission sur les questions euro-méditerranéennes, qu'il s'agisse du rapport que nous avons publié avec Bernadette Bourzai, Catherine Morin-Desailly et Jean-François Humbert sur l'avenir de la politique méditerranéenne de l'Union européenne après le printemps arabe, au travers des cas du Maroc et de la Tunisie, ou celui présenté il y a quelques semaines sur le statut avancé de la Jordanie auprès de l'Union européenne.

Ces deux documents insistaient sur la nécessité de renforcer le lien entre l'Union européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Nous avions souligné la nécessité de valoriser une logique de projets, destinés à consolider les valeurs démocratiques qui ont pu émerger dans la foulée du printemps arabe - ou un peu avant en ce qui concerne le Maroc - mais aussi à créer les conditions d'un développement économique durable.

Cette ambition économique et sociale est au coeur des missions de l'Union pour la Méditerranée, qui réunit les 28 États membres de l'Union européenne et 15 pays du bassin méditerranéen. Créée sous la présidence française de l'Union européenne le 13 juillet 2008, elle était initialement destinée à relancer les relations entre les États membres de l'Union européenne et leurs partenaires méditerranéens. Elle s'inscrit dans la lignée du processus de Barcelone. L'ambition affichée à l'époque consistait en la mise en place de nouveaux projets régionaux et sous-régionaux, présentant un véritable intérêt pour la population du bassin méditerranéen. Ces projets portent sur des domaines tels que l'économie, l'environnement, l'énergie, la santé, la migration et la culture.

Six priorités avaient alors été définies :

- dépolluer la Méditerranée ;

- mettre en place des autoroutes maritimes et terrestres qui relient les ports et améliorent les liaisons ferroviaires en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens ;

- assurer la sécurité civile des populations ;

- développer un plan solaire méditerranéen qui explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région. C'est ainsi que l'UpM a apporté son soutien au projet Desertec, qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Je vous avais présenté les contours de ce dispositif à mon retour de Jordanie ;

- créer une université euro-méditerranéenne (EMUNI) dont le siège est situé en Slovénie. L'ouverture, en septembre 2015, de l'Université euro-méditerranéenne de Fès (UEMF) viendra compléter ce dispositif. Elle se concentrera sur les questions euro-méditerranéennes et accueillera 6 000 étudiants ;

- favoriser le développement des petites et moyennes entreprises en évaluant dans un premier temps leurs besoins, puis en leur offrant une assistance technique et un accès au financement.

Cette logique de projet devrait commencer à porter ses fruits en 2015 avec la livraison de l'autoroute transmaghrébine, dont le coût est estimé à 670 millions d'euros. Elle traversera la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Elle est composée d'un axe atlantique de Nouakchott à Rabat et d'un axe méditerranéen de Rabat à Tripoli passant par Alger et Tunis. 55 villes sont concernées par le tracé, soit 50 millions de personnes. Combiné à l'axe autoroutier Rabat-Tanger, la Transmaghrébine devrait faciliter les échanges avec le continent européen. Deux tronçons restent à livrer, il s'agit des plus délicats puisqu'ils doivent permettre de relier le Maroc et l'Algérie, alors que la frontière entre ces deux pays est toujours fermée, ainsi que l'Algérie et la Tunisie. Le drame de cette région tient d'ailleurs à l'absence d'unité du Maghreb. Un renforcement de la coopération entre ces pays pourrait contribuer à la croissance de leurs produits intérieurs bruts respectifs d'un à deux points.

La construction d'un réseau ferroviaire jordanien aboutira de son côté en 2017. Il permettra de connecter le Royaume hachémite au réseau turc et donc à l'Europe. L'usine de dessalement de Gaza devrait, quant à elle, être opérationnelle en 2017. 55 millions de mètres cube d'eau seront ainsi traités afin de pallier à la pénurie qui affecte la région. Le coût du chantier est estimé à 310 millions d'euros.

La lutte contre la pollution passe par un soutien au programme de protection du Lac de Bizerte, au Nord de la Tunisie.

La dimension sociale n'est pas non plus absente des activités de l'UpM, à l'image de nombreux programmes en faveur de la défense des droits des femmes. Le dernier projet labellisé par l'UpM, le 3 juin dernier, concerne un projet de développement urbain au Caire, en Égypte, sur le site de l'ancien aéroport d'Imbaba. Il s'agit de fournir à 700 000 habitants les services et infrastructures de base nécessaires : installations médicales, écoles, parcs de loisirs, équipements sportifs, etc. Le projet fait partie des 12 projets sélectionnés par l'Initiative pour le financement de projets urbains (UPFI). Celle-ci est gérée par l'Agence française de développement et la Banque européenne d'investissement en liaison avec le Commission européenne et dans le cadre du Secrétariat de l'UpM. La banque allemande KFW, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sont aussi associées.

Je tiens en effet à préciser que l'action de l'UpM n'est pas celle d'un bailleur de fonds. Elle ne dispose pas à cet égard des crédits ou des effectifs suffisants pour répondre à une telle ambition. Soixante personnes travaillent à son service à Barcelone, qu'il s'agisse de diplomates, d'ingénieurs, de chefs de projets ou de correspondants des bailleurs de fonds internationaux. L'UpM labellise les projets répondant à ses priorités pour qu'ils puissent bénéficier de financements adéquats. Elle participe à cet effet à l'élaboration de l'étude de faisabilité de chacun de ces chantiers. Elle les présente devant la Commission européenne, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d'investissement ou toute autre organisation internationale qui pourront, quant à elles, accorder les crédits adaptés.

Au regard de l'état d'avancement des chantiers que je viens de décrire, le bilan de l'UpM six ans après son lancement peut apparaître positif. Il est néanmoins possible de s'interroger, avec son secrétaire général, sur le risque de limiter son action à un soutien technique pour ne pas dire technocratique à la mise en oeuvre de projets. L'Union pour la Méditerranée, dont la visibilité peut apparaître de surcroît insuffisante, manquerait alors d'âme. Le parti pris initial de vouloir l'ancrer dans le concret a pu en effet laisser l'impression d'une organisation en décalage avec les réalités socio-politiques de la rive Sud de la Méditerranée. Ce fut particulièrement criant au moment du printemps arabe.

Pour répondre d'avance à ces critiques, je tiens à rappeler que l'UpM reste le résultat d'un compromis. La logique de projets visait à associer la plupart des acteurs de la région, à déconnecter la relation entre l'Union européenne et Israël du processus de paix, et offrir dans le même temps un espace de compensation à la Turquie, dont les négociations d'adhésion à l'Union européenne étaient alors au point mort. Par ailleurs, même si son ambition politique était dès l'origine modeste, l'UpM a été très rapidement victime du contexte international. Six mois après son lancement, l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza est venue fragiliser cette organisation, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être. Je constate ainsi que les parlementaires israéliens ne se sont pas rendus en Jordanie pour la session plénière de l'AP-UpM en février dernier pour des raisons de sécurité. Cette assemblée constitue pourtant un espace de dialogue essentiel.

En dépit de ces difficultés, il est néanmoins souhaitable que l'UpM prenne toute sa place dans l'appui aux transitions démocratiques sur la rive Sud de la Méditerranée et que les projets qu'elle promeut puissent servir un tel objectif. Je pense en particulier à la Libye qui concentre actuellement toutes les difficultés de la région : guerre civile, trafic d'armes, immigration clandestine, radicalisme islamiste et défaillance de l'État. Ce pays dispose de frontières poreuses avec l'Algérie, l'Égypte et la Tunisie, pays qui sont déjà fragilisés au plan interne. 1,8 million de Libyens vivent en Tunisie, ce qui représente près de 20 % de la population tunisienne. 1 million de réfugiés sont attendus dans les prochaines semaines. Ses frontières maritimes le mettent également en contact directement avec l'Union européenne, via l'Italie ou Malte.

Plus largement, il est indispensable que l'UpM puisse prendre toute sa place pour accompagner des projets de coopération dépassant la rive Sud de la Méditerranée stricto sensu en faveur du développement de l'Afrique subsaharienne, dont les difficultés constituent aujourd'hui une des causes de l'immigration clandestine vers l'Union européenne tout en posant des problèmes de sécurité à l'égard des intérêts européens dans la région. Le 20 mai dernier, c'est une centaine d'enfants en provenance de cette région qui ont été récupérés par les autorités italiennes sur deux embarcations de fortune. Leurs parents avaient préféré les envoyer en mer, au risque qu'ils y disparaissent, plutôt que de les garder dans une région où ils n'ont aucun avenir. C'est cette ambition partagée par une large partie de ces populations qui font de la Méditerranée aujourd'hui un gigantesque cimetière humain.

A l'occasion de notre entretien, le secrétaire général de l'UpM s'est montré favorable à un renforcement de la coopération avec les parlementaires nationaux, dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'UpM mais aussi en bilatéral, via des rencontres avec les élus des États membres de l'Union européenne. Il sera sans doute utile de l'auditionner à terme pour qu'il précise un peu plus devant notre commission les prochains projets sur lesquels son organisation travaille et les écueils auxquels il est confronté.

En attendant, il me semble indispensable de continuer à appuyer l'action de l'UpM qui répond à un objectif auxquels nous souscrivons tous : celui de la prospérité et de la sécurité sur la rive Sud de la Méditerranée. L'Europe a tout à gagner à la réussite d'une telle ambition.

Lorsqu'elle a présidé l'Union européenne au deuxième semestre 2013, la Lituanie a fortement insisté sur le Partenariat oriental avec les pays de l'Est du continent européen. J'ai rappelé lors des COSAC qui ont été organisées durant cette période qu'il ne fallait pas pour autant négliger la politique méditerranéenne de l'Union européenne, qui représente tout de même les deux tiers des crédits de la politique de voisinage. Il s'agit bien évidemment de contribuer au développement de cette région mais aussi de défendre les intérêts européens en Méditerranée. N'en doutons pas, l'avenir de l'Union européenne est aussi au Sud.

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