La politique de voisinage de l'Union européenne se décline en un partenariat oriental avec des pays comme l'Ukraine, la Biélorussie ou la Moldavie et un partenariat euro-méditerranéen avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Le 13 avril dernier, les ministres des affaires étrangères des 28 États membres de l'Union européenne et des pays de la rive sud de la Méditerranée, à l'exception notable de la Libye - à cause du chaos qui y règne, avec deux gouvernements rivaux - se sont réunis à Barcelone afin d'évaluer les contours actuels de la politique de voisinage. La présidence lettone était surtout préoccupée par le partenariat oriental - je l'avais d'ailleurs fait remarquer à l'ambassadrice lettone. Le secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée (UPM), comme celui de la Ligue arabe, était associé à cet échange, mais cette organisation n'a pas constitué le cadre de cette rencontre.
La présidence lettone voulait promouvoir une nouvelle approche, audacieuse et flexible, pour reprendre ses mots, qui prenne mieux en compte le contexte régional et réponde à l'instabilité qui fragilise plusieurs pays de la rive sud. Comme nous l'avions déjà relevé en septembre 2013 à l'occasion d'un déplacement de notre commission au Maroc et en Tunisie, la présidence comme la Commission européenne ont constaté que l'Union européenne n'a pas forcément bien négocié le virage des printemps arabes. Elle n'a pas su anticiper l'aspiration des populations concernées au changement. Elle ne semble pas en mesure de répondre dans le cadre actuel, aux conséquences de ces mouvements, qu'il s'agisse de l'explosion des migrations ou de la dérive djihadiste. L'Union européenne s'est certes dotée d'instruments financiers destinés à financer des projets politiques, économiques ou sociaux. Nous les avions détaillés dans notre rapport. Elle a également multiplié les soutiens à des organes externes : l'Union pour la Méditerranée ou la Fondation Anna Lindh. Ces actions peuvent néanmoins apparaître en décalage avec l'urgence terroriste ou la nécessité de lutter contre les esclavagistes modernes que sont les passeurs.
Ce tableau peut vous paraître noir. Je reste cependant, comme vous le savez, un ardent défenseur de la politique méditerranéenne de l'Union européenne. Je milite depuis des années pour une sanctuarisation de ses crédits. La présidence lettone aurait d'ailleurs bien voulu grignoter au profit du partenariat oriental, comme je l'avais fait remarquer à l'ambassadrice de Lettonie quand nous l'avons auditionnée ! L'approche retenue n'est pas financière mais bien politique. La question est simple : que devons-nous faire de cet instrument qui fait suite au processus de Barcelone, fondé sur l'économie, mais qui, au vu des récentes évolutions, devrait passer à autre chose ?
Pour y répondre, je souhaiterais que nous écoutions un peu plus nos partenaires méditerranéens. Le point de vue algérien, dont on parle peu, est sans doute l'un des plus pertinents sur cette question. Contrairement à ses voisins tunisien ou marocain, l'Algérie n'a pas signé de plan d'action avec l'Union européenne. Sa rente pétrolière l'a longtemps tenue à l'écart du dialogue avec la rive nord, le pays privilégiant une stratégie de développement indépendante. La nécessité de réformer son modèle économique la conduit aujourd'hui à s'ouvrir un peu plus. Or que constate-t-elle quand il se tourne vers l'Union ? Un empilement de structures, qu'un ancien ambassadeur algérien à Bruxelles qualifie de mille-feuilles - il y en a beaucoup - subtilement complexe et dont la valeur ajoutée n'est pas immédiatement perceptible pour nos partenaires.
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, vice-président -
Le ministre algérien des affaires étrangères indique, dans la même veine, que le modèle actuel a atteint ses limites. Il n'abandonne pas pour autant l'idée d'un partenariat entre les deux rives et appelle à la mise en place d'un espace européen commun de sécurité et de prospérité partagée. Il faut capitaliser sur cette envie pour définir une nouvelle orientation partagée par nos partenaires traditionnels. Car la déception est palpable en Tunisie et même au Maroc, malgré son partenariat avancé avec l'Union européenne. Tous deux déplorent l'absence d'une vision stratégique sur les grands enjeux.
Notre dialogue avec le Maroc se focalise malheureusement plus aujourd'hui sur le prix de la tomate ou sur les zones de pêche, dans le cadre de l'accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), que sur la question des migrations illégales, via les enclaves espagnoles de Ceuta ou Melilla. On peut se demander en quoi consistera, dans ces conditions, le partenariat avancé, que l'Union européenne veut proposer demain à la Tunisie ? S'il se résume à un accord de libre-échange poussé, je doute qu'il séduise des Tunisiens plus intéressés par un soutien politique et sécuritaire concret face au péril islamiste.
Miguel Angel Moratinos, ancien ministre des affaires étrangères espagnol et père du processus de Barcelone, est également partisan d'un tel renouvellement, en insistant notamment sur la différenciation entre politique méditerranéenne et partenariat oriental. Cessons de suivre des modèles qui ont mal résisté aux dernières évolutions géopolitiques. Cela est aussi vrai pour le partenariat oriental d'ailleurs... La politique étrangère de l'Union européenne ne saurait être stéréotypée et se limiter à l'exportation d'un modèle qui ne serait in fine qu'économique, renforçant l'impression de paternalisme que peuvent ressentir nos partenaires sur la rive sud. La notion de différenciation doit également être au coeur de notre démarche avec les pays de la Méditerranée. Le cas marocain n'est pas similaire au cas jordanien - la Jordanie étant particulièrement intéressée par l'aide de l'Union européenne pour nourrir plus de 800 000 réfugiés syriens - et la Tunisie ne présente pas les mêmes caractéristiques que l'Algérie.
Avec Louis Nègre, tous deux élus de départements méditerranéens, nous allons prolonger nos travaux sur cette question dans les prochains mois et suivre particulièrement les futures orientations de la Commission européenne, qui devraient être rendues publiques cet automne. Le Sénat italien, à qui nous devons rendre visite à la fin du mois, est particulièrement demandeur d'une coopération avec notre Assemblée, afin de proposer une feuille de route parlementaire dans ce domaine. Nous échangerons donc pour aboutir à un texte commun, rédigé par les représentants de deux grands pays méditerranéens, qui connaissent bien les spécificités de Mare nostrum. Avec en filigrane l'idée que l'avenir de l'Union européenne est aussi au Sud.