Comme vient de l'indiquer le président Jean Bizet, une rencontre a été organisée le 4 décembre dernier avec trois membres de la commission des affaires intérieures de la Chambre des Communes : Monsieur Vaz, président de la commission et Messieurs Loughton et Winnick, membres de la commission. Participait aussi à cette rencontre notre collègue sénatrice Natacha Bouchart, maire de Calais.
Mon collègue Michel Billout et moi-même représentaient le groupe de travail récemment mis en place par notre commission des affaires européennes sur l'« espace Schengen l'asile et l'immigration ».
Je ne reviendrai pas sur les données qui vous ont été rappelées par le président Jean Bizet ainsi que par notre collègue Nicole Duranton. C'est au début de l'année 2014 que l'on a constaté, en effet, un nouvel afflux de migrants dans la région de Calais. À l'automne 2014, le nombre des candidats au passage illégal en Grande-Bretagne était estimé à environ 1 500 par le gouvernement. Il semble que ce chiffre soit appelé à être révisé à la hausse. Sur l'effectif recensé, on comptait environ 14 % de femmes et 10 à 15 % de mineurs. Je n'insiste pas sur la gravité de la situation sanitaire et sociale de ces migrants. Il y a quelques jours à peine, on a appris qu'un migrant avait été tué sur une rocade d'autoroute. Cette situation est indigne pour la France, pour la Grande-Bretagne et pour toute l'Europe.
Depuis un certain nombre d'années, une coopération entre la France et le Royaume-Uni s'est développé surtout d'ailleurs dans le domaine sécuritaire. En 2003, fut signé le traité du Touquet qui organisait des contrôles juxtaposés français et anglais dans tous les ports de la Manche et de la mer du Nord. Au mois de juillet 2009, fut conclu un arrangement administratif par lequel le Royaume-Uni finançait la mise en place de moyens de détection à haute technologie, en échange d'un contrôle accru sur le littoral par la partie française. Au mois de novembre 2010, un deuxième arrangement administratif franco-britannique a renforcé le contrôle des frontières. Enfin, plus récemment, au mois de septembre 2014, a été créé un fonds commun de sécurisation du port de Calais abondé à hauteur de 15 millions d'euros par le Royaume-Uni.
Notre collègue, Natacha Bouchart, maire de Calais, a souligné que l'arrivée de l'hiver avait encore aggravé tous les problèmes. Elle s'est néanmoins félicitée de la mise en place par le gouvernement d'un plan « grand froid » avec notamment un dispositif d'accueil de jour.
Le président de la commission des affaires intérieures de la Chambre des communes a mis l'accent sur ce que la France et la Grande-Bretagne pouvaient faire ensemble pour trouver des solutions aux problèmes des migrants de Calais. Cette situation, a-t-il jugé, est une des manifestations de la crise migratoire qui concerne toute l'Europe. Il a déclaré ne pas se faire trop d'illusions : tôt ou tard les migrants de Calais parviendront à gagner le Royaume-Uni. Il s'agit là d'un paradoxe. Il a aussi exprimé le souhait que les 12 millions de livres sterling versées par le Royaume-Uni dans le cadre du fonds commun de sécurisation du port de Calais soient utilisés à bon escient. La commission des affaires intérieures de la Chambre des communes exercera son contrôle à cet égard.
Le président Vas a aussi déclaré que l'Europe devait, selon lui, faire beaucoup plus en Méditerranée en relevant que 100 000 migrants clandestins pénétraient chaque année dans l'Union européenne en passant par la Turquie. Il a aussi mis l'accent sur l'indispensable coopération avec des pays comme le Maroc, la Libye, l'Algérie ou encore la Tunisie pour gérer les problèmes migratoires.
Nos collègues britanniques ont beaucoup insisté sur les mesures strictes récemment prises par le Royaume-Uni pour dissuader l'immigration clandestine.
Interpellés sur la question des facilités de travail et du système social plus généreux qui existerait en Grande-Bretagne notamment pour les familles des migrants, et en particulier les enfants de migrants qui ne résident pas sur le territoire du Royaume-Uni, ils ont indiqué que ces dispositions favorables bénéficiaient aux migrants en situation régulière et pas aux clandestins. Au demeurant, ont-ils jugé les candidats à l'« eldorado britannique » sont attirés par les possibilités de travail et les ressources financières susceptibles d'être envoyées aux familles restées au pays et pas par les prestations sociales.
Pour eux, la situation est claire : si l'on n'a plus de liens familiaux avec des personnes vivant régulièrement en Grande-Bretagne, il n'y a plus moyen de s'y installer. Ils opèrent une claire distinction entre les migrations régulières qui constituent, pour eux, un phénomène normal, les migrations intra-européenne et l'immigration clandestine. Ils sont conscients que le Royaume-Uni est soumis, comme les autres États membres, au droit européen et notamment à la directive « Services ». Ils savent comme vient de le rappeler récemment la Chancelière allemande Madame Merkel, que les règles de libre circulation des personnes sont un principe fondamental pour tous les pays appartenant à l'Union européenne. L'Europe, en tout cas celle qui relève de l'« espace Schengen », a, du point de vue britannique, sa part de responsabilité dans la pression migratoire qui s'exerce sur la Grande-Bretagne. Si les frontières de l'« espace Schengen », estiment-t-ils, étaient mieux surveillées, le Royaume-Uni ne serait peut-être pas confronté à ce type de problème.
Notre collègue Michel Billout a jugé nécessaire la mise en place d'une politique migratoire lisible et cohérente sur le plan européen. Il a estimé que le phénomène de l'immigration en provenance de pays à forte croissance démographique était appelé à durer. L'attractivité des pays riches est une donnée incontournable avec laquelle il faudra continuer à compter. L'« Europe forteresse » est illusoire, a-t-il souligné. Il faut comprendre plus que l'Europe se fermera à l'immigration légale plus il y aura de migrants illégaux.
Michel Billout a jugé qu'il fallait néanmoins combattre l'immigration clandestine et développer les coopérations européennes notamment à Calais et à Lampedusa.
Notre collègue Natacha Bouchart a estimé pour sa part qu'en dépit des dénégations de nos partenaires, le Royaume-Uni restait bien, pour les populations concernées, un « eldorado » où les conditions d'accueil et les facilités sociales étaient bien supérieures à celles des pays européens voisins. Cette situation est d'ailleurs bien actée par les passeurs qui ne cessent d'organiser en conséquence des filières de passage illégal en Grande-Bretagne.
Pour ma part, j'ai rappelé que le directeur de l'OFPRA, en visite à Calais, avait constaté le très faible nombre de demandes d'asile en France de la part des migrants. On sait que les réseaux de passeurs parviennent à persuader leurs victimes de ne pas faire de demandes d'asile dans notre pays. Relevons qu'en 2013, on a enregistré seulement 30 000 demandes d'asile dans le Royaume-Uni soit le niveau italien c'est-à-dire 7 % des demandes recensées dans l'ensemble de l'Union européenne.
Il existe, c'est un fait, un problème d'attractivité britannique. Même si elle durcit actuellement ses lois, la Grande-Bretagne reste un pays formidablement attractif du fait de sa situation économique qui n'est pas d'ailleurs sans susciter quelque fierté chez nos voisins. L'« espace Schengen » est souvent critiqué. Je considère pour ma part qu'il constitue une force. En l'absence d'« espace Schengen », on aurait vraisemblablement des « Calais » à toutes les frontières des pays de l'Union. J'ai encore appelé de mes voeux une profonde réforme des « règlements Dublin » afin que la responsabilité des réfugiés ne pèse plus seulement sur les pays européens de la périphérie. On ne peut plus sous-traiter les problèmes migratoires à des pays comme la Grèce ou l'Italie.
Le président Jean Bizet a exprimé, quant à lui, le souhait que la nouvelle Commission européenne mette davantage les questions migratoires sous l'angle européen. Il a plaidé pour un redimensionnement de FRONTEX et la relance de l'Union pour la Méditerranée. Il s'est félicité de la coopération financière entre la France et la Grande-Bretagne mais a jugé que pour tarir la source d'arrivée des migrants, il convenait de sécuriser les frontières d'une part, et de renforcer la coopération avec les pays d'origine des migrations, d'autre part. Après l'intervention d'un parlementaire britannique qui a laissé entendre que si le gouvernement du Royaume-Uni assouplissait les règles de l'immigration extra-européenne, le peuple britannique voterait massivement « non » au futur référendum, le président Jean Bizet a déclaré que son voeu le plus cher était que la Grande-Bretagne reste dans l'Union européenne. Afin de de régler le problème du différentiel d'attractivité qui pourrait exister entre la France et la Grande-Bretagne, il a plaidé pour un effort de convergence qui pourrait commencer, par exemple, par l'assouplissement du marché français du travail.
En conclusion, j'indiquerai que la discussion que nous avons eue avec nos collègues britanniques a montré que le Royaume-Uni avait encore peut-être une approche assez « insulaire » du phénomène migratoire. Le renforcement de la coopération avec les autres États membres lui apparaît nécessaire mais il reste persuadé qu'il est le mieux à même de gérer une immigration spécifique parce que liée à l'histoire de la Grande-Bretagne, d'où l'importance accordée aux liens familiaux des candidats à l'émigration avec des communautés déjà installées dans le pays. Il y a manifestement du côté britannique, une réticence par rapport à une approche globale selon laquelle le phénomène migratoire concerne de la même manière toute l'Europe et ne peut être véritablement traité qu'au plan européen.
J'insiste sur la nécessité d'abandonner une sorte de dialogue de sourds : les Britanniques nous exhortant à mettre de l'ordre dans l'espace Schengen en surveillant mieux nos frontières et nous-mêmes exhortant nos voisins à faire preuve de plus de responsabilité européenne et de solidarité avec le reste de l'Europe sur les questions migratoires.
Il est regrettable que les positions des uns et des autres soient souvent dictées par ce que l'on suppose être l'opinion publique sur le sujet ou encore par les parties populistes ou extrémistes.
Ce qui m'apparaît positif, c'est que le problème commun n'est plus nié et que l'on envisage désormais sur Calais l'intervention du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Il est indispensable de continuer à nous parler.