Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 21 février 2017 à 14h30
Économie circulaire : un gisement de matières premières et d'emploi — Débat organisé à la demande du groupe écologiste

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Entre incitation exacerbée à l’achat du dernier modèle et injonction à mettre à jour son smartphone, le consommateur dépense beaucoup, encrasse lui-même la mémoire de son appareil et devient perméable aux publicités en faveur du renouvellement, malgré les conseils avisés des Amis de la Terre ou de Halte à l’obsolescence programmée.

Plus généralement, détruire des morceaux de planète à la recherche de la matière, transformer celle-ci en en jetant les trois quarts et accumuler les déchets toxiques ou les jeter à la mer fut longtemps une pratique banale, adossée aux intérêts extractifs et au laisser-faire en matière de rejets. Nous n’avons d’ailleurs pas renoncé à ces pratiques suicidaires. La raréfaction des ressources, les volumes de déchets produits et notre dépendance à l’égard des pays producteurs ont renchéri nos approvisionnements et affecté le niveau de robustesse de notre développement. Dans son rapport de 2013 sur les emplois verts, l’Organisation internationale du travail souligne que les coûts économiques liés aux pollutions, à l’épuisement des ressources ou à l’érosion de la biodiversité se traduisent par des pertes d’emplois.

Pourquoi donc persistons-nous ? Ces explorations et exploitations sont soutenues économiquement par le renchérissement des énergies et des matériaux. Cette course aux ressources naturelles est également soutenue par le manque d’enthousiasme politique à s’engager réellement dans la transition écologique, qui nécessite une forte mobilisation de gisements de courage et de fermeté face à des lobbies bien enracinés. La politique fondée sur cette course, coûteuse pour l’intérêt général, l’environnement, la santé, le climat et l’emploi, est, certes, extrêmement rentable à court terme pour les actionnaires de certaines entreprises.

Enfin, l’« extractivisme » en marche est dopé par l’exploration de nouveaux territoires, terrestres ou marins, rendus accessibles par le dérèglement climatique ou grâce aux progrès technologiques permettant d’aller plus loin ou plus profond. Nous n’avons pas définitivement réglé le sort des gaz de schiste et de houille que déjà certains ont les yeux de Chimène pour les hydrates de méthane…

Cependant on commence à parler d’économie circulaire, cette économie qui récupère les déchets des uns pour en faire la matière première des autres, tente une symbiose avec les écosystèmes, s’adosse à un système économique et industriel sobre en carbone et en ressources naturelles pas ou peu renouvelables, en se fondant sur l’écoconception et l’analyse du cycle de vie.

À travers l’économie et l’optimisation des ressources, le réemploi et le recyclage, la durabilité des produits, c’est, bien sûr, la préservation des services écosystémiques que nous favoriserons – stockage de carbone, énergies nouvelles, épuration de l’air et de l’eau –, mais aussi la réduction de notre dépendance géopolitique, la préservation de gisements stratégiques, la baisse des coûts de réparation et la réduction des charges pour les entreprises et les collectivités territoriales, ainsi que la relocalisation et la création d’emplois.

L’économie circulaire emploie déjà 600 000 personnes en France. Une réduction substantielle de notre consommation de ressources naturelles permettrait de créer de 200 000 à 400 000 emplois supplémentaires, selon la Commission européenne.

Les écologistes ne confondent pas l’économie de la sobriété heureuse avec le toilettage d’un modèle économique classique qui se contenterait d’adosser le recyclage à un modèle de consommation effrénée avec obsolescence programmée. L’écoconception, le choix du durable plutôt que du jetable et celui du recyclage plutôt que de l’extraction sont des options politiques.

Les constats de la mission d’information sur les téléphones mobiles et les atermoiements autour de la mise à jour du code minier, dont l’Assemblée nationale a été saisie mais pas le Sénat, sont deux exemples parmi d’autres illustrant les difficultés qu’a la France à appréhender stratégiquement ce contexte de raréfaction des ressources. Ce que notre modeste travail a laissé voir est un tout petit exemple de ce que nous avons à entreprendre pour gérer autrement la matière que nous transformons.

L’économie circulaire, garante d’emploi durable et de bonne gestion des ressources et des écosystèmes, que nous ne bouleverserons pas, peut aussi contribuer à la lutte contre la délinquance organisée et la mafia, très liée aux trafics de déchets.

Le rapport d’Interpol est sans appel à cet égard : seulement 35 % des déchets électriques et électroniques empruntent les filières légales. Traiter une tonne de déchets coûte 10 euros en Roumanie, 100 euros en Italie. Comment, dès lors, s’étonner de l’immonde décharge de Glina, près de Bucarest, et des liens sulfureux sur lesquels enquête le procureur antimafia de Naples ? La corruption est toujours voisine de la mafia des déchets.

Comment ne pas comprendre pourquoi l’émission d’investigation Publicus sur la décharge Sharra de Tirana a été déprogrammée en Albanie ? En octobre dernier, la population albanaise descendait dans la rue pour protester contre la loi d’importation des déchets. Là aussi finissent vos téléphones…

Il serait injuste de ne citer que les autres, quand éclatait à Dunkerque, en 2005, le scandale des déchets naphtalinés hautement cancérigènes d’Arcelor, ré-étiquetés en prétendus carburants par l’entreprise qui devait les traiter, puis exportés, en encaissant la TIPP au passage…

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’économie circulaire n’est donc pas seulement la gestion des recyclables ; le recyclage est l’ultime maillon de la chaîne : économiser, écoconcevoir, réparer, réutiliser, puis recycler. Cette chaîne doit elle aussi se garder du travestissement en greenwashing.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion