Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le programme des Nations unies pour l’environnement et bien d’autres organismes internationaux prévoient que, en raison du développement démographique et de la consommation de masse, le niveau de consommation des ressources naturelles deviendra inacceptable avant la moitié de ce siècle. Dans ce contexte, l’économie circulaire fait figure d’outil privilégié pour rompre avec notre manière actuelle de produire et de consommer.
Outre qu’elle doit permettre de réduire la consommation des ressources naturelles, l’économie circulaire serait également créatrice de nouvelles activités. Ainsi, selon d’éminents spécialistes, dont les auteurs de la note d’analyse de France Stratégie d’avril 2016, l’économie circulaire pourrait créer 800 000 emplois équivalents temps plein.
L’économie circulaire s’appuie sur sept piliers : l’approvisionnement durable, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, qui privilégie l’usage à la possession, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage, le recyclage et l’écoconception.
J’ajoute que la question de l’utilisation responsable des ressources naturelles est évidemment liée à la question énergétique, à la question climatique et à la question de la biodiversité.
Trois difficultés méritent d’être soulevées : comment concilier massification des flux et réduction à la source ? Comment concilier massification des flux et principe de proximité ? Comment mieux prendre en compte la question sociale ?
La première question est celle de la réduction de la production de déchets, qui doit demeurer notre première priorité.
Depuis quelques décennies, nous posons un nouveau regard sur ces matières devenues « matières premières secondaires ». Nos tonnes de déchets sont désormais considérées comme des mines, des gisements de matières premières.
Ainsi, dans son rapport d’information sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, Marie-Christine Blandin signale que, « sur 37 000 tonnes de cartes électroniques produites en France à l’état de déchets en 2012, le traitement de seulement 10 000 tonnes a conduit à une perte de valeur de 124 millions d’euros pour l’or, faute de recyclage. Obtenir par l’extraction minière une quantité d’or équivalente nécessitera 800 000 tonnes de minerai. »
Cet exemple, parmi tant d’autres, montre à quel point la réutilisation et le recyclage doivent être encore encouragés pour économiser les ressources naturelles.
Le bon déchet, c’est celui que l’on ne produit pas. Il nous faut donc renforcer la lutte contre l’obsolescence programmée et développer l’écoconception par un effort de recherche et de développement, afin de diminuer le recours non seulement à l’enfouissement, mais aussi à l’incinération.
La deuxième question est celle de la proximité. En suivant les flux de déchets, on s’aperçoit que la massification et la recherche du coût le plus bas conduisent à exporter certains d’entre eux. Le traitement en France permettrait pourtant de limiter les transports, de contrôler les procédés en matière sanitaire et sociale et de favoriser la création d’emplois.
Sensible à cette question, le Sénat avait adopté, sur l’initiative de ma collègue Évelyne Didier, en remplacement de laquelle je prends la parole cet après-midi, un amendement visant à intégrer explicitement cet objectif de proximité dans la proposition de résolution européenne de nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern sur la proposition de directive européenne dite « paquet déchets ».
La troisième question est la question sociale. À ce sujet, je souhaite évoquer deux cas bien différents, mais tous deux symboliques.
Notre groupe a reçu au Sénat des salariés du groupe Samsung venus de Corée du Sud. Cette délégation de salariés nous a indiqué que le groupe Samsung avait menacé, placé sous surveillance, séquestré et licencié des représentants du personnel, en particulier le secrétaire général du syndicat Samsung, reconnu prisonnier politique par Amnesty International en 2007. Ces salariés avaient dénoncé des conditions de travail effroyables et un développement des maladies professionnelles, non reconnues comme telles par Samsung. En 2016, 223 employés ont été atteints de maladies graves telles que des scléroses en plaques, des leucémies et divers cancers ; 76 sont aujourd’hui décédés. De plus, Samsung contourne les règles de sécurité en faisant travailler les ouvriers chez eux. Une salariée a ainsi témoigné qu’elle et sa jeune sœur, décédée depuis lors des suites d’une leucémie, ont dû travailler à la maison sur un poste à soudure au nickel, sans aucune protection. Il s’agit là de production manufacturière : on imagine ce qui peut se passer dans le traitement des déchets… Notre consommation est fondée sur l’exploitation éhontée de salariés, dans des mines comme dans des usines, loin de chez nous. Raison de plus pour faire autrement !
Le second cas que je voulais évoquer concerne le traitement des déchets électriques et électroniques, un gisement en progression très forte. L’emploi créé dans notre pays dans le secteur des déchets et dans le cadre de l’économie solidaire est souvent peu qualifié et concerne un public fragile. Il faut être plus vigilants sur la protection des salariés exposés à des produits hautement toxiques. En l’absence de contrôles effectifs sur place, sérieux et répétés, on s’expose à des problèmes sanitaires graves, d’où l’importance de la présence active des syndicats, qui peuvent à tout instant alerter les pouvoirs publics et qui ne sont pas, comme certains le pensent, des freins à l’activité économique.
L’économie circulaire est certainement un gisement très intéressant de matières premières et d’emploi, si elle se développe en proximité. Il faudra mettre en place des filières cohérentes, en liaison avec les régions, désormais chargées du développement économique, des plans régionaux pour les déchets et de la formation professionnelle.