Merci de votre invitation. On dénombre 20 000 espèces d'abeilles dans le monde, 2 500 en Europe, et un peu moins de 1 000 en France. Elles participent à la pollinisation de 80 % des plantes à fleurs, et sont très importantes pour la biodiversité et les rendements agricoles.
Le pôle Abeilles et environnement de l'Inra, sur le site de recherche d'Avignon, regroupe l'unité de recherche Abeilles et environnement et l'Unité mixte technologique PrADE regroupant l'Inra, l'Itsap, l'Association pour le développement de l'apiculture provençale (Adapi), Terres Inovia et un partenaire privilégié et associé, le laboratoire de l'Anses de Sophia-Antipolis. Ce centre développe des recherches pluridisciplinaires sur une échelle complète qui s'étend de la molécule au paysage, en passant par les tissus, les organes, les individus et les populations, sur le thème du déclin des abeilles domestiques au cours de l'anthropocène - période de l'histoire à partir de laquelle l'activité humaine est considérée comme dérangeante pour la planète.
Le déclin des abeilles, observé depuis plus de trente ans, est bien décrit depuis 15 ans. Il est concomitant avec la modernisation de l'agriculture et l'industrialisation. Ce déclin concerne aussi les populations d'abeilles sauvages, les pollinisateurs, l'entomofaune - les insectes -, les populations d'oiseaux, la faune aquatique et quasiment toutes les espèces. Ce déclin n'est donc pas limité aux pollinisateurs. Il existe donc des facteurs communs à cette surmortalité, qui ne peut s'expliquer uniquement par des maladies spécifiques à chaque espèce. Les origines possibles du déclin des abeilles sont l'activité apicole, l'urbanisation, la fragmentation de l'habitat, l'industrialisation, le frelon asiatique, les pathogènes, les parasites comme le varroa - un petit acarien -, les traitements phytopharmaceutiques et le changement climatique. Mais actuellement, les deux facteurs prépondérants sont d'un côté les produits phytopharmaceutiques et les polluants, et de l'autre les agents pathogènes. L'exposition des abeilles est assez multiple : après épandage de produits phytopharmaceutiques, il y a une dérive ; 30 % des produits n'atteignent pas la plante traitée et contaminent l'écosystème. Ils se retrouvent dans les sols, la biomasse tellurique, les nappes phréatiques, les eaux de surface, dans les invertébrés et les plantes, et arrivent par voie aérienne dans la nourriture des abeilles, y compris des abeilles sauvages. Ils se retrouvent dans les ruches. Les effets toxiques peuvent être létaux ou sublétaux. Les effets sublétaux peuvent être délétères ou non, et compromettre la fonctionnalité ou la survie des individus et des populations. Souvent, ils sont impactés par l'environnement. Ces effets sont multiples : sur le système nerveux, le comportement... Une première étude de l'Inra en 1995 montrait l'altération du sens de l'orientation des abeilles. Ensuite, les pesticides peuvent avoir des effets sur la thermorégulation et sur l'infertilité, et des effets biochimiques cellulaires comme la spoliation des réserves énergétiques : l'abeille est bien nourrie mais elle meurt de faim.
Les pesticides peuvent agir seuls, même à faible dose, non détectable par les méthodologies les plus performantes. Ils peuvent également agir de manière combinée, ce qu'on appelle des « effets cocktails ». Ces synergies provoquent un effet total bien supérieur à la somme des deux effets des substances prises séparément, du type 1+1 = 10. Les effets de potentialisation nous inquiètent particulièrement : les substances n'ont pas d'effet individuellement mais produisent un mélange explosif, du type 0+0 = 1000. Cette association totalement imprévisible inquiète le plus les toxicologues. Les pesticides peuvent agir avec des agents pathogènes : les champignons, comme le montrait une étude de l'Inra en 2010, les virus ou les bactéries. Ce sont des interactions toxico-pathologiques. Ces actions peuvent se produire à bas bruit : aucune action du pesticide, aucune action du pathogène, mais le mélange des deux est explosif...
Les interactions environnementales entre les pesticides et les pathogènes dans notre nourriture sont préoccupantes, et notamment l'action des fongicides qui peuvent moduler l'action de deux classes d'insecticides : les néonicotinoïdes, en voie d'interdiction, et les pyréthrinoïdes sur lesquels nous alertons depuis trente ans. Les fongicides peuvent synergiser les actions de ces deux classes de pesticides, et les néonicotinoïdes peuvent modifier l'immunité et favoriser le développement de pathogènes. Ces pathogènes peuvent affaiblir l'abeille, de façon à ce qu'elle ne soit plus sensible à ces fameux pesticides, y compris aux fongicides. Lorsque la ressource énergétique est rare ou l'alimentation pauvre, cela favorise le développement des pathogènes et la sensibilité aux pesticides. C'est donc un cercle infernal, qui explique ce déclin des abeilles.