Intervention de Gilles Lanio

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Table ronde sur les pollinisateurs autour de m. richard thiéry directeur du laboratoire pour la santé des abeilles et mme agnès lefranc directrice de l'évaluation des produits réglementés agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses m. luc belzunces directeur de recherche et responsable du laboratoire de toxicologie environnementale et m. jean-luc brunet directeur d'unité adjoint institut national de la recherche agronomique inra m. gilles lanio président de l'union nationale de l'apiculture française unaf m. michel perret chef du bureau de la faune et de la flore sauvages et mme jeanne-marie roux-fouillet chef de projet du plan national d'actions « france terre de pollinisateurs » ministère de l'environnement de l'énergie et de la mer

Gilles Lanio, président de l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf) :

Cela fait plus de deux décennies que les apiculteurs connaissent le problème du déclin des abeilles. Passionnés, ces hommes et ces femmes de terrain sont de bons observateurs, sachant lire l'environnement et décrypter si tel emplacement est intéressant pour les abeilles, tenir compte de la météo et de tous les aléas climatiques. Aujourd'hui, toutes ces connaissances ne suffisent plus pour travailler sereinement. Les pertes de colonies avoisinent les 30 % - aucun secteur agricole n'en a autant. L'espérance de vie des reines diminue, de même que leur capacité de reproduction. Jadis, avant l'arrivée de l'agriculture moderne et de ce flot de pesticides, une reine se reproduisait correctement pendant cinq à six ans. Désormais, elle est usée au bout de deux ans et il faut la changer, quel que soit l'endroit.

En 1995, on comptait 1,350 million de ruches produisant 32 à 33 000 tonnes de miel, et 6 000 tonnes étaient importées. En 2015, le nombre de ruches était stable à 1,3 million en raison du nombre de passionnés, mais elles ne produisent plus que 15 à 17 000 tonnes de miel. En 2016, cette production est inférieure à 10 000 tonnes. Le déficit est grave : nous importons 30 000 tonnes de miel. L'apiculture est en crise, et les causes ne sont pas les mêmes que pour d'autres secteurs agricoles en crise.

L'apiculteur doit travailler plus pour gagner moins. Cette situation doit cesser. Depuis vingt ans, on discute... Cherche-t-on à résoudre rapidement le problème ou à gagner du temps ? Chacun sait que les pesticides pèsent lourd dans ce désastre. Déjà en 1995, les apiculteurs tiraient la sonnette d'alarme, car les ruchers près des maïs traités au Gaucho avaient des problèmes en raison d'un neurotoxique, l'imidaclopride. Il a fallu plusieurs années pour comprendre ce qui se passait. C'était hallucinant : nous devions prouver que les abeilles se posaient sur le maïs, qu'elles le récoltaient, qu'elles consommaient le pollen... Elles ne jouaient pas aux billes avec ! Les apiculteurs avaient découvert la dangerosité des neurotoxiques, les néonicotinoïdes. Depuis, ils ont envahi notre environnement : 40 % des insecticides utilisés aujourd'hui sont des neurotoxiques. Il y a un vrai problème d'addiction : ils sont partout et le sevrage sera long et difficile. J'espère que la loi sur la biodiversité d'août 2016 permettra leur sortie. L'accumulation est bien réelle. Il y a cinq ans, on ne trouvait aucun neurotoxique dans l'eau. Depuis, l'imidaclopride occupe la 15ème place sur 50 des substances les plus présentes. La situation est similaire à celle du tabac il y a quelques années : il a fallu des échanges vifs entre scientifiques et non scientifiques pour admettre que le tabac était nocif pour la santé. Désormais, c'est le lobby de l'agrochimie qui affirme que ses produits ne sont pas mauvais, et que l'effondrement des abeilles est dû aux apiculteurs ne sachant pas travailler sur leurs ruches. Mais comment expliquer aussi que les pollinisateurs sauvages, les oiseaux, les insectes ou la vie dans les mares s'effondrent partout ? Il y a quinze à vingt ans, une voiture traversant la France était criblée d'insectes. Désormais, il y en a très peu. De même, vous pouvez allumer sans problème la lumière le soir, fenêtre ouverte. Au lieu d'une nuée, vous aurez deux à trois petites bestioles. Et ce n'est pas la faute des apiculteurs... L'abeille est la sentinelle de notre environnement, et a montré la nocivité de nombreux produits, utilisés parfois à des doses très faibles. Des doses infiniment petites font désormais d'énormes dégâts, comme par exemple s'agissant du Fenoxycarb, un pesticide utilisé en agriculture. Dans le Nord de l'Italie, des agriculteurs ont relancé l'élevage du ver à soie, en système bio. Rapidement, ils ont observé que 80 % des vers à soie mourraient. Les feuilles des mûriers, théoriquement bio, portaient des traces de Fenoxycarb. Les vers à soie mourraient à des doses atteignant le nanogramme (10-9) et même le picogramme (10-12). À l'échelle du femtogramme (10-15), le ver à soie ne meurt pas mais rencontre des problèmes de développement et ne crée pas de cocon. L'infiniment petit peut tuer et est instable. On retrouve du sable africain sur les voitures parisiennes, 6 000 kilomètres plus loin. Les produits ne restent pas dans le champ, le vent les disperse, comme l'a montré l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Attention aux formules magiques comme diviser par deux les quantités de pesticides : c'est de la poudre aux yeux. Des doses infiniment petites peuvent faire mal, d'autant que les produits ont une efficacité dix à mille fois supérieure à ce qu'elle était avant. Plus c'est petit, plus c'est volatil, plus cela se déplace et fait de dégâts.

Que faire ? Il est urgent de repenser notre modèle agricole : le « tout pesticide » a vécu. Il coûte cher et fait de nombreux dégâts collatéraux. Nous avons besoin des pollinisateurs. En Europe, la pollinisation pèse 28,5 milliards de dollars ; 35 % de l'alimentation mondiale dépend des pollinisateurs. Il est urgent de prendre des décisions énergiques.

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