Intervention de Luc Belzunces

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Table ronde sur les pollinisateurs autour de m. richard thiéry directeur du laboratoire pour la santé des abeilles et mme agnès lefranc directrice de l'évaluation des produits réglementés agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses m. luc belzunces directeur de recherche et responsable du laboratoire de toxicologie environnementale et m. jean-luc brunet directeur d'unité adjoint institut national de la recherche agronomique inra m. gilles lanio président de l'union nationale de l'apiculture française unaf m. michel perret chef du bureau de la faune et de la flore sauvages et mme jeanne-marie roux-fouillet chef de projet du plan national d'actions « france terre de pollinisateurs » ministère de l'environnement de l'énergie et de la mer

Luc Belzunces, directeur de recherche et responsable du laboratoire de toxicologie environnementale, Institut national de la recherche agronomique (Inra) :

Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l'attention était concentrée sur deux catégories de molécules : les pyréthrinoïdes et les organophosphorés. On voyait alors des colonies entières d'abeilles en bonne santé s'effondrer en sept à dix jours, ce qu'aucune maladie ne peut provoquer. Et pourtant, les insecticides pyréthrinoïdes sont toujours utilisés. Interdire les néonicotinoïdes, par conséquent, améliorera la situation mais ne résoudra pas le problème, puisqu'ils ne sont pas les seuls responsables des dégâts causés aux abeilles. Autre exemple, la toxicité des fongicides a mal été évaluée : on a déterminé leurs effets sous 48 heures, alors que leur toxicité commence cinq à six jours après l'utilisation. Ils sont aujourd'hui autorisés à la pleine floraison.

Les organophosphorés ont été interdits en raison de leur toxicité directe pour l'environnement et l'être humain. Il a été montré qu'en exposant 200 abeilles au traitement, on en tuait 4 000 à cause des contacts ultérieurs entre les insectes. Les néonicotinoïdes posent un problème différent : ce sont des molécules systémiques qui présentent une toxicité résiduelle. Même la technique de l'enrobage des semences n'est pas sans danger, puisque le produit se disperse alors dans les sols avant d'être réabsorbé par la plante, qui le diffuse dans le pollen et le nectar. On en retrouve même dans les huiles.

La diminution des doses administrées est également une solution. Grâce au plan Écophyto, les quantités utilisées de certains pesticides sont passées de 2 000 grammes à quelques grammes à l'hectare. C'est en améliorant l'efficacité des molécules que l'on peut réduire les doses ; mais cela ne résout pas la question de la toxicité résiduelle, qui intéresse à la fois l'homme et l'abeille. Ne dissocions pas les deux : l'abeille visite nos cultures, et les systèmes physiologiques sont très proches - le prix Nobel de médecine a été attribué conjointement, voici quelques années, à des chercheurs qui travaillaient respectivement sur le système immunitaire des humains et des insectes.

Des familles entières de molécules - organochlorés, cyclodiènes, carbamates - ont été interdites. Par quoi les remplacer ? Il faut plutôt se poser la question du pourquoi du traitement. On traite parce que les plantes sont sensibles aux maladies. Plutôt que de privilégier, dans l'hybridation, l'aspect ou la tenue au transport, il conviendrait de sélectionner des variétés de plantes plus résistantes. La toxicité des néonicotinoïdes s'étend à leurs métabolites : ainsi, ils sont toxiques jusqu'à 200 heures après administration, alors que cette durée ne dépasse pas 24 heures pour les autres pesticides. L'un de ces métabolites, la clothianidine, a même été homologué en tant que pesticide ! Le meilleur parti est, à mes yeux, de créer des plantes résistantes aux agents pathogènes ravageurs.

On pense communément que les dégâts augmentent avec les doses administrées. L'insecticide est conçu pour produire un effet létal, sur une cible précise ; mais des effets sublétaux peuvent toucher d'autres cibles. Ainsi les insecticides neurotoxiques comme le diméthoate agissent directement sur le système nerveux mais induisent aussi des immunodéficiences, des cancers et des troubles du comportement. Les dégâts causés ne sont par conséquent pas tous liés à la neurotoxicité.

Attention à ne pas confondre phénomène multi-factoriel et multi-causal. Mettre avant la multiplicité des facteurs - plus de 70 ont été recensés dans le déclin des abeilles - est le meilleur moyen de ne rien faire, parce que cela revient à dire que tous les facteurs recensés interviennent simultanément. Ainsi des pratiques apicoles : les apiculteurs étant de mieux en mieux formés, le déclin des abeilles aurait ralenti si elles en étaient la cause. Quant aux apiculteurs amateurs, ils ont trop peu de ruches pour jouer un rôle dans la mortalité, qui peut atteindre 30 % en sortie d'hivernage mais plus de 50 % en saison. La multi-causalité, au contraire, met en évidence le fait qu'en fonction des cas, une cause - maladies, usage de pesticides, raréfaction des ressources alimentaires - l'emporte sur l'autre. Imaginez que l'on vous diagnostique un cancer du poumon : dans une analyse multi-factorielle, on pourra incriminer l'amiante, les particules de charbon, les particules fines, l'alimentation, autant de facteurs de cancer identifiés. Mais une analyse causale met en évidence l'origine du cancer, par exemple le tabac si vous êtes fumeur.

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