Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 février 2017 : 2ème réunion
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits sur son rapport annuel d'activité pour 2016

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Je suis très heureux de pouvoir vous présenter une synthèse du rapport d'activité pour 2016 du Défenseur des droits. Je suis entouré de mes adjoints - Patrick Gohet, Bernard Dreyfus et Geneviève Avenard, qui est Défenseure des enfants, Claudine Angeli-Troccaz n'ayant pu se libérer ce matin -, de mon secrétaire général Richard Senghor et de mon attachée parlementaire France de Saint-Martin.

M. le président de la commission vient de le dire, le rapport sera présenté demain à la presse. Mais je ne voulais pas, alors que nous nous approchons de la fin de la législature à l'Assemblée nationale et de la suspension des travaux en séance plénière au Sénat, vous quitter sans vous informer de notre activité de l'année passée.

J'entamerai mon propos par une réflexion préliminaire sur le rôle du Défenseur des droits, cinq ans et demi, soit un peu plus d'une législature, après son entrée en fonction.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008 et la loi organique du 29 mars 2011, qui a donné lieu à des débats très vifs, notamment au Sénat, et grâce aux efforts de Dominique Baudis, nommé en juin 2011, et de son équipe, nous avons réussi à construire l'architecture de notre maison commune, regroupant quatre maisons préexistantes.

Aujourd'hui, l'on peut dire que l'institution du Défenseur des droits est arrivée à maturité, et qu'elle a trouvé sa place dans le paysage institutionnel.

La maturité, d'abord. Les débats parlementaires sur la révision constitutionnelle et la loi organique l'ont montré, il n'était pas évident que quatre institutions séparées puissent être réunies en une seule, et puissent fondre leur esprit d'indépendance et leur culture en une maison unique, en suivant des méthodes communes. Or c'est le cas aujourd'hui.

Le Médiateur de la République a été créé en 1973 sur l'initiative de Georges Pompidou, pour répondre à l'insatisfaction des citoyens dans leurs relations avec l'administration, telle qu'exprimée en 1968 notamment. Son premier titulaire a été Antoine Pinay.

Puis ce fut le tour de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, créée à la fin des années quatre-vingt-dix pour promouvoir une autre vision de la politique de sécurité intérieure, mettant à l'honneur les questions de déontologie.

Les politiques de lutte contre les discriminations et pour les droits des enfants, largement inspirées par les conventions internationales, ont présidé à la création du Défenseur des enfants et de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Cette dernière était également chargée de mettre en oeuvre une directive européenne de 2000 pour la lutte contre les discriminations.

L'indépendance de ces quatre institutions était donc très grande, et leurs missions très différentes : certaines agissaient dans un esprit de médiation, d'arrangement entre les usagers et l'administration. D'autres, comme la Halde, passaient par la pédagogie et la sanction.

Aujourd'hui, l'on peut dire que le Défenseur des droits a réussi dans les quatre missions que lui a confiées le législateur. J'espère qu'il en fera de même dans la cinquième mission, la protection des lanceurs d'alerte, que lui a confiée la loi Sapin II.

Notre institution compte aujourd'hui 450 délégués territoriaux, qui sont omnicompétents. J'essaie de les former pour qu'ils soient encore plus actifs en matière de protection des droits des enfants, de promotion des droits, de lutte contre les discriminations. Tous ces sujets sont traités de manière intersectionnelle. Tous les aspects d'un problème sont pris en considération dans nos analyses, nos considérations et nos décisions. C'est cela, la maturité de notre institution : la prise en compte de toutes les missions qui lui ont été confiées.

Mais le Défenseur des droits a aussi su trouver sa place dans le paysage français. Il est aujourd'hui un partenaire institutionnel naturel, évident. Lors de la convention des délégués que nous avons tenue fin novembre, le vice-président de la commission des lois de l'Assemblée nationale Jean-Yves Le Bouillonnec, la vice-présidente de l'Association des maires de France Agnès Le Brun, le garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, et vous-même, monsieur le président de la commission des lois du Sénat, avez tous dit que le Défenseur des droits faisait du bon boulot.

Il est vrai que, vis-à-vis du pouvoir exécutif, il peut y avoir des frottements, sur des sujets irritants : sur les politiques de sécurité, les rapports entre la police et la population, les contrôles d'identité. L'exemple terrible de ce que l'on appelle désormais « l'affaire Théo » nous a malheureusement donné raison.

Mais nos relations avec l'administration en matière de retraite, de sécurité, de simplification administrative sont très positives.

Nous pouvons également dire que nous avons trouvé, avec l'autorité judiciaire, un véritable terrain d'entente, ce qui n'était pas évident. Certes, l'article 23 de la loi organique du 29 mars 2011 permet au parquet ou au magistrat instructeur de ne pas nous transmettre les éléments de procédure ou les dossiers de certaines affaires. Cela peut nous bloquer. Mais, de manière générale, tout se passe très bien à tous les niveaux.

L'année passée, nous avons pu présenter 119 observations à tous les étages du système juridique : du tribunal des affaires de sécurité sociale jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne. Nous avons, dans bien des cas, fait prévaloir l'égalité au profit de personnes licenciées ou maltraitées car victimes de discriminations.

Je veux également souligner la qualité et l'intensité de nos relations avec le législateur. C'est un point sur lequel j'avais déjà beaucoup insisté devant vous, le 9 juillet 2014, lors de mon audition au titre de l'article 13 de la Constitution.

Nous avons avec les parlementaires, mais aussi les maires, un objectif commun : être au service de nos concitoyens, souvent désarmés face à l'administration.

Nous avons beaucoup travaillé avec les commissions du Sénat, notamment la commission des lois et la commission des affaires sociales, et participé à l'élaboration de plusieurs amendements. Nous avons aussi aidé certaines missions d'information, par exemple celle relative à l'assistance médicale à la procréation et à la gestation pour autrui à l'étranger, qui a remis son rapport il y a un an.

Au plan international, le Défenseur des enfants est le correspondant français du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, basé à Genève. Nous sommes également chargés pour la France du suivi de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Avec ces activités, nous faisons en sorte que les grands principes internationaux trouvent à s'appliquer dans la vie courante.

J'en viens plus spécifiquement à notre activité en 2016.

Nous avons reçu l'année dernière plus de 86 000 réclamations, en augmentation de 9 % par rapport à l'année passée. Cette tendance globale pose d'ailleurs la question de nos moyens pour les traiter.

Ce chiffre me pousse à faire une observation : l'accès au droit est problématique dans notre pays. Les administrés se heurtent au labyrinthe, d'ailleurs de plus en plus labyrinthique, de l'administration, des services sociaux ; ils se confrontent à la complexité des sujets. Les caisses d'allocations familiales, par exemple, appliquent 18 000 textes différents ; elles ont reçu 30 millions de communications téléphoniques en 2015. Bien souvent, il leur est difficile de répondre avec précision aux questions, et elles renvoient leur interlocuteur au site internet de la caisse, alors même que 25 % des Français n'y ont pas accès...

Cette situation est rendue plus complexe encore par l'effort de réduction des effectifs, l'abaissement des crédits de fonctionnement des grandes caisses sociales, la disparition de services d'accueil sur les territoires, dont la presse se fait chaque jour l'écho.

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