Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 février 2017 : 2ème réunion
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits sur son rapport annuel d'activité pour 2016

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Nous avons assisté, sans y être associés, à la cérémonie de signature de conventions sur l'accès au droit avec sept associations et fédérations d'associations, dont la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), sur l'initiative du garde des sceaux.

C'est un exemple parmi d'autres. Nous nous efforçons de faire avancer globalement tout le dispositif de l'accès au droit. Je rappelle d'ailleurs que c'est quand j'étais garde des sceaux que ce sujet a été confié à la Chancellerie. Nos délégués et nous-mêmes sommes entièrement acquis à cette question.

J'en viens à la question souvent posée des rapports entre la police et de la population. Elle est d'actualité. J'y insiste : il n'y a aucun lien entre la mise en place d'un récépissé quelconque attestant du contrôle et la nécessité de réaliser un fichier pour en collecter les données, bien au contraire. Cette objection est donc nulle et non avenue.

Le rapport de 2010 mentionne un document utile pour ceux qui sont contrôlés et qui doit préserver l'anonymat. Aujourd'hui, c'est bien plus facile qu'en 2012 ; voyez les agents de la préfecture qui verbalisent le stationnement, à Paris : ils utilisent de telles machines.

J'ai proposé l'attestation, mais il faut préciser qui, l'adresse, où, à quel moment, et les motifs - ceci pour ouvrir des possibilités de recours. Les expériences à l'étranger montrent que le récépissé a fait baisser le nombre de contrôles d'identité et en particulier les contrôles jugés « problématiques » parce que « subjectifs » : le but est atteint, sans que les polices anglaise, allemande, italienne ou espagnole aient le sentiment d'avoir été désarmées.

Des caméras ? Oui, mais quand et où les placer ? Le déclenchement doit-il être automatique ? Combien de temps l'enregistrement doit-il durer ? Qui peut disposer des images : les deux parties ou, comme le fait l'administration pénitentiaire, seulement l'administration ? Ici, je crois que le principe auquel il faut veiller, c'est le contradictoire.

À côté de la traçabilité des contrôles d'identité, il faut parler aussi de la formation des services de sécurité, un sujet tout à fait central. Nous avons dispensé une formation théorique à quelque 5600 gardiens de la paix, c'est bien mais c'est trop peu et il faut aller davantage vers des formations de terrain.

Les effectifs sont insuffisants, c'est une dimension essentielle du sujet ; il n'est pas sain que les forces de l'ordre soient absentes de certains quartiers et portions du territoire.

La question est posée de la police de proximité - le terme ne me paraît pas convenir, il revient à dire qu'autrement, la police serait distante, ce qui n'est pas le cas ; je préfère la notion de police permanente, d'un quadrillage constant plutôt que des interventions ponctuelles qui sont ressenties comme une punition par les populations qu'elles concernent.

Sur toutes ces questions, le rapport Baudis est très complet et il reste parfaitement d'actualité. Il conclut par un appel à des expérimentations d'échelle régionale, qui impliquent tous les acteurs - élus, administrations, usagers, universitaires et experts.

Qu'est-ce que la « mission Bartolone » ? Après les manifestations du printemps dernier, j'ai reçu des parlementaires et leur ai fait part de mes interrogations sur la gestion de la foule pendant les manifestations, sur ce qu'on appelle la doctrine du maintien de l'ordre dans notre pays. La question était déjà posée avec la mort de Rémi Fraysse, lors des manifestations contre le projet de barrage de Sivens. Nous avons travaillé avec nos correspondants de neuf pays, en les interrogeant sur la gestion des manifestations dans leur pays. Les différences sont importantes - en Allemagne, par exemple, on utilise encore le canon à eau, que nous avons quasiment abandonné. J'ai demandé aux parlementaires si un travail les intéressaient sur ce point, puis Claude Bartolone m'a confié cette mission de faire le point sur le sujet. Il n'y a pas d'urgence, et je tiens à faire une analyse de fond, en toute indépendance - je n'ai pas à rendre des comptes à un électorat -, pour voir comment les choses se passent dans les pays où l'on accompagne les manifestants plutôt qu'on ne les cantonne. Le ministère de l'intérieur, de son côté, a réuni un groupe de travail sur le sujet ; je n'en connais pas le calendrier, ni le contenu.

S'agissant de l'Europe, je suis en contact très régulier avec les services de la Commission et du Parlement européen, je fais des tierces interventions ; des questions se posent assurément, par exemple lors du renvoi de demandeurs d'asile en Hongrie, sachant que ce pays restreint ce droit. La Cour de justice rendra une décision très importante le 14 mars prochain sur la question de savoir si l'interdiction de porter un voile au travail est discriminatoire - ce sujet illustre bien la conciliation et donc la différence entre les principes d'égalité et de non-discrimination, sur lesquelles vous m'interrogez.

Quid, ensuite, des conditions d'usage des armes par les forces de l'ordre ? Les policiers sont soumis au régime de la légitime défense, réglé par le code pénal - et aménagé par la loi sur le crime organisé, avec la notion de périple meurtrier. Les gendarmes disposent de règles propres, qui sont étendues aux policiers. Or, ce que j'ai dit, c'est que cet alignement sur les règles des gendarmes ne changerait rien au fond, car les policiers resteront liés à la définition que la jurisprudence a donnée de ces règles - la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme ont pris des positions claires et indiscutables sur la nécessité et la proportionnalité de l'usage des armes. J'ai dit aussi que le changement des règles risquerait de donner le sentiment que les policiers auraient désormais une plus grande latitude pour l'usage de leurs armes. J'espère que le prix à payer pour ce symbole du changement de règles, ne sera pas trop élevé.

Peut-on se contenter du silence de l'administration, plutôt que de l'acceptation explicite ? Le silence vaut acceptation après un certain délai, mais les dérogations sont nombreuses, au point que le tacite paraît l'emporter. Quelle peut être la politique pour améliorer les choses ? Je crois que l'administration doit travailler plus vite et apprendre à motiver ses décisions.

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