Intervention de Jamil Addou

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 15 février 2017 à 15h00
Audition de M. Jamil Addou chef de l'unité soutien asile du bureau européen d'appui en matière d'asile easo

Jamil Addou, chef de l'unité soutien asile du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) :

En premier lieu, je tiens à vous présenter les excuses du directeur exécutif de l'agence, M. José Carreira, qui ne peut malheureusement être avec nous et que j'ai l'honneur de représenter.

L'EASO - BEAA en français - résulte d'un règlement proposé par la Commission européenne en février 2009 et adopté en juin 2010. L'agence est opérationnelle depuis le 1er février 2011. Elle a conclu son premier plan de soutien avec la Grèce le 1er avril 2011, soit deux mois après son établissement, c'est dire combien le soutien à la Grèce fait partie du coeur de mission de l'agence et a accompagné historiquement son développement. En juin 2011, l'agence s'est établie à Malte après avoir quitté ses bureaux temporaires de Bruxelles. Elle a acquis l'indépendance financière en septembre 2012.

Une grande étape de l'évolution de l'agence a été marquée par la crise migratoire de l'été 2015 et l'agenda européen pour les migrations alors proposé par la Commission. Cela a eu pour conséquence la transformation du rôle opérationnel de l'agence qui, tout en continuant ses activités de soutien technique, de coopération pratique et de renforcement des capacités des administrations nationales, s'est orientée sur des actions de terrain, en première ligne, où il lui a été demandé de déployer des agents et de venir en soutien opérationnel aux agents italiens et grecs au sein même des procédures nationales.

En 2016, nous avons ouvert des bureaux à Athènes, à Rome et à Bruxelles, à côté du siège à Malte, pour augmenter notre couverture géographique en Europe.

En février 2016, M. Carreira a été désigné second directeur exécutif de l'agence. D'origine portugaise, il a une longue expérience des migrations et il a notamment longtemps travaillé à Frontex comme directeur de l'administration.

En mai 2016, la Commission européenne a proposé un nouveau règlement érigeant l'EASO en véritable agence européenne de l'asile.

S'agissant des moyens de l'EASO, lors de son installation, en 2010, elle avait été dotée d'un premier budget de 5,25 millions d'euros et son plan d'établissement prévoyait 24 agents pour la première année. À mi-parcours, au 1er janvier 2013, son budget a été porté à 12 millions d'euros et elle comptait 58 agents. Au 1er janvier 2016, le budget prévisionnel était de 19 millions d'euros, mais les besoins opérationnels ont conduit à abonder ce budget par trois fois jusqu'à atteindre 65 millions d'euros ; ses effectifs propres au 31 décembre étaient de 135 agents hors intérimaires et agents locaux. Pour 2017, le budget prévisionnel est de 69 millions d'euros et son plan d'établissement prévoit de porter les effectifs à 235 agents d'ici à la fin de l'année, soit plus de 100 agents temporaires supplémentaires. D'ici 2020, les effectifs devraient atteindre 500 agents.

On peut résumer les modalités de la coopération entre les États membres et l'EASO à deux vecteurs :

- la coopération pratique en matière de formation, de mise en commun de l'information sur les pays d'origine, de réseaux d'experts thématiques ; nous avons par exemple mis en place un réseau des unités Dublin dans les différents États membres, un réseau des différentes autorités en charge de l'accueil des demandeurs d'asile - il s'agit là véritablement de coopération pratique et de renforcement de la capacité des États membres ;

- le soutien opérationnel aux États qui en ont besoin par le déploiement dans ces pays d'experts provenant de tous les États membres, comme cela a été le cas en Italie et en Grèce, mais également à Chypre et en Bulgarie ou dans des pays tiers, principalement dans les Balkans occidentaux et en Afrique du Nord, coopération que l'on désigne sous l'appellation de « dimension extérieure de la politique de l'asile ». 827 agents provenant des différentes administrations nationales ont été déployés dans ces États en 2016. Pour le soutien plus particulièrement à l'Italie et à la Grèce dans le cadre des hotspots, les principaux pays contributeurs ont été les suivants : l'Allemagne pour 6 200 jours-hommes, la France avec 5 600 jours-hommes, les Pays-Bas, 4 100 jours-hommes, et le Royaume-Uni pour 3 000 jours-hommes.

Plus spécifiquement, s'agissant des relations avec les autorités françaises, il convient de rappeler que le siège français au conseil d'administration de l'EASO est occupé par le directeur de l'asile au ministère de l'intérieur comme titulaire, le directeur général de l'Ofpra faisant office de suppléant. La France est présente dans la quasi-totalité des réseaux thématiques animés par l'EASO et participe à un certain nombre de groupes de travail, notamment à celui mis en place très récemment pour la mise en oeuvre de la directive « qualifications » par déploiement d'experts. Enfin, comme je l'ai déjà indiqué, la France est le deuxième contributeur en termes de soutien opérationnel en première ligne en Grèce et en Italie.

La coordination opérationnelle dans les hotspots est particulièrement étroite avec Frontex. Nous nous plaçons à différents moments de la chaîne de traitement des migrants puisque Frontex est en charge du premier enregistrement et de la gestion de l'arrivée des migrants, tandis que nous prenons en charge le suivi de ceux qui y demandent l'asile. Depuis juillet 2016, nous disposons d'un agent de liaison au sein de Frontex afin d'assurer une parfaite coopération et coordination au quotidien. La semaine dernière, à l'occasion du premier conseil d'administration commun à EASO et Frontex, nous avons conclu un accord de coopération spécifique portant sur des échanges en matière de formation, d'échanges d'informations, mais également sur des modalités de coopération opérationnelle dans les hotspots.

Dans les hotspots nous collaborons également avec Europol. Nous sommes, par ailleurs, actifs au sein du groupe de contact des agences européennes Justice et affaires intérieures où sont également représentés Eurojust, le CEPOL, etc...

Je ne saurais dresser un bilan politique de la gestion de la crise migratoire. En revanche, d'un point de vue purement opérationnel et pratique, on ne peut que souligner les bénéfices de la gestion intégrée des points d'entrée aux frontières extérieures que sont les hotspots et leur valeur ajoutée. On constate d'ailleurs que dans le nouveau règlement Frontex qui vient d'être adopté et dans le règlement qu'elle propose pour l'Agence européenne de l'asile, la Commission européenne organise la mise en place d'équipes de gestion des migrations mixtes - c'est-à-dire pour les hotspots. En Italie, les hotspots ont permis un enregistrement quasi-systématique des migrants aujourd'hui, ce qui a permis une mise en oeuvre plus effective du règlement Dublin, mais également une meilleure traçabilité des demandeurs. En Grèce, ils ont tout simplement permis au système d'asile d'absorber, voire de survivre au flux particulièrement important de ces deux dernières années.

Dans le cadre spécifique de la déclaration commune Union européenne-Turquie, on constate que l'on est passé d'une situation, en février 2016, où la Grèce comptait plusieurs milliers d'arrivées quotidiennes sur ses îles en mer Égée, à moins de 110 migrants débarqués sur toute la semaine dernière. Ces chiffres seuls démontrent l'efficacité du plan, de ce point de vue du moins.

Vous nous avez interrogés sur l'examen de recevabilité d'une demande d'asile préalablement à la saisine de l'autorité nationale concernée dans le cadre de l'accord Union européenne-Turquie. Si je peux clarifier ce point, l'examen de recevabilité n'est pas préalable à la saisine de l'autorité nationale car elle est conduite par cette autorité nationale, en l'occurrence le service de l'asile grec. C'est la Grèce qui examine la recevabilité d'une demande d'asile avec le soutien de l'EASO et des experts déployés par les autres États membres. La Grèce reste donc souveraine sur cette question de recevabilité. La recevabilité est donc préalable uniquement à l'examen au fond de la demande.

La Turquie n'est bien évidemment pas soumise au régime d'asile européen commun. En revanche, elle a fourni un certain nombre de garanties à la Grèce et à l'Union européenne en matière d'accès aux procédures d'asile pour les personnes reconduites depuis la Grèce au motif que leur demande y aurait été considérée irrecevable, ainsi qu'en termes de protection temporaire accordée, notamment aux Syriens reconduits en Turquie. Par ailleurs, l'EASO, à côté d'autres acteurs, mène des actions de formation en Turquie et apporte un soutien aux procédures d'asile nationales afin d'y faire appliquer et respecter les meilleurs standards et les meilleures normes en matière d'asile.

Pour en revenir aux hotspots et aux personnes qui y sont accueillies depuis leur création, il me semble nécessaire de préciser que les hotspots prennent des formes et assurent des missions légèrement différentes selon leur implantation. Ainsi, en Italie, il n'y a pas d'accueil à proprement parler dans les hotspots, ceux-ci constituant seulement des points de débarquement et d'enregistrement des migrants avant que ces derniers ne soient répartis dans différents centres d'accueil sur le territoire italien. En Grèce, depuis mars 2016 et la mise en oeuvre de l'accord Union européenne-Turquie, les hotspots ont effectivement été transformés en centres d'accueil fermés pour le temps du traitement de leur demande. Aujourd'hui, 15 000 personnes sont présentes dans les cinq hotspots.

La relocalisation des demandeurs d'asile conformément à la décision du Conseil européen de septembre 2015 a concerné, à ce jour, près de 12 000 personnes - 8 685 depuis la Grèce, 3 204 depuis l'Italie. Les trois principaux pays de relocalisation sont, en premier chef, la France avec 2 695 demandeurs relocalisés, puis l'Allemagne avec 2 042 personnes accueillies et, en troisième lieu, les Pays-Bas avec 1 362 demandeurs. Il y a encore en Grèce à peu près 6 500 personnes en attente de leur transfert vers le pays de relocalisation qui leur a été attribué, 2 600 en Italie. Plus de 9 000 personnes peuvent prétendre à la relocalisation en Grèce, mais sont en attente du début de la procédure.

Je vous rappelle que l'EASO n'a pas de mandat pour raccompagner les migrants dans leur pays d'origine et vous renvoie pour cela à Frontex.

Dans la situation actuelle, le soutien de l'EASO à la Grèce et à l'Italie est non seulement toujours nécessaire mais il a même été récemment renforcé via de nouveaux plans de soutien opérationnel conclus avec ces pays à la fin 2016 pour l'année 2017. Chacun de ces plans prévoit un renforcement des moyens déployés dans ces pays. À plus long terme, l'EASO est prêt à assurer ce soutien aussi longtemps que nécessaire mais cela dépendra à la fois des besoins exprimés par ces pays et des décisions du Conseil de l'Union européenne et de la Commission. En pratique, cela dépend donc essentiellement de l'évolution des flux, d'une éventuelle prolongation du programme de relocalisation censé s'achever en septembre 2017 et de la potentielle ouverture de nouveaux hotspots dans de nouveaux pays aux frontières de l'Europe.

L'EASO n'a pas accès aux bases d'information Eurodac et Schengen. À ce jour, seules les autorités nationales y ont accès en consultation directe. Dans le cadre du dispositif d'alerte précoce mis en oeuvre par l'EASO cependant, l'accès à Eurodac pourrait nous être utile à l'avenir, non pour connaître des données personnelles des demandeurs, mais pour disposer des métadonnées : agrégats des personnes enregistrées, lieu d'enregistrement, provenance, afin d'avoir un tableau plus complet en temps réel de la situation de la demande d'asile dans tous les pays européens.

En tout état de cause, tout renforcement d'Eurodac pour obtenir une information plus précise et une meilleure traçabilité des demandeurs - cela fait l'objet de discussions en ce moment à Bruxelles - va dans la bonne direction d'un point de vue opérationnel. Dans le cadre de l'accord de coopération conclu avec Frontex, un des points-clé concerne l'interopérabilité de nos systèmes d'information afin que toute information collectée par Frontex soit immédiatement connue de nous et réciproquement. Nous travaillons actuellement à des solutions techniques pour sécuriser et fiabiliser nos échanges d'information, en conformité avec les normes européennes.

La proposition de la Commission européenne de transformer l'EASO en véritable Agence de l'Union européenne pour l'asile, qui fait l'objet du trilogue actuellement, ne prévoit pas de faire de l'EASO une autorité de détermination des demandes d'asile ; il s'agit-là seulement d'une perspective de long terme. La proposition actuelle vise plutôt à en faire un centre indépendant d'expertise. Mais dans une perspective de long terme, on peut relever que le traitement conjoint des demandes d'asile en Grèce et en Italie par des agents provenant des autorités nationales de tous les pays, dont l'Ofpra, peut préfigurer ce que pourrait représenter à l'avenir un traitement européanisé de la demande d'asile. À ce stade, il ne s'agit toutefois que de projections et de spéculations.

Sans rentrer dans le détail des négociations en cours qu'il ne m'appartient pas de commenter, la proposition actuelle de la Commission prévoit que les États doivent « tenir compte » des lignes directrices adoptées par l'EASO. Je vous laisse juge du caractère contraignant ou pas de cette formulation.

Pour que le régime d'asile européen commun ait du sens, il est indispensable que des demandes similaires introduites dans des pays différents soient traitées de la même façon et aboutissent à des résultats identiques. La coopération pratique est assurément un levier fort de convergence, mais l'expérience prouve qu'aujourd'hui encore, malgré un cadre juridique précis et de vrais efforts de coopération entre États, les taux de reconnaissance sont encore très variables d'un État à l'autre. Donc tout effort de convergence de l'analyse de la situation dans les pays d'origine, mais aussi d'application du cadre juridique aux cas d'espèce, va dans le sens d'une réalisation des objectifs du régime européen commun.

L'EASO se tient prêt à assumer un rôle d'évaluateur du traitement des demandes de protection par les États membres si les négociations devaient aboutir à le lui confier, mais il n'appartient pas à l'EASO de se prononcer sur les contours exacts de cette mission.

S'agissant du projet de mise en place d'une réserve opérationnelle, l'expérience prouve que le chiffre initialement proposé de 500 agents mis à disposition de manière permanente semble être un strict minimum. On constate actuellement, en Grèce et en Italie, que de tels déploiements sont très consommateurs de ressources humaines, du fait d'une forte rotation des agents car les missions sont de quelques semaines ou de quelques mois dans le meilleur des cas. Il importe donc que la réserve opérationnelle soit suffisante pour assurer la continuité des opérations, donc le renouvellement des effectifs.

L'EASO ne participe pas à l'évaluation Schengen.

Un renforcement du système européen d'asile ne peut que contribuer à un espace Schengen plus stable. Nous suivons avec intérêt les négociations autour de la proposition d'un nouveau règlement Dublin qui le ferait évoluer d'un système de pure détermination de l'État responsable de l'examen de la demande d'asile vers un système de correction et de solidarité en cas d'afflux massif.

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