Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Jamil Addou, chef de l'unité soutien asile du Bureau européen d'appui en matière d'asile, plus connu sous son acronyme anglais d'EASO. Son siège se trouve à La Valette, à Malte, d'où nous discuterons avec M. Addou par visioconférence.
L'EASO a été créé par un règlement du 19 mai 2010, dans le cadre du « paquet asile » proposé par la Commission européenne.
Aux termes de ce règlement, l'EASO doit contribuer à améliorer la mise en oeuvre du régime d'asile européen commun (RAEC), renforcer la coopération pratique en matière d'asile entre les États membres et apporter un appui opérationnel aux États membres dont les régimes d'asile et d'accueil sont soumis à des pressions particulières et-ou coordonner la fourniture de cet appui. Par ailleurs, une proposition de la Commission visant à transformer l'EASO en « véritable » agence de l'Union européenne pour l'asile en lui transférant la responsabilité du traitement des demandes d'asile au niveau européen est actuellement en cours de négociations.
Comment l'assistance de l'EASO aux États membres - je pense à la Grèce et à l'Italie, mais pas seulement - s'est-elle traduite dans le contexte de la crise migratoire ? Qu'est-ce que la réforme envisagée, si elle était adoptée, changerait concrètement dans le fonctionnement de l'agence et de l'exercice du droit d'asile en Europe ? Comment cette réforme pourra-t-elle garantir l'indépendance de l'agence vis-à-vis de la Commission ? Ne voyez-vous pas d'obstacle à rendre les lignes directrices établies par l'agence juridiquement contraignantes ? Comment se passe la coopération avec l'OFPRA ? Estimez-vous disposer des moyens suffisants pour mener à bien vos missions ? Plus généralement, quel bilan tirez-vous du fonctionnement de l'espace Schengen et quelles seraient vos propositions pour l'améliorer encore ?
Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Vous avez la parole, Monsieur.
En premier lieu, je tiens à vous présenter les excuses du directeur exécutif de l'agence, M. José Carreira, qui ne peut malheureusement être avec nous et que j'ai l'honneur de représenter.
L'EASO - BEAA en français - résulte d'un règlement proposé par la Commission européenne en février 2009 et adopté en juin 2010. L'agence est opérationnelle depuis le 1er février 2011. Elle a conclu son premier plan de soutien avec la Grèce le 1er avril 2011, soit deux mois après son établissement, c'est dire combien le soutien à la Grèce fait partie du coeur de mission de l'agence et a accompagné historiquement son développement. En juin 2011, l'agence s'est établie à Malte après avoir quitté ses bureaux temporaires de Bruxelles. Elle a acquis l'indépendance financière en septembre 2012.
Une grande étape de l'évolution de l'agence a été marquée par la crise migratoire de l'été 2015 et l'agenda européen pour les migrations alors proposé par la Commission. Cela a eu pour conséquence la transformation du rôle opérationnel de l'agence qui, tout en continuant ses activités de soutien technique, de coopération pratique et de renforcement des capacités des administrations nationales, s'est orientée sur des actions de terrain, en première ligne, où il lui a été demandé de déployer des agents et de venir en soutien opérationnel aux agents italiens et grecs au sein même des procédures nationales.
En 2016, nous avons ouvert des bureaux à Athènes, à Rome et à Bruxelles, à côté du siège à Malte, pour augmenter notre couverture géographique en Europe.
En février 2016, M. Carreira a été désigné second directeur exécutif de l'agence. D'origine portugaise, il a une longue expérience des migrations et il a notamment longtemps travaillé à Frontex comme directeur de l'administration.
En mai 2016, la Commission européenne a proposé un nouveau règlement érigeant l'EASO en véritable agence européenne de l'asile.
S'agissant des moyens de l'EASO, lors de son installation, en 2010, elle avait été dotée d'un premier budget de 5,25 millions d'euros et son plan d'établissement prévoyait 24 agents pour la première année. À mi-parcours, au 1er janvier 2013, son budget a été porté à 12 millions d'euros et elle comptait 58 agents. Au 1er janvier 2016, le budget prévisionnel était de 19 millions d'euros, mais les besoins opérationnels ont conduit à abonder ce budget par trois fois jusqu'à atteindre 65 millions d'euros ; ses effectifs propres au 31 décembre étaient de 135 agents hors intérimaires et agents locaux. Pour 2017, le budget prévisionnel est de 69 millions d'euros et son plan d'établissement prévoit de porter les effectifs à 235 agents d'ici à la fin de l'année, soit plus de 100 agents temporaires supplémentaires. D'ici 2020, les effectifs devraient atteindre 500 agents.
On peut résumer les modalités de la coopération entre les États membres et l'EASO à deux vecteurs :
- la coopération pratique en matière de formation, de mise en commun de l'information sur les pays d'origine, de réseaux d'experts thématiques ; nous avons par exemple mis en place un réseau des unités Dublin dans les différents États membres, un réseau des différentes autorités en charge de l'accueil des demandeurs d'asile - il s'agit là véritablement de coopération pratique et de renforcement de la capacité des États membres ;
- le soutien opérationnel aux États qui en ont besoin par le déploiement dans ces pays d'experts provenant de tous les États membres, comme cela a été le cas en Italie et en Grèce, mais également à Chypre et en Bulgarie ou dans des pays tiers, principalement dans les Balkans occidentaux et en Afrique du Nord, coopération que l'on désigne sous l'appellation de « dimension extérieure de la politique de l'asile ». 827 agents provenant des différentes administrations nationales ont été déployés dans ces États en 2016. Pour le soutien plus particulièrement à l'Italie et à la Grèce dans le cadre des hotspots, les principaux pays contributeurs ont été les suivants : l'Allemagne pour 6 200 jours-hommes, la France avec 5 600 jours-hommes, les Pays-Bas, 4 100 jours-hommes, et le Royaume-Uni pour 3 000 jours-hommes.
Plus spécifiquement, s'agissant des relations avec les autorités françaises, il convient de rappeler que le siège français au conseil d'administration de l'EASO est occupé par le directeur de l'asile au ministère de l'intérieur comme titulaire, le directeur général de l'Ofpra faisant office de suppléant. La France est présente dans la quasi-totalité des réseaux thématiques animés par l'EASO et participe à un certain nombre de groupes de travail, notamment à celui mis en place très récemment pour la mise en oeuvre de la directive « qualifications » par déploiement d'experts. Enfin, comme je l'ai déjà indiqué, la France est le deuxième contributeur en termes de soutien opérationnel en première ligne en Grèce et en Italie.
La coordination opérationnelle dans les hotspots est particulièrement étroite avec Frontex. Nous nous plaçons à différents moments de la chaîne de traitement des migrants puisque Frontex est en charge du premier enregistrement et de la gestion de l'arrivée des migrants, tandis que nous prenons en charge le suivi de ceux qui y demandent l'asile. Depuis juillet 2016, nous disposons d'un agent de liaison au sein de Frontex afin d'assurer une parfaite coopération et coordination au quotidien. La semaine dernière, à l'occasion du premier conseil d'administration commun à EASO et Frontex, nous avons conclu un accord de coopération spécifique portant sur des échanges en matière de formation, d'échanges d'informations, mais également sur des modalités de coopération opérationnelle dans les hotspots.
Dans les hotspots nous collaborons également avec Europol. Nous sommes, par ailleurs, actifs au sein du groupe de contact des agences européennes Justice et affaires intérieures où sont également représentés Eurojust, le CEPOL, etc...
Je ne saurais dresser un bilan politique de la gestion de la crise migratoire. En revanche, d'un point de vue purement opérationnel et pratique, on ne peut que souligner les bénéfices de la gestion intégrée des points d'entrée aux frontières extérieures que sont les hotspots et leur valeur ajoutée. On constate d'ailleurs que dans le nouveau règlement Frontex qui vient d'être adopté et dans le règlement qu'elle propose pour l'Agence européenne de l'asile, la Commission européenne organise la mise en place d'équipes de gestion des migrations mixtes - c'est-à-dire pour les hotspots. En Italie, les hotspots ont permis un enregistrement quasi-systématique des migrants aujourd'hui, ce qui a permis une mise en oeuvre plus effective du règlement Dublin, mais également une meilleure traçabilité des demandeurs. En Grèce, ils ont tout simplement permis au système d'asile d'absorber, voire de survivre au flux particulièrement important de ces deux dernières années.
Dans le cadre spécifique de la déclaration commune Union européenne-Turquie, on constate que l'on est passé d'une situation, en février 2016, où la Grèce comptait plusieurs milliers d'arrivées quotidiennes sur ses îles en mer Égée, à moins de 110 migrants débarqués sur toute la semaine dernière. Ces chiffres seuls démontrent l'efficacité du plan, de ce point de vue du moins.
Vous nous avez interrogés sur l'examen de recevabilité d'une demande d'asile préalablement à la saisine de l'autorité nationale concernée dans le cadre de l'accord Union européenne-Turquie. Si je peux clarifier ce point, l'examen de recevabilité n'est pas préalable à la saisine de l'autorité nationale car elle est conduite par cette autorité nationale, en l'occurrence le service de l'asile grec. C'est la Grèce qui examine la recevabilité d'une demande d'asile avec le soutien de l'EASO et des experts déployés par les autres États membres. La Grèce reste donc souveraine sur cette question de recevabilité. La recevabilité est donc préalable uniquement à l'examen au fond de la demande.
La Turquie n'est bien évidemment pas soumise au régime d'asile européen commun. En revanche, elle a fourni un certain nombre de garanties à la Grèce et à l'Union européenne en matière d'accès aux procédures d'asile pour les personnes reconduites depuis la Grèce au motif que leur demande y aurait été considérée irrecevable, ainsi qu'en termes de protection temporaire accordée, notamment aux Syriens reconduits en Turquie. Par ailleurs, l'EASO, à côté d'autres acteurs, mène des actions de formation en Turquie et apporte un soutien aux procédures d'asile nationales afin d'y faire appliquer et respecter les meilleurs standards et les meilleures normes en matière d'asile.
Pour en revenir aux hotspots et aux personnes qui y sont accueillies depuis leur création, il me semble nécessaire de préciser que les hotspots prennent des formes et assurent des missions légèrement différentes selon leur implantation. Ainsi, en Italie, il n'y a pas d'accueil à proprement parler dans les hotspots, ceux-ci constituant seulement des points de débarquement et d'enregistrement des migrants avant que ces derniers ne soient répartis dans différents centres d'accueil sur le territoire italien. En Grèce, depuis mars 2016 et la mise en oeuvre de l'accord Union européenne-Turquie, les hotspots ont effectivement été transformés en centres d'accueil fermés pour le temps du traitement de leur demande. Aujourd'hui, 15 000 personnes sont présentes dans les cinq hotspots.
La relocalisation des demandeurs d'asile conformément à la décision du Conseil européen de septembre 2015 a concerné, à ce jour, près de 12 000 personnes - 8 685 depuis la Grèce, 3 204 depuis l'Italie. Les trois principaux pays de relocalisation sont, en premier chef, la France avec 2 695 demandeurs relocalisés, puis l'Allemagne avec 2 042 personnes accueillies et, en troisième lieu, les Pays-Bas avec 1 362 demandeurs. Il y a encore en Grèce à peu près 6 500 personnes en attente de leur transfert vers le pays de relocalisation qui leur a été attribué, 2 600 en Italie. Plus de 9 000 personnes peuvent prétendre à la relocalisation en Grèce, mais sont en attente du début de la procédure.
Je vous rappelle que l'EASO n'a pas de mandat pour raccompagner les migrants dans leur pays d'origine et vous renvoie pour cela à Frontex.
Dans la situation actuelle, le soutien de l'EASO à la Grèce et à l'Italie est non seulement toujours nécessaire mais il a même été récemment renforcé via de nouveaux plans de soutien opérationnel conclus avec ces pays à la fin 2016 pour l'année 2017. Chacun de ces plans prévoit un renforcement des moyens déployés dans ces pays. À plus long terme, l'EASO est prêt à assurer ce soutien aussi longtemps que nécessaire mais cela dépendra à la fois des besoins exprimés par ces pays et des décisions du Conseil de l'Union européenne et de la Commission. En pratique, cela dépend donc essentiellement de l'évolution des flux, d'une éventuelle prolongation du programme de relocalisation censé s'achever en septembre 2017 et de la potentielle ouverture de nouveaux hotspots dans de nouveaux pays aux frontières de l'Europe.
L'EASO n'a pas accès aux bases d'information Eurodac et Schengen. À ce jour, seules les autorités nationales y ont accès en consultation directe. Dans le cadre du dispositif d'alerte précoce mis en oeuvre par l'EASO cependant, l'accès à Eurodac pourrait nous être utile à l'avenir, non pour connaître des données personnelles des demandeurs, mais pour disposer des métadonnées : agrégats des personnes enregistrées, lieu d'enregistrement, provenance, afin d'avoir un tableau plus complet en temps réel de la situation de la demande d'asile dans tous les pays européens.
En tout état de cause, tout renforcement d'Eurodac pour obtenir une information plus précise et une meilleure traçabilité des demandeurs - cela fait l'objet de discussions en ce moment à Bruxelles - va dans la bonne direction d'un point de vue opérationnel. Dans le cadre de l'accord de coopération conclu avec Frontex, un des points-clé concerne l'interopérabilité de nos systèmes d'information afin que toute information collectée par Frontex soit immédiatement connue de nous et réciproquement. Nous travaillons actuellement à des solutions techniques pour sécuriser et fiabiliser nos échanges d'information, en conformité avec les normes européennes.
La proposition de la Commission européenne de transformer l'EASO en véritable Agence de l'Union européenne pour l'asile, qui fait l'objet du trilogue actuellement, ne prévoit pas de faire de l'EASO une autorité de détermination des demandes d'asile ; il s'agit-là seulement d'une perspective de long terme. La proposition actuelle vise plutôt à en faire un centre indépendant d'expertise. Mais dans une perspective de long terme, on peut relever que le traitement conjoint des demandes d'asile en Grèce et en Italie par des agents provenant des autorités nationales de tous les pays, dont l'Ofpra, peut préfigurer ce que pourrait représenter à l'avenir un traitement européanisé de la demande d'asile. À ce stade, il ne s'agit toutefois que de projections et de spéculations.
Sans rentrer dans le détail des négociations en cours qu'il ne m'appartient pas de commenter, la proposition actuelle de la Commission prévoit que les États doivent « tenir compte » des lignes directrices adoptées par l'EASO. Je vous laisse juge du caractère contraignant ou pas de cette formulation.
Pour que le régime d'asile européen commun ait du sens, il est indispensable que des demandes similaires introduites dans des pays différents soient traitées de la même façon et aboutissent à des résultats identiques. La coopération pratique est assurément un levier fort de convergence, mais l'expérience prouve qu'aujourd'hui encore, malgré un cadre juridique précis et de vrais efforts de coopération entre États, les taux de reconnaissance sont encore très variables d'un État à l'autre. Donc tout effort de convergence de l'analyse de la situation dans les pays d'origine, mais aussi d'application du cadre juridique aux cas d'espèce, va dans le sens d'une réalisation des objectifs du régime européen commun.
L'EASO se tient prêt à assumer un rôle d'évaluateur du traitement des demandes de protection par les États membres si les négociations devaient aboutir à le lui confier, mais il n'appartient pas à l'EASO de se prononcer sur les contours exacts de cette mission.
S'agissant du projet de mise en place d'une réserve opérationnelle, l'expérience prouve que le chiffre initialement proposé de 500 agents mis à disposition de manière permanente semble être un strict minimum. On constate actuellement, en Grèce et en Italie, que de tels déploiements sont très consommateurs de ressources humaines, du fait d'une forte rotation des agents car les missions sont de quelques semaines ou de quelques mois dans le meilleur des cas. Il importe donc que la réserve opérationnelle soit suffisante pour assurer la continuité des opérations, donc le renouvellement des effectifs.
L'EASO ne participe pas à l'évaluation Schengen.
Un renforcement du système européen d'asile ne peut que contribuer à un espace Schengen plus stable. Nous suivons avec intérêt les négociations autour de la proposition d'un nouveau règlement Dublin qui le ferait évoluer d'un système de pure détermination de l'État responsable de l'examen de la demande d'asile vers un système de correction et de solidarité en cas d'afflux massif.
Pour en revenir au concept des hotspots né de la crise migratoire, les moyens mis en place ont-ils été suffisants pour traiter l'afflux migratoire tel qu'il a existé sur les côtes grecques ? Qu'en est-il aujourd'hui sur les côtes de Lampedusa ? Doit-on les installer en Europe ou dans les pays limitrophes des pays en crise avec le même standard de traitement de la demande d'asile ? Le problème est le retour des personnes ne relevant pas de l'asile.
Transformer l'EASO en Agence européenne de l'asile pose la question de la standardisation du traitement des demandes. Nos auditions n'ont pas fait transparaître un enthousiasme extraordinaire sur ce point précis. De votre point de vue, y a-t-il des pistes de coordination plutôt que de standardisation ?
Vos questions portent en elles un élément d'appréciation que je ne peux commenter.
La mise en place des hotspots n'a pas été sans difficultés, mais il ne faut pas sous-estimer les efforts réalisés car il s'agissait de créer un système entièrement nouveau, sans référence, de pousser la coopération entre agences européennes mais aussi avec les autorités nationales (en Grèce, la police, le service de l'asile, l'administration en charge de l'accueil...) d'une manière très opérationnelle, alors même que cette multitude d'acteurs était amenée à collaborer directement pour la première fois ensemble. Il ne m'appartient pas de dire si les hotspots ont été mis en place trop tôt ou trop tard, trop vite ou pas assez, mais je tiens à souligner les progrès accomplis en seulement un an et demi.
La valeur ajoutée des hotspost en termes de gestion des flux migratoires aussi bien en Grèce qu'en Italie, bien que sous des modalités différentes, est en revanche indiscutable. Il ne s'agit pas d'une formule clé en main à dupliquer de manière identique à tous les points de frontière extérieure en Europe, mais bien d'un concept : rassembler en un lieu un centre de gestion intégrée des migrants. Les modalités opérationnelles de mise en oeuvre doivent être suffisamment flexibles pour s'adapter en fonction des spécificités des différentes situations. Si les hotspots en Grèce et en Italie répondent à la même logique générale, pour autant les missions précises, les tâches assignées à chacun, les profils déployés varient en fonction des lieux et des besoins.
C'est pourquoi il est intéressant de relever que les propositions de la Commission aussi bien pour le règlement Frontex que pour l'Agence européenne de l'asile tirent déjà les premières leçons des hotspots en transposant cette notion d'équipes de gestion migratoire mixte.
Finalement, on est en train de pérenniser les hotspots dans leur principe, moyennant leur adaptation selon les circonstances, de les intégrer pour ainsi dire dans la « boîte à outils » de la gestion de crise ?
Absolument.
Le terme de « standardisation » du traitement des demandes d'asile est peu attrayant. Dans ses travaux, l'EASO parle plutôt de convergence. L'objectif n'est pas de standardiser, d'uniformiser pour dupliquer dans tous les pays européens des normes ISO. Ce qui compte avant tout, c'est l'objectif final : que les chances de se voir reconnaître une protection ou au contraire d'être débouté soient les mêmes dans tous les pays, que les garanties procédurales soient les mêmes, qu'il n'y ait aucun avantage ou inconvénient du point de vue de la procédure d'asile pour un demandeur à choisir un pays plutôt qu'un autre.
La politique commune de l'asile a désormais une certaine antériorité. Avec un peu de recul, on observe qu'une certaine forme d'uniformisation est indispensable. Cela passe par la formation : à défaut d'une méthode commune de travail, cela donne aux différentes administrations en charge du traitement des demandes un langage commun, une approche commune des différents concepts juridiques et des différentes techniques à appliquer.
L'EASO s'est également engagé dans le développement d'outils pratiques. Libre aux États de les adopter ou non, en les adaptant à leur procédure nationale le cas échéant. Peu importe qu'on utilise en Allemagne, en Belgique et en France des formulaires portant le sceau européen, mais une approche identique est nécessaire.
Il est évident qu'il restera une part de différences irréductibles du fait de nos traditions juridiques et administratives. Il est donc illusoire de tendre à une standardisation. En revanche, il faut rapprocher les pratiques, l'interprétation du cadre juridique et le résultat final des procédures.
Sur ce point de la convergence, ne faudrait-il pas commencer par faire converger les procédures de recours ? Admettre que chaque État est souverain s'agissant de sa procédure administrative, mais que la procédure contentieuse converge ?
Je reviens d'Italie dont les frontières au Nord sont désormais fermées. Comment cela peut-il ne pas fonctionner mieux ? Beaucoup de réfugiés attendent dans les villes italiennes. Comment se fait-il qu'ici comme en Grèce, on ne puisse répondre aux objectifs de relocalisation fixés par le Conseil ?
Plutôt que de parler de hotspots hors de l'Union européenne, pourquoi ne pas mettre en place un système de visas pour asile au niveau européen comme cela existe en France ? Dès lors que les demandeurs se trouveraient sur le territoire européen, ils l'obtiendraient. Cela ne pourrait-il pas dès lors être de votre compétence ?
La question de la convergence des procédures contentieuses m'occupe personnellement beaucoup au quotidien. Il s'agit d'un vecteur de convergence très fort, mais un des plus difficiles à mettre en oeuvre. Si les procédures administratives sont différentes, voire divergentes, on observe encore plus de divergences dans les organisations nationales sur la partie contentieuse. La France, avec sa juridiction spécialisée - la Cour nationale du droit d'asile -, est à cet égard particulièrement bien équipée, à l'instar de la Suède par exemple, mais il s'agit là d'exceptions. Dans d'autres pays, il s'agit de juges spécialisés sur la question de l'asile au sein de juridictions administratives généralistes. Dans d'autres États membres enfin, les juges de l'asile sont des juges de droit commun, parfois civils, non spécialisés sur ce contentieux. L'EASO propose un programme de formation pour les juges, un programme de « développement professionnel ». La particularité de ces activités vient de ce qu'il faut respecter pleinement l'indépendance judiciaire, ce qui nous empêche de répliquer les programmes mis en place pour les administrations. Depuis trois ans, a été mis en place un réseau de juges spécialisés. Nous menons des conférences, des formations. Mais la route est encore longue. Cela constitue une des priorités de l'agence, mais nos moyens d'action en la matière sont un peu plus contraints qu'avec les administrations.
Votre question sur la relocalisation en soulève plusieurs. L'Italie présente un cas particulier car les nationalités éligibles à la relocalisation ne concernent que très peu les flux italiens. Parmi ceux-ci, seuls les Erythréens pourraient être relocalisés et ils n'arrivent qu'en nombre limité. Le réservoir de personnes relocalisables depuis l'Italie en fonction des critères établis par le Conseil n'est donc pas aussi large qu'initialement envisagé.
De manière générale, que ce soit pour l'Italie ou la Grèce, tous les États membres n'ont pas considéré leurs engagements de la même façon. Un certain nombre n'ont pas rendu disponible le nombre de places nécessaires à la réalisation de leur quota. D'où les 9 000 personnes enregistrées en Grèce qui n'ont pas encore « trouvé preneur », si vous me passez l'expression. Récemment l'Allemagne a augmenté le nombre de places ouvertes à la relocalisation, permettant l'accélération d'un certain nombre de procédures. Tout n'est pas noir comme en témoigne l'augmentation des chiffres de relocalisation avec plusieurs milliers de relocalisés tous les mois. Mais un effort supplémentaire pourrait être fait par certains États.
La question du visa pour asile est particulièrement d'actualité puisque la Cour de justice de l'Union européenne examine actuellement le cas. Son avocat général s'est prononcé la semaine dernière en faveur de la délivrance de visa pour asile en cas de risque en cas de maintien dans le pays d'origine. Reste à voir si ces conclusions seront suivies par la Cour. Si les visas pour asile devaient devenir une nouvelle voie d'accès à la procédure d'asile, l'EASO aurait vocation à mettre en oeuvre de manière pratique cette nouvelle procédure.
Je vais mettre les pieds dans le plat. Vous indiquiez avoir le sentiment qu'en peu de temps, l'Europe avait accompli de grands progrès. Pour ma part, il me semble que ce sont toujours les mêmes États membres qui se sentent concernés par les demandes d'asile. N'a-t-on pas atteint un plafond de verre ? J'en veux pour preuve les chiffres de contribution que vous indiquiez tout à l'heure. Que se passe-t-il dans les autres États ? Existe-t-il véritablement une volonté d'encourager une convergence dans ces pays ou bien, comme je le crains, un plafond de verre a-t-il été atteint ?
Tout est question de perspective. Je me garderai de parler de plafond de verre du fait de la faible antériorité que nous avons sur la procédure de relocalisation - moins de deux ans. Il s'agissait effectivement d'une procédure entièrement nouvelle, dont on a parfois sous-estimé les efforts nécessaires pour la mettre en oeuvre : organiser le transfert de milliers de personnes en Europe, après avoir procédé à leur enregistrement, vérifier leur identité, évaluer le risque qu'elles représentaient éventuellement pour l'État d'accueil... soit des procédures extrêmement lourdes. Tout le monde s'attendait à ce que des milliers de personnes soient déplacées du jour au lendemain, mais d'un point de vue pratique, cela était impossible.
En Grèce, le service de l'asile s'est doté de la capacité à mener cette procédure de manière complètement autonome ; il n'est plus sous perfusion européenne. Si au début, certains États avaient beau jeu de dire qu'ils étaient prêts à accueillir mais qu'on n'avait personne à leur proposer, ce n'est plus le cas aujourd'hui : l'intégralité des personnes pouvant faire l'objet d'une relocalisation est enregistrée. Désormais, il s'agit pour chacun de respecter ses obligations.
Pour le reste, je ne vais pas m'aventurer sur des commentaires concernant les attitudes des uns et des autres.
Quant aux contributions des différents États membres, je me suis limité aux cinq premiers par facilité, mais un certain nombre d'États, y compris d'Europe centrale, peuvent contribuer de manière significative dans le déploiement d'experts sans pleinement mettre en oeuvre pour l'instant leurs obligations en matière de quotas de relocalisation. C'est le cas par exemple de la République tchèque qui a déployé plus de 2 000 jours-hommes en Italie et en Grèce depuis le début de la crise migratoire.
Il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur le concept de « solidarité flexible », sur son réalisme, sa compatibilité avec les principes européens et la politique européenne de l'asile. Toutefois, j'aurai une appréciation plus prudente que vous sur la situation actuelle : nous sommes non pas à la fin, mais au début d'un processus, les hotspots sont un concept neuf, la procédure de relocalisation est également une invention qui a peut-être vocation à être pérennisée à travers le nouveau règlement Dublin. Je me placerai plutôt dans une position d'attente pour voir ce que l'avenir nous réserve.