C'est un plaisir et un honneur de m'exprimer aujourd'hui devant vos deux commissions. Permettez-moi d'abord quelques confidences personnelles. Né à Bratislava, en Slovaquie, j'ai passé toute ma jeunesse à trois kilomètres du rideau de fer, dont nous étions sur le point d'accepter qu'il serait éternel. Une blague de l'époque résume bien notre état d'esprit d'alors. Un enfant, apercevant des barbelés, demande à son père : « Papa, qui est enfermé derrière ces barbelés ? » Le père répond : « Mais c'est nous, mon fils. »
Ces dernières décennies sont donc à mes yeux de véritables miracles historiques et politiques. Les nations européennes sont devenues amies, les États de l'Union collaborent étroitement et ses concitoyens profitent d'un espace économique et de liberté. J'ai parfois l'impression que nous n'apprécions pas assez les avantages que l'Union nous a apportés.
À Bruxelles comme à Paris, trois événements majeurs, qui avaient dominé le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers, sont au centre des préoccupations : la crise économique, la situation dans les pays voisins du Sud de la Méditerranée et l'accident nucléaire au Japon. Je me limiterai aux dispositifs européens de lutte contre la crise économique, et plus particulièrement au rôle capital que les parlements nationaux doivent jouer.
Des décisions majeures ont été prises pour stabiliser la zone euro et renforcer la coordination économique. Ce qui semblait impensable il y a quelques années est désormais une réalité : nous avons un cadre de gouvernance économique, et notre union monétaire a trouvé un nouvel équilibre sur des bases renforcées. Reste à donner vie à ces avancées politiques et à faire de ce tournant un vecteur de sortie de crise pour que l'Union européenne, ses États membres et ses citoyens retrouvent le chemin de la croissance et de l'emploi. Ce défi repose avant tout sur une volonté politique durable et la responsabilité de chacun.
Le temps n'est plus aux questions ou aux regrets : les citoyens européens attendent des faits et des résultats. Permettez-moi d'en évoquer quelques-uns. Avec l'examen annuel de la croissance de janvier dernier, la Commission a lancé le premier semestre européen de coordination économique ; le Parlement européen va bientôt approuver le paquet de six mesures législatives portant réforme de la gouvernance économique européenne ; les discussions sur un ajustement de la capacité du Fonds européen de stabilité financière, ainsi que sur le fonctionnement du Mécanisme européen de stabilité, sont sur le point d'aboutir ; le Comité européen des contrôleurs bancaires est en train d'évaluer les résultats des tests de résistance des banques européennes ; enfin, le pacte pour l'« euro plus » est pleinement intégré dans les mécanismes prévus par le traité, et désormais ouvert aux États de l'Union qui ne font pas partie de la zone euro.
Il faut également assainir les finances publiques, prendre la mesure des aspects sociaux de la crise et mettre en oeuvre des réformes structurelles, non pas uniformément et au même rythme, mais de façon coordonnée et cohérente ; c'est là tout le sens des objectifs formulés dans la stratégie Europe 2020.
La même ambition doit inspirer les mesures visant à corriger les déséquilibres macro-économiques. Par le biais du pacte pour l'« euro plus », la grande majorité des États membres ont manifesté une volonté très encourageante de progresser dans la coordination économique. La cohérence est en effet une condition essentielle de notre efficacité.
Les initiatives qui en découleront seront intégrées dans les projets nationaux de réforme et les programmes de stabilité et de convergence des États membres. La Commission examine ces documents en vue d'adopter ses recommandations par pays avant le Conseil européen de juin prochain, lequel clôturera le premier semestre européen en donnant l'impulsion nécessaire à la réalisation des réformes.
Notre responsabilité est d'apporter des réponses à la mesure de la crise ; c'est pourquoi il est si important que chacun - institutions et organes consultatifs de l'Union, parlements nationaux, partenaires sociaux, régions et autres parties prenantes - fasse sienne la stratégie Europe 2020. Cet impératif figure d'ailleurs dans les conclusions du Conseil européen de mars dernier.
Concrètement, la stratégie Europe 2020 permettra à l'Union de retrouver le chemin d'une croissance intelligente, durable et inclusive ; elle fournit un cadre pour les réformes et les débats politiques relatifs aux moyens et au calendrier. Aussi soutenons-nous votre idée d'une conférence budgétaire réunissant les présidents des commissions chargées du budget des parlements nationaux et les présidents des commissions concernées du Parlement européen, conférence qui pourrait être organisée en mai après la transmission des programmes de stabilité nationaux.
C'est aussi pourquoi nous avons accueilli avec beaucoup d'intérêt le programme de la COSAC des 29 et 31 mai prochains à Budapest. Ce programme prévoit, d'une part, un examen du rapport bi-semestriel sur la contribution des parlements nationaux et du Parlement européen à la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020, à la gouvernance économique de l'Union et à l'élaboration du programme de travail de la Commission pour 2012 ; et d'autre part, un débat général sur l'état de l'Union auquel la Commission sera particulièrement attentive, car il nous permettra de mieux appréhender les défis futurs.
Au niveau national, la participation à la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020 n'est pas une affaire seulement administrative : elle suppose une perspective réellement européenne. Pour prendre un exemple concret, 3 % du PIB de l'Union devraient être consacrés à la recherche et au développement, conditions d'une économie fondée sur la connaissance et l'innovation. Une approche purement technocratique consisterait à évaluer les données actuelles puis à mettre en place, via les législations nationales, les dispositifs nécessaires pour s'approcher de cet objectif. En toute rigueur, un pays qui dépasserait déjà la valeur de référence serait dispensé d'efforts supplémentaires. Mais ce serait oublier que les objectifs chiffrés sont des agrégats : il est de l'intérêt de tous que l'objectif soit atteint au niveau européen. Adopter une perspective européenne ne consiste donc pas seulement à se demander si un engagement est tenu au niveau national, mais aussi ce qu'il convient de faire pour qu'il le soit à l'échelle européenne.
Le défi de l'Union européenne est de savoir si cette complémentarité, je dirai même cette convergence d'objectifs, est en marche. Personnellement, je constate une évolution positive depuis quelques années. C'est pourquoi je suis convaincu que notre dialogue politique ne peut que s'approfondir.
Depuis que le Président Barroso a pris, en 2006, l'initiative d'engager un dialogue direct entre les parlements nationaux et la Commission, les contacts personnels, tant entre les services qu'au niveau politique, se sont multipliés. J'ai moi-même pris l'engagement, au cours de mon mandat, de rendre visite à tous les parlements nationaux ; avec les deux chambres du Parlement français aujourd'hui, je suis presque à mi-chemin de mon parcours.
De 2006 à 2009, nous avons accusé réception de 618 avis des parlements nationaux et répondu à une très grande majorité d'entre eux. L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne a encore stimulé le dialogue politique : pour la seule année 2010, la Commission a reçu 380 avis. En 2010, nous avons également reçu plus de 200 opinions des parlements nationaux sur des propositions législatives relevant du contrôle du principe de subsidiarité ; seules 34 d'entre elles ont pris la forme d'un avis motivé pour non-respect de ce principe. La proposition de directive sur les travailleurs saisonniers a suscité 8 avis motivés, le reste étant partagé entre diverses propositions législatives. Je sais que certains parlements nationaux sont toujours impatients de brandir un carton jaune ; mais si la Commission fait correctement son travail, ils n'auront guère d'occasions de le faire. C'est pourquoi je considère que le dialogue avec les parlements nationaux et le contrôle du principe de subsidiarité sont les deux faces d'une même médaille. Dans cet esprit, la Commission s'est engagée à faire une appréciation politique, et non strictement juridique, des avis exprimés au titre de ce mécanisme, qu'elle ne conçoit pas comme un frein à ses initiatives mais comme un moyen de partager la responsabilité des politiques européennes.
La Commission peut renforcer son dialogue avec les parlements nationaux de deux manières, d'ailleurs complémentaires : soit par des échanges individualisés, soit en s'adressant à l'ensemble des parlements réunis. Si les échanges individualisés se font tout naturellement aux niveaux administratif et politique, la réunion des parlements nationaux exige des sujets communs suffisamment forts, ce qui est à mes yeux le cas du semestre européen et de la stratégie Europe 2020. Un tel dialogue collectif suppose aussi une enceinte. Celle-ci existe déjà avec la COSAC, dont les réunions coïncident avec les étapes-clés du semestre européen, et même du cycle de programmation des travaux de la Commission. L'engagement des parlements nationaux, votre engagement, est un ingrédient indispensable pour assurer le succès d'une union politique au service des citoyens.
Je le répète, les parlements nationaux sont pour nous des partenaires très proches. Permettez-moi donc de finir par une invitation. Aidez-nous à discuter de l'Europe d'une manière responsable et objective ; aidez-nous à combattre les démons du passé, le protectionnisme, la xénophobie, l'extrémisme et le manque de solidarité, que les eurosceptiques instrumentalisent en cette période de crise. Vous pouvez compter sur la Commission européenne pour être votre partenaire privilégié dans ce combat en faveur d'une Europe plus forte et plus juste, qui mobilise tous les citoyens autour de notre projet commun.