M. Jean Bizet et moi sommes très heureux, Monsieur le vice-président, de vous recevoir pour la première fois devant nos deux commissions réunies.
Votre portefeuille est décisif dans le contexte de la mise en oeuvre institutionnelle du traité de Lisbonne : le Parlement européen est devenu un co-législateur à part entière ; le rôle du Conseil européen - qui dispose désormais d'une présidence stable, dont je préconise depuis longtemps qu'elle soit un jour commune avec celle de la Commission - s'est accru ; l'initiative citoyenne européenne a renforcé la citoyenneté au sein de l'Union. Et nous sommes tout particulièrement intéressés, bien entendu, par le rôle des parlements nationaux, notamment pour le contrôle de subsidiarité.
Nos deux commissions ont organisé plusieurs réunions avec les parlementaires français membres du Parlement européen, ainsi qu'une visioconférence avec la commission Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen. De plus, les rapporteurs de nos commissions sont régulièrement amenés, dans le cadre de leurs travaux, à rencontrer les parlementaires européens.
On reproche parfois à la Commission d'être au service, soit du Conseil, soit du Parlement européen : quel est votre sentiment ? La réussite de la construction européenne passe par la coopération des institutions européennes avec les parlements nationaux, à l'exemple du travail effectué au sein de la COSAC. Je souhaite d'ailleurs l'institutionnalisation d'un congrès réunissant le Parlement européen et les parlements nationaux, selon l'idée qui avait été soumise à la Convention européenne.
La conjoncture est particulièrement importante, compte tenu de la récente mise en oeuvre du semestre européen, première étape de cette gouvernance économique dont l'Europe a tant besoin. L'Union est entrée dans un fédéralisme budgétaire que je qualifierai d'élégant, dans la mesure où il laisse aux parlements nationaux la mission régalienne de voter les lois de finances. Nous nous réjouissons donc particulièrement de vous entendre dans le cadre de cette réunion conjointe, qui montre toute l'importance que les parlementaires français attachent aux questions européennes.
C'est un plaisir et un honneur de m'exprimer aujourd'hui devant vos deux commissions. Permettez-moi d'abord quelques confidences personnelles. Né à Bratislava, en Slovaquie, j'ai passé toute ma jeunesse à trois kilomètres du rideau de fer, dont nous étions sur le point d'accepter qu'il serait éternel. Une blague de l'époque résume bien notre état d'esprit d'alors. Un enfant, apercevant des barbelés, demande à son père : « Papa, qui est enfermé derrière ces barbelés ? » Le père répond : « Mais c'est nous, mon fils. »
Ces dernières décennies sont donc à mes yeux de véritables miracles historiques et politiques. Les nations européennes sont devenues amies, les États de l'Union collaborent étroitement et ses concitoyens profitent d'un espace économique et de liberté. J'ai parfois l'impression que nous n'apprécions pas assez les avantages que l'Union nous a apportés.
À Bruxelles comme à Paris, trois événements majeurs, qui avaient dominé le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers, sont au centre des préoccupations : la crise économique, la situation dans les pays voisins du Sud de la Méditerranée et l'accident nucléaire au Japon. Je me limiterai aux dispositifs européens de lutte contre la crise économique, et plus particulièrement au rôle capital que les parlements nationaux doivent jouer.
Des décisions majeures ont été prises pour stabiliser la zone euro et renforcer la coordination économique. Ce qui semblait impensable il y a quelques années est désormais une réalité : nous avons un cadre de gouvernance économique, et notre union monétaire a trouvé un nouvel équilibre sur des bases renforcées. Reste à donner vie à ces avancées politiques et à faire de ce tournant un vecteur de sortie de crise pour que l'Union européenne, ses États membres et ses citoyens retrouvent le chemin de la croissance et de l'emploi. Ce défi repose avant tout sur une volonté politique durable et la responsabilité de chacun.
Le temps n'est plus aux questions ou aux regrets : les citoyens européens attendent des faits et des résultats. Permettez-moi d'en évoquer quelques-uns. Avec l'examen annuel de la croissance de janvier dernier, la Commission a lancé le premier semestre européen de coordination économique ; le Parlement européen va bientôt approuver le paquet de six mesures législatives portant réforme de la gouvernance économique européenne ; les discussions sur un ajustement de la capacité du Fonds européen de stabilité financière, ainsi que sur le fonctionnement du Mécanisme européen de stabilité, sont sur le point d'aboutir ; le Comité européen des contrôleurs bancaires est en train d'évaluer les résultats des tests de résistance des banques européennes ; enfin, le pacte pour l'« euro plus » est pleinement intégré dans les mécanismes prévus par le traité, et désormais ouvert aux États de l'Union qui ne font pas partie de la zone euro.
Il faut également assainir les finances publiques, prendre la mesure des aspects sociaux de la crise et mettre en oeuvre des réformes structurelles, non pas uniformément et au même rythme, mais de façon coordonnée et cohérente ; c'est là tout le sens des objectifs formulés dans la stratégie Europe 2020.
La même ambition doit inspirer les mesures visant à corriger les déséquilibres macro-économiques. Par le biais du pacte pour l'« euro plus », la grande majorité des États membres ont manifesté une volonté très encourageante de progresser dans la coordination économique. La cohérence est en effet une condition essentielle de notre efficacité.
Les initiatives qui en découleront seront intégrées dans les projets nationaux de réforme et les programmes de stabilité et de convergence des États membres. La Commission examine ces documents en vue d'adopter ses recommandations par pays avant le Conseil européen de juin prochain, lequel clôturera le premier semestre européen en donnant l'impulsion nécessaire à la réalisation des réformes.
Notre responsabilité est d'apporter des réponses à la mesure de la crise ; c'est pourquoi il est si important que chacun - institutions et organes consultatifs de l'Union, parlements nationaux, partenaires sociaux, régions et autres parties prenantes - fasse sienne la stratégie Europe 2020. Cet impératif figure d'ailleurs dans les conclusions du Conseil européen de mars dernier.
Concrètement, la stratégie Europe 2020 permettra à l'Union de retrouver le chemin d'une croissance intelligente, durable et inclusive ; elle fournit un cadre pour les réformes et les débats politiques relatifs aux moyens et au calendrier. Aussi soutenons-nous votre idée d'une conférence budgétaire réunissant les présidents des commissions chargées du budget des parlements nationaux et les présidents des commissions concernées du Parlement européen, conférence qui pourrait être organisée en mai après la transmission des programmes de stabilité nationaux.
C'est aussi pourquoi nous avons accueilli avec beaucoup d'intérêt le programme de la COSAC des 29 et 31 mai prochains à Budapest. Ce programme prévoit, d'une part, un examen du rapport bi-semestriel sur la contribution des parlements nationaux et du Parlement européen à la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020, à la gouvernance économique de l'Union et à l'élaboration du programme de travail de la Commission pour 2012 ; et d'autre part, un débat général sur l'état de l'Union auquel la Commission sera particulièrement attentive, car il nous permettra de mieux appréhender les défis futurs.
Au niveau national, la participation à la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020 n'est pas une affaire seulement administrative : elle suppose une perspective réellement européenne. Pour prendre un exemple concret, 3 % du PIB de l'Union devraient être consacrés à la recherche et au développement, conditions d'une économie fondée sur la connaissance et l'innovation. Une approche purement technocratique consisterait à évaluer les données actuelles puis à mettre en place, via les législations nationales, les dispositifs nécessaires pour s'approcher de cet objectif. En toute rigueur, un pays qui dépasserait déjà la valeur de référence serait dispensé d'efforts supplémentaires. Mais ce serait oublier que les objectifs chiffrés sont des agrégats : il est de l'intérêt de tous que l'objectif soit atteint au niveau européen. Adopter une perspective européenne ne consiste donc pas seulement à se demander si un engagement est tenu au niveau national, mais aussi ce qu'il convient de faire pour qu'il le soit à l'échelle européenne.
Le défi de l'Union européenne est de savoir si cette complémentarité, je dirai même cette convergence d'objectifs, est en marche. Personnellement, je constate une évolution positive depuis quelques années. C'est pourquoi je suis convaincu que notre dialogue politique ne peut que s'approfondir.
Depuis que le Président Barroso a pris, en 2006, l'initiative d'engager un dialogue direct entre les parlements nationaux et la Commission, les contacts personnels, tant entre les services qu'au niveau politique, se sont multipliés. J'ai moi-même pris l'engagement, au cours de mon mandat, de rendre visite à tous les parlements nationaux ; avec les deux chambres du Parlement français aujourd'hui, je suis presque à mi-chemin de mon parcours.
De 2006 à 2009, nous avons accusé réception de 618 avis des parlements nationaux et répondu à une très grande majorité d'entre eux. L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne a encore stimulé le dialogue politique : pour la seule année 2010, la Commission a reçu 380 avis. En 2010, nous avons également reçu plus de 200 opinions des parlements nationaux sur des propositions législatives relevant du contrôle du principe de subsidiarité ; seules 34 d'entre elles ont pris la forme d'un avis motivé pour non-respect de ce principe. La proposition de directive sur les travailleurs saisonniers a suscité 8 avis motivés, le reste étant partagé entre diverses propositions législatives. Je sais que certains parlements nationaux sont toujours impatients de brandir un carton jaune ; mais si la Commission fait correctement son travail, ils n'auront guère d'occasions de le faire. C'est pourquoi je considère que le dialogue avec les parlements nationaux et le contrôle du principe de subsidiarité sont les deux faces d'une même médaille. Dans cet esprit, la Commission s'est engagée à faire une appréciation politique, et non strictement juridique, des avis exprimés au titre de ce mécanisme, qu'elle ne conçoit pas comme un frein à ses initiatives mais comme un moyen de partager la responsabilité des politiques européennes.
La Commission peut renforcer son dialogue avec les parlements nationaux de deux manières, d'ailleurs complémentaires : soit par des échanges individualisés, soit en s'adressant à l'ensemble des parlements réunis. Si les échanges individualisés se font tout naturellement aux niveaux administratif et politique, la réunion des parlements nationaux exige des sujets communs suffisamment forts, ce qui est à mes yeux le cas du semestre européen et de la stratégie Europe 2020. Un tel dialogue collectif suppose aussi une enceinte. Celle-ci existe déjà avec la COSAC, dont les réunions coïncident avec les étapes-clés du semestre européen, et même du cycle de programmation des travaux de la Commission. L'engagement des parlements nationaux, votre engagement, est un ingrédient indispensable pour assurer le succès d'une union politique au service des citoyens.
Je le répète, les parlements nationaux sont pour nous des partenaires très proches. Permettez-moi donc de finir par une invitation. Aidez-nous à discuter de l'Europe d'une manière responsable et objective ; aidez-nous à combattre les démons du passé, le protectionnisme, la xénophobie, l'extrémisme et le manque de solidarité, que les eurosceptiques instrumentalisent en cette période de crise. Vous pouvez compter sur la Commission européenne pour être votre partenaire privilégié dans ce combat en faveur d'une Europe plus forte et plus juste, qui mobilise tous les citoyens autour de notre projet commun.
Quatre nouvelles autorités de régulation financière sont en place dans l'Union européenne depuis le 1er janvier 2011. Les États-Unis viennent d'adopter de nouvelles règles de transparence financière, visant notamment la déclaration des transactions et des conseils, ainsi que la lutte contre la fraude. Dans ce contexte, l'Union devra-t-elle adopter de nouvelles normes ? Quelles seront les capacités d'intervention des nouvelles autorités ? Sous quels délais serons-nous en mesure d'apprécier leur action ?
Par ailleurs, l'article 86 du traité de Lisbonne offre au Conseil la possibilité de créer un Parquet européen. Y a-t-il une réflexion des instances européennes à ce sujet ? La compétence d'un tel Parquet s'étendrait-elle au-delà de la défense des seuls intérêts de l'Union, en visant par exemple les trafics de stupéfiants ou la traite des êtres humains ?
Dans le cadre du semestre européen, le Conseil a approuvé des priorités en matière d'assainissement budgétaire et de réformes structurelles, que les États membres devront traduire dans leur droit et leur programme de stabilité. Le Conseil pourra-t-il selon vous exercer une surveillance sur les parlements nationaux ? Aura-t-il les moyens de contraindre un État de mettre en oeuvre ces mesures ? Celles-ci seront-elles identiques pour tous les pays de l'Union ?
Nous souhaitons, comme vous, que la Commission travaille avec les parlements nationaux.
Vous nous avez appelés à combattre le protectionnisme et la xénophobie ; mais le problème est de savoir comment. Je ne suis pas sûr que la politique européenne menée jusqu'à présent constitue le meilleur remède. Le protectionnisme et la xénophobie naissent des difficultés économiques ; les combattre ne saurait donc nous dispenser de l'exigence de protection, quitte à prévoir des clauses environnementales ou sociales. L'ouverture de l'Europe à tous les vents suscite des réactions négatives de la part de tous les Européens et, si la xénophobie progresse chez eux, c'est qu'ils ont le sentiment que l'Union ne les protège pas assez. Les pays européens ne peuvent ouvrir leurs marchés à n'importe quelle condition ; je récuse donc le terme de protectionnisme.
Puisque nous sommes ici pour dialoguer, quelle est, à votre sens, la meilleure façon de lutter contre la xénophobie et ce que vous appelez le protectionnisme ? S'agissant des réfugiés tunisiens ou libyens, par exemple, on ne peut pas dire que l'Europe ait fait preuve d'une grande solidarité avec l'Italie et la France. Je souhaite que les voeux pieux cèdent la place aux remèdes concrets.
Vous avez indiqué que la procédure de contrôle de subsidiarité connaissait un certain succès ; pour notre part, nous n'avons pas encore réussi à prendre la Commission en défaut. Mais, comme vous l'avez suggéré, cette procédure n'est pas faite pour aller à son terme : elle permet avant tout à la Commission de prendre en compte l'avis des États membres.
Par ailleurs, l'ajustement budgétaire demandé aux pays européens est particulièrement sévère, d'autant qu'il porte sur une échéance de deux à trois ans : la stratégie Europe 2020, que l'on évoque souvent, concerne le long terme et se heurte à des difficultés d'application. S'il faut réduire la dette, l'Europe doit conserver des instruments de croissance, notamment en soutenant la demande intérieure. Un juste équilibre doit donc être trouvé.
Si l'on peut se féliciter des avancées sur l'euro et la gouvernance économique, il semble que le Bundestag reste très réservé sur le Fonds européen de stabilité financière, et des incertitudes demeurent quant à une éventuelle restructuration de la dette grecque. Nous ne sommes donc pas encore sortis de la crise de l'euro.
Enfin, je suis inquiet pour le budget européen. La Commission a fait en ce domaine des propositions que j'approuve, car elles soutiendraient l'économie européenne ; mais un certain nombre de pays cherchent à limiter leur contribution. On a évoqué la possibilité de ressources propres à travers une taxe sur les transactions financières, mais la négociation s'annonce difficile. Quel est le sentiment de la Commission sur ce point ? A-t-elle des propositions à formuler ?
Depuis l'installation de la nouvelle Commission, le dialogue s'est amélioré avec les parlements nationaux, que le Parlement européen, de son côté, consulte aussi plus régulièrement : saluons donc la forme, en attendant les résultats sur le fond.
Le protectionnisme est peut-être une gangrène, mais celui des autres l'est tout autant : si les Chinois accèdent à nos marchés publics, nous n'accédons pas aux leurs, sans parler des Américains, qui aiment tellement le libéralisme qu'ils le réservent aux autres ; c'est toute la difficulté des négociations à l'OMC. Reste que nous ne pouvons pas nous comporter comme des enfants de choeur : nous avons aussi des intérêts à défendre. Comme beaucoup de mes collègues, je suis donc attaché à la règle de la réciprocité.
Enfin, pour l'accès des marchandises à l'intérieur de ses frontières, l'Europe a instauré des règles dont l'application varie d'un pays à l'autre. Que proposez-vous pour favoriser une culture commune du contrôle ? En travaillant à un rapport parlementaire, il y a deux ans, j'ai pu constater que des produits agricoles refoulés à Marseille en application des règles sanitaires européennes revenaient sur notre sol par l'Italie. Je plaide pour des programmes d'échanges de fonctionnaires, afin d'homogénéiser les procédures de contrôle.
La crise a montré la nécessité de renforcer la discipline budgétaire et la convergence des pratiques au sein de l'Union. Si l'on ne peut que se réjouir de la conférence budgétaire, je m'interroge sur son périmètre. Les regards ne sont-ils pas excessivement focalisés sur les budgets des États ? En France, par exemple, le budget de la protection sociale est supérieur à celui de l'État, et la crise a considérablement accru son déficit ; celui-ci, de surcroît, est constitué pour moitié par les dépenses d'assurance maladie, dont toutes les prévisions montrent qu'elles vont continuer d'augmenter, ce qui fait peser un risque important pour le rétablissement des comptes publics.
Dans les autres pays européens, les régimes de protection sociale sont très différents : si nous voulons éviter en ce domaine, dans les années futures, les mêmes difficultés qu'avec les budgets des États, il serait sans doute opportun d'engager dès aujourd'hui une réflexion sur la convergence.
On peut craindre qu'à travers la procédure relative au contrôle de subsidiarité, les parlements nationaux n'apparaissent comme des bloqueurs des décisions européennes : ne vaudrait-il pas mieux leur donner un pouvoir positif d'initiative, à l'instar de la procédure qui permet au Parlement français de s'associer au semestre européen ?
Alors que la Commission apparaissait traditionnellement, grâce à l'unité de son action, comme le véritable moteur de la construction européenne, on a aujourd'hui le sentiment que chaque commissaire mène sa propre politique, au détriment d'initiatives vraiment collégiales. Quel est votre sentiment sur ce point ? Nous sommes nombreux à souhaiter que la Commission retrouve tout son rôle au sein des institutions européennes.
Je me réjouis de l'application du traité de Lisbonne s'agissant de la consultation des parlements nationaux. Naguère députée européenne, je me sentais isolée du Parlement français, tant les relations étaient rares. Les nouvelles dispositions institutionnelles donnent à nos commissions parlementaires un nouveau pouvoir de proposition.
Quid des relations entre la Commission, le Conseil et le Parlement, celui-ci étant désormais codécisionnaire sur des sujets tels que la politique agricole commune ? Où en sont par ailleurs les discussions sur les perspectives financières de 2014 à 2020 ? Avez-vous des informations sur la future répartition des fonds de la PAC et de la cohésion territoriale ?
Dans votre bilan de la première année de la Commission Barroso II, vous évoquez des « avancées décisives qui modifieront le fonctionnement de l'Europe et transformeront le paysage institutionnel de l'Union pour les années à venir » ; ailleurs, vous affirmez que « les vrais vainqueurs sont le Parlement et les citoyens ». Concrètement, quelles sont ces avancées ?
Je vous remercie de ces questions très intéressantes.
S'agissant de la régulation financière, madame Karamanli, nous ne sommes qu'à la première année de mise en place du nouveau système. Les autorités bancaires jouent un rôle important dans les stress tests. Nous avons tiré les leçons de l'an dernier, où le manque de transparence et de confiance dans les tests a posé nombre de problèmes. Nous entendons désormais être plus stricts et plus clairs sur les résultats, car nous avons besoin de rétablir la confiance dans le secteur bancaire. Ce n'est pas encore le cas dans tous les pays, et cela pose des problèmes sur les marchés financiers.
Nous avons des propositions additionnelles dans le domaine de la fiscalité. Mon collègue Michel Barnier fait du bon travail. Il a présenté des propositions intéressantes, en particulier sur la régulation des agences de notation. Je ne suis pas économiste, mais il m'est difficile de comprendre que l'Égypte puisse être mieux notée que le Portugal ou la Grèce. On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a de la spéculation financière derrière les mauvaises nouvelles qui suivent immanquablement, dans la presse, les mesures positives décidées à l'échelle européenne. Selon Klaus Regling, directeur général du Fonds d'aide aux pays de la zone euro en difficulté (FESF), les banques et les marchés auraient finalement profité des crises en Amérique du sud, et ils voudraient répéter ce scénario en Europe. Il est donc nécessaire de mettre en place une régulation des agences de notation, car elles ont indéniablement joué un rôle dans les crises. Nous allons oeuvrer en ce sens. M. Barnier a proposé 50 mesures pour relancer le marché unique. Nous avons décidé de retenir pour cette année et l'année prochaine les 12 qui nous semblent le plus à même de favoriser cette relance. Plusieurs devraient concerner le domaine financier.
En ce qui concerne le Parquet européen, vous avez raison. Vous vous souvenez à quels débats ce sujet a donné lieu lors de la Convention sur l'avenir de l'Europe, puis de la négociation du traité constitutionnel et de celui de Lisbonne. Nos positions sont en effet très différentes. La Commission est néanmoins prête à préparer une proposition sur la consolidation des opérations d'Eurojust et la création d'un Parquet européen - car le crime, lui, ne connaît pas de frontières. Nous allons essayer d'obtenir un consensus sur cette proposition. À défaut, nous pourrons toujours avoir recours à la coopération renforcée.
M. Martin m'a interrogé sur le semestre européen. Y a-t-il contradiction entre l'assainissement budgétaire et la stratégie de relance ? Oui et non. Nous devons impérativement assainir les finances publiques, tout en mettant en place une économie nouvelle. C'est pourquoi nous avons changé de gouvernance économique. C'est un petit miracle : il y a encore deux ans, l'hypothèse d'une coordination économique aussi étroite était impossible à envisager. L'expérience nous a enseigné que nos problèmes économiques sont très proches, que ceux d'un pays peuvent déstabiliser la zone euro et l'Union toute entière. Il est clair que la solution passe par plus d'Europe, et non par moins d'Europe.
Durant le semestre européen, nous allons donc présenter simultanément l'analyse sur les programmes de réforme nationaux et l'analyse sur les programmes de stabilité financière. Par le passé, la Commission « épinglait » les États membres sur les problèmes touchant à la fiscalité au printemps ; en automne, elle leur reprochait de n'avoir pas suffisamment investi dans la recherche-développement. Ce n'était pas toujours satisfaisant. Nous voulons désormais avoir une photographie complète de la situation économique des États, de la fiscalité, mais aussi de leurs programmes de réforme et des investissements nécessaires pour conforter la croissance économique.
M. Forgues m'a demandé comment combattre la xénophobie et le protectionnisme. Je pense que les parlementaires ont une certaine autorité en ce domaine. Il faut aborder plus souvent les sujets européens avec nos concitoyens, et en donner une vision plus positive. On a parfois l'impression d'entendre que tout ce qui est bon vient des capitales nationales, tandis que tout le mal viendrait de Bruxelles. Or, c'est ensemble que nous faisons la législation européenne !
Je suis d'accord avec vous, nous assistons aujourd'hui à un changement de génération politique. Au vu de l'âge de M. Cameron, je suis déjà trop vieux pour devenir Premier ministre ! Or, cette jeune génération n'est pas aussi attachée à l'Union européenne que ses aînés : pour elle, la suppression des contrôles aux frontières, le marché unique, ce sont des acquis. Ce n'est pas le cas pour moi, qui ai grandi à l'Est, de l'autre côté du rideau de fer, et pour qui la transition démocratique fut une étape fondamentale. Il faut le dire plus souvent, car l'Europe est à la fois forte et fragile - enlever une seule pièce de la mosaïque peut déclencher une réaction en chaîne et de nombreux problèmes.
Ceci étant, nous devons mettre en oeuvre des mesures plus concrètes. Il n'est pas toujours facile d'accéder aux médias lorsqu'il s'agit d'annoncer de bonnes nouvelles : les mauvaises suscitent hélas plus d'intérêt. Nous serons donc heureux de vous fournir toutes les informations disponibles pour vous aider à faire un effort de communication sur les sujets européens, en particulier auprès des jeunes. Nous essayons aussi de le faire à Bruxelles ; je crois que nous sommes la seule institution au monde à faire une conférence de presse quotidienne - à 12 heures. La Maison Blanche n'en fait pas autant ! Nous essayons d'expliquer les choses, mais c'est parfois difficile. Nous sommes en tout cas prêts, je le répète, à coopérer avec vous pour mieux « vendre » l'Europe.
Que pouvons-nous faire de plus ? Je pense que l'Europe doit utiliser sa position pour promouvoir le respect de standards mondiaux. Nous ne pourrons soutenir la concurrence avec la Chine si nous ne promouvons pas de normes, que ce soit en matière d'environnement ou de droit du travail. Nous devons donc utiliser notre position - qui est très forte - et notre coopération avec les États-Unis pour pousser à l'élaboration et au respect de normes mondiales. Ce n'est pas un problème européen, c'est bien un problème mondial.
L'ajustement économique dans lequel l'Europe est engagée est-il trop fort, monsieur Caresche ? Nous n'avons guère le choix : la pression des marchés financiers est telle que, sans assainissement de nos finances publiques, on peut difficilement envisager de s'orienter vers des politiques de développement et de croissance économique. Nous sommes conscients du climat d'austérité qui prévaut en Europe. Nous allons donc proposer des perspectives financières et un budget crédibles dans ce contexte. Nous allons également proposer un mécanisme de financement innovant, avec l'initiative « emprunts obligataires Europe 2020 pour le financement de projets » - ou « EU projects bonds ». En effet, le budget européen ne suffira pas à financer tous les investissements qui seraient nécessaires ; d'où l'idée de faire jouer un effet de levier avec la coopération de la Banque européenne d'investissement (BEI) et des banques européennes. Cela permettrait d'utiliser notre budget de manière plus efficace et de relancer certaines actions, concernant les infrastructures, les réseaux d'énergie ou les chemins de fer, où il est impératif de s'inscrire dans une perspective européenne.
M. Gaubert m'a interrogé sur le rôle des parlements nationaux. Je le remercie d'avoir noté les changements qui ont eu lieu à cet égard. La Commission considère désormais les parlements nationaux comme de proches partenaires. Il existe de nombreuses compétences partagées, y compris dans le domaine de la gouvernance économique. Nos relations directes avec les parlements nationaux sont donc importantes. Nous pouvons encore approfondir les échanges d'informations sur une base bilatérale, mais aussi collective. Nous allons d'ailleurs avoir pour la première fois un débat dans le cadre de la COSAC, sur le budget européen et les programmes nationaux de réforme. C'est une étape importante, dont vous pouvez être fiers puisqu'il s'agit d'une idée proposée par le Parlement français lors de la dernière COSAC. Sans le soutien des parlements nationaux, nous ne pouvons progresser ni dans les réformes structurelles, ni dans le débat budgétaire, ni dans le processus d'élargissement.
Quant au fait que les règles européennes ne soient pas appliquées de la même manière dans tous les États, c'est un vrai problème. Nous tenons beaucoup à Bruxelles aux « tables de concordance », qui servent à contrôler la transposition des directives par les États membres. Ce contrôle n'est pas une mince affaire, surtout dans les États fédéraux comme l'Allemagne, où il faut 40 à 50 lois pour assurer la transposition d'une directive. Vous avez raison, les réglementations communautaires doivent s'appliquer de la même manière partout en Europe.
La convergence en matière de protection sociale est bien entendu nécessaire, monsieur Diefenbacher. Pour avoir travaillé plusieurs années au Comité des représentants permanents (COREPER), je puis cependant vous dire qu'il s'agit là d'une question sensible pour de nombreux États membres. Nous avons des systèmes différents, des taux de protection sociale différents. Bref, nous avons besoin de temps pour aboutir à une véritable convergence. Ceci étant, nous avons tiré les leçons de l'an dernier : le refus d'admettre la nécessité de nous doter d'une gouvernance économique nous a coûté très cher. Nous savons maintenant que pour prévenir les problèmes du type de ceux que nous rencontrons en Grèce, en Irlande ou au Portugal, nous avons besoin d'une régulation européenne. La convergence économique annuelle nous fera bientôt ressentir le besoin d'une convergence plus étroite dans le domaine de la protection sociale. Mais la question est encore très sensible : si la Commission faisait une telle proposition aujourd'hui, elle n'aurait pas le soutien de beaucoup d'États membres.
Comment faire en sorte que les parlements nationaux ne bloquent pas les initiatives européennes ? Je ne crois pas que ce soit le cas, le traité consacrant le contrôle du principe de subsidiarité. Par ailleurs, nous sommes là pour vous informer et entendre vos préoccupations. Il est donc capital, pour la Commission, que les Parlements nationaux donnent leur opinion et participent aux consultations publiques comme aux discussions sur les « livres » verts ou blancs. Bref, que les Parlements nationaux soient partie prenante du débat européen peut être très positif.
Le Sénat et l'Assemblée nationale savent entretenir des contacts réguliers avec le Parlement européen. C'est magnifique, et j'espère que d'autres pays vont suivre votre exemple. Il est en effet surprenant de constater - et difficile à comprendre pour la Commission - que les positions des députés nationaux et des députés européens membres du même parti puissent diverger sur certains sujets.
Permettez-moi de rappeler que le Parlement européen ne fonctionne pas du tout comme les Parlements nationaux.
Certes, mais un peu de cohérence dans les positions politiques ne nuirait pas...
La Commission présentera sa proposition officielle sur les perspectives financières fin juin. Nous en avons discuté tous les aspects lors de notre séminaire de la semaine dernière. Nous allons essayer de respecter la structure des perspectives financières telle que nous la connaissons, mais nous n'en devons pas moins ajuster les chapitres aux défis d'aujourd'hui et à la stratégie Europe 2020. Nous sommes tous conscients, en tout cas, de l'importance de la PAC, en particulier pour la France. Nous n'avons pas encore discuté des chiffres, mais il est clair pour la Commission que nous devrons présenter un budget crédible, qui permette de soutenir une politique de croissance tout en s'inscrivant dans le contexte d'austérité qui prévaut aujourd'hui en Europe. Il est très important pour nous d'être crédibles ; j'espère que nous y parviendrons.
Quelle est la principale différence entre le monde d'avant le traité de Lisbonne et celui d'aujourd'hui, Madame Boulestin ? Le processus législatif européen a considérablement évolué : la co-décision est devenue la procédure habituelle, et le Parlement européen a accru ses pouvoirs dans des domaines auparavant réservés au Conseil, ce qui implique un changement de culture pour la Commission. Nous devons cependant nous assurer que le processus législatif conserve son efficacité et sa souplesse. La Commission travaille désormais plus étroitement avec les commissions du Parlement européen. Le Conseil européen est devenu très important l'année dernière, à cause de la crise financière. Les chefs d'État et de gouvernement apprécient ces réunions plus intimes. Herman Van Rompuy est un très bon président de ces conseils européens, il conduit bien les discussions, est attentif à l'agenda et cultive l'art du compromis. Grâce au Conseil européen, nous avons ajouté un nouveau pan à notre coopération avec la gouvernance économique. Les critiques sur le caractère anti-gouvernemental de cette gouvernance économique ne me semblent donc pas justes, car la crise exigeait des actions très rapides et beaucoup d'argent. Si le scénario venait à se répéter, seul le Conseil européen serait à même de réagir dans un délai aussi court.
Au terme d'une année d'application, je crois que le système fonctionne bien. En outre, la qualité et le volume de la législation sont tout à fait comparables avec ce qui existait avant le traité de Lisbonne. Nous devons encore apporter des améliorations et poursuivre les adaptations, mais cela marche.
Veuillez excuser mon retard : j'arrive de Bruxelles, plus précisément du Comité des régions d'Europe. Je n'ai pas entendu évoquer le rôle que les élus régionaux et locaux peuvent avoir pour « vendre » l'Europe et apporter leur contribution à sa construction. Or, le traité de Lisbonne a renforcé le Comité des régions, qui peut désormais intervenir aux côtés des Parlements nationaux dans le contrôle du principe de subsidiarité.
Vous avez raison. Je suis parfois surpris d'entendre demander la suppression du Comité des régions ou du Comité économique et social. Nous avons besoin de ces comités pour relayer l'information dans les régions. Nous devons donc coopérer le plus étroitement possible avec eux.
Merci, monsieur le commissaire, pour la qualité et la clarté de vos réponses, et bravo pour votre maîtrise de notre langue !
Je voudrais insister sur la place qu'occupent les parlements nationaux depuis le traité de Lisbonne. Après dix ans de débats institutionnels, nous sommes entrés - crise oblige - dans un débat sur la convergence et la compétitivité. C'est à mon avis la seule façon de faire aimer l'Europe à la jeune génération. Je m'inquiète moi aussi des sondages que l'on publie ici ou là : nos jeunes concitoyens considèrent que les avantages acquis, et notamment la paix, font partie de leur quotidien. Or, cela a été chèrement acquis et n'est jamais définitif. Restons donc prudents, et n'hésitons pas à impliquer les parlements nationaux.
Permettez-moi de revenir sur les questions de Pierre Forgues et Jean Gaubert, qui nous disent en substance que l'Europe doit cesser d'être naïve dans le cadre des négociations commerciales internationales, et que le principe de réciprocité doit être respecté. Je m'inquiète en particulier des négociations avec le Mercosur : nous devons veiller à ce que l'accord n'entraîne pas de déséquilibres au niveau européen.
À l'époque où Gérard Larcher était Président de la commission des affaires économiques du Sénat, nous avions organisé un débat en séance publique pour préciser le périmètre de la mission du commissaire européen chargé du commerce extérieur - il s'agissait alors de Pascal Lamy, aujourd'hui directeur général de l'OMC. Il serait bon d'organiser à nouveau un tel débat. Quand nous parlons de protéger nos concitoyens face à la mondialisation, il ne s'agit pas de protectionnisme, mais d'avoir une attitude offensive, au travers du Single Market Act ou du projet communautaire dont nous venons enfin de nous doter après trente ans de tergiversations. L'utilisation de la coopération renforcée - trop peu fréquente à mon avis - serait ici pertinente.
Nous avons des atouts. Pour faire aimer l'Europe, il faut faire comprendre à nos concitoyens qu'elle est une confédération d'États-nations qui peut les aider à affronter une mondialisation qu'il ne sert à rien de nier.
Nous appelons de nos voeux une franche coopération entre les Parlements nationaux, le Parlement européen et la Commission. Plus nous aurons de contacts, plus nous renforcerons la construction européenne.
Je vous remercie.