Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par notre collègue Aline Archimbaud. Celle-ci fait suite au rapport parfaitement argumenté de l’agence Santé publique France. Après un certain nombre de considérants évidents à ce jour, cette proposition invite, souhaite, estime, considère, s’oppose, souligne.
La semaine dernière, devant la commission des affaires sociales, nos collègues Patricia Schillinger et Alain Vasselle ont présenté une autre proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes, sur les perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides, laquelle déplore, regrette, estime souhaite, encourage.
Il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, d’un langage propre aux résolutions. Pourtant, permettez-moi d’être un peu perplexe sur la portée de ces textes. Cherche-t-on un effet politique ou s’agit-il simplement être dans l’air du temps ? Aujourd’hui, en effet, tout le monde semble découvrir ce dossier : articles de presse et émissions télévisées se multiplient. Bref, c’est un peu l’actualité du moment. Tant mieux, dirons-nous.
Voilà six ans, à la suite de l’adoption de la proposition de loi du RDSE interdisant la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A, j’ai réalisé un rapport sur la question des perturbateurs endocriniens. À l’époque, la terminologie elle-même était pratiquement inconnue pour nombre de nos concitoyens. Pourtant, les perturbations du système endocrinien par des substances ou des mélanges exogènes existent depuis la nuit des temps dans le milieu naturel.
Certes, le développement des sciences – chimie, physique, pharmacologie, biologie – fait que, chaque jour, arrivent sur le marché de nouvelles molécules, dont les effets ne peuvent être appréciés rapidement. Pour certaines de ces nouvelles molécules, nous ne pouvons connaître d’emblée les effets nocifs dits « CMR », c'est-à-dire cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Il faut garder à l’esprit que, pour évaluer par exemple l’incidence cancérigène d’une molécule avec une certaine crédibilité scientifique, il faut une étude de cohorte, menée a minima sur une génération.
Les auteurs de chacune de ces deux résolutions affirment, probablement à juste titre, que le principe déjà ancien selon lequel « la dose fait poison » n’est plus de mise. Pourtant, les études en laboratoire montrent des effets en courbe de Gauss pour certaines molécules, mais non pas, certes, d’une manière générale. Il faut laisser du temps aux chercheurs. Selon moi, il serait parfois beaucoup plus dangereux d’interdire là où on n’a pas la certitude d’un produit de remplacement reconnu inoffensif dans la durée.
Au chapitre des avancées, il faut citer une science récente, la métabolomique, qui étudie l’ensemble des métabolites – sucres, acides aminés et autres composants –, dans une approche impliquant soit un criblage ciblé large spectre des molécules, soit une recherche de molécules inattendues à partir de leur masse moléculaire. Avec l’arrivée sur le marché de spectromètres de masse à ultra-haute définition, la détection des polluants présents, par exemple dans l’eau, est faite à des doses bien inférieures au seuil réglementaire d’un microgramme par litre.
Un autre point qui soulève problème est celui de la classification des substances perturbantes entre un effet néfaste supposé, suspecté ou avéré, sachant que l’évaluation évolue en permanence au cours de l’étude du produit et que les résultats ne sont pas toujours concordants selon les équipes.
Je voudrais souligner l’importance de la prise en compte de la recherche scientifique mondiale sur ce dossier qui est ô combien difficile et dont l’impact économique est considérable.
Depuis 1997, l’OCDE a déjà défini une dizaine de lignes directrices, afin de prendre en compte les effets mesurables des substances perturbatrices. D’autres lignes sont à définir. Elles doivent fixer un cadre permettant d’affirmer qu’une substance possède ou ne possède pas une action perturbatrice. Cela peut paraître simple, mais la réalité est tout autre selon le niveau d’informations fourni ou le niveau de complexité biologique.
Des mécanismes d’action autres qu’œstrogéniques, androgéniques ou thyroïdiens sont possibles. L’effet « cocktail » est aujourd’hui avéré. Qu’en sera-t-il demain de l’action des nanoparticules et des biosimilaires ? Qu’en est-il de la valeur prédictive des méthodes de screening largement utilisées aujourd’hui ?
Un point essentiel du débat porte sur le degré des connaissances connues sur un produit donné, le découvreur ayant théoriquement l’obligation de fournir toutes les études de toxicité conduites dans ses laboratoires. Le rôle des agences de contrôle est donc capital pour suivre ces dossiers.
Au niveau européen, je le reconnais, les choses évoluent lentement et les tergiversations sont nombreuses. Quelle direction doit intervenir ? La réglementation REACH, pour Registration, Evaluation, Autorisation of Chemical products, s’applique progressivement sur les substances existantes ; elle est obligatoire pour tout produit entrant sur le marché.
Enfin, qu’en est-il dans notre pays ? Chacun ici connaît mon positionnement politique Je voudrais pourtant décerner un satisfecit au Gouvernement, en particulier à Mme la ministre de l’environnement, pour son engagement dans la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Ce plan est bien fait : investissement dans la recherche, définition des grands axes de protection des populations les plus fragiles, renforcement de la réglementation européenne. Certes, il manque peut-être des moyens financiers suffisants.
Sans doute pourrions-nous parler d’une même voix en soutenant ce plan d’action du Gouvernement. Je dois le dire, cette proposition de résolution me paraît un peu dissonante. Aussi, à titre personnel, je m’abstiendrai sur ce texte, au risque de fâcher son auteur, à qui je pose une question subsidiaire : êtes-vous bien sûre que le cannabis ne soit pas lui-même un perturbateur endocrinien ?