Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent texte aborde une question fondamentale, celle du droit à l’eau. Toutefois, comme l’a très bien dit notre rapporteur, Ronan Dantec, dont je salue au passage l’excellence du travail et la force de conviction, il ne fait pas que proclamer ce droit. Il lui donne corps par deux mesures concrètes.
La première est l’obligation pour les collectivités locales, singulièrement les communes et les EPCI, de fournir à toute personne qui en serait dépourvue un point d’accès à l’eau pour ses besoins élémentaires.
La seconde mesure de concrétisation du droit à l’eau est la création d’une allocation forfaitaire permettant aux ménages les plus nécessiteux de s’acquitter de leur facture d’eau.
Néanmoins, sur qui va peser la mise en œuvre du droit à l’eau ? Sur les collectivités locales ! C’est bien là que le bât blesse. Pas du tout, nous rétorque Ronan Dantec, aucune charge nouvelle ne pèsera sur les collectivités. Au contraire, elles en bénéficieront.
Premier argument : ne craignez rien, il ne s’agit pas d’un droit opposable.
Deuxième argument : l’obligation de garantir un accès à l’eau potable, à des toilettes, des douches et des laveries ne pèsera pas sur les collectivités parce qu’elle est déjà satisfaite. Toutes les communes visées par le texte disposeraient déjà des infrastructures concernées. Le droit à l’accès à l’eau serait donc effectif.
Troisième argument : les collectivités bénéficieraient de l’instauration de l’allocation forfaitaire d’eau.
Si l’on examine les choses d’un point de vue financier, c’est sur les collectivités que pèsent aujourd’hui les aides curatives destinées à régler les impayés d’eau des ménages les plus modestes : soit sur le département, via son fonds de solidarité pour le logement, le FSL, lorsque la consommation d’eau est facturée dans les charges du logement, soit sur la commune, via le centre communal d’action sociale, ou CCAS, lorsque la facture d’eau est individualisée.
Or, en créant une aide préventive, le présent texte en assure le financement par l’État. L’allocation forfaitaire d’eau sera en effet financée par la taxe sur les eaux en bouteille. Aujourd’hui, cette taxe est intégrée dans le budget général de l’État. Elle serait désormais fléchée vers le Fonds national d’aide au logement, qui la distribuerait aux FSL, lesquels auraient l’obligation de créer un fonds « eau » en leur sein. Le produit de cette taxe est de 50 à 60 millions d’euros. Les besoins estimés de l’allocation forfaitaire d’eau sont du même montant. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes !
L’idée sous-jacente est que l’instauration de l’allocation forfaitaire préventive assèche les besoins d’aides curatives. Par conséquent, le gain pour les collectivités de la création de l’allocation forfaitaire d’eau ne serait pas seulement financier : ce serait aussi un gain de gestion.
Malheureusement, ces arguments ne sont pas convaincants. Celui de la non-opposabilité du droit à l’eau est bien curieux pour qui prétend concrétiser un véritable droit. Cela revient à dire que, si le droit à l’eau emporte des obligations de la part de la collectivité, elles ne seront pas sanctionnées. En quoi ce droit n’est-il pas alors simplement déclaratif ?
De plus, pourquoi le droit nouveau ne serait-il pas opposable ? À partir du moment où il sera inscrit dans la loi, rien n’interdira d’intenter des recours sur son fondement.
L’argument selon lequel ce texte ne modifiera rien pour les collectivités parce qu’elles fournissent déjà un service d’accès à l’eau interroge sur l’utilité du texte. Qu’apporte-t-il s’il ne change rien ? Il faut être cohérent : puisque ce texte apporte un changement, il créera des charges nouvelles pour les collectivités. Dire le contraire n’est pas vraiment crédible.
D’ailleurs, aucun élément chiffré n’est produit à l’appui de cette affirmation. Les communes de plus de 3 500 habitants disposent-elles toutes de toilettes publiques et de points d’eau potable accessibles à tous ? Celles de plus de 15 000 habitants proposent-elles toutes des douches et des laveries gratuites ? Nous n’en savons rien, puisque le présent texte est une proposition de loi et que, par conséquent, il n’est pas accompagné d’une étude d’impact. Si le droit à l’eau est si fondamental, pourquoi ne pas avoir présenté un projet de loi associé à une étude d’impact ?
Le texte lui-même contredit l’idée que toutes les installations existeraient déjà, puisque son article 2 prévoit que les collectivités de plus de 15 000 habitants « installent » des douches gratuites, ce qui indique bien qu’elles n’en disposent probablement pas toutes.
Surtout, disposer des infrastructures et les mettre à disposition sont deux choses bien différentes ! En effet, même si les infrastructures existent, cela coûte de les rendre accessibles, en termes d’exigences de sécurité et, encore plus sûrement, d’entretien. Les représentants des collectivités que nous sommes ne peuvent qu’être sensibles à ces charges sans cesse accrues et jamais compensées. Il est du devoir de la Haute Assemblée de dire : « Stop ! ».
Quant à l’argument invoqué à l’appui de la création de l’allocation forfaitaire d’eau, il n’est pas non plus totalement convaincant, pour au moins deux raisons.
La première, c’est que rien ne garantit qu’elle « siphonne » effectivement les besoins actuels en aide curative.
La seconde est que la gestion du dispositif continuera d’incomber aux collectivités. Le texte ne prévoit pas autre chose. Il y est même écrit le contraire à l’article 4, qui prévoit un rapport relatif à « l’opportunité de rapprocher le dispositif de l’allocation forfaitaire d’eau du dispositif du chèque énergie ». En attendant, ce seront bien toujours aux collectivités d’instruire et de gérer les dossiers.
Par ailleurs, il y a deux points importants sur lesquels le texte demeure totalement muet.
Le premier est celui de son application outre-mer. Aucune modalité d’application différenciée n’est prévue, alors qu’elle s’imposerait à l’évidence.
Le second point clef ignoré par la proposition de loi est celui de l’éducation à l’usage de l’eau. La concrétisation du droit à l’eau emporte en effet le risque de faire passer l’eau pour quelque chose de gratuit, donc sans valeur, que l’on pourrait gaspiller.