Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a excellemment souligné notre rapporteur Ronan Dantec, que je remercie chaleureusement, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est l’aboutissement d’un long travail de réflexion et de négociation avec de nombreuses ONG, parmi lesquelles la fondation France Libertés a joué un rôle essentiel.
Nous sommes fiers que ce texte, de portée universelle et relatif à la défense des droits humains et des biens communs, ait pu enfin être inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Je le rappelle, cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Michel Lesage et six autres députés issus de groupes politiques différents – Jean Glavany, Marie-George Buffet, Jean-Paul Chanteguet, François-Michel Lambert, Bertrand Pancher, Stéphane Saint-André –, et adoptée à l’unanimité le 14 juin dernier.
Cette proposition de loi a pour objectif d’inscrire ce droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans le droit français, suivant ainsi la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, qui avait affirmé, le 28 juillet 2010, ce droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
N’oublions pas que ce combat pour la reconnaissance du droit à l’eau et à l’accès à l’eau potable a été mené inlassablement par celle qui fut la présidente de la fondation France Libertés, Danielle Mitterrand. Elle a toujours été à l’avant-garde pour démontrer la contradiction entre le statut naturel de l’eau et son exploitation économique, en sensibilisant les citoyens aux dangers de la privatisation de ce bien commun.
Comme l’air que l’on respire, l’eau est un bien commun qui ne peut être considéré comme une marchandise. Ce principe est inscrit dans le premier article de la charte des porteurs d’eau – un mouvement international –, qui fait de chaque citoyen « porteur d’eau » un militant pour une gouvernance mondiale de l’eau, pour que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement soit un droit inaliénable pour tous.
En juin 2010, nous avions d’ailleurs signé officiellement cette charte des porteurs d’eau à Bordeaux avec la présidente de la fondation France Libertés et le conseil départemental que je présidais.
Élément indispensable de la dignité humaine, dénominateur commun à toute forme de vie sur terre, l’eau est devenue un enjeu géopolitique, à l’origine de migrations et de guerres au XXIe siècle. Enjeu de solidarité territoriale et de coopération internationale, l’eau se trouve au cœur du changement climatique et de la transition écologique. L’eau est une source de vie, mais, lorsqu’elle vient à manquer, par exemple lors des catastrophes naturelles – on l’a vu récemment lors des tragiques séismes en Haïti ou au Népal en 2015, ou encore à Mayotte –, elle devient la cause de terribles épidémies et de mort.
Il est important de rappeler des données chiffrées : 34 000 personnes meurent chaque jour dans le monde par manque d’accès à l’eau potable, dont 5 000 enfants ; quelque 1, 5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2, 6 milliards à l’assainissement.
Ces données relatives à la situation dans le monde ne doivent pas faire oublier qu’en France, la cinquième puissance économique mondiale, des milliers de personnes ne disposent pas de branchement à l’eau potable ou n’ont pas les ressources suffisantes pour payer cet accès à l’eau. C’est ainsi que notre pays est loin de respecter les recommandations des Nations unies, qui prévoient un minimum indispensable de 20 litres d’eau par personne et par jour.
L’un des objectifs de cette proposition de loi est de contraindre les collectivités locales à installer et entretenir des équipements de distribution gratuite d’eau potable, ainsi que la mise à disposition de toilettes publiques dans les communes de plus de 3 500 habitants et des douches publiques dans celles de plus de 15 000. Une telle mesure doit permettre aux sans-abri de satisfaire leurs besoins élémentaires d’hygiène et d’alimentation. En outre, de telles installations existent déjà ; l’effort des communes devra porter uniquement sur la visibilité et l’accès à ces équipements.
À ce propos, vous me permettrez de souligner le travail qui est actuellement réalisé dans la métropole bordelaise pour raccorder à l’eau potable une cinquantaine de squats. Ces actions, qui concernent environ 1 000 personnes, favorisent la scolarisation des plus jeunes, évitent le risque de maladies à potentiel épidémique, ainsi que la dégradation des biens publics et privés.
Une autre mesure symbolique contenue dans ce texte est la création d’une allocation forfaitaire d’eau, qui permettrait de venir en aide aux familles ne pouvant pas payer leurs factures. Cette aide s’adresserait aux personnes dont les dépenses d’eau excèdent 3 % de leurs revenus disponibles et concernerait environ 2 millions de personnes en France. Compte tenu des différences du prix de l’eau sur l’ensemble de notre territoire, cette « allocation solidarité eau » ne serait attribuée qu’aux seules personnes payant l’eau à un prix supérieur au prix fixé par décret. Le coût de cette aide est estimé entre 50 et 60 millions d’euros.
Ces mesures, qui tendent à rendre leur dignité à toutes ces populations privées d’eau, sont faciles à mettre en œuvre, et la plupart d’entre elles viennent compléter les dispositifs déjà existants comme la loi Brottes du 15 avril 2013, qui a permis l’interdiction des coupures d’eau ; les nombreuses et récentes décisions de justice condamnant les entreprises industrielles de l’eau vont d’ailleurs faire jurisprudence.
L’obligation qui est faite d’organiser des débats autour de l’eau dans les assemblées délibératives des communes montre que le terrain de l’eau ouvre les portes d’une éducation citoyenne responsable des pratiques démocratiques ; la tenue de tels débats aura l’avantage de rendre les enjeux de l’eau plus lisibles, avec la prise en compte de la dimension du rôle des usagers.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez bien compris, ce combat mené pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est le symbole emblématique de tout un engagement pour un monde plus juste et plus solidaire ! Après la COP21 et le vote de la loi sur la biodiversité, la France doit montrer l’exemple, en s’engageant encore davantage pour un modèle respectueux de l’environnement, de la ressource en eau, de la promotion des droits humains. Au niveau tant local qu’international, l’eau est un enjeu de gouvernance et la gestion de ce bien commun doit plus que jamais être au service des communautés et de l’intérêt général.
Mes chers collègues, l’adoption de ce texte constituerait une première étape, un fondement dans la reconnaissance de la dignité humaine : le droit à l’eau pour tous.
« L’eau, c’est la vie ! », répétait inlassablement Danielle Mitterrand. L’eau, c’est un droit, un droit inaliénable à inscrire dans la Constitution. Avec ce texte, la France serait pionnière, un modèle pour les autres pays, suivant l’exemple de la Slovénie en Europe, et bien après le Burkina Faso, la Tunisie, l’Afrique du Sud, l’Uruguay, le Venezuela… Ne croyez-vous pas qu’il est temps de le faire chez nous, en France ?
Transcendant les clivages politiques, la Haute Assemblée s’honorerait en adoptant, comme l’a demandé Ronan Dantec, cette proposition de loi par un vote conforme avec l’Assemblée nationale. Cela constituerait une petite pierre fraternelle sur le chemin de l’humanité !