Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, ce débat soulève, une fois encore, la question essentielle des déserts médicaux qui concerne nombre de nos concitoyens des territoires ruraux pour qui l’accès aux soins de proximité reste difficile. Il nous invite également à réfléchir sur certaines solutions permettant de remédier à cette situation, tel le recours aux professions paramédicales.
Les déserts médicaux sont des zones géographiques sous-dotées en professionnels ou établissements de santé ; cette pénurie touche de plus en plus de territoires et s’étend à toutes les spécialités médicales.
Les zones rurales et hyper-rurales sont essentiellement concernées, mais les zones périurbaines, les petits bourgs éloignés des grands centres et certaines banlieues de grandes villes le sont aussi.
Ce phénomène doit plutôt s’évaluer à l’échelle d’un bassin de vie. Il touche en particulier les territoires où vivent les populations les plus fragiles, qui souffrent d’une désertification économique et du désengagement des services publics.
On peut ainsi trouver des déserts médicaux dans des départements – tel le Nord – qui s’inscrivent pourtant dans la moyenne nationale en matière d’accès à la santé. Dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, ou plus exactement Hauts-de-France, dont la densité médicale reste faible, ce sont, là encore, les territoires ruraux qui rencontrent de graves difficultés d’accès aux soins. Cette question est pourtant cruciale pour l’une des régions les plus peuplées de France et dont les indicateurs de santé, les plus bas à l’échelon national, demeurent inquiétants.
Cela dit, dans la lutte contre la désertification médicale, madame la secrétaire d’État, il convient de saluer l’engagement du Gouvernement qui s’est traduit, dès 2012, par la mise en œuvre du pacte territoire-santé, et qui a, par la suite, conforté et amplifié les résultats obtenus par un deuxième pacte en 2015.
La loi de modernisation de notre système de santé a donné par ailleurs une assise législative à ces contrats territoriaux.
La principale mesure – cela a été rappelé de nombreuses fois – concerne le développement des maisons et centres de santé pluriprofessionnels, dont le nombre a ainsi été multiplié par cinq depuis 2012, ce qui contribue à une réponse cohérente pour les professionnels de santé, bien sûr, mais aussi pour les usagers et pour les territoires fragiles.
Les études les plus récentes montrent que les trois quarts des maisons de santé permettent de rééquilibrer l’offre de soins dans ces territoires. Cependant, ces équipements restent encore bien trop coûteux pour la plupart des collectivités locales.
Les autres mesures principalement incitatives permettent d’encourager les médecins à s’installer dans les territoires sous-dotés, notamment le développement de formations plus adaptées et le soutien financier à l’installation dans les zones désertées.
Si ces mesures se développent, elles sont coûteuses et nécessiteront beaucoup de temps pour résorber l’énorme déficit existant.
De plus, de nombreux élus locaux sont aujourd’hui très inquiets, car leurs territoires, confrontés au vieillissement de la population, perdent de nombreux médecins, tendance à la baisse qui risque de s’accentuer dans les prochaines années. En effet, plus d’un médecin sur quatre a plus de 60 ans. Ce creux démographique est lié, bien entendu, au départ à la retraite de la génération du baby-boom. Les élus doivent souvent faire face aux difficultés du remplacement de ces médecins, qui, très fréquemment, font le choix de continuer à exercer faute de successeur.
Certes, la modulation du numerus clausus par région – ce point a été évoqué – permettra des améliorations, mais il n’est toutefois pas évident que ces nouveaux futurs médecins se dirigent naturellement vers les territoires qui en ont le plus besoin. Ils privilégient avant tout leur vie familiale et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, refusant d’accomplir d’aussi longues journées que leurs aînés. Et les femmes, qui représentent dorénavant plus de 60 % des jeunes diplômés, préfèrent des horaires fixes et l’accès à un certain nombre de services de proximité. Sur ce point, il est évident que les territoires ruraux souffrent d’un manque d’attractivité par rapport aux villes.
C’est pourquoi d’autres solutions sont souvent proposées, telles que le développement de la télémédecine qui ouvre la voie aux consultations, à la prise en charge et au prédiagnostic à distance.
La mise en place de cette pratique n’est pas encore très développée, malgré le lancement d’un programme d’expérimentations prévu pour quatre ans sur neuf territoires pilotes.
L’accès à la télémédecine pour les patients chroniques et pour les soins urgents est aussi un engagement du second pacte territoire-santé.
De plus, la loi a conforté ce soutien à la télémédecine en prévoyant des dispositions destinées à clarifier son exercice, comme le partage d’informations entre professionnels.
En clair, la télémédecine ouvre des perspectives intéressantes pour l’avenir, mais, là encore, cela prendra beaucoup de temps.
Par ailleurs, le transfert de certaines activités médicales vers les professionnels paramédicaux constitue l’une des solutions majeures, tout le monde l’a bien dit. Cette idée n’est pas nouvelle ; elle est déjà mise en pratique dans d’autres pays. Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, par exemple, ont pu organiser le transfert de certaines missions médicales à des infirmières praticiennes.
En revanche, ce transfert est sûrement moins facile à mettre en œuvre en France, car les médecins peuvent considérer que la qualité des soins risque de baisser, ou encore parce que les patients manifestent un manque de confiance à cet égard.
Malgré les difficultés, le Gouvernement s’est engagé dans cette voie, permettant l’augmentation des missions pratiquées par les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les podologues, les opticiens, les sages-femmes, ainsi que la création d’un exercice en pratique avancée des auxiliaires médicaux.
Tous ces postes sont exigeants et les candidats à ces formations sont recrutés sur des critères toujours très sélectifs.
Pour aller plus loin, il faudrait peut-être non pas revoir globalement l’organisation de notre système, mais repenser certaines formations dans le secteur paramédical.
En conclusion, votre détermination, madame la secrétaire d’État, à endiguer le phénomène des déserts médicaux ne fait aucun doute, mais la plupart des mesures ne pourront résoudre à elles seules, en l’état actuel, le problème qui est bien plus étendu. Il convient notamment de privilégier, au-delà de la coopération interprofessionnelle que d’aucuns ont soulignée, une réflexion interprofessionnelle avec le ministère sur la démographie des acteurs de la santé.
L’accès aux soins de la population ne peut se réduire ni à la densité de l’offre médicale ni au rôle des professions médicales et paramédicales ; les facteurs économiques, sociaux et culturels y jouent une large part.
Les pouvoirs publics, bien entendu, doivent accorder une attention bienveillante au rééquilibrage de l’offre médicale, mais on ne remédiera pas complètement au problème des déserts médicaux sans résoudre, d’abord, celui des déserts économiques et sociaux qui en sont la principale cause.