Intervention de Vincent Delahaye

Réunion du 22 février 2017 à 22h20
Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye :

Si la quantité laisse à désirer, la qualité est là !

Aux termes de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle […] de leur situation financière. » La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quant à elle, dispose : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

Pour garantir l’application de ces principes, le système mis en place dans notre pays me paraît efficace. Il repose sur le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables – dans les collectivités locales, l’ordonnateur, c’est-à-dire l’élu, décide de la dépense et le comptable en assure le paiement. Cette séparation me paraît un élément très fort, en termes de contrôle interne. En outre, depuis les lois de décentralisation, les élus ont acquis la liberté de gestion, un contrôle de légalité a posteriori a été prévu, ainsi qu’un contrôle par les chambres régionales des comptes, ou CRC, soit sur leur propre initiative, soit sur saisine du préfet.

Ce système présente donc de nombreuses vertus, mais il a aussi des limites, mises en évidence lors des derniers renouvellements des conseils départementaux et régionaux. Les anomalies relevées ne sont pas nombreuses, mais elles ont été abondamment commentées, notamment pour ce qui concerne l’ancienne région Poitou-Charentes et le département de l’Essonne.

Ces grandes collectivités ne font pas l’objet d’un contrôle annuel, ce qui peut surprendre, surtout si l’on compare leur situation à celle des grandes entreprises, qui ont des commissaires aux comptes et respectent des procédures de certification assez lourdes. Les grandes collectivités locales, dont le budget dépasse parfois le milliard d’euros, allant même jusqu’à 5 milliards d’euros, ne sont contrôlées a posteriori que tous les cinq ans ou six ans, donc avec un grand décalage dans le temps.

L’ancien président du conseil départemental de l’Essonne a reconnu que les comptes du département n’étaient pas tout à fait sincères et ne respectaient pas, notamment, le principe de l’annualité budgétaire, puisque le paiement de factures avait été reporté progressivement, au fil des ans, d’un exercice à l’autre. Le montant des arriérés s’élevait à 108 millions d’euros, sur un budget total d’environ un milliard d’euros, ce qui n’est pas normal. Pour sa défense, cet élu a invoqué l’argument classique selon lequel « tout le monde le fait ». Or ce n’est pas vrai, et heureusement ! Ce n’est pas ainsi que je gère la collectivité que je préside et je ne pense pas non plus que vous recourriez à de telles pratiques lorsque vous étiez maire, monsieur le secrétaire d’État, pas plus que nombre de nos collègues ne l’ont fait dans l’exercice de leurs mandats locaux.

Les exemples que j’ai cités m’ont poussé à travailler avec des juristes sur une proposition de loi visant à améliorer la présentation des comptes, d’un point de vue à la fois préventif et dissuasif. Ce faisant, j’ai voulu m’inscrire dans la lignée des travaux engagés sous l’autorité de Philippe Séguin, mais qui n’avaient pas totalement abouti, et compléter le dispositif actuel en prévoyant que les chambres régionales des comptes réalisent chaque année un examen a posteriori limité des comptes des collectivités les plus importantes.

Évidemment, il ne s’agit pas de leur demander de contrôler les comptes de 49 000 ordonnateurs ! Seules les collectivités dont le budget dépasse 200 millions d’euros de recettes annuelles seraient soumises à un contrôle annuel – 200 collectivités sont concernées – ; quant aux collectivités dont le montant de recettes annuelles est situé entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros, le contrôle aurait lieu tous les deux ans – 110 collectivités sont concernées. Au total, seules 310 grandes collectivités verraient leurs comptes soumis à ce contrôle.

Ce volet préventif est complété par un volet dissuasif. Il s’agit de rendre obligatoire la transmission de toute irrégularité constatée par la chambre régionale des comptes à la Cour de discipline budgétaire et financière, d’élargir les compétences de cette juridiction et de prévoir des sanctions applicables en cas de manquement, avec des peines pécuniaires ou d’inéligibilité.

Telle est, en résumé, l’architecture de cette proposition de loi. Je tiens à remercier Mme Catherine Di Folco, rapporteur de ce texte, du travail d’audition qu’elle a réalisé, car il a permis de relever un certain nombre d’observations et de remarques auxquelles je souhaiterais rapidement répondre.

La première objection qui pourrait être opposée à cette proposition de loi consiste à rappeler que la loi NOTRe a prévu une expérimentation en matière de certification des comptes des collectivités territoriales. Dès cette année, 25 collectivités devraient se soumettre volontairement à cet exercice. Il me semble que l’application d’un dispositif aussi lourd et coûteux pour la collectivité locale n’est pas nécessaire. J’ai personnellement travaillé à la certification des comptes des entreprises et j’estime que cette procédure serait superflue, sachant notamment les qualités du système que j’ai rappelées au début de mon intervention.

Une autre objection consiste à rappeler que le respect du principe d’annualité pose problème non seulement pour les dépenses, mais aussi pour les produits. Par ailleurs, la fiabilité des comptes est également mise en défaut par l’insuffisance des amortissements ou des provisions. À mon sens, il convient de se concentrer sur les risques les plus importants. Très peu de collectivités ne consomment pas la totalité de leurs recettes de l’année, sinon c’est qu’elles disposent de recettes suffisamment confortables pour se permettre d’en oublier quelques-unes. En revanche, celles qui peuvent céder à la tentation de reporter quelques dépenses sur les exercices suivants sont plus nombreuses…

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