Séance en hémicycle du 22 février 2017 à 22h20

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • comptable
  • discipline
  • sincérité

La séance

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La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe de l’UDI-UC, la discussion de la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues (proposition n° 131, rapport n° 411, résultat des travaux de la commission n° 412).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je constate que cette proposition de loi a déplacé les foules…

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Si la quantité laisse à désirer, la qualité est là !

Aux termes de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle […] de leur situation financière. » La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, quant à elle, dispose : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »

Pour garantir l’application de ces principes, le système mis en place dans notre pays me paraît efficace. Il repose sur le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables – dans les collectivités locales, l’ordonnateur, c’est-à-dire l’élu, décide de la dépense et le comptable en assure le paiement. Cette séparation me paraît un élément très fort, en termes de contrôle interne. En outre, depuis les lois de décentralisation, les élus ont acquis la liberté de gestion, un contrôle de légalité a posteriori a été prévu, ainsi qu’un contrôle par les chambres régionales des comptes, ou CRC, soit sur leur propre initiative, soit sur saisine du préfet.

Ce système présente donc de nombreuses vertus, mais il a aussi des limites, mises en évidence lors des derniers renouvellements des conseils départementaux et régionaux. Les anomalies relevées ne sont pas nombreuses, mais elles ont été abondamment commentées, notamment pour ce qui concerne l’ancienne région Poitou-Charentes et le département de l’Essonne.

Ces grandes collectivités ne font pas l’objet d’un contrôle annuel, ce qui peut surprendre, surtout si l’on compare leur situation à celle des grandes entreprises, qui ont des commissaires aux comptes et respectent des procédures de certification assez lourdes. Les grandes collectivités locales, dont le budget dépasse parfois le milliard d’euros, allant même jusqu’à 5 milliards d’euros, ne sont contrôlées a posteriori que tous les cinq ans ou six ans, donc avec un grand décalage dans le temps.

L’ancien président du conseil départemental de l’Essonne a reconnu que les comptes du département n’étaient pas tout à fait sincères et ne respectaient pas, notamment, le principe de l’annualité budgétaire, puisque le paiement de factures avait été reporté progressivement, au fil des ans, d’un exercice à l’autre. Le montant des arriérés s’élevait à 108 millions d’euros, sur un budget total d’environ un milliard d’euros, ce qui n’est pas normal. Pour sa défense, cet élu a invoqué l’argument classique selon lequel « tout le monde le fait ». Or ce n’est pas vrai, et heureusement ! Ce n’est pas ainsi que je gère la collectivité que je préside et je ne pense pas non plus que vous recourriez à de telles pratiques lorsque vous étiez maire, monsieur le secrétaire d’État, pas plus que nombre de nos collègues ne l’ont fait dans l’exercice de leurs mandats locaux.

Les exemples que j’ai cités m’ont poussé à travailler avec des juristes sur une proposition de loi visant à améliorer la présentation des comptes, d’un point de vue à la fois préventif et dissuasif. Ce faisant, j’ai voulu m’inscrire dans la lignée des travaux engagés sous l’autorité de Philippe Séguin, mais qui n’avaient pas totalement abouti, et compléter le dispositif actuel en prévoyant que les chambres régionales des comptes réalisent chaque année un examen a posteriori limité des comptes des collectivités les plus importantes.

Évidemment, il ne s’agit pas de leur demander de contrôler les comptes de 49 000 ordonnateurs ! Seules les collectivités dont le budget dépasse 200 millions d’euros de recettes annuelles seraient soumises à un contrôle annuel – 200 collectivités sont concernées – ; quant aux collectivités dont le montant de recettes annuelles est situé entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros, le contrôle aurait lieu tous les deux ans – 110 collectivités sont concernées. Au total, seules 310 grandes collectivités verraient leurs comptes soumis à ce contrôle.

Ce volet préventif est complété par un volet dissuasif. Il s’agit de rendre obligatoire la transmission de toute irrégularité constatée par la chambre régionale des comptes à la Cour de discipline budgétaire et financière, d’élargir les compétences de cette juridiction et de prévoir des sanctions applicables en cas de manquement, avec des peines pécuniaires ou d’inéligibilité.

Telle est, en résumé, l’architecture de cette proposition de loi. Je tiens à remercier Mme Catherine Di Folco, rapporteur de ce texte, du travail d’audition qu’elle a réalisé, car il a permis de relever un certain nombre d’observations et de remarques auxquelles je souhaiterais rapidement répondre.

La première objection qui pourrait être opposée à cette proposition de loi consiste à rappeler que la loi NOTRe a prévu une expérimentation en matière de certification des comptes des collectivités territoriales. Dès cette année, 25 collectivités devraient se soumettre volontairement à cet exercice. Il me semble que l’application d’un dispositif aussi lourd et coûteux pour la collectivité locale n’est pas nécessaire. J’ai personnellement travaillé à la certification des comptes des entreprises et j’estime que cette procédure serait superflue, sachant notamment les qualités du système que j’ai rappelées au début de mon intervention.

Une autre objection consiste à rappeler que le respect du principe d’annualité pose problème non seulement pour les dépenses, mais aussi pour les produits. Par ailleurs, la fiabilité des comptes est également mise en défaut par l’insuffisance des amortissements ou des provisions. À mon sens, il convient de se concentrer sur les risques les plus importants. Très peu de collectivités ne consomment pas la totalité de leurs recettes de l’année, sinon c’est qu’elles disposent de recettes suffisamment confortables pour se permettre d’en oublier quelques-unes. En revanche, celles qui peuvent céder à la tentation de reporter quelques dépenses sur les exercices suivants sont plus nombreuses…

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Il faut donc se concentrer davantage sur ce risque qui me paraît majeur au regard de l’impératif de sincérité des comptes des collectivités locales.

On m’objectera également que les chambres régionales des comptes sont indépendantes et qu’elles déterminent elles-mêmes leur programme de travail. Certes, mais il me semble que le Parlement, qui représente le peuple, peut définir des priorités dans les contrôles à réaliser. En outre, le travail accompli dans le cadre du contrôle limité effectué chaque année, notamment sur le respect du principe d’annualité, ne serait plus à faire lors des contrôles plus approfondis réalisés tous les cinq ou six ans. Une fois les premiers contrôles limités effectués, ils seront assez faciles à reproduire les années suivantes, ce qui allégera également le travail.

J’ai indiqué précédemment que seules 310 grandes collectivités locales seraient concernées par cette proposition de loi. Sachant qu’il existe 18 chambres régionales des comptes, chacune se verrait attribuer en moyenne 17 dossiers. Évidemment, ces grandes collectivités ne sont pas réparties équitablement sur le territoire, certaines chambres régionales des comptes traiteraient donc plus de dossiers que d’autres. Peut-être conviendrait-il également de réfléchir aux moyens attribués à ces juridictions et à une modification de leur répartition ?

Une autre objection tient au risque de voir la Cour de discipline budgétaire et financière, qui est très peu saisie, submergée par les saisines. Je pense que cette prédiction ne se réalisera pas, parce que le fait que les fonctionnaires territoriaux ne puissent plus invoquer un ordre écrit pour se dédouaner contribuera à responsabiliser les services des collectivités locales. Il en résultera un renforcement des contrôles internes, dont l’effet préventif réduira le nombre d’anomalies constatées, déjà assez limité. Cet argument me semble donc pouvoir être facilement écarté.

Enfin, j’entends dire qu’il faut cesser d’imposer des contraintes supplémentaires aux élus. Sur la question précise de la sincérité des comptes, je suis en désaccord avec cette affirmation. En effet, les dérives d’un nombre très réduit de personnes déconsidèrent l’ensemble des élus et c’est à cette situation qu’il faut mettre fin.

Pour conclure, j’estime que cette proposition de loi soulève un véritable problème, limité quant au nombre de collectivités et d’élus concernés. Je souhaite que les objections qui vont être avancées par les différents intervenants puissent être prises en compte dans le cadre d’un travail complémentaire, que je suis prêt à réaliser avec Mme la rapporteur. Une fois que le rapport d’étape sur l’expérimentation de la certification des comptes aura été rendu en 2018, cette proposition de loi pourra être modifiée et revenir en discussion.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – MM. Jean Desessard et Charles Revet applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis de la proposition de loi, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues du groupe de l’UDI-UC, visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Aux termes de l’article 47-2 de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »

En pratique, il n’est pas aisé de répondre à cette exigence légitime et la fiabilité des comptes locaux reste perfectible, malgré l’implication constante des élus, des agents territoriaux, des comptables publics et des chambres régionales et territoriales des comptes.

La proposition de loi prévoit deux mesures distinctes : le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, dans son volet préventif, et l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière, dans son volet répressif.

Ainsi, l’article 1er de ce texte tend à imposer un programme de contrôle de gestion aux chambres régionales et territoriales des comptes et à créer un nouveau « contrôle de l’annualité budgétaire ». Ces dispositions concerneraient environ 150 collectivités territoriales et établissements publics, disposant de recettes annuelles supérieures à 200 millions d’euros, et près de 400 collectivités territoriales ou établissements, disposant de recettes annuelles comprises entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros.

Le texte prévoit, en outre, une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les CRC constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une des infractions sanctionnées par cette juridiction.

Cette proposition de loi tend ainsi à élargir les possibilités de sanction des élus locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Le droit applicable aux élus locaux serait aligné sur celui qui concerne les membres des cabinets ministériels ou les administrateurs des entreprises publiques. Les membres du Gouvernement, les administrateurs élus des organismes de protection sociale et les administrateurs et agents des associations de bienfaisance resteraient hors du champ de compétence de cette juridiction.

Enfin, l’article 1er vise également à supprimer le dispositif de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires ou agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux. Ce mécanisme resterait toutefois applicable aux membres des cabinets ministériels, aux fonctionnaires ou agents civils ou militaires de l’État, ainsi qu’aux représentants des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit qu’un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles les personnes détentrices d’un mandat exécutif local peuvent s’assurer contre le risque de sanctions pécuniaires, sans toutefois préciser le mécanisme retenu.

La Cour de discipline budgétaire et financière pourrait également prononcer une peine d’inéligibilité contre les élus locaux ayant commis une des infractions prévues par le code des juridictions financières. Il s’agirait là d’un quatrième type d’inéligibilité. Cette disposition modifierait substantiellement l’office de cette juridiction qui ne prononce, en l’état du droit, que des sanctions pécuniaires.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que, au plus tard un an après son entrée en vigueur, le Gouvernement remette au Parlement « un rapport mesurant l’impact » de ce contrôle.

Les questions soulevées par ce texte ne sont pas dénuées d’intérêt et il est sans doute nécessaire de poursuivre les efforts de fiabilisation des comptes locaux.

Depuis les années 1980, les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales ont été progressivement et utilement renforcées. Les procédures sont bien encadrées et divers contrôles sont exercés.

Ainsi, le comptable public réalise des contrôles internes. Il procède à des « contrôles comptables automatisés » et transmet à l’ordonnateur un « indice de qualité des comptes locaux ».

Les documents budgétaires et comptables sont, dès leur adoption, transmis au préfet du département qui peut lui aussi procéder à un contrôle budgétaire.

Les CRC exercent deux contrôles non juridictionnels, les contrôles budgétaires et les contrôles de gestion, qui peuvent les conduire à saisir le procureur de la République, le procureur général près la Cour des comptes et aussi le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière.

Par ailleurs, un comité national relatif à la fiabilité des comptes publics locaux a été installé en 2010. Présidé par le directeur général des finances publiques, il élabore des guides pratiques consultables en ligne. En 2014, le Gouvernement, les présidents des associations d’élus et la Cour des comptes ont signé la charte nationale relative à la fiabilité des comptes locaux pour donner plus de visibilité aux travaux de ce comité.

Plus récemment, la loi NOTRe a renforcé les obligations budgétaires et comptables. Ainsi, son article 107 prévoit, par exemple, la présentation d’une étude d’impact financière pour « toute opération exceptionnelle d’investissement » et, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, la rédaction d’un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.

Cette loi vise aussi à généraliser d’ici au mois d’août 2019 l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public par les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants.

De plus, la loi a renforcé les contrôles budgétaires et de gestion des CRC en prévoyant la publicité immédiate des rapports de contrôle budgétaire rendus par les CRC, ainsi que l’obligation, pour les exécutifs locaux, de rédiger un rapport sur les mesures prises pour répondre aux recommandations adressées par les CRC.

Enfin, une expérimentation est également prévue par l’article 110 de cette même loi. Elle sera conduite entre 2017 et 2023 par la Cour des comptes, en lien avec les chambres régionales des comptes, et concernera 25 collectivités volontaires. Il s’agit d’expérimenter des « dispositifs destinés à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes » et d’établir « les conditions préalables et nécessaires à la certification des comptes du secteur public local ». Les travaux commenceront en 2017. Un premier exercice de certification est prévu en 2020. Le Gouvernement établira un bilan d’étape en 2018, puis un bilan final en 2023.

Dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2015, la Cour des comptes souligne que la fiabilité des comptes du secteur local reste « imparfaite ». Elle mentionne, à l’instar des auteurs de la proposition de loi, « le défaut ou l’insuffisance de rattachement des charges et des produits […] fréquemment constaté par les chambres régionales ».

D’autres difficultés sont aussi soulevées par la Cour des comptes : un amortissement insuffisant des immobilisations, des provisions pour risques et charges trop faibles, des informations lacunaires sur la structure de la dette, etc. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger sur l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire qui serait créé par l’adoption de la proposition de loi et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.

À ce stade, il semble préférable d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue en 2018, pour se prononcer sur les avantages et inconvénients de chacune de ces procédures.

Par ailleurs, nous nous sommes posé des questions sur les moyens à mettre en œuvre.

Est-il opportun de fixer un programme de contrôle pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent 100 millions d’euros ? En effet, la liberté d’organisation laissée aux présidents des chambres régionales et territoriales des comptes constitue une garantie d’indépendance des juridictions financières et permet de concentrer les contrôles sur les comptes présentant le plus de risques de dérapage.

En outre, le renforcement des contrôles de gestion et la création du contrôle de l’annualité budgétaire pourraient représenter une charge supplémentaire non négligeable pour les CRC.

De même, l’augmentation du nombre de justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière et la suppression de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires territoriaux conduiraient à repenser le fonctionnement de cette cour qui rend moins de dix arrêts par an et dispose de moyens très limités. Or, comme l’a souligné Michel Delebarre dans son avis budgétaire sur les juridictions administratives et financières, le législateur a d’ores et déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait par conséquent de mieux évaluer l’effet concret de la proposition de loi sur la charge de travail des personnels de l’ensemble des CRC et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

De plus, des interrogations subsistent au sujet du rôle et des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

En 2009, le projet de loi portant réforme des juridictions financières, préparé sous l’égide de Philippe Séguin, visait déjà à étendre les hypothèses de responsabilité des élus locaux devant cette juridiction. Le dispositif proposé était toutefois plus encadré que celui que prévoit la présente proposition de loi : pour être sanctionnés, les élus locaux devaient avoir agi dans le cadre de leurs fonctions, avoir été informés de l’affaire et avoir donné l’instruction, quelle qu’en soit la forme, à un subordonné de commettre l’infraction. La commission des lois de l’Assemblée nationale avait étendu cette responsabilité financière aux ministres. Ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ? Pourquoi ne pas étendre cette responsabilité aux ministres ?

Enfin, il paraît difficile d’évaluer les conséquences de la suppression de l’« ordre écrit » pour les seuls fonctionnaires territoriaux. Pourquoi mettre en place un traitement différencié entre les fonctionnaires territoriaux, d’une part, et les fonctionnaires hospitaliers et de l’État, d’autre part, alors que nous venons d’adopter la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui vise à harmoniser les principes applicables aux trois versants de la fonction publique ?

Peut-on modifier le périmètre des justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière sans réformer, au préalable, le fonctionnement et le champ de compétence de cette juridiction ? Le projet de loi de 2009 prévoyait de supprimer cette juridiction, de transférer ses compétences à la Cour des comptes et de revoir l’ensemble des infractions sanctionnées. Plus récemment, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a souligné le manque de visibilité et d’efficacité de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Au terme d’un débat nourri, la commission des lois a jugé nécessaire d’approfondir sa réflexion sur la meilleure façon de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales et de l’étendre à des problématiques plus larges, comme les moyens alloués aux juridictions financières et le rôle de la Cour de discipline budgétaire et financière. En conséquence, elle a décidé de déposer une motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et n’a pas adopté le texte.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez à examiner la proposition de loi présentée par votre collègue Vincent Delahaye. Ce texte, motivé par des situations locales observées après des changements d’exécutifs départementaux ou régionaux, comporte deux grands volets.

Premièrement, un volet préventif vise à renforcer les contrôles. L’article 1er instaure une périodicité minimale pour le contrôle, par la chambre régionale des comptes, du respect du principe de l’annualité budgétaire par les collectivités territoriales les plus importantes et, ainsi, du dispositif de rattachement des charges et produits à l’exercice.

Les modalités de ce contrôle seraient les suivantes : un examen annuel pour les 194 collectivités et leurs établissements publics dont les recettes dépassent les 200 millions d’euros par an ; un examen tous les deux ans, pour 112 collectivités dont les recettes dépassent 100 millions d’euros. En outre, un contrôle obligatoire des comptes et de la gestion s’appliquerait tous les six ans pour les collectivités les plus importantes.

Deuxièmement, un volet répressif avec des sanctions nouvelles ou alourdies : ce texte propose en effet de rendre justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, les élus locaux au-delà de ce qui est déjà prévu aujourd’hui ; il renforce les sanctions applicables, le cas échéant, avec des peines d’inéligibilité ou pécuniaires, voire les deux, et crée comme corollaire un mécanisme de protection assurantielle des exécutifs locaux justiciables de la CDBF en cas de sanction pécuniaire.

Les objectifs visés avec cette proposition de loi, c’est-à-dire la sincérité et la fiabilité des comptes locaux, sont totalement partagés par le Gouvernement. Je ne doute pas qu’ils le soient aussi par les membres de cette assemblée, car ils relèvent d’une exigence constitutionnelle. Je vais moi aussi citer l’article 47-2 de la Constitution : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »

Vous le savez, les comptes de l’État et des organismes de sécurité sociale sont d’ores et déjà certifiés. C’est aussi le cas, désormais, des comptes de la plupart des établissements publics nationaux, ainsi que des hôpitaux. Le secteur public local est moins avancé, c’est exact, mais une expérimentation de certification des comptes des collectivités locales a également été lancée. J’y reviendrai plus tard.

Votre initiative, monsieur Delahaye, permet un échange de vues utile, et un point d’étape tout aussi utile sur ces chantiers très importants que sont la fiabilisation et la certification des comptes locaux. Cependant, je ne pense pas que les moyens que vous proposez pour y parvenir soient les plus adéquats.

En effet, la systématisation du contrôle, par le juge financier, du rattachement des charges et des produits, qui est au cœur de votre proposition, présente, me semble-t-il, trois inconvénients.

Elle nécessiterait tout d’abord des arbitrages délicats en termes de moyens alloués aux chambres régionales des comptes, les CRC. À ce stade, les conséquences potentielles en termes d’effectifs n’ont pas pu être expertisées finement avec la Cour des comptes. Je vous rappelle que, en l’état, les contrôles des CRC sur les collectivités les plus importantes se font généralement tous les quatre ou cinq ans.

Ensuite, l’introduction de ce nouveau contrôle devrait aussi être articulée avec les dispositions actuelles relatives au contrôle budgétaire confié au préfet, et associant également les chambres régionales des comptes. Je rappelle que le contrôle budgétaire porte à ce stade sur cinq étapes du processus budgétaire : la date d’adoption du budget ; le respect de l’équilibre réel, ce qui renvoie à la question de la sincérité du budget ; la date d’adoption du compte administratif ; le déficit de celui-ci, et, enfin, l’omission ou l’insuffisance de crédits correspondant à des dépenses obligatoires.

Par ailleurs, les exemples cités portent tous sur la question de l’annualité ou plus exactement du rattachement des charges et des produits à chaque exercice, prévu par les règles budgétaires et comptables. C’est vrai, cette thématique est importante, mais d’autres irrégularités, plus discrètes peut-être, peuvent aussi porter atteinte à la sincérité des comptes des collectivités territoriales. Il en est ainsi du défaut d’amortissement ou de provisionnement des risques, du défaut d’inventaire du patrimoine pénalisant son entretien et handicapant sa valorisation, etc.

C’est pourquoi, tout en partageant, je le répète, votre objectif, le Gouvernement privilégie une démarche différente, à la fois plus globale, c’est-à-dire visant à atteindre la qualité sur tout le champ comptable, et moins péremptoire, donc plus progressive et partenariale : il ne suffit pas de généraliser les contrôles et de créer des sanctions ; il faut que les acteurs locaux s’approprient les bonnes pratiques.

Des outils existent déjà, que le comptable public, et, au-delà, le réseau local de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, mettent à disposition des collectivités : restitution des contrôles comptables automatisés ; indicateurs de la qualité comptable locale. Ils donnent déjà une première tendance de la qualité des comptes.

Mais, depuis 2011, pour agir plus en amont, la DGFiP travaille à fiabiliser les comptes locaux en relation étroite avec les associations d’élus. Il s’agit d’établir des guides ou référentiels de contrôle interne, qui permettent à l’ordonnateur de s’assurer que le budget comme la comptabilité sont tenus conformément aux règles en vigueur. Les thèmes de ces référentiels portent sur des sujets aussi divers et lourds de conséquences financières que les provisions pour risques et charges des collectivités, tout le cycle des recettes, l’évaluation du parc immobilier et les immobilisations financières.

Ces travaux se déclinent aussi, sur le plan local, à travers la signature, avec le comptable public et la direction locale, de conventions de services comptables et financiers pour les collectivités les plus importantes ou, le cas échéant, d’engagements partenariaux pour les collectivités locales de taille plus modeste.

Surtout, comme je l’ai déjà évoqué, le Gouvernement souhaite aller plus loin, ainsi que le prévoit la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui comporte une expérimentation de la certification des comptes sur 25 collectivités. Celles-ci ont été désignées en fin d’année dernière, parmi une cinquantaine de candidatures. Elles comprennent : 2 conseils régionaux, 6 conseils départementaux, 10 communes de taille variable et 7 EPCI, dont une métropole, situés tant en France métropolitaine que dans les territoires d’outre-mer.

Pilotée par la Cour des comptes, mais associant naturellement dans sa mise en œuvre le comptable public, la démarche de certification vise à porter une appréciation annuelle sur la qualité des comptes et repose sur la méthode suivante : audit des processus à enjeux et analyse de la qualité des dispositifs de contrôle interne concourant à la fiabilité de l’information financière ; intervention d’auditeurs indépendants assujettis à des normes d’exercice professionnel reconnues, dont, le cas échéant, la dénonciation de faits délictueux ; « regard externe » d’un auditeur qui constitue un véritable levier de progression en matière de qualité comptable et conduit à une appréciation sur les états financiers annuels.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont vous débattez aujourd’hui a un objectif ambitieux, que le Gouvernement partage, comme je l’ai déjà dit.

Nous nous sommes attelés à sa réalisation et avons engagé des réformes d’ampleur, modifiant non seulement les textes, mais établissant aussi un dialogue avec les collectivités pour améliorer les pratiques.

Sous le bénéfice de ces explications, le Gouvernement donnera un avis favorable à la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui permettra, je l’espère, de continuer à travailler les pistes contenues dans votre proposition, tout en assurant une meilleure prise en compte des évolutions législatives récentes, que je viens d’évoquer.

M. Alain Richard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je rejoins le point de vue des précédents orateurs : le sujet mis en débat par la proposition de loi de M. Delahaye présente un grand intérêt. L’examen de ce texte offre l’occasion d’établir une sorte d’état des lieux ou de bilan des dispositifs assurant la sincérité et l’exactitude des comptes des collectivités territoriales ou, du moins, y contribuant. Il doit ainsi nous permettre de définir des pistes pour renforcer encore cette sincérité.

Notons que la présentation de ce texte, et son auteur ne s’en est pas caché, est un peu circonstancielle. C’est une espèce de marronnier, car l’on y retrouve des sujets de récrimination réciproque à l’occasion d’une alternance dans une collectivité locale, le prédécesseur étant, à ce moment-là, chargé de tous les maux.

Je le rappelle, nous avons eu des débats, qui ne sont pas encore clos et ont donné beaucoup de soucis à ce gouvernement et à ses prédécesseurs, sur les emprunts toxiques, sujet un peu comparable. Dans ces cas-là, il se trouve parfois, compte tenu de la durée de ces opérations, que c’est le successeur de l’auteur de l’erreur d’appréciation qui est ensuite amené à en assumer les conséquences.

Bien entendu, ces dysfonctionnements méritent critique et suggèrent forcément des réflexions pour essayer d’y remédier, mais nous pouvons tous convenir que ce n’est pas uniquement à partir de ces éléments de circonstance, assortis en plus d’une certaine acrimonie politique, que nous pourrons inspirer la meilleure législation.

Puisque le sujet a été évoqué, je veux donner ma propre lecture, partagée par mes amis, de ce qu’a été l’évolution de la législation dans ce domaine.

Il se trouve que, voilà déjà trente-six ans, j’étais rapporteur au côté de Gaston Defferre de la loi de décentralisation de 1982. Même si nous y avions réfléchi et que le Gouvernement avait beaucoup travaillé, ce texte donnait le sentiment d’un saut dans l’inconnu : que va-t-il se passer lorsque le préfet ne vérifiera plus les budgets des collectivités territoriales ?

C’est cette interrogation qui a conduit à une réflexion pour définir pour la nouvelle génération le mécanisme d’authentification et de vérification, avec des effets de droit, des comptes des collectivités territoriales. Nous avons donc inventé les chambres régionales des comptes, créant ainsi la catégorie des juridictions financières, alors que n’existait jusque-là que la seule Cour des comptes.

L’expérience s’est révélée positive à deux égards.

Le nouveau mécanisme de contrôle des comptes des collectivités locales apparu en 1982-1983, avec les cinq hypothèses de déclenchement d’un contrôle, a donné des résultats, conduisant à des sanctions ou à des redressements là où c’était nécessaire, mais jouant surtout un rôle dissuasif ou de mise en garde pour les gestionnaires locaux.

Par ailleurs, il a fait apparaître une ressource humaine très qualifiée avec une expertise nouvelle via les chambres régionales des comptes, dont les effectifs se sont étoffés au fil des ans. Nous avons aujourd’hui dans ces chambres des magistrats de grande qualité, bien spécialisés, qui sont venus renforcer la « puissance de feu » de la Cour des comptes.

Puisqu’il a été fait référence au projet de réforme inspiré par Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, je rappelle que son objectif de base était en réalité, après vingt-cinq ans d’expérience montrant que l’effet de mise en garde des CRC avait atteint son but, de faire évoluer leur activité du simple contrôle périodique des comptes des collectivités territoriales vers l’évaluation financière. Telle était l’ambition de Philippe Séguin, partagée par beaucoup de personnes.

La réforme constitutionnelle de 2009, d’ailleurs, est orientée en ce sens. La Cour des comptes, en tant que navire amiral, mais aussi l’ensemble des juridictions financières ont désormais un rôle d’assistance du Parlement, et plus largement des citoyens, pour analyser le bien-fondé des politiques financières suivies et l’efficacité de l’utilisation des fonds publics, ce qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, déjà évoquée.

Ces dernières années, le rôle des CRC n’a pas évolué vers une intensification de la fonction de simple contrôle comptable ; au contraire, on leur demande d’exploiter au mieux l’expertise et le savoir-faire qu’elles ont acquis pour faire du travail qualitativement supérieur, c’est-à-dire de l’évaluation financière et économique. Il me semble qu’il s’agit d’une bonne orientation.

Je rejoins la première réflexion de M. Delahaye pour regretter que la mission de vérification confiée aux comptables publics, une des conséquences de cette réforme de « densification » du rôle des CRC, ne soit pas exploitée à plein. En effet, ceux-ci sont parfaitement en mesure de vérifier les comptes annuels des collectivités, au moment où ils arrêtent les comptes de gestion, et d’adresser aux ordonnateurs les remarques qu’ils estiment justifiées. Par conséquent, on pourrait leur déléguer une partie importante de la fonction de mise en conformité des comptes des collectivités territoriales.

La question centrale à l’origine de la présente proposition de loi est au fond celle du contrôle du rattachement, lorsque les ordonnateurs sont tentés de faire glisser des factures et des charges d’une année sur l’autre pour faciliter l’équilibre budgétaire. Le Gouvernement, dans sa fonction normale d’instruction et de directive, peut appeler les comptables publics à une vigilance particulière sur ce sujet dans un contexte non polémique, dans le cadre d’un dialogue normal entre administrations.

Certes, l’attention de M. Delahaye a été plus attirée par les grandes collectivités en termes budgétaires, mais ce sujet se retrouve à tous les échelons, lorsque les gestionnaires de collectivités se sentent en difficulté. Je pense donc qu’une vigilance un peu stimulée du réseau des comptables est préférable.

Je voudrais terminer sur une autre initiative prise par M. Delahaye, et qui soulève des questions de principe, sur lesquelles il est utile d’échanger un instant. Il s’agit du basculement de gestionnaires élus dans le champ des justiciables relevant de la CDBF.

Depuis que cet organisme a été créé, juste après la Seconde Guerre mondiale…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Voilà ! C’était d’ailleurs une grande époque de réformes financières.

Depuis que la Cour existe, donc, seuls les agents publics professionnels sont soumis à sa juridiction. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle ne prononce que des sanctions pécuniaires.

Selon la tradition républicaine, et les majorités successives ont toujours réitéré ce choix, les autorités politiques élues n’y sont pas soumises. Il en est de même pour les ministres. Lorsque s’est posé le problème de l’autonomie financière des collectivités territoriales au moment de la décentralisation, on a appliqué le principe de parallélisme des formes, ce qui est d’ailleurs très flatteur pour de modestes élus locaux. Ainsi, il a été décidé que les fonctionnaires territoriaux pouvaient être justiciables de la CDBF, mais pas les élus.

Ce sujet est revenu devant le Parlement à maintes reprises, et ce choix a toujours été confirmé par une large majorité de parlementaires. On n’a jamais voulu franchir ce pas.

Considérant que la vigilance s’est accrue et qu’il y a moins d’erreurs et de dérives de gestion dans les collectivités, le moment n’est-il pas venu de donner à la CDBF la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires contre des élus ? Connaissant certains de ses membres, je puis vous dire qu’elle n’en serait pas particulièrement enchantée.

Mais le système ne fonctionnerait pas, puisque les sanctions pécuniaires de la CDBF sont plafonnées en fonction des rémunérations des intéressés. Or, dans la grande majorité des cas, les élus territoriaux ont des rémunérations assez limitées.

Enfin, M. Delahaye y est allé gaiement en prévoyant que la CDBF pouvait prononcer des inéligibilités, possibilité, qui, la plupart du temps, n’est confiée qu’à des juridictions à caractère pénal, voire, dans le cas de simples parlementaires comme nous, ou de simples candidats au Parlement, au Conseil constitutionnel.

(Sourires.) La soirée était calme jusque-là, et je préfère qu’elle le reste.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Il me semble qu’une telle disposition est disproportionnée et décalée par rapport au rôle traditionnel de la CDBF. Ou alors, si l’on devait le faire pour les élus locaux, il faudrait aussi prévoir la même chose pour les membres du Gouvernement, ce qui ferait trembler les colonnes du temple… Disant cela, je préfère ne pas croiser le regard courroucé de M. le secrétaire d’État. §

Pour conclure, je dirai qu’il y a matière à améliorer un certain nombre de contrôles. À mon sens, le réseau des comptables est bien adapté pour le faire, mais les outils préconisés par M. Delahaye ne sont pas forcément les plus opportuns.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui ne peut partager le souci de sincérité et de transparence des comptes publics, en l’espèce des collectivités locales ? Ce sujet anime et structure la proposition de loi déposée par Vincent Delahaye, dont j’ai cru comprendre qu’elle ne constituerait que la première étape d’une réflexion en marche, étant donné le dépôt d’une motion de renvoi à la commission, que nous voterons.

Je suis convaincu, et même à peu près certain, que la très grande majorité des élus locaux, comme des fonctionnaires qui les assistent, est parfaitement respectueuse des règles comptables en vigueur pour ce qui est de la gestion locale. Par conséquent, les errements constatés ne concernent que quelques situations bien connues.

Je dois d’ailleurs souligner que, dans certains dossiers où des noms ont été en quelque sorte jetés en pâture à la vindicte populaire, les choses n’ont pas toujours été simples. Il ne suffit pas d’incriminer dans tous les cas les élus locaux, et eux seuls, ceux-ci ne déployant pas ou n’ayant pas déployé leur action dans un vase clos, sans interaction avec l’extérieur.

Je pense, par exemple, aux collectivités locales victimes des emprunts structurés et de la montée en charge d’une dette libellée ou, à tout le moins, ajustée sur une devise étrangère s’étant quelque peu appréciée.

Nous concevons fort bien le sens de l’article 1er, qui tend à placer obligatoirement certaines collectivités, à compter d’un certain seuil de ressources, sous le contrôle attentif des chambres régionales des comptes, singulièrement en vue d’éviter la regrettable pratique de la cavalerie budgétaire.

De même, nous pouvons concevoir de modifier les règles, voire le quantum des peines, si l’on peut dire, dès lors que la responsabilité des élus et des principaux fonctionnaires et cadres territoriaux les ayant assistés se trouve engagée quant à la situation de la collectivité ou de l’établissement public en difficulté.

Nous sommes, en revanche, nettement plus circonspects, pour ne pas dire plus, devant le contenu de l’article 2, qui propose la mise en place, à terme, d’un dispositif d’assurance anti-sanction pécuniaire pour les élus locaux.

On ne peut décemment, nous semble-t-il, appeler à la transparence et à l’éthique et imaginer dans le même temps un système qui, moyennant liquidation des primes versées par précaution, vous abriterait des foudres de la justice.

L’élu « délinquant », si l’on peut dire, serait épargné au seul motif d’avoir été prévoyant !

Les errements qu’a pu connaître la gestion locale, notamment à Mennecy, dans le département de l’Essonne, dans les années 1990, à Yerres, dans les années 1980, à Bussy-Saint-Georges, apparemment également à Corbeil-Essonnes, sont parfaitement répréhensibles et ont été poursuivis comme tels. Il n’en demeure pas moins que tout cela pose aussi, et de nouveau, la question de la gestion locale, des marges de manœuvre dont disposent les élus pour mener des politiques originales, et des moyens dont l’État dispose pour conseiller comme pour vérifier la qualité de la décision locale.

Nous ne devons surtout jamais oublier, en dernière instance, que les habitants demeurent juges et parties. Par leurs impôts, la facturation des services rendus à la population, leur contribution directe et indirecte, ils financent les actions et les orientations politiques appliquées de leurs élus. En outre, ils subissent le plus souvent les conséquences des errements constatés, des négligences éventuelles des autorités préfectorales devant les agissements ou fautes de gestion de telle ou telle équipe, notamment parce que les plans d’apurement et de redressement comprennent toujours un volet fiscal.

Songeons, pour donner quelques exemples, au cas des habitants d’Yerres, victimes des errements financiers d’un maire se piquant pourtant, au milieu des années 1980, d’être expert en finances locales. Ils ont choisi, en 1989, une autre équipe municipale qui ne put, sur un mandat, réparer les désastres du passé. En 1995, un jeune maire fut élu à Yerres et mit en œuvre un plan particulièrement sévère de redressement financier, qui fut confirmé, en quelque sorte, en 2001 …

Reconnaissons que les cures de redressement des comptes sont sévères et largement payées par la hausse des impôts locaux.

Comment ne pas citer le cas de Saint-Cast-le-Guildo, cette petite ville balnéaire des Côtes-d’Armor où une équipe municipale, de sensibilité de gauche, mal conseillée, eut recours à un emprunt structuré conduisant à l’aggravation de l’endettement de la commune, avant qu’une alternance politique ne s’épuise à tenter de redresser la situation ? La responsabilité des élus n’a pas été formellement engagée, loin de là, dans cette affaire, mais la situation est telle que les électeurs ont, de nouveau, fait jouer l’alternance en 2014.

À ce stade de la discussion, vous me permettrez, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de relever un élément important.

Les dépenses des collectivités locales tendent, dans les faits, à devenir de plus en plus obligatoires, et la réduction des recettes fiscales directes, comme des dotations de l’État, limite d’autant ce qui reste pour donner un cachet d’originalité à la gestion locale.

Je suis convaincu que nos compatriotes attendent autre chose de leurs élus locaux que de se contenter de mener, en tout point du territoire, la même politique, en se préoccupant simplement de nettoyer les voies publiques, de les réparer et de les entretenir au besoin. Ils souhaitent, de manière légitime, que la politique menée dans leur ville ait un sens, une « couleur », qu’elle traduise des choix politiques originaux et clairs.

Le moins que l’on puisse dire est que cela dépasse quelque peu la seule problématique soulevée par la présente proposition de loi.

Au-delà de la transparence et de la sincérité souhaitées par les auteurs de ce texte, il ne nous semble pas légitime de pouvoir mettre en cause l’opportunité de telle ou telle dépense. Le respect des règles comptables est nécessaire, mais il n’est la condition suffisante ni d’une saine gestion ni d’une gestion répondant aux besoins et aux attentes des populations.

Le respect des règles comptables ne saurait, en dernière instance, être le seul mobile de la décision locale.

Le renforcement des effectifs et de la qualité des agents de l’administration préfectorale est l’une des conditions de la résolution du problème. Avec des agents plus nombreux et mieux formés, cette administration sera mieux à même d’accomplir les missions qui lui sont confiées, notamment celle d’éclairer les élus locaux sur la pertinence de certains de leurs choix.

De même, les services du Trésor disposent-ils des moyens matériels et humains pour faire face à la charge de gestion des comptes des collectivités locales de leur ressort ? C’est dans la qualité du dialogue entre les élus de la collectivité et les agents du Trésor public que réside une partie de la solution.

Entre les lignes, cette proposition de loi indique également qu’il est grand temps que la politique locale, comme la politique en général, reprenne quelque allure et que la démocratie participative, l’implication des citoyens et des citoyennes soient la base et la raison d’être de l’action locale.

Quand les choix sont partagés, tout est plus clair !

M. Pierre-Yves Collombat applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous voudrez bien m’excuser de ne pas partager ce quasi-consensus sur la nécessité de renforcer les contrôles sur l’action des élus locaux.

M. Jean Desessard s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Appeler en renfort la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour justifier l’alourdissement de la tutelle sur des élus directement issus du suffrage populaire par des organismes sans autre légitimité démocratique que d’avoir été nommés par l’exécutif, il faut oser !

Mais, d’abandon de souveraineté au nom d’une Europe sans union en formalisme paralysant de la LOLF, de réformes comptables destinées à aligner la gestion publique sur la gestion privée en culte d’une illusoire transparence de papier, nous nous y sommes tellement habitués que nous trouvons naturel de faire certifier des comptes publics tenus à deux mains, l’une d’entre elles étant celle de fonctionnaires du ministère des finances, pour mieux sanctionner les ordonnateurs publics.

« Que de bruit pour rien ! », me dira-t-on.

Cette proposition de loi appelle juste à un effort de vérité visant seulement à établir la situation financière exacte des collectivités annuellement et à sanctionner les ordonnateurs qui auraient manqué à leurs obligations, sans jugement sur les choix budgétaires des élus de la collectivité.

Elle ne concernerait qu’un nombre limité de collectivités.

Aux innocents les mains pleines, dit le proverbe. N’en doutons pas, une nouvelle proposition de loi visera bientôt à étendre les dispositions de celle-ci à d’autres collectivités beaucoup plus petites. Surtout, focaliser l’attention sur la conformité formelle des documents budgétaires aux règles comptables, ce que ne manquera pas de produire le spectacle médiatique qui entourera fatalement l’opération, c’est favoriser la confusion entre bonne gestion et régularité comptable, qui ne sont pas les mêmes choses. C’est imposer sans le dire une vision de la bonne gestion où l’endettement et les frais de personnel sont minimums, l’autofinancement maximum, quel qu’en puisse être l’intérêt réel pour les administrés, comme le reconnaît d’ailleurs candidement l’exposé des motifs.

La qualité du service rendu, son coût, le poids réel de la fiscalité et son évolution, devenus secondaires, se perdront dans les commentaires annexes. Pouvoir dire que chaque habitant de telle commune ploie sous tant d’euros de dette et que les frais de personnels ont augmenté dans cette commune, voilà ce qui importera seul. L’impact réel de cette dette sur l’impôt et de cette augmentation des frais de personnels sur le service rendu n’est pas la préoccupation des comptables, encore moins de ceux qu’ils nourrissent. On tient des chiffres comparables entre eux, donc susceptibles de faire les titres des gazettes : cela suffit. Qu’importe le reste !

J’irai plus loin : les choix des règles comptables n’ont rien d’anodin. Ils dissimulent une philosophie de la bonne gestion, qu’il s’agit d’imposer sans le dire.

Je prendrai un exemple : l’introduction, pour les collectivités d’une certaine taille, de l’obligation d’amortir leurs investissements sur le modèle de la comptabilité privée, prise désormais comme modèle.

Le caractère pervers de l’obligation d’amortir, c'est-à-dire de faire figurer en dépenses de fonctionnement une fraction des dépenses d’investissement, y compris les subventions d’équipement versées en toute liberté à d’autres collectivités, ce qui est pure stupidité, apparaît dès lors qu’elle conduit à interdire des dépenses utiles, simplement pour pouvoir garantir un niveau d’autofinancement purement décoratif. Ainsi, une collectivité présentant un excédent important de ses recettes réelles de fonctionnement sur ses dépenses réelles de fonctionnement peut se trouver contrainte, pour respecter le formalisme comptable, de réduire des dépenses de fonctionnement utiles.

J’ai eu l’occasion de le constater avec effarement au temps où j’étais conseiller général : on avait des excédents de fonctionnement importants, mais des difficultés pour équilibrer le budget, dans la mesure où il fallait placer au titre des amortissements des crédits destinés à « dormir » sur ces lignes. Pour ma part, j’ai toujours trouvé cela complètement stupide, mais il paraît que c’est absolument génial.

Il s’agit d’une sorte de « règle d’or » sournoise, marotte sans portée en période de vaches grasses, mais catastrophique en période de difficulté pour équilibrer les comptes.

Première objection fondamentale à ce type d’approche, la régularité comptable n’est pas toujours un bon reflet de la gestion.

Avant que M. Vincent Delahaye ne le rappelle dans son intervention liminaire, j’ai cru qu’il avait oublié l’existence, en France, d’une séparation des ordonnateurs et des comptables. Nous sommes nombreux ici à l’avoir éprouvé : les comptables sont bien là, et il faut passer sous leurs fourches caudines !

J’ai cru également que l’on avait oublié l’existence de ce qu’on appelait et que l’on appelle d’ailleurs encore – M. le secrétaire d'État l’a fait – le contrôle de légalité. On se demande ce que font les comptables du trésor et les préfets s’il est encore nécessaire d’en ajouter une couche ! On se demande également en quoi cette énième couche de contrôle sera plus efficace que les autres.

Si l’on voulait vraiment répondre à l’attente de la société civile « en demande d’une éthique politique forte », plutôt que de compliquer un peu plus la vie d’élus croulant déjà sous les obligations, on pourrait peut-être améliorer ce qui existe déjà, en donnant les moyens aux comptables et à ceux qui effectuent le contrôle de légalité de faire correctement leur travail.

Côté répression, on pourrait peut-être mettre en œuvre ce que la loi Sapin II n’a pas prévu, à savoir la création d’une agence de lutte contre les délits financiers dotée de moyens d’investigation sous la responsabilité de la justice.

La démocratie ne reprendra pas des couleurs en multipliant les contrôleurs, et encore moins les procédures bureaucratiques. Elle retrouvera son dynamisme par ce qui fait sa force, à savoir le débat, la confrontation entre majorités et oppositions. Dotons donc les minorités des assemblées territoriales d’un statut leur permettant de jouer pleinement leur rôle, ce qui suppose un droit à l’information autre que celui dont elles disposent aujourd’hui. Or le fonctionnement des collectivités, déjà trop monarchique, est en passe, avec la multiplication des intercommunalités XXL de la loi NOTRe, de s’alourdir, avec un système qui rendra le contrôle démocratique encore plus difficile. Pour ma part, j’avais proposé un statut des oppositions pour améliorer l’accès aux documents.

Tout cela est resté lettre morte, alors que ces réformes simples, préférables à l’instauration de nouveaux contrôles, auraient quelques chances de porter leurs fruits.

Ne comptez pas sur la participation du RDSE pour alourdir encore les contrôles pesant sur les élus locaux, lesquels contribuent finalement à nourrir un climat de défiance envers les élus.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier notre collègue Vincent Delahaye d’avoir déposé ce texte et de nous proposer ce soir ce débat. Je le sais très attaché à ce que la ville de Massy, qu’il dirige depuis un certain temps et qui devrait à ses yeux faire figure d’exemple pour l’ensemble du territoire national, soit particulièrement sainement gérée.

Il s’agit d’un sujet important, à un moment où la classe politique est souvent l’objet de défiances. Ce texte vise ainsi en partie, me semble-t-il, à restaurer la confiance entre les élus et les citoyens, ces derniers étant trop souvent consternés par certaines attitudes déconsidérant l’ensemble des pratiques des élus. Pour en être moi-même un et pour les avoir régulièrement fréquentés, j’ai pu constater que la quasi-totalité des élus menait une gestion rigoureuse de leur collectivité. Toutefois, il importe que les situations engendrant une certaine défiance puissent être répertoriées, identifiées et sanctionnées.

Pour les élus centristes, favorables à la probité dans la conduite de l’action publique, ce débat sur la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités locales est important.

On le sait bien, la situation est issue de la décentralisation décidée en 1982, laquelle a confié aux élus de nouvelles responsabilités, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Notre collègue Alain Richard évoquait d’ailleurs sa mission de rapporteur de ce texte, qui a ensuite été renforcé par d’autres.

On le constate, l’échelle des différentes collectivités a tendance à s’accroître. Après la loi relative aux métropoles, qui a permis de regrouper plusieurs compétences dans de très grands ensembles, après la loi relative à la délimitation des régions, qui a abouti à la réduction de leur nombre et à l’augmentation du périmètre de certaines d’entre elles, et après la loi NOTRe, qui a incité à la création d’EPCI « de taille XXL », pour reprendre l’expression de Pierre-Yves Collombat, on est parfois amené à s’interroger sur la représentativité des élus au sein de ces ensembles, où le poids des communes est réduit de façon significative, ce qui induit des difficultés à assumer les légitimes fonctions de contrôle.

Les schémas départementaux de coopération intercommunale ont également entraîné la suppression d’un certain nombre de syndicats intercommunaux et la création de nouveaux syndicats de taille départementale. Chaque fois, la démocratie s’en trouve remise en cause, la représentativité de l’échelon de base étant forcément diminuée pour éviter d’avoir des exécutifs de grande ampleur. Parallèlement, on arrive à un problème de représentativité des élus.

Notre collègue Vincent Delahaye a pu observer, au cours de sa longue expérience d’élu, divers problèmes. Il a notamment relaté les difficultés qu’ont pu connaître des départements franciliens, où la gestion menée a fait l’objet de mises en cause. On peut citer d’autres exemples. Ainsi, lors du regroupement des régions et de l’examen des comptes de chacune de celles qui préexistaient, on s’est aperçu que les comptes ne correspondaient pas vraiment à ce à quoi on s’attendait. Et ce n’est pas faire un procès politique que de parler ainsi, les sensibilités politiques des territoires regroupés ayant pu être identiques. Il s’agit simplement de reconnaître un problème de sincérité des comptes, qui a engendré une défiance chez nos concitoyens. C’est sur ce point que nous devons donc agir. J’ai le sentiment que le texte débattu ce soir devrait permettre de retrouver la confiance perdue.

Nous avons agi en ce sens pour ce qui concerne l’État. Voilà cinq ans, on a créé le Haut Conseil des finances publiques, sans doute parce qu’on ne disposait pas d’instances permettant d’apprécier la réalité budgétaire des comptes de l’État, qui étaient pourtant sous la surveillance de la Cour des comptes. Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les collectivités territoriales ?

Pour autant, je ne crois pas qu’il faille accabler de contrôles supplémentaires les collectivités, qui ont déjà un grand nombre de charges à assumer. Mais nous devons être absolument sûrs que les comptes des collectivités de très grande taille sont sincères. Or, en raison des problèmes de représentativité au sein des grands ensembles que j’ai évoqués, on peut se poser la question de savoir si des élus en nombre réduit peuvent assurer ces missions de contrôle. C’est aussi pourquoi ils doivent pouvoir se reposer sur des organismes ayant les compétences pour assurer un examen au fond de l’ensemble des comptes et pour certifier leur sincérité. C’est ainsi que nous résoudrons le problème de confiance qui mine la relation entre les élus et la population.

Vous le voyez bien, il s’agit, par ce texte, de protéger les élus, notamment ceux des grandes communes, contre les risques de mauvaise gestion. La question des emprunts toxiques a été évoquée. S’il y avait eu une mise en garde plus précoce en la matière, de nombreuses collectivités ne se seraient pas trouvées dans la difficulté. En l’occurrence, il est clair qu’un échelon a fait défaut.

Les propositions formulées par M. Delahaye pourraient donc être de nature à apporter des réponses. Pour autant, je l’ai bien compris en écoutant les propos tenus à cette tribune, le texte préparé est un texte d’appel qui pourra être enrichi, la plupart de nos collègues partageant la volonté de s’assurer de la sincérité des comptes de nos collectivités. Dans la mesure où il est absolument nécessaire d’agir en ce sens, les textes doivent évoluer.

Le groupe de l’UDI-UC, qui est attaché à la sincérité des comptes, acceptera tout à fait qu’un examen plus approfondi des propositions de notre collègue puisse être mené par la commission des lois, afin d’enrichir le texte afin que nos concitoyens fassent davantage confiance à l’ensemble des élus et que la mise en cause de ceux-ci ne soit pas ce qui motive leurs suffrages.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est à la traîne en matière de transparence des élus et de responsabilité en matière d’argent public ; elle est à la traîne des attentes légitimes de nos concitoyens et des préoccupations de la société civile ; elle est à la traîne de nombre de nos voisins européens, et la presse étrangère nous renvoie régulièrement l’image d’un pays à l’éthique aléatoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Ce n’est pas sombrer dans le populisme que de reconnaître ce retard et de tenter de le combler. Cette proposition de loi s’inscrit dans ce mouvement justifié, en proposant de renforcer, d’une part, le contrôle de gestion des collectivités territoriales et, d’autre part, la responsabilité financière des élus locaux.

Renforcer la périodicité du contrôle des plus grosses collectivités serait assurément bénéfique. Il faudrait simplement s’assurer que les chambres régionales et territoriales des comptes, les CRTC, aient les moyens de ce surcroît d’activité.

Dans cet élan, nous pourrions d’ailleurs proposer que le Sénat, chambre des collectivités, soumette lui aussi sa gestion, à l’instar de l’Élysée, à un contrôle annuel de la Cour des comptes. J’avais été surpris d’apprendre, par M. Migaud, lors d’une émission télévisée diffusée ces derniers jours, que le Sénat n’était pas contrôlé par la Cour des comptes. Or le bureau avait voté la certification.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Il semble donc qu’il y ait une différence entre certification et contrôle de gestion !

Nous devons assurer la transparence de notre institution, tout en respectant son indépendance.

J’en reviens aux comptes des collectivités. Le texte vise également à créer un nouveau contrôle, fréquent et portant exclusivement sur l’annualité budgétaire. Même si trois cas de reports de charges contestables ont en effet été politisés récemment, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

… l’annualité n’est qu’un des points du contrôle de gestion, et une telle focalisation se ferait nécessairement au détriment de contrôles plus exhaustifs. Vous avez expliqué le contraire, mon cher collègue, mais il faudrait dire comment on aurait le temps d’y procéder ! Ainsi, sur ce plan, il nous semble préférable de laisser aux CRTC la liberté de déterminer le périmètre de leurs contrôles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Si nous devions attirer l’attention des CRTC sur un point, ce serait plutôt le contrôle des partenariats public-privé, qui comportent plus d’enjeux que les reports de charges. Les PPP ne sont toujours pas véritablement évalués par une instance indépendante, près de trois ans après que nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli les ont qualifiés, dans un excellent rapport, d’« outils à haut risque » et de « bombes à retardement budgétaires ». La catastrophe des emprunts toxiques, qui a prospéré par manque de contrôle, devrait pourtant nous instruire.

En ce qui concerne la responsabilité financière des élus locaux, on ne peut que partager la volonté de mettre fin à la différence de traitement entre les ordonnateurs, difficile à justifier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En effet, les ordonnateurs qui appartiennent à la sphère politique – élus locaux et ministres – bénéficient d’une immunité partielle ou totale, alors que presque tous les autres ordonnateurs, notamment les fonctionnaires et membres de cabinet, sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Pour autant, la solution proposée, à savoir une extension de la compétence de la CDBF aux élus, nous semble incomplète.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Je vous remercie, mon cher collègue, de ponctuer ainsi mon propos !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. C’est pour la respiration !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Tout d’abord, la Cour n’aurait pas aujourd’hui les moyens d’assumer une telle extension. Sans doute faudrait-il d’ailleurs l’intégrer dans la structure juridictionnelle de la Cour des comptes et des CRTC, de manière à lui faire bénéficier des mêmes moyens et de la même déclinaison locale.

Ensuite, par souci de cohérence et de justice, il paraît nécessaire de traiter en même temps le cas de tous les ordonnateurs, et en particulier des premiers d’entre eux, à savoir les membres du Gouvernement.

Comment imaginer en effet que, pour une même infraction, le maire d’une petite commune soit passible d’inéligibilité, mais qu’un ministre ne puisse pas être poursuivi ? Telle serait pourtant la conséquence de cette proposition de loi.

Par ailleurs, même si cette question ne relève plus du législateur national, on pourrait également s’interroger sur la situation de Mario Draghi, qui est devenu président de la BCE sans qu’aucune juridiction européenne ne soit saisie de son rôle, manifestement éminent, dans le maquillage des comptes de la Grèce par Goldman Sachs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Est-ce une collectivité française ?

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

J’ai dit que cela ne relevait pas du législateur national. Toutefois, on peut penser que les affaires européennes nous intéressent. On peut également penser que ce qui se passe en Europe n’est pas indépendant de ce qui se passe en France. Mais je laisse chacun à sa particularité locale et à sa volonté de ne pas dépasser le cadre national…

Enfin, sans doute faudrait-il remettre à plat l’ensemble des infractions et des peines imputables aux comptables comme aux ordonnateurs. Il serait utile de pouvoir mieux distinguer l’erreur bénigne de la faute sérieuse, et de leur associer des sanctions véritablement en adéquation.

On pourrait aussi s’interroger sur la pertinence des sanctions pécuniaires, dont le montant dépend des sommes en jeu dans l’infraction.

En conclusion, le groupe écologiste tient à saluer cette proposition de loi, qui pointe des lacunes avérées et relance l’intérêt pour la réforme des juridictions financières. Toutefois, chacun semble en convenir, la réflexion mérite d’être poursuivie, et surtout élargie. C’est pourquoi le groupe écologiste soutiendra le consensus qui semble se dessiner, en accord avec l’auteur du texte, en faveur de l’adoption d’une motion de renvoi en commission.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est le produit d’aléas consécutifs aux alternances politiques locales qui ne manquent pas de survenir à la faveur des élections. C’est le résultat de situations constatées par nombre d’équipes majoritaires et d’exécutifs locaux, qui, passé la satisfaction et parfois l’euphorie de se voir confier l’initiative de préparer, d’examiner et de voter leur budget local, relèvent un certain nombre de manquements comptables ou budgétaires.

Les exemples abondent à la suite de chaque élection. Chacun a en tête l’exemple récent de collectivités territoriales en région parisienne. Mais le cas qui pour moi reste le plus symptomatique est celui de la région Poitou-Charentes, révélé en 2015 à la suite des élections régionales. On avait alors vu naître non pas une nouvelle majorité, mais un nouvel exécutif sur fond de redécoupage régional. En l’espèce, c’est le préfet qui avait saisi la chambre régionale des comptes, laquelle avait constaté qu’une partie des 40 millions d’euros de trésorerie provenait d’emprunts supérieurs aux besoins, que la capacité d’autofinancement de la région était négative, qu’une partie de sa dette était à risque et, surtout, que 10 % des dépenses de fonctionnement avaient été reportées d’une année à l’autre par le jeu de retards de paiement.

Les conséquences furent une dégradation financière à retardement se traduisant par une baisse de l’épargne brute, une augmentation de l’endettement, source de coupes budgétaires ou de hausses d’impôts, voire des deux.

Ce type de dérives pose un vrai problème : certains exécutifs s’exonèrent de principes comptables fondamentaux, pratiques qui nuisent à la fiabilité et à la sincérité des comptes publics.

Quand je pense que, en 2004, Ségolène Royal, fraîchement élue présidente de la région Poitou-Charentes, voulait créer d’elle-même un « observatoire des engagements » ! Celui-ci n’a bien sûr jamais vu le jour. La même ne manquait jamais une occasion de proclamer, avec autant de gravité que de solennité, qu’« un euro dépensé est un euro utile » ! On sait maintenant qu’il fallait entendre : un euro engagé est un euro dissimulé !

Pourtant, le code des juridictions financières prévoit les conditions des contrôles des collectivités territoriales, qui peuvent être engagés sur demande motivée du préfet ou de l’autorité locale, mais le plus souvent sur l’initiative de la chambre régionale des comptes elle-même.

L’examen porte sur la régularité des actes de gestion, l’économie des moyens mis en œuvre dans l’utilisation des fonds publics et l’évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l’assemblée délibérante. De ce point de vue, les chambres régionales des comptes remplissent leur mission, mais, parfois, le mal est fait.

De nouvelles dispositions, votées notamment dans le cadre de la loi NOTRe, sont venues, malgré les défauts de cette loi, renforcer les informations financières, avec une étude d’impact financière pour les opérations exceptionnelles d’investissement, l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public pour les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants et la publicité des rapports des chambres régionales des comptes.

Pour autant, ces dispositions ne sont pas susceptibles d’éviter les tours de passe-passe comptables que je viens d’évoquer. Elles participent à l’objectif de transparence, mais renferment leurs propres limites.

Cette proposition de loi a le mérite de pointer des situations récurrentes, dans le but, sinon de les éviter, du moins de les réduire. Elle prévoit notamment de renforcer la fréquence des contrôles, qui seront ainsi plus dissuasifs, ce qui renforcera l’efficacité de cette mission. Elle vise donc à instaurer des contrôles préventifs plus systématiques : examen annuel du respect de l’annualité budgétaire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics dont les recettes sont supérieures à 200 millions d’euros par an, qui s’ajoutera à la vérification de leurs comptes tous les six ans.

Pour les collectivités territoriales dont les recettes sont supérieures à 100 millions d’euros par an, mais inférieures à 200 millions d’euros par an, un contrôle annuel limité serait effectué tous les deux ans.

La transmission obligatoire des irrégularités constatées par la CRC à la Cour de discipline budgétaire et financière constitue, me semble-t-il, le point le plus important.

La proposition de loi prévoit également le renforcement du régime de sanctions applicables aux responsables administratifs et exécutifs, c’est-à-dire aux élus, avec des peines d’inéligibilité ou des peines pécuniaires.

Enfin, l’article 1er prévoit la suppression du dispositif de l’ordre écrit de leur supérieur hiérarchique pour les fonctionnaires ou agents des collectivités locales et des entreprises publiques locales ; ils ne pourraient ainsi plus se décharger de leurs responsabilités devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

Ces mesures sont fortes, et même très fortes !

La commission des lois a relevé l’importance de la question du défaut ou de l’insuffisance de rattachement comptable des charges et des produits ; elle a également souligné le problème de l’insuffisance de l’amortissement des immobilisations et des provisions pour risques.

Tous ces sujets renvoient à autant de principes essentiels, garants de fiabilité et de sincérité des comptes.

Doivent néanmoins être posées un certain nombre de questions complémentaires, notamment celle des moyens adéquats pour la mise en œuvre de ces mesures. Une telle mise en œuvre supposerait en effet des moyens humains et budgétaires considérables ; à défaut, on se heurterait à un très probable alourdissement des procédures et à des charges supplémentaires pour les CRC.

De même, il existe un risque de disproportion entre les peines prévues par les auteurs de la proposition de loi, à savoir l’engagement de la responsabilité personnelle et financière des élus ainsi que l’inéligibilité, au regard de la complexité des règles budgétaires et financières. Il arrive aussi parfois, il faut le dire, que l’erreur constatée ne soit pas commise sciemment dans le but de dissimuler la réalité des comptes de la collectivité locale.

C’est pourquoi la motion de renvoi en commission semble opportune.

Cette proposition de loi doit être réexaminée au regard du sacro-saint principe de décentralisation et du principe du contrôle a posteriori des actes des collectivités locales.

Il existe certes encore des dérapages, de moins en moins nombreux cependant – il faut noter une réelle amélioration ces dernières années. Je ne suis pas de ceux qui crient haro sur la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes, bien au contraire ! Il s’agit, me semble-t-il, des institutions les plus remarquables de la République et les CRC, depuis leur création, ont fait la preuve de leur immense utilité, de leur grande qualité et de leur rôle préventif.

Parfois, leurs observations embarrassent, et c’est naturel. J’ai ainsi en mémoire qu’après la démonstration par la Cour des comptes de la gabegie de l’écotaxe, Malek Boutih, député éclairé en principe, mais pas en l’espèce, a déclaré qu’il fallait, ni plus ni moins, la supprimer, parce qu’elle avait, de façon à ses yeux intolérable, mis le doigt sur ce sujet. Autrement dit, cassons le thermomètre !

Quoi qu’il en soit, tout cela appelle un examen approfondi de l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire, sacro-saint principe qui est ici proposé, et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.

C’est pourquoi la commission appelle, à juste titre, à choisir entre ces deux procédures pour éviter un « empilement » malvenu des dispositifs de fiabilisation des comptes locaux.

Il convient donc bien, me semble-t-il, d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue l’année prochaine, afin, a minima, de pouvoir évaluer au mieux l’intérêt de chacune de ces procédures.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie nos collègues Vincent Delahaye et Catherine Di Folco pour le travail effectué sur cette proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

L’article 47-2 de la Constitution dispose que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. ». En réalité, il est très difficile de répondre à cette exigence légitime. Les élus et les agents territoriaux, mais aussi les comptables publics, s’impliquent constamment et avec détermination en cette matière, mais la fiabilité des comptes locaux reste perfectible.

Il est vrai que des exemples concrets viennent alimenter la thèse d’un besoin de perfectionner la fiabilité des comptes des collectivités. Je pense notamment aux trois cas de « doutes sérieux » émis sur la sincérité des comptes présentés par la Seine-Saint-Denis, par l’Essonne et par l’ancienne région Poitou-Charentes, exemples donnés dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi. Des retards de paiement auraient été pratiqués de manière systématique et auraient permis de reporter d’une année sur l’autre jusqu’à 10 % des dépenses de fonctionnement. Comment, au regard de ces trois exemples, peut-on ne pas douter de la sincérité des comptes ? Il nous faut, nous, élus, être plus que jamais responsables !

Ce texte prévoit un volet préventif, à savoir le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, et un volet répressif, à savoir l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Le texte prévoit également une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les chambres régionales et territoriales des comptes constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une infraction sanctionnée par cette juridiction.

Les chambres régionales et territoriales auraient l’obligation de contrôler, au moins tous les six ans, la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont les recettes annuelles dépassent régulièrement 200 millions d’euros, soit près de 200 collectivités territoriales et établissements publics.

Les chambres régionales et territoriales des comptes seraient également chargées d’examiner le respect du rattachement des charges à l’exercice budgétaire en cours, conformément au principe de l’annualité budgétaire, et cela tous les ans pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent régulièrement 200 millions d’euros.

Cette augmentation des contrôles me laisse assez dubitative, s’agissant notamment des moyens alloués à ces contrôles supplémentaires. De très longs délais sont d’ailleurs aujourd’hui constatés entre le bouclage des comptes et l’évaluation de la chambre.

C’est pourquoi je partage pleinement l’un des arguments ayant présidé au dépôt d’une motion de renvoi à la commission : il s’agit d’évaluer en profondeur les moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de cette proposition de loi, d’autant que le législateur a déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait de mieux traiter l’impact concret d’une adoption de la proposition de loi sur la charge de travail du personnel de l’ensemble des chambres régionales et territoriales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Je comprends ce qui a motivé la rédaction de ce texte ; il soulève néanmoins des difficultés. À mon sens, il est impossible d’aborder la transparence budgétaire et comptable des collectivités territoriales en trois articles.

Un autre point de ce texte peut susciter des interrogations : le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière. On peut en outre s’interroger sur la mise en œuvre de la responsabilité des élus locaux devant cette cour. Par exemple, une simple erreur dans l’application des règles budgétaires et comptables, lesquelles sont par ailleurs de plus en plus complexes, ne me semble pas justifier l’engagement de leur responsabilité personnelle. La peine de cinq ans d’inéligibilité me paraît elle aussi disproportionnée.

Je rejoins entièrement les remarques formulées par Mme Di Folco dans l’exposé des motifs de la motion : les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ?

D’ailleurs, cette proposition de loi revient sur un principe de base de la décentralisation : en l’état actuel du droit, le contrôle s’exerce a posteriori.

En revanche, réformer le fonctionnement et le champ de compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière peut apparaître nécessaire. La rapporteur nous l’a confirmé, à la suite des auditions qu’elle a pu mener : cette juridiction manque de visibilité et d’efficacité. Je rappelle qu’en 2009 un projet de loi inspiré par Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, prévoyait la suppression de la CDBF et le transfert de ses compétences à la Cour.

Un point mériterait par ailleurs d’être approfondi, notamment dans le cadre de cette proposition de loi : le contrôle des comptes des collectivités, c’est-à-dire la vérification du respect de la légalité et le jugement sur la gestion.

L’examen de la gestion est un contrôle mal calibré par rapport à son objectif. Il est censé constituer un instrument d’aide à la gestion pour les collectivités. Or les élus ont de plus en plus de mal à percevoir sa valeur ajoutée par rapport à l’expertise dont ils disposent au sein de leur administration. L’exercice est pourtant très lourd, pour les élus comme pour les chambres.

Aussi la procédure telle qu’elle est conçue aujourd’hui est-elle inadaptée. Elle peut durer jusqu’à trois, voire quatre années, avec plusieurs conséquences regrettables : la mobilisation des personnels de la collectivité et de la chambre pendant une telle durée, le risque accru d’un changement d’interlocuteurs en cours de procédure, un fort décalage temporel entre la période examinée et la remise des observations.

En tout état de cause, ce sujet devra être lui aussi approfondi afin d’alléger la procédure ou du moins de la clarifier. On constate en effet dans de nombreuses communes que ces contrôles se font de manière assez aléatoire, et surtout mobilisent une énergie considérable des agents des collectivités.

À mon sens, il est nécessaire de redéfinir les priorités de contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes, afin qu’elles soient plus homogènes, et de s’assurer que les collectivités dont les comptes sont situés en dessous du seuil actuel des « comptes significatifs » ne soient pas exclues d’un tel contrôle de manière systématique.

Enfin, et pour conclure, il est évidemment préférable d’attendre le rapport relatif à l’expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales prévu par la loi NOTRe, qui doit être rendu public en 2018.

L’esprit de cette proposition de loi est tout à fait honorable, mais il est nécessaire à la fois d’être patient, notamment au regard de la loi NOTRe, et d’approfondir un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations, tant en commission qu’aujourd’hui, dans l’hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. le président de la commission applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que Vincent Delahaye et nos collègues du groupe de l’UDI-UC nous invitent ce soir à examiner tend à créer des moyens coercitifs pour faire appliquer l’article 47-2 de la Constitution, aux termes duquel « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».

Nos collègues soulignent en particulier plusieurs cas dans lesquels des « doutes sérieux » ont été exprimés sur la sincérité des comptes présentés par les collectivités territoriales. Ils souhaitent organiser un cadre légal afin d’éviter que ce type de situation ne se reproduise à l’avenir.

Cet objectif est assurément légitime et fondé : les collectivités territoriales – faut-il le rappeler ? – gèrent un budget constitué sur la base de l’argent public fourni par les contribuables ; elles doivent à cet égard faire preuve de rigueur et d’exemplarité. C’est à cette condition, me semble-t-il – je sais que cet avis est partagé –, que le contrat de confiance avec nos concitoyens peut être honoré.

Toutefois, je souscris à plusieurs des arguments qui ont été développés par mes collègues en commission des lois pour motiver leur décision de nous présenter une motion de renvoi en commission.

La loi NOTRe a prévu une expérimentation de certification des comptes. Sur cinquante collectivités candidates, vingt-cinq ont été retenues pour y participer, ce qui témoigne concrètement et à l’évidence de leur volonté de s’améliorer. Les travaux sont en cours. Ne serait-il donc pas incohérent et précipité de prévoir d’ores et déjà le contrôle de l’annualité budgétaire, avant même que les leçons à tirer de cette expérimentation soient connues ?

Une étude d’impact serait en outre nécessaire avant de décider d’un renforcement des compétences des chambres régionales et territoriales des comptes, dont les moyens sont limités.

D’un point de vue institutionnel, il ne serait pas anodin de soumettre les élus locaux à un tel contrôle et de faire peser une telle responsabilité sur leurs épaules. Il y a tout juste trois mois, le Conseil constitutionnel a jugé conforme le régime d’exemption applicable aux élus locaux à l’égard de la Cour de discipline budgétaire et financière. Le principe constitutionnel est celui d’une responsabilité exclusivement politique ou pénale des élus.

Outre qu’elle remet en cause ce principe, la présente proposition de loi prévoit des sanctions très importantes. Je ne dispose d’ailleurs pas, en la matière et à ce stade, de réponse catégorique, ferme ou définitive ; il me semble néanmoins qu’il faut veiller à ne pas céder trop hâtivement à la pression d’une forme de défiance générale de l’opinion à l’égard des élus.

Il est également important de rappeler le contexte dans lequel les élus exercent leurs fonctions et leur mandat.

Le bilan du quinquennat est très lourd et en partie destructeur parce qu’imposé sans cadre négocié pour traiter des finances de nos collectivités territoriales : ces dernières ont vu le montant de leurs dotations diminuer de 27 milliards d’euros au total.

À cela s’ajoutent des réformes engagées de manière précipitée, là encore sans recueillir l’assentiment des partenaires que sont les collectivités locales.

Nos élus, qui exercent une fonction exigeante, se trouvent donc pour beaucoup confrontés à de graves difficultés financières dans les collectivités dont ils ont la responsabilité. Bien sûr, il n’est en aucun cas question d’excuser les abus ; il s’agit simplement d’expliquer que certains élus ont le sentiment d’être les laissés-pour-compte d’une impasse organisationnelle et budgétaire.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

Vous y allez un peu fort !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Dans son rapport annuel de 2015, la Cour de comptes relevait déjà des imperfections et des insuffisances dans la présentation des comptes de certaines collectivités territoriales, qui manquaient de fiabilité et de clarté. Elle remarquait également, « au-delà des difficultés liées à l’équilibre budgétaire, une méconnaissance, voire une incompréhension, des règles applicables ».

N’y aurait-il pas là une source de réflexions pour la commission des lois ? Avant de prévoir de lourdes sanctions pour nos élus, ne faudrait-il pas, au préalable, envisager une démarche simplifiée de présentation de leurs comptes, dans le cadre de la fameuse « démarche de simplification » ?

Notre objectif, en définitive, doit être double : satisfaire une exigence de transparence à l’égard de nos concitoyens, en assurant la présentation de comptes fiables, clairs et sincères ; à cette fin, prévoir, pour les élus et leur personnel, des outils faciles d’utilisation et d’accès.

C’est un travail minutieux que la commission des lois est invitée à fournir pour atteindre cet objectif. Ces outils devraient en effet être adaptés à tous les profils et tailles de collectivités.

Le tome II du rapport sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017, présenté par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en juillet 2015, ne démontrait pas autre chose : les consultations des élus locaux révélaient que ces derniers souhaitaient un étalement des baisses de dotations dans le temps et une simplification de la fiscalité locale.

La réforme de la dotation globale de fonctionnement, dont il a été si longtemps question, a été reportée par le Gouvernement. Mais celui qui prendra ses fonctions au printemps prochain ne pourra se dérober. Les fruits des travaux de la commission des lois sur la présente proposition de loi pourront peut-être mûrir et j’espère sincèrement que nous parviendrons alors à un projet plus global.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État

Je connais l’enjeu et ne répondrai pas à certaines provocations.

Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont évoqué la question des emprunts toxiques. Je nous invite collectivement à réfléchir au fait que l’on ne voit pas au nom de quel principe ou de quelle disposition légale un préfet ou un comptable aurait pu s’y opposer à l’époque où ceux-ci ont été souscrits.

Vous avez, depuis, corrigé les choses, en encadrant la nature des emprunts que peut souscrire une collectivité territoriale. Nous aurons l’occasion, dans quelques jours, de faire un bilan de la désensibilisation des collectivités locales à la toxicité de leurs emprunts ; je vous y renvoie.

Quoi qu’il en soit, ne mélangeons pas les questions. La question posée est légitime et connue ; elle a été sainement débattue, me semble-t-il. La question des emprunts toxiques est tout à fait différente !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je suis saisi, par Mme le rapporteur, au nom de la commission, d'une motion n°1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales (131, 2016-2017).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seul droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Cette motion a été largement défendue au cours de la discussion générale ; je serai donc brève. Je rappelle simplement les trois raisons qui ont motivé la commission des lois à la présenter.

En premier lieu, nous nous interrogeons sur l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire, qui est proposé par les auteurs de cette proposition de loi, et l’expérimentation en cours de certification des comptes des collectivités territoriales.

En deuxième lieu, les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette proposition de loi doivent être examinés de manière plus approfondie.

En dernier lieu, l’examen de la proposition de loi soulève des interrogations plus larges concernant le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

La motion est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 23 février 2017 :

À dix heures : débat sur le bilan du « choc de simplification » pour les entreprises.

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze : proposition de loi pour le maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes (n° 291, 2016-2017) ;

Rapport de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois (409, 2016-2017) ;

Texte de la commission (n° 410, 2016-2017).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 23 février 2017, à zéro heure cinq.