Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis de la proposition de loi, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues du groupe de l’UDI-UC, visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.
Aux termes de l’article 47-2 de la Constitution, « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »
En pratique, il n’est pas aisé de répondre à cette exigence légitime et la fiabilité des comptes locaux reste perfectible, malgré l’implication constante des élus, des agents territoriaux, des comptables publics et des chambres régionales et territoriales des comptes.
La proposition de loi prévoit deux mesures distinctes : le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, dans son volet préventif, et l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière, dans son volet répressif.
Ainsi, l’article 1er de ce texte tend à imposer un programme de contrôle de gestion aux chambres régionales et territoriales des comptes et à créer un nouveau « contrôle de l’annualité budgétaire ». Ces dispositions concerneraient environ 150 collectivités territoriales et établissements publics, disposant de recettes annuelles supérieures à 200 millions d’euros, et près de 400 collectivités territoriales ou établissements, disposant de recettes annuelles comprises entre 100 millions d’euros et 200 millions d’euros.
Le texte prévoit, en outre, une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les CRC constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une des infractions sanctionnées par cette juridiction.
Cette proposition de loi tend ainsi à élargir les possibilités de sanction des élus locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Le droit applicable aux élus locaux serait aligné sur celui qui concerne les membres des cabinets ministériels ou les administrateurs des entreprises publiques. Les membres du Gouvernement, les administrateurs élus des organismes de protection sociale et les administrateurs et agents des associations de bienfaisance resteraient hors du champ de compétence de cette juridiction.
Enfin, l’article 1er vise également à supprimer le dispositif de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires ou agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux. Ce mécanisme resterait toutefois applicable aux membres des cabinets ministériels, aux fonctionnaires ou agents civils ou militaires de l’État, ainsi qu’aux représentants des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit qu’un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles les personnes détentrices d’un mandat exécutif local peuvent s’assurer contre le risque de sanctions pécuniaires, sans toutefois préciser le mécanisme retenu.
La Cour de discipline budgétaire et financière pourrait également prononcer une peine d’inéligibilité contre les élus locaux ayant commis une des infractions prévues par le code des juridictions financières. Il s’agirait là d’un quatrième type d’inéligibilité. Cette disposition modifierait substantiellement l’office de cette juridiction qui ne prononce, en l’état du droit, que des sanctions pécuniaires.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que, au plus tard un an après son entrée en vigueur, le Gouvernement remette au Parlement « un rapport mesurant l’impact » de ce contrôle.
Les questions soulevées par ce texte ne sont pas dénuées d’intérêt et il est sans doute nécessaire de poursuivre les efforts de fiabilisation des comptes locaux.
Depuis les années 1980, les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales ont été progressivement et utilement renforcées. Les procédures sont bien encadrées et divers contrôles sont exercés.
Ainsi, le comptable public réalise des contrôles internes. Il procède à des « contrôles comptables automatisés » et transmet à l’ordonnateur un « indice de qualité des comptes locaux ».
Les documents budgétaires et comptables sont, dès leur adoption, transmis au préfet du département qui peut lui aussi procéder à un contrôle budgétaire.
Les CRC exercent deux contrôles non juridictionnels, les contrôles budgétaires et les contrôles de gestion, qui peuvent les conduire à saisir le procureur de la République, le procureur général près la Cour des comptes et aussi le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière.
Par ailleurs, un comité national relatif à la fiabilité des comptes publics locaux a été installé en 2010. Présidé par le directeur général des finances publiques, il élabore des guides pratiques consultables en ligne. En 2014, le Gouvernement, les présidents des associations d’élus et la Cour des comptes ont signé la charte nationale relative à la fiabilité des comptes locaux pour donner plus de visibilité aux travaux de ce comité.
Plus récemment, la loi NOTRe a renforcé les obligations budgétaires et comptables. Ainsi, son article 107 prévoit, par exemple, la présentation d’une étude d’impact financière pour « toute opération exceptionnelle d’investissement » et, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, la rédaction d’un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.
Cette loi vise aussi à généraliser d’ici au mois d’août 2019 l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public par les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants.
De plus, la loi a renforcé les contrôles budgétaires et de gestion des CRC en prévoyant la publicité immédiate des rapports de contrôle budgétaire rendus par les CRC, ainsi que l’obligation, pour les exécutifs locaux, de rédiger un rapport sur les mesures prises pour répondre aux recommandations adressées par les CRC.
Enfin, une expérimentation est également prévue par l’article 110 de cette même loi. Elle sera conduite entre 2017 et 2023 par la Cour des comptes, en lien avec les chambres régionales des comptes, et concernera 25 collectivités volontaires. Il s’agit d’expérimenter des « dispositifs destinés à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes » et d’établir « les conditions préalables et nécessaires à la certification des comptes du secteur public local ». Les travaux commenceront en 2017. Un premier exercice de certification est prévu en 2020. Le Gouvernement établira un bilan d’étape en 2018, puis un bilan final en 2023.
Dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2015, la Cour des comptes souligne que la fiabilité des comptes du secteur local reste « imparfaite ». Elle mentionne, à l’instar des auteurs de la proposition de loi, « le défaut ou l’insuffisance de rattachement des charges et des produits […] fréquemment constaté par les chambres régionales ».
D’autres difficultés sont aussi soulevées par la Cour des comptes : un amortissement insuffisant des immobilisations, des provisions pour risques et charges trop faibles, des informations lacunaires sur la structure de la dette, etc. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger sur l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire qui serait créé par l’adoption de la proposition de loi et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.
À ce stade, il semble préférable d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue en 2018, pour se prononcer sur les avantages et inconvénients de chacune de ces procédures.
Par ailleurs, nous nous sommes posé des questions sur les moyens à mettre en œuvre.
Est-il opportun de fixer un programme de contrôle pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent 100 millions d’euros ? En effet, la liberté d’organisation laissée aux présidents des chambres régionales et territoriales des comptes constitue une garantie d’indépendance des juridictions financières et permet de concentrer les contrôles sur les comptes présentant le plus de risques de dérapage.
En outre, le renforcement des contrôles de gestion et la création du contrôle de l’annualité budgétaire pourraient représenter une charge supplémentaire non négligeable pour les CRC.
De même, l’augmentation du nombre de justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière et la suppression de l’« ordre écrit » pour les fonctionnaires territoriaux conduiraient à repenser le fonctionnement de cette cour qui rend moins de dix arrêts par an et dispose de moyens très limités. Or, comme l’a souligné Michel Delebarre dans son avis budgétaire sur les juridictions administratives et financières, le législateur a d’ores et déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait par conséquent de mieux évaluer l’effet concret de la proposition de loi sur la charge de travail des personnels de l’ensemble des CRC et de la Cour de discipline budgétaire et financière.
De plus, des interrogations subsistent au sujet du rôle et des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.
En 2009, le projet de loi portant réforme des juridictions financières, préparé sous l’égide de Philippe Séguin, visait déjà à étendre les hypothèses de responsabilité des élus locaux devant cette juridiction. Le dispositif proposé était toutefois plus encadré que celui que prévoit la présente proposition de loi : pour être sanctionnés, les élus locaux devaient avoir agi dans le cadre de leurs fonctions, avoir été informés de l’affaire et avoir donné l’instruction, quelle qu’en soit la forme, à un subordonné de commettre l’infraction. La commission des lois de l’Assemblée nationale avait étendu cette responsabilité financière aux ministres. Ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ? Pourquoi ne pas étendre cette responsabilité aux ministres ?
Enfin, il paraît difficile d’évaluer les conséquences de la suppression de l’« ordre écrit » pour les seuls fonctionnaires territoriaux. Pourquoi mettre en place un traitement différencié entre les fonctionnaires territoriaux, d’une part, et les fonctionnaires hospitaliers et de l’État, d’autre part, alors que nous venons d’adopter la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui vise à harmoniser les principes applicables aux trois versants de la fonction publique ?
Peut-on modifier le périmètre des justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière sans réformer, au préalable, le fonctionnement et le champ de compétence de cette juridiction ? Le projet de loi de 2009 prévoyait de supprimer cette juridiction, de transférer ses compétences à la Cour des comptes et de revoir l’ensemble des infractions sanctionnées. Plus récemment, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a souligné le manque de visibilité et d’efficacité de la Cour de discipline budgétaire et financière.
Au terme d’un débat nourri, la commission des lois a jugé nécessaire d’approfondir sa réflexion sur la meilleure façon de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales et de l’étendre à des problématiques plus larges, comme les moyens alloués aux juridictions financières et le rôle de la Cour de discipline budgétaire et financière. En conséquence, elle a décidé de déposer une motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et n’a pas adopté le texte.