Intervention de Christian Eckert

Réunion du 22 février 2017 à 22h20
Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi

Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez à examiner la proposition de loi présentée par votre collègue Vincent Delahaye. Ce texte, motivé par des situations locales observées après des changements d’exécutifs départementaux ou régionaux, comporte deux grands volets.

Premièrement, un volet préventif vise à renforcer les contrôles. L’article 1er instaure une périodicité minimale pour le contrôle, par la chambre régionale des comptes, du respect du principe de l’annualité budgétaire par les collectivités territoriales les plus importantes et, ainsi, du dispositif de rattachement des charges et produits à l’exercice.

Les modalités de ce contrôle seraient les suivantes : un examen annuel pour les 194 collectivités et leurs établissements publics dont les recettes dépassent les 200 millions d’euros par an ; un examen tous les deux ans, pour 112 collectivités dont les recettes dépassent 100 millions d’euros. En outre, un contrôle obligatoire des comptes et de la gestion s’appliquerait tous les six ans pour les collectivités les plus importantes.

Deuxièmement, un volet répressif avec des sanctions nouvelles ou alourdies : ce texte propose en effet de rendre justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, les élus locaux au-delà de ce qui est déjà prévu aujourd’hui ; il renforce les sanctions applicables, le cas échéant, avec des peines d’inéligibilité ou pécuniaires, voire les deux, et crée comme corollaire un mécanisme de protection assurantielle des exécutifs locaux justiciables de la CDBF en cas de sanction pécuniaire.

Les objectifs visés avec cette proposition de loi, c’est-à-dire la sincérité et la fiabilité des comptes locaux, sont totalement partagés par le Gouvernement. Je ne doute pas qu’ils le soient aussi par les membres de cette assemblée, car ils relèvent d’une exigence constitutionnelle. Je vais moi aussi citer l’article 47-2 de la Constitution : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »

Vous le savez, les comptes de l’État et des organismes de sécurité sociale sont d’ores et déjà certifiés. C’est aussi le cas, désormais, des comptes de la plupart des établissements publics nationaux, ainsi que des hôpitaux. Le secteur public local est moins avancé, c’est exact, mais une expérimentation de certification des comptes des collectivités locales a également été lancée. J’y reviendrai plus tard.

Votre initiative, monsieur Delahaye, permet un échange de vues utile, et un point d’étape tout aussi utile sur ces chantiers très importants que sont la fiabilisation et la certification des comptes locaux. Cependant, je ne pense pas que les moyens que vous proposez pour y parvenir soient les plus adéquats.

En effet, la systématisation du contrôle, par le juge financier, du rattachement des charges et des produits, qui est au cœur de votre proposition, présente, me semble-t-il, trois inconvénients.

Elle nécessiterait tout d’abord des arbitrages délicats en termes de moyens alloués aux chambres régionales des comptes, les CRC. À ce stade, les conséquences potentielles en termes d’effectifs n’ont pas pu être expertisées finement avec la Cour des comptes. Je vous rappelle que, en l’état, les contrôles des CRC sur les collectivités les plus importantes se font généralement tous les quatre ou cinq ans.

Ensuite, l’introduction de ce nouveau contrôle devrait aussi être articulée avec les dispositions actuelles relatives au contrôle budgétaire confié au préfet, et associant également les chambres régionales des comptes. Je rappelle que le contrôle budgétaire porte à ce stade sur cinq étapes du processus budgétaire : la date d’adoption du budget ; le respect de l’équilibre réel, ce qui renvoie à la question de la sincérité du budget ; la date d’adoption du compte administratif ; le déficit de celui-ci, et, enfin, l’omission ou l’insuffisance de crédits correspondant à des dépenses obligatoires.

Par ailleurs, les exemples cités portent tous sur la question de l’annualité ou plus exactement du rattachement des charges et des produits à chaque exercice, prévu par les règles budgétaires et comptables. C’est vrai, cette thématique est importante, mais d’autres irrégularités, plus discrètes peut-être, peuvent aussi porter atteinte à la sincérité des comptes des collectivités territoriales. Il en est ainsi du défaut d’amortissement ou de provisionnement des risques, du défaut d’inventaire du patrimoine pénalisant son entretien et handicapant sa valorisation, etc.

C’est pourquoi, tout en partageant, je le répète, votre objectif, le Gouvernement privilégie une démarche différente, à la fois plus globale, c’est-à-dire visant à atteindre la qualité sur tout le champ comptable, et moins péremptoire, donc plus progressive et partenariale : il ne suffit pas de généraliser les contrôles et de créer des sanctions ; il faut que les acteurs locaux s’approprient les bonnes pratiques.

Des outils existent déjà, que le comptable public, et, au-delà, le réseau local de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, mettent à disposition des collectivités : restitution des contrôles comptables automatisés ; indicateurs de la qualité comptable locale. Ils donnent déjà une première tendance de la qualité des comptes.

Mais, depuis 2011, pour agir plus en amont, la DGFiP travaille à fiabiliser les comptes locaux en relation étroite avec les associations d’élus. Il s’agit d’établir des guides ou référentiels de contrôle interne, qui permettent à l’ordonnateur de s’assurer que le budget comme la comptabilité sont tenus conformément aux règles en vigueur. Les thèmes de ces référentiels portent sur des sujets aussi divers et lourds de conséquences financières que les provisions pour risques et charges des collectivités, tout le cycle des recettes, l’évaluation du parc immobilier et les immobilisations financières.

Ces travaux se déclinent aussi, sur le plan local, à travers la signature, avec le comptable public et la direction locale, de conventions de services comptables et financiers pour les collectivités les plus importantes ou, le cas échéant, d’engagements partenariaux pour les collectivités locales de taille plus modeste.

Surtout, comme je l’ai déjà évoqué, le Gouvernement souhaite aller plus loin, ainsi que le prévoit la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui comporte une expérimentation de la certification des comptes sur 25 collectivités. Celles-ci ont été désignées en fin d’année dernière, parmi une cinquantaine de candidatures. Elles comprennent : 2 conseils régionaux, 6 conseils départementaux, 10 communes de taille variable et 7 EPCI, dont une métropole, situés tant en France métropolitaine que dans les territoires d’outre-mer.

Pilotée par la Cour des comptes, mais associant naturellement dans sa mise en œuvre le comptable public, la démarche de certification vise à porter une appréciation annuelle sur la qualité des comptes et repose sur la méthode suivante : audit des processus à enjeux et analyse de la qualité des dispositifs de contrôle interne concourant à la fiabilité de l’information financière ; intervention d’auditeurs indépendants assujettis à des normes d’exercice professionnel reconnues, dont, le cas échéant, la dénonciation de faits délictueux ; « regard externe » d’un auditeur qui constitue un véritable levier de progression en matière de qualité comptable et conduit à une appréciation sur les états financiers annuels.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont vous débattez aujourd’hui a un objectif ambitieux, que le Gouvernement partage, comme je l’ai déjà dit.

Nous nous sommes attelés à sa réalisation et avons engagé des réformes d’ampleur, modifiant non seulement les textes, mais établissant aussi un dialogue avec les collectivités pour améliorer les pratiques.

Sous le bénéfice de ces explications, le Gouvernement donnera un avis favorable à la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui permettra, je l’espère, de continuer à travailler les pistes contenues dans votre proposition, tout en assurant une meilleure prise en compte des évolutions législatives récentes, que je viens d’évoquer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion