Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 22 février 2017 à 22h20
Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie nos collègues Vincent Delahaye et Catherine Di Folco pour le travail effectué sur cette proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

L’article 47-2 de la Constitution dispose que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. ». En réalité, il est très difficile de répondre à cette exigence légitime. Les élus et les agents territoriaux, mais aussi les comptables publics, s’impliquent constamment et avec détermination en cette matière, mais la fiabilité des comptes locaux reste perfectible.

Il est vrai que des exemples concrets viennent alimenter la thèse d’un besoin de perfectionner la fiabilité des comptes des collectivités. Je pense notamment aux trois cas de « doutes sérieux » émis sur la sincérité des comptes présentés par la Seine-Saint-Denis, par l’Essonne et par l’ancienne région Poitou-Charentes, exemples donnés dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi. Des retards de paiement auraient été pratiqués de manière systématique et auraient permis de reporter d’une année sur l’autre jusqu’à 10 % des dépenses de fonctionnement. Comment, au regard de ces trois exemples, peut-on ne pas douter de la sincérité des comptes ? Il nous faut, nous, élus, être plus que jamais responsables !

Ce texte prévoit un volet préventif, à savoir le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, et un volet répressif, à savoir l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Le texte prévoit également une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les chambres régionales et territoriales des comptes constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une infraction sanctionnée par cette juridiction.

Les chambres régionales et territoriales auraient l’obligation de contrôler, au moins tous les six ans, la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont les recettes annuelles dépassent régulièrement 200 millions d’euros, soit près de 200 collectivités territoriales et établissements publics.

Les chambres régionales et territoriales des comptes seraient également chargées d’examiner le respect du rattachement des charges à l’exercice budgétaire en cours, conformément au principe de l’annualité budgétaire, et cela tous les ans pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent régulièrement 200 millions d’euros.

Cette augmentation des contrôles me laisse assez dubitative, s’agissant notamment des moyens alloués à ces contrôles supplémentaires. De très longs délais sont d’ailleurs aujourd’hui constatés entre le bouclage des comptes et l’évaluation de la chambre.

C’est pourquoi je partage pleinement l’un des arguments ayant présidé au dépôt d’une motion de renvoi à la commission : il s’agit d’évaluer en profondeur les moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de cette proposition de loi, d’autant que le législateur a déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait de mieux traiter l’impact concret d’une adoption de la proposition de loi sur la charge de travail du personnel de l’ensemble des chambres régionales et territoriales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Je comprends ce qui a motivé la rédaction de ce texte ; il soulève néanmoins des difficultés. À mon sens, il est impossible d’aborder la transparence budgétaire et comptable des collectivités territoriales en trois articles.

Un autre point de ce texte peut susciter des interrogations : le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière. On peut en outre s’interroger sur la mise en œuvre de la responsabilité des élus locaux devant cette cour. Par exemple, une simple erreur dans l’application des règles budgétaires et comptables, lesquelles sont par ailleurs de plus en plus complexes, ne me semble pas justifier l’engagement de leur responsabilité personnelle. La peine de cinq ans d’inéligibilité me paraît elle aussi disproportionnée.

Je rejoins entièrement les remarques formulées par Mme Di Folco dans l’exposé des motifs de la motion : les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ?

D’ailleurs, cette proposition de loi revient sur un principe de base de la décentralisation : en l’état actuel du droit, le contrôle s’exerce a posteriori.

En revanche, réformer le fonctionnement et le champ de compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière peut apparaître nécessaire. La rapporteur nous l’a confirmé, à la suite des auditions qu’elle a pu mener : cette juridiction manque de visibilité et d’efficacité. Je rappelle qu’en 2009 un projet de loi inspiré par Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, prévoyait la suppression de la CDBF et le transfert de ses compétences à la Cour.

Un point mériterait par ailleurs d’être approfondi, notamment dans le cadre de cette proposition de loi : le contrôle des comptes des collectivités, c’est-à-dire la vérification du respect de la légalité et le jugement sur la gestion.

L’examen de la gestion est un contrôle mal calibré par rapport à son objectif. Il est censé constituer un instrument d’aide à la gestion pour les collectivités. Or les élus ont de plus en plus de mal à percevoir sa valeur ajoutée par rapport à l’expertise dont ils disposent au sein de leur administration. L’exercice est pourtant très lourd, pour les élus comme pour les chambres.

Aussi la procédure telle qu’elle est conçue aujourd’hui est-elle inadaptée. Elle peut durer jusqu’à trois, voire quatre années, avec plusieurs conséquences regrettables : la mobilisation des personnels de la collectivité et de la chambre pendant une telle durée, le risque accru d’un changement d’interlocuteurs en cours de procédure, un fort décalage temporel entre la période examinée et la remise des observations.

En tout état de cause, ce sujet devra être lui aussi approfondi afin d’alléger la procédure ou du moins de la clarifier. On constate en effet dans de nombreuses communes que ces contrôles se font de manière assez aléatoire, et surtout mobilisent une énergie considérable des agents des collectivités.

À mon sens, il est nécessaire de redéfinir les priorités de contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes, afin qu’elles soient plus homogènes, et de s’assurer que les collectivités dont les comptes sont situés en dessous du seuil actuel des « comptes significatifs » ne soient pas exclues d’un tel contrôle de manière systématique.

Enfin, et pour conclure, il est évidemment préférable d’attendre le rapport relatif à l’expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales prévu par la loi NOTRe, qui doit être rendu public en 2018.

L’esprit de cette proposition de loi est tout à fait honorable, mais il est nécessaire à la fois d’être patient, notamment au regard de la loi NOTRe, et d’approfondir un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations, tant en commission qu’aujourd’hui, dans l’hémicycle.

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