Intervention de François Pillet

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objectif, comme l’indique son intitulé, de renforcer l’efficacité de la justice pénale. Cette proposition de loi trouve sa source dans une constatation qu’il serait irresponsable de négliger : la crédibilité de la justice pénale ne cesse de s’éroder dans l’opinion publique.

Or on ne peut pas prétendre revaloriser la justice sans se préoccuper de la valorisation de son image. On ne peut pas vouloir conforter l’autorité judiciaire sans préserver l’adhésion à ses décisions. Pour autant, on ne doit pas lui enjoindre de n’être que l’expression de la vox populi au premier motif que son indépendance est protectrice de l’État de droit.

La justice, dont l’indépendance doit être garantie, est, proclame-t-on, rendue au nom du peuple français. Nos concitoyens exigent légitimement d’être écoutés. Cependant, ils ne sont pas sourds à l’énonciation des faits, pourvu que ceux-ci soient vérifiés, et ils ne répugnent pas à adhérer aux règles fondamentales de notre droit, pourvu qu’elles soient justifiées et expliquées.

Or, précisément, sans bouleverser ou affaiblir les grands principes de notre droit pénal, il est possible de satisfaire les attentes de nos concitoyens en préservant l’autorité judiciaire de toute atteinte à son pouvoir de juger.

Pour peu que le législateur soit objectivement éclairé et résolument pédagogue, cette tâche est pour lui moins complexe qu’il n’y paraît.

De l’avis de la majorité des membres de la commission des lois, François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et les cosignataires de la proposition de loi ont à juste titre et opportunément suscité une réflexion sur plusieurs progrès législatifs tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale. L’ensemble des auditions, plus constructives que critiques, les contributions citoyennes recueillies sur l’espace participatif que j’ai ouvert sur ces questions l’attestent également.

Une constatation fondamentale, figurant dans l’exposé des motifs, justifie la présentation de leurs propositions : « L’effet dissuasif de la peine joue bien plus à travers sa certitude que sa sévérité. » Cette affirmation, en trouvant un écho réel dans nos travaux au travers de modifications législatives précises, permettra de répondre aux incompréhensions de celles et ceux qui, admettons-le, n’acceptent pas ce qu’ils ressentent, sur un plan général, comme l’expression affaiblie de la justice et, dans leur vie quotidienne, comme une négation de leur droit à la sécurité.

À travers plusieurs dispositions pour renforcer la certitude de la peine, la proposition de loi tend à améliorer la procédure pénale tant dans sa phase présentencielle que dans la phase de jugement.

Cette proposition de loi vise ainsi, pour faciliter la répression des infractions, à mieux encadrer la mise en œuvre des mesures alternatives aux poursuites, à renforcer les prérogatives du parquet dans la conduite des enquêtes et pour les placements en détention provisoire, à consacrer de nouvelles garanties dans la phase de jugement.

Elle conforte aussi la réponse pénale et son exécution par la menace d’une sévérité renforcée, par la certitude de l’effectivité de la sanction au travers d’un meilleur encadrement du régime d’application et d’exécution des peines.

Enfin, la proposition de loi contient des mesures aménageant la législation contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et renforçant la protection des mineurs victimes d’infractions.

La commission des lois a approuvé les orientations du texte, estimant que nombre de ses dispositions étaient utiles. Elle s’est donc attachée à l’examen de leur constitutionnalité, de leur conventionnalité et de leur cohérente et efficace intégration dans notre État de droit.

Elle a ainsi été conduite à retenir des améliorations, certaines purement rédactionnelles, pour qu’il ne soit pas, même indirectement, porté atteinte au champ d’application du principe d’opportunité des poursuites ou à l’effectivité du principe d’individualisation des peines.

Je tiens surtout à attirer votre attention sur le résultat fondamental des orientations et de la voie choisies pour assurer un solide équilibre : la commission des lois a retenu le constat sociologique des auteurs de la proposition et l’objectif des mesures qu’elle contient en préservant l’absolu pouvoir du juge.

Certes, le juge devra plus encore que précédemment motiver ses décisions, mais c’est précisément ainsi qu’il légitime et renforce la justice qu’il rend au nom du peuple.

Nous ne pouvons pas négliger ce que nous entendons sans cesse dans tous les territoires, dans toutes les couches de la société quels que soient les âges, dans toutes les catégories socioprofessionnelles.

Prenons l’instauration des peines planchers. Tous les propos excessifs peuvent, je vous l’assure, être écartés.

Notre concitoyen peut demander que celui qui a été condamné plusieurs fois, qui a bénéficié de mesures alternatives aux poursuites, de sursis successifs, d’accompagnements, de libérations anticipées, qui a été averti, voie sa prochaine peine affectée d’un minimum. Il est même parfaitement légitime à le souhaiter quand, s’adressant à nous, il admet : « Législateurs, vous m’avez enseigné le principe de la nécessaire individualisation des peines et maintenant j’y adhère ; je comprends pourquoi la peine plancher que je réclamais ne peut en aucun cas être automatique ; je conçois, monsieur le juge, que vous ayez écarté son application, mais dites-moi pourquoi ! »

Pour ce qui nous concerne, une double tâche nous incombe : dire les faits et faire œuvre de pédagogie, éclairer et guider.

Les faits, c’est montrer que les magistrats ne sont pas laxistes. Le taux de réponse pénale est actuellement supérieur à 90 %.

Les peines prononcées sont en moyenne plus lourdes. Alors que le nombre d’affaires susceptibles de poursuites est en diminution, on constate une aggravation des peines prononcées qui se traduit par un recours plus important, tant en proportion qu’en valeur absolue, à la peine d’emprisonnement. Entre 2011 et 2015, le nombre de peines d’emprisonnement ferme a augmenté de 10 %.

Au mois de juillet 2016, plus de 69 000 personnes étaient détenues, soit le maximum jamais atteint. Au cours de cette même année, la population carcérale a progressé de 3, 3 %, soit plus que l’augmentation de la population française ou la hausse de la délinquance.

Les faits, c’est aussi prendre en compte les propos de la grande majorité des magistrats entendus qui disent ne pas appliquer la contrainte pénale parce qu’ils peuvent utiliser la mesure proche et plus éprouvée du sursis avec mise à l’épreuve.

La pédagogie, c’est expliquer que toute remise en liberté sans condition, ni surveillance ou accompagnement ne participe pas à la réinsertion mais augmente le risque de récidive.

La pédagogie, c’est convaincre que, dans le traitement de la délinquance, la répression est nécessaire, mais pas toujours suffisante.

Enfin, revenant aux réflexions directement inspirées par la proposition de loi de François-Noël Buffet, de Bruno Retailleau et des autres cosignataires, reconnaissons, mes chers collègues, que ce texte a l’immense mérite de nous inviter, sans les clore, à deux débats futurs incontournables pour répondre aux incompréhensions et aux attentes de nos concitoyens : d’une part, la suppression définitive de toutes les mesures de remises automatiques de peine au profit d’un régime unique de liberté conditionnelle, dont les modalités de mise en œuvre seraient définies par la loi ; d’autre part, l’élargissement de la pratique du mandat de dépôt lors du prononcé du jugement.

Lors de son audition, un président de cour d’assises m’a rappelé qu’il devait avouer aux jurés d’assises, en réponse à une question qu’ils lui posent systématiquement, qu’une durée de détention d’un peu plus de sept ans pouvait se substituer à la peine de vingt ans initialement prononcée. Il faudra bien trouver une autre réponse à cette situation !

De même, il faudra organiser un autre épilogue aux audiences à l’issue desquelles l’auteur condamné à une peine privative de liberté quitte libre l’enceinte judiciaire aux côtés de la victime. Un journal du soir, et plus précisément d’hier soir, fournit quelques exemples. On pourrait en citer de bien plus humainement inacceptables.

Quelles que soient nos convictions sur ces sujets complexes, il est sociologiquement irresponsable de les traiter avec complaisance ou condescendance !

Mais, pourquoi le nier ? tout ce qu’il reste à faire, toutes les mesures que nous prendrons auront pour effet, nonobstant le pouvoir d’appréciation réservé et ultime des juges, de nécessiter des investissements importants en matière d’établissements pénitentiaires et l’octroi de moyens supplémentaires.

Cela étant dit, il ne s’agit pas d’une nécessité récente attribuable a fortiori à cette proposition. Rappelons-nous le plan mis en place en ce domaine par notre collègue Michel Mercier lorsqu’il était ministre de la justice, qui fut quasiment immédiatement abandonné par son successeur.

La proposition de loi qui vous est soumise, telle qu’elle résulte des travaux de la commission des lois, permettra de ne pas perdre de temps sur un sujet sociologiquement préoccupant. Pour autant, une ambitieuse loi de programmation et plusieurs lois de finances courageuses et successives demeurent nécessaires.

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