Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans Les M ains sales, Jean-Paul Sartre fait dire à l’un de ses protagonistes que « tous les moyens sont bons, quand ils sont efficaces ».

La notion d’efficacité constitue le cœur du texte qui nous réunit aujourd’hui. La définition de cette notion et son critère vont articuler l’essentiel de nos échanges.

L’efficacité, est-ce l’utilité ? Est-ce la rapidité ? Est-ce la simplicité ? Est-ce la cohérence ?

Cet exercice de définition n’a rien d’oiseux, bien au contraire. Lorsque l’on choisit des mots, il faut le faire en connaissance de cause, et c’est tout l’enjeu de notre débat.

La proposition de loi qui est soumise à notre discussion contient plusieurs mesures, dont l’objectif explicite serait d’améliorer l’efficacité de notre justice pénale.

Le texte prévoit ainsi de rétablir des peines minimales pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans ; de restreindre le quantum des peines aménageables ab initio ; de renforcer les règles de révocation des sursis ; de restreindre le champ d’application de la confusion de peines ; de supprimer la contrainte pénale et la libération sous contrainte. Toutes ces mesures, quand on les analyse les unes après les autres, ont pour point commun de chercher à durcir la répression.

Est-ce efficace ? Je ne le crois pas. Par exemple, une part notable des dispositions initiales de la proposition de loi avaient surtout pour conséquence essentielle de rigidifier, voire d’alourdir le fonctionnement de la justice pénale. Je me félicite donc du fait que la commission des lois du Sénat, sur proposition de son rapporteur, ait supprimé purement et simplement quatre articles du texte initial.

Je relève aussi avec intérêt qu’elle a décidé d’en réécrire plusieurs autres, intégralement.

L’article 1er, qui a été supprimé, visait à encadrer l’exécution des mesures alternatives aux poursuites. S’il avait été adopté, cet article aurait eu des effets contre-productifs et aurait réduit le taux d’exécution de ces mesures.

Une mesure initialement proposée à l’article 4 a également été supprimée. Elle prévoyait de confier au procureur de la République la possibilité d’ordonner seul des mesures restrictives de liberté à l’issue d’une garde à vue, tel qu’un contrôle judiciaire, sans contrôle d’un juge. Une telle mesure soulevait évidemment une difficulté d’ordre constitutionnel liée à l’absence de révision du statut du parquet, une révision qui, soit dit en passant, a été proposée par le Gouvernement, mais que le Sénat a refusée.

Enfin, à l’article 25, la disposition visant à transformer en crime toutes les infractions d’association de malfaiteurs, qui peuvent aujourd’hui constituer des délits punis de dix ans d’emprisonnement, a aussi été supprimée. Cette disposition aurait immédiatement entraîné un blocage de la cour d’assises spéciale antiterroristes, sans compter qu’elle aurait rendu impossible la sanction des auteurs de ces infractions dans un délai raisonnable.

Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, même ainsi utilement modifié, ce que ce texte prévoit n’est pas efficace aux yeux du Gouvernement : ni efficace au sens d’« utile », ni efficace au sens de « plus rapide », ni efficace au sens de « plus simple », ni efficace au sens de « plus cohérent ».

Non seulement ce texte n’apporterait pas d’efficacité mais, de surcroît, j’en suis convaincu, il nuirait à l’efficacité de la justice pénale.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne peut soutenir cette proposition de loi.

Ce n’est pas l’idée, ce n’est pas la conception que nous nous faisons de l’efficacité. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de la justice pénale.

Revenons à l’étymologie du terme « efficacité ». Émile Littré nous renseigne à merveille : l’efficacité vient du latin efficacitas, qui signifie « force », « vertu ».

Donner plus de force à la justice pénale ? Mais nous l’avons fait ! Nous ne cessons de le faire depuis 2012 !

De ce point de vue, nous sommes unanimes : l’efficacité de la justice, qu’elle soit pénale ou civile, réside avant tout dans ses moyens. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, nous plaidons tous ici pour que les futurs budgets soient à la hauteur des demandes que nous ne cessons de voir augmenter. Il faut des moyens budgétaires et des moyens humains, faute de quoi les droits que vous votez seront des « droits de papiers ».

Je l’ai dit et je ne cesse de le répéter : le ministère de la justice souffre d’une vraie difficulté, à savoir son budget. Vous le connaissez, vous l’avez discuté et vous avez noté que des avancées objectives ont été obtenues.

En 2016, le dégel anticipé de 107 millions d'euros au profit des juridictions a permis d’éviter des ruptures de paiement.

En 2017, l’ouverture de 40 millions d'euros par décret d’avance va permettre d’augmenter massivement les dépenses consacrées aux juridictions.

Tout cela a un effet directement mesurable. Vous avez probablement participé aux audiences de rentrée dans les TGI et dans les cours d’appel, et vous avez entendu ce qui a été modifié dans l’année. Je citerai simplement deux cas précis. Les arriérés de paiement de la cour d’appel de Rennes étaient de 5 millions d’euros début 2016 ; ils sont aujourd’hui de 800 000 euros. À la cour d’appel de Colmar, ceux-ci étaient de 2, 9 millions d’euros au début de l’année 2016 ; ils sont désormais de 430 000 euros.

Sur l’ensemble du territoire, le délai de paiement des frais de justice est passé, en un an, de quatre mois à un mois.

C’est cela, mesdames, messieurs les sénateurs, l’efficacité de la justice !

Pour 2017, l’effort sera soutenu, avec un budget de 7 milliards d’euros, en augmentation de 4, 2 %. Cela aussi contribuera à l’amélioration de l’efficacité.

Après avoir redressé la situation des frais de justice, j’entends m’atteler aux dépenses de fonctionnement et d’investissement. À cette fin, le budget de 2017 augmente de 10 % les crédits de fonctionnement des services judiciaires et de 28 % les crédits immobiliers.

Enfin, pour que ces majorations de crédits puissent rapidement être perçues par les juridictions, le Premier ministre a accepté de lever totalement le gel concernant ces dépenses. Cela correspond à un montant de 40, 5 millions d'euros, soit 28, 5 millions d'euros de fonctionnement et 12 millions d'euros d’immobilier.

S’agissant des recrutements, j’ai déjà eu l’occasion de le dire au Sénat, mais je veux le répéter, depuis le mois de mai 2012, nous avons créé un poste de magistrat par jour ouvrable, c'est-à-dire 1 354 postes de plus au cours de cette législature. L’École nationale des greffes de Dijon a formé 5 512 nouveaux fonctionnaires des greffes, contre 3 880 entre 2007 et 2012. À l’École nationale d’administration pénitentiaire d’Agen, quelque 5 400 élèves surveillants ont été formés en cinq ans. À Roubaix, l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a accueilli 911 éducateurs supplémentaires.

Voilà ce qui, concrètement, contribuera à améliorer l’efficacité de la justice !

Corrélativement à l’augmentation des moyens, il faut recentrer les magistrats et les enquêteurs sur leur cœur de métier.

Il faut aussi améliorer la gestion des contentieux de masse pour lesquels leur intervention apporte parfois une faible plus-value.

Il faut encore simplifier la procédure, qui est parfois devenue inutilement formaliste, tout en renforçant les garanties accordées aux justiciables.

Tout cela, nous avons commencé à le faire dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite « J21 », par exemple avec la forfaitisation de certains délits routiers, dont la constatation ne donnait lieu qu’à très peu de contestation et dont la sanction répondait très largement à des barèmes préétablis. Cela encore améliorera l’efficacité de la justice.

C’est également ce que nous avons fait avec le plan de simplification de la procédure pénale, qui s’est traduit par des modifications législatives dans la loi du 3 juin 2016, dans des adaptations réglementaires dans le décret de simplification du 7 septembre 2016, et par deux circulaires de simplification des 23 décembre 2015 et 8 septembre 2016.

Ces mesures de simplifications concernent ainsi la possibilité de transmettre des procès-verbaux sous forme électronique ; la simplification de l’exploitation des supports informatiques saisis au cours de l’enquête, dont la copie peut désormais être faite sans la présence d’un OPJ ; l’extension des possibilités de comparution forcée, en cas de risque de modification des preuves ou des indices, de pressions sur les témoins ou les victimes et de concertation entre les coauteurs ou les complices de l’infraction.

Nous avons simplifié également par l’extension du recours à la visioconférence pour la présentation au juge, afin d’éviter les contraintes liées au transport de la personne interpellée.

Nous avons simplifié encore par la création de plateformes de soutien logistique de gestion de la garde à vue, permettant de rationaliser la mise en œuvre des droits de la personne placée en garde à vue – recherche d’un médecin, contact avec l’avocat choisi, recherche d’un interprète.

Nous avons simplifié en modifiant le principe « un acte-un PV », en permettant aux enquêteurs de regrouper plusieurs actes de procédure en un seul procès-verbal.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui a déjà été fait et qui contribuera nécessairement à améliorer l’efficacité de la justice.

Nous avons apporté une certaine souplesse dans les procédures, tout en préservant les garanties fondamentales des uns et des autres.

Si l’efficacité signifie étymologiquement « force », « vertu », comme je l’évoquais il y a quelques instants, alors, oui, nous avons donné plus de force et plus de vertu à la justice pénale et à la justice civile. C’est cela, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous appelons « l’efficacité » !

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